"Juchés sur les épaules des géants" :
les quatre évangélistes et les quatre prophètes de la rose sud de la cathédrale de Chartres.
Un breton de Moélan à l'origine d'une métaphore célèbre sur le savoir cumulatif, et sur la dette due aux Anciens. Son application en typologie biblique sur les verrières de Chartres.
L'expression "nous sommes comme des nains juchés sur les épaules de géants" est une métaphore si évocatrice qu'elle appartient au langage courant, parfois réduite à sa finale "grimpé sur les épaules de géants" dans la formule anglaise "Stand on the shoulders of giants ", alors que plus personne n'utilise la forme latine nani gigantum humeris insidentes.
Isaac Newton qui l'a employée dans une lettre à Robert Hoocke du 5 février 1675 , en fait une formule rhétorique de modestie scientifique : If I have seen further it is by standing on ye sholders of giants, "si j'ai vu un petit peu mieux, c'est parce que je me tenais sur des épaules de géants".
Un peu avant lui, en 1647, Pascal avait écrit dans la préface de son Traité du vide " […] parce que, (les Anciens) s'étant élevés jusqu'à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d'eux. C'est de là que nous pouvons découvrir des choses qu'il leur était impossible d'apercevoir. Notre vue a plus d'étendue, et, quoiqu'ils connussent aussi bien que nous tout ce qu'ils pouvaient remarquer de la nature, ils n'en connaissaient pas tant néanmoins, et nous voyons plus qu'eux. " C'est l'idée de l'effet cumulatif du savoir, idée nouvelle s'opposant aux paradigmes médiévaux et antiques de mimesis (imitation des Anciens sans prétendre les égaler), révolution copernicienne ouvrant les perspectives d'un savoir infini.
Récemment Jean-Claude Ameisen, par le titre de son émission de France-Inter ou de son ouvrage "Sur les épaules de Darwin, le battement du temps", reprends cette métaphore dans le même sens, celui des progrès scientifiques par savoir cumulatif et plus généralement du progrès par micro-adaptation évolutive.
L'origine de cette expression est bien connue et remonte au XIIe siècle : elle n'est attribuée à Bernard de Chartres que par le biais d'une citation de ce dernier dans le Metalogicon de Jean de Salisbury, dans le Livre III :
Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine aut eminentia corporis sed quia in altum subvehimur et extollimur magnitudine gigantea.
"Bernard de Chartres disait que nous sommes comme des nains assis sur les épaules de géants de sorte que nous pouvoir voir davantage [de choses] qu’eux et plus loin non certes à cause de l’acuité de notre propre vue, ou de la hauteur de notre corps mais parce que nous sommes soulevés en hauteur et élevés à une hauteur gigantesque" (III, 4)
Bernard de Chartres ne dit pas directement que notre savoir est supérieur à celui des Anciens, mais que notre situation, notre "point de vue" est préférable.
En réalité, Priscien, grammairien du 6è siècle avait eut une réflexion comparable en écrivant que les grammairiens récents sont plus perspicaces que les anciens : quanto juniores, tanto perspicaciores. Ce que les modernes ont en plus, c'est la perspicacité (latin perspicax, "vue perçante", de specio "regarder" et per, "à travers"). Ce détour permet de comprendre que dans la métaphore de Bernard de Chartres, tout tourne autour du regard, du champ de vision et de son empan. C'est d'ailleurs un élève de Bernard de Chartres, Guillaume de Conches , qui fut le maître de Jean de Salisbury, qui cite cette remarque.
Bernard de Chartres, Guillaume de Conches (ca 1080-1150) et Jean de Salisbury (1115 ?-1180 ?) ont été des enseignants de la fameuse École de Chartres, une "école cathédrale" créée pour la formation des clercs à la suite de l’impulsion de la réforme carolingienne par l' enseignement des matières profanes (trivium soit Grammaire + Rhétorique + Dialectique et quadrivium soit Arithmétique + Musique + Géométrie + Astronomie). Elle avait été fondée par Fulbert après 1006 et ancrée, sur le plan philosophique, sur la pensée platonicienne. Dirigée par un chancelier (ou écolâtre) secondé par un chantre, son enseignement "s’appuie sur les auteurs anciens : Quintilien, mais aussi Cicéron, Macrobe, Sénèque et Boèce par lesquels ils avaient accès à Platon (dont seul le Timée était directement accessible à cette époque). Il s’agit de former correctement des étudiants, de faire en sorte qu’ils soient des gens imprégnés des valeurs de l’antiquité et qui soient capables de bien s’exprimer en prenant modèle sur les écrivains anciens." (P. Cibois)
Mais si on sait que Jean de Salisbury fut aussi évêque de Chartres, on ignore souvent que Bernard de Chartres fut évêque de Quimper de 1159 à 1167, sous le nom de Bernard de Moélan (Moélan est, au sud-ouest de Quimperlé, une paroisse littorale de Bretagne sud sur les rives du Belon). La Chronique de l'abbaye de Quimperlé fait mention de ce breton né à Moélan au territoire de l'abbaye et qui fut en l'année 1159 appelé au siège épiscopal de Quimper après avoir été chancelier dans l'église de Chartres. Bernard avait été maître de l’école épiscopale de 1114 à 1119 et chancelier de 1119 à 1124 (E. Bréhier). Il décéda le 2 août 1167, et il est l'auteur des Vitae de saint Corentin et de saint Ronan, le saints les plus considérables du diocèse. (Hauréau 1872).
Mon propos n'est pas de poursuivre une réflexion sur le sens de la métaphore du maître breton sur "les nains juchés sur les épaules des géants" dans le cadre du platonisme chartrain (cf. L. Spina 2004 U. Eco 2006 ou P. Cibois 2012) mais de montrer des images de cet aphorisme, les gigantesques prophètes portant sur leurs épaules les petits évangélistes, tels qu'ils apparaissent sous la rose sud de la cathédrale de Chartres. Car cet article n'est pas bâti de savoirs, mais de sensations : celles que connaît le navigateur lorsque, ayant quitté Port Tudy à Groix et longeant la côte bretonne aux falaises abruptes, ayant dépassé Brigneau, il scrute en vain la rive, et malgré le recours de ses jumelles, ne découvre la profonde ria de Merrien (le modeste mais enchanteur port de Moélan-sur-Mer). Plus encore que de sensations, cet article est tissé de souvenirs, celles de mes lectures adolescentes de Merveilles des Petits Ports dans lequel Jean Merrien (pseudonyme de René Marie La Poix de Fréminville, le descendant du Chevalier qui, après la mort de sa chère Caroline, avait pris l'habitude de s'habiller en femme !). Comme je rêvais alors de ces escales atlantiques, de ces ammarrages à quai ou de ces béquillages en port d'échouage!
Sensations encore lorsque, avec d'autres jumelles, je découvrais le vitrail de Chartres où quatre acrobates faisaient les pitres sur les épaules de leur camarade à une vingtaine de mètres au dessus de moi. Quel spectacle, amplifié par la qualité de verres Zeiss ! J'aurais voulu en faire profiter tous les touristes qui, privés de mes yeux de géants, ne regardait que la rosace ou le fanion de leur guide. C'est à défaut d'avoir, ce jour là, crié à travers les stalles Regardez ! Regardez ! C'est merveilleux ! que je mets en ligne ces images.
Sensations enfin, gustatives, que celles qui naissent de la prononciation de "juché sur les épaules" avec ce savoureux "juché" trop souvent omis. Car, initialement, et encore aujourd'hui dans les soubassements de notre mémoire, le mot est teinté d'ironie, pour avoir été utilisé d'abord dans le Roman de Renart (écrit juste après la mort de Bernard de Moélan) pour qualifier les poules sur leur perchoir ou jucheoirs. (Godefroy)
LES LANCETTES DES QUATRE ÉVANGÉLISTES JUCHÉS SUR LES PROPHÈTES A CHARTRES.
A Chartres, sous la rose sud de l'Apocalypse, la métaphore de l'évêque de Quimper a été utilisé ou détournée dans une visée de typologie biblique pour signifier que le Nouveau Testament s'appuie sur les textes de l'Ancien, ou que les évangélistes affirment ce qu'avant eux annonçaient les prophètes ; mais je ne pense pas que le commanditaire souhaitait voir les évangélistes qualifiés de "nains" et les prophètes de "géants". On peut même dire que cette évocation est, pour l'Église, parfaitement déplacée...
Ces images nous conduisent à considérer la fameuse phrase autrement. Jusqu'à présent nous l'entendions en nous identifiant aux "nains" liés au présent, les "géants" relevant du passé. Mais ici nous nous plaçons dans le temps du plan divin (ou hors du temps), chaque prophète et chaque évangéliste devenant deux acteurs complices du même projet : sur l'image, ils sont contemporains et co-actifs. Le "grand" (le plus ancien) et le "jeune" (le plus récent) visent le même but et leurs regards vont vers la même direction. Le plus jeune pose ses mains sur le front ou la tête du plus âgé pour s'inspirer de ses pensées et de ses écrits. A la différence d'autres représentations, on ne trouve pas ici de différenciation des prophètes qui stigmatiserait leur caractère hébraïque (longue barbe bifide, longs cheveux, bonnet juif, vêtements à franges rituelles, aumônières) mais au contraire certains prophètes, comme certains évangélistes sont imberbes et d'autres sont barbus ; les visages sont aussi nobles pour les prophètes que pour les apôtres.
Mais de même que les apôtres de Cluny sont représentés sur des consoles supportées par des prophètes, malgré leur connivence les évangélistes de Chartres surpassent les prophètes en actualisant leur prophéties enfin réalisées par l'accomplissement christique.
Description.
L'ensemble Rosace sud et lancettes des verrières hautes de la façade méridionale porte le numéro 122 et le nom de verrière de la maison de Dreux Bretagne.
Une lancette centrale représentant la Vierge à l'enfant est encadrée de quatre lancettes où les quatre évangélistes sont montés sur les épaules de quatre prophètes : de gauche vers la droite : Jérémie porte saint Luc, Isaïe saint Matthieu, Ézéchiel saint Jean, et Daniel porte saint Marc. Ces données sont connues et mon but est de faire admirer des images suffisamment agrandies de ces couples et de les mettre à la disposition de chacun.
En dessous, mais bien plus petits, les donateurs sont représentés debout ou à genoux. Ce ne sont pas eux qui sont sur des épaules de géants, ce sont les textes de l'Ecriture.
Mais les nains que nous sommes aujourd'hui devenons encore plus petits lorsqu'il nous faut lire le message typologique que les théologiens et penseurs de l'Ecole de Chartres et leurs successeurs ont inscrit sur cette verrière : pourquoi Luc est-il couplé à Jérémie, quel lien s'établit entre l'évangile de Luc et le Livre de Jérémie ? En matière d'herméneutique, nous n'arrivons pas à la cheville des grands penseurs médiévaux, et l'escabeau nous manque pour nous hisser plus haut. J'essayerai pourtant d'esquisser des pistes. Je ne crains pas le ridicule, car de si haut, ils ne me verront pas.
1. Saint Luc est juché sur les épaules de Jérémie.
Eucharistie. Proposition typologique : Luc 22:20 Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous est mis en parallèle avec Jérémie 31:31 :Voici, les jours viennent, dit l'Éternel, Où je ferai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle.
Reliques et culte chartrain.
A Chartres, un reliquaire dit "des Maries", offert en 1449 par Jean Bernard, archevêque de Tours rassemblait les reliques des saints restes épars qui avaient perdu leur écrin principal au cours de périodes troublées : on y trouvait des reliques des saints Paul, Barthélémy, Marc et Luc, et de sainte Marguerite. Ces reliques de saint Luc et de saint Marc provenaient vraisemblablement, comme d'autres, du sac des églises de Constantinople par les croisés lors de la 4ème Croisade en 1204.
Selon l'Ordinaire chartrain, saint Luc était célébré le 18 octobre avec la même solennité que les apôtres, c'est-à-dire avec neuf leçons lues au cours des offices de la journée. (C. Lautier 2005)
Inscription : :S':LUCAS:
2. Saint Matthieu est juché sur les épaules du prophète Isaïe.
Incarnation. La citation d'Isaïe 7,14 occupe une place centrale au début de l'Évangile de Matthieu .
Livre d'Isaïe (7, 10-14; 8, 10) : Le Seigneur envoya le prophète Isaïe dire au roi Acaz: «Demande pour toi un signe venant du Seigneur ton Dieu, demande-le au fond des vallées ou bien en haut sur les sommets.» Acaz répondit: «Non, je n'en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l'épreuve.»
Isaïe dit alors: «Écoutez, maison de David! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes: il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu! Eh bien! Le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel», c'est-à-dire: Dieu avec nous.
: Matthieu 1 :22-23 Tout cela arriva afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : Voici, la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d'Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous.
Reliques et culte chartrain.
La cathédrale conservait la relique du chef de saint Matthieu, issue du sac de Constantinople en 1204. Elle avait été offerte par Gervais de Châteauneuf qui avait apporté lui-même la relique à la cathédrale et avait fait également une fondation de quarante sous annuels de rente pour son anniversaire (C. Lautier). Lors de sa fête le 21 septembre, le saint était honoré par une procession la veille et, selon le rituel ordinaire de Chartres au XIIIe siècle, par la lecture à l'office de neuf lectures ou "leçons", contre trois pour les fêtes ordinaires.
Inscription : St MAT(K)S : le sigle qui ressemble au K, un h avec une apostrophe, est abréviative de MATTHEUS.
3. La Vierge et l'Enfant.
La Vierge couronnée tient l'Enfant tout en présentant ostensiblement la fleur symbole de sa virginité et de son accomplissement de la prophétie d' Isaïe 11 :1 Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines.
Entre l'arche et l'arcature trilobée, deux sphères symbolisent le soleil et la lune.
4. Saint Jean est juché sur les épaules du prophète Ézéchiel.
Quatre vivants. Apocalypse.
Le Livre du Prophète Ézéchiel débute par une vision spectaculaire de création. Il voit les cieux ouverts et au centre du cercle lumineux, quatre êtres vivants. Il les décrit comme suit: « Leur aspect ressemblait à ceci: quant à la forme de leurs visages, elles avaient toutes quatre une face d’homme et une face de lion à droite, toutes quatre une face de taureau à gauche et toutes quatre une face d’aigle » (1: 10).
Jean eut une vision similaire, rapportée dans l’Apocalypse 4: 6-: « Le premier être vivant ressemblait à un lion, le deuxième à un jeune taureau, le troisième avait un visage semblable à celui de l’homme et le quatrième ressemblait à l’aigle ».
Le texte de l'Apocalypse suggère une nouvelle explication des "nains juchés sur les épaules... : on y lit : " Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver dans la suite" (Ap.4,1). Les évangélistes, et Jean tout particulièrement, en "montant ici", en se hissant sur le niveau du ton et de l'inspiration prophétique, accèdent à un degré de vision très particulier, celui de la vision eschatologique. Ils n'écrivent pas un récit historique ou un témoignage, mais une Vision, celle du Salut.
Inscription : S/IO(K)ES.
Comme pour Matthieu, utilisation du signe abréviatif semblable à un K pour remplacer IO(HANN)ES c'est à dire Saint Jean.
5. Saint Marc juché sur les épaules de Daniel.
Le Fils de l'Homme dans les nuées avec puissance et gloire.
— Daniel, 7:13,14 : « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici que sur tes nuées vint comme un Fils d’homme [et ecce cum nubibus caeli quasi filius hominis veniebat ]; il s’avança jusqu’au vieillard, et on le fit approcher devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et règne, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. »
— Marc Mc 13,26. "Alors on verra le Fils de l'homme venir sur les nuées, [ Filium hominis venientem in nubibus] avec beaucoup de puissance et de gloire."
Le Fils de l'Homme dans les nuées figure au sommet du tympan de la Porte du Sauveur de la cathédrale d'Amiens, au dessus du Jugement Dernier.
Voir aussi Matthieu 24:36 : "C'est alors que le signe du Fils de l'homme apparaîtra dans le ciel. Alors tous les peuples de la terre se lamenteront, et ils verront le Fils de l'homme venir sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire."
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Reliques et culte chartrain.
A Chartres, un reliquaire dit "des Maries", offert en 1449 par Jean Bernard, archevêque de Tours rassemblait les reliques des saints restes épars qui avaient perdu leur écrin principal au cours de périodes troublées : on y trouvait des reliques des saints Paul, Barthélémy, Marc et Luc, et de sainte Marguerite. Ces reliques de saint Luc et de saint Marc provenaient vraisemblablement, comme d'autres, du sac des églises de Constantinople par les croisés lors de la 4ème Croisade en 1204.
"Si saint Luc est fêté avec la même solennité que les apôtres, c'est-à-dire avec neuf leçons lues au cours des offices de la journée, il n'en est pas de même pour saint Marc qui ne bénéficie que d'une simple mémoire le 25 avril dans le calendrier chartrain." (C. Lautier 2005)
Inscription : -S- MARCVS:
LES DONATEURS DU VITRAIL.
1. Yolande de Dreux.
fille du couple de donateurs, elle est née en 1218, ce qui est une indication possible de la date du vitrail. Comtesse de Penthièvre et de Porhoët, elle épousera Hugues XI de Lusignan et deviendra comtesse de la Marche et d'Angoulême.
Sa robe porte les armoiries de sa famille. Ses cheveux dénoués indiquent qu'elle n'est pas mariée.
2. Alix de Thouars duchesse de Bretagne.
Elle est coiffée d'un touret, et porte les armoiries de son époux Pierre de Dreux qui suit.
Née en 1201 et morte en 1221, elle est reconnue duchesse de Bretagne en 1213 à la mort de son père Guy de Thouars qui, en tant que baillistre, en assurait la régence pendant sa minorité.
3. Armoiries des comtes de Dreux (sous la Vierge).
L'écu (en forme d'amande) est suspendu à l'arcature reposant entre deux colonnades, et est entouré de deux vases dont les effluves (ou les fleurs) sont figuré(e)s en grisaille.
Échiqueté d'or et d'azur au franc-quartier d'hermine et à la bordure de gueules.
Le comte Pierre de Dreux dit Mauclerc.
Pierre de Dreux 1187-1250. Baillistre de Bretagne (assurant la gérance du Duché) au chef de son épouse Alix de 1213 à 1221, puis au nom de son fils mineur Jean de 1221 à 1237.
Selon une hypothèse, d'abord destiné à une carrière dans le clergé, Pierre de Dreux y renonce après avoir longtemps étudié aux Écoles de Paris, d'où serait venu son surnom de « Mauclerc », c'est-à-dire « mauvais clerc » qu'on lui a attribué après sa mort. C'est en souvenir de cet épisode ecclésiastique qu'il aurait brisé le blason paternel (Échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules) avec un franc quartier d'hermine, alors réservé au clergé. (Wikipédia)
Bien mal en point d'avoir été défiguré d'un coup d'épée à la bataille de la Massoure (1249), il périt en mer lors de son retour de Croisade en mai 1250.
Il est aussi le donateur de la verrière haute voisine n°120 ( La Vierge et l'Enfant dans la Rose et deux prophètes dont Osée) et de la verrière 124 ( Pierre Mauclerc dans la Rose : le prophète Michée et le prophète Malachie). Ces trois baies développent donc la pensée médiévale des liens avec les textes prophétiques.
Jean de Dreux
Né en 1217, il deviendra le comte Jean 1er le Roux et duc de Bretagne en titre en 1221 à la mort de sa mère, mais, comme il était âgé de quatre ans, son père assura la régence jusqu'à sa mort en 1237. Meurt le 8 octobre 1286.
N.B Pierre de Dreux et Alix de Thouars eurent un troisième enfant, Arthur de Bretagne (1220-1224) : s'il ne figure pas ici, cela indique que le vitrail est antérieur à sa naissance. Puisque Yolande y figure, cela laisse la fourchette 1218-1220, qui est cohérente avec d' autres données. L'évêque de Chartres est alors (depuis 1217) Gautier.
LA ROSE DE L'APOCALYPSE.
Cette rose est une illustration de la première vision de l'Apocalypse de Jean.
« Monte ici, et je te ferai voir ce qui doit arriver dans la suite. Aussitôt je fus ravi en esprit. Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu'un était assis. Celui qui était assis avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine ; et le trône était environné d'un arc-en-ciel semblable à une émeraude. Autour du trône je vis vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d'or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal. Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre êtres vivants remplis d'yeux devant et derrière. Le premier être vivant est semblable à un lion, le second être vivant est semblable à un veau, le troisième être vivant a la face d'un homme, et la quatrième être vivant est semblable à un aigle qui vole. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d'yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit : Saint, saint, saint et le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, qui était et qui est, et qui vient ! » Ap 4,1-11.
Cette vision se décline en cercles successifs sur la Rose :
1. " Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu'un était assis. Celui qui était assis avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine ; et le trône était environné d'un arc-en-ciel semblable à une émeraude".
Au centre de la rose se trouve le Christ en majesté, tenant la coupe du sang de la Nouvelle Alliance et entouré de deux cierges, qui figurent sans-doute la lumière qui vient de l'Ancien et du Nouveau Testament. Son fond rouge est celui de la Passion. Ce cercle central est entouré de douze fleurons blancs, ce chiffre douze pouvant être mis en rapport avec les tribus d'Israël, les apôtres, les heures ou les mois, etc. Il annonce les douze médaillons du cercle à venir.
2. "Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre êtres vivants remplis d'yeux devant et derrière. Le premier être vivant est semblable à un lion, le second être vivant est semblable à un veau, le troisième être vivant a la face d'un homme, et la quatrième être vivant est semblable à un aigle qui vole. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d'yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit : Saint, saint, saint et le Seigneur Dieu, le Tout-Puissant, qui était et qui est, et qui vient !"
Le cercle suivant représente, alternant avec des anges thuriféraires, le Tétramorphe : le lion, symbole de l'évangéliste Marc ; le bœuf, symbole de l'évangéliste Luc ; l'homme, symbole de l'évangéliste Matthieu ; l'aigle, symbole de l'évangéliste Jean. Ils se détachent sur un fond bleu quadrillé de rouge.
3. "Autour du trône je vis vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d'or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal ."
Une surprise m'attendait lorsque j'explorai, armé toujours de mes jumelles, le cercle suivant : je crus que, tel Dante abordant sa descente des orbes concentriques de l'Enfer, un sortilège m'avait transporté parmi les médecins à demi-fous d'une réunion d'uroscopie de l'université de Salerne, puisque je découvrais des hommes brandissant un flacon en en mirant le contenu coloré, tandis qu'ils tenaient, entre deux autres fioles, un instrument de musique. Mais un guide bienveillant m'expliqua qu'il s'agissait des vingt quatre Vieillards de l'Apocalypse ( Apocalypse 5,8) et que leur vase, rempli de parfum, symbolise leurs prières. Ils sont répartis en deux cercles de médaillons et, en périphérie, de demi-médaillons.
Entre ces deux cercles, des quadrilobes avec les blasons de Pierre de Dreux, donateur.
Ici, deux harpes et deux vièles. L'une des vièles est ovale et le corps de l'autre est étranglé ; l'une des harpes possède des ouvertures dans sa table.
Idem, et Psaltérion.
Trois harpes, une vièle à corps ovale, un psaltérion.
Psaltérion, harpe, vièle à corps ovale, vièle à corps étranglé, tenu manche vers le bas.
Trois vièles dont une tenue manche en bas ; un psaltérion.
Quatre vièles.
Quatre vièles.
DATATION.
J'ai suggéré le créneau 1218-1220. l'article Wikipédia indique, selon la notice de la direction du Patrimoine de 1992 1221-1230. Les publications de C. Lautier (2003) et C. Manhes-Deremble (1993) permettent de déduire que le chantier de la reconstruction de la cathédrale après l'incendie de 1194 s'est étalée de 1195 à 1235, les vitraux étant installés au fur et à mesure de cette construction ; ceux des parties hautes du transept (et donc la baie 122) venant assez tardivement :
"En 1990, une étude de dendrochronologie des restes de bois d'échafaudage situés au-dessus des tailloirs des piles, dans les bas-côtés de la nef et du chœur, a donné par l'analyse des extrémités des boulins, la date de 1195-1200 pour les bas-côtés de la nef, celle de 1210 environ pour les bas-côtés du chœur.
Les chanoines s'installèrent solennellement dans le chœur en 1221, bien que l'édifice n'ait pas totalement été terminé puisque l'essentiel de la construction ne devait être achevé que vers 1230/35. L'érection des parties hautes de la nef est sans doute contemporaine des parties basses du chevet, suivie des niveaux supérieurs du chœur et de l'abside et, enfin, des parties hautes du transept, d'abord au côté sud puis au côté nord. Quant aux vitraux, ils furent sans doute installés au fur et à mesure qu'avançait la construction, du moins la majorité d'entre eux." (Lautier 2003)"
RESTAURATION
La baie 122 a été restauré par les Amis de la cathédrale de Chartres et reposée en 2009 : http://www.amiscathedrale.com/Les_realisations.html
Sources et liens.
— CIBOIS (Philippe), « Sur les épaules des géants », La question du latin, 25 novembre 2012 [En ligne] http://enseignement-latin.hypotheses.org/6359
— ECO (Umberto) 2006 A reculons comme une écrevisse Google
— SPINA (Luigi) "Nains et géants, une dialectique antique" L'Information littéraire 2004/I vol.56 http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=INLI_561_0028
— KURMANN-SCHWARZ( Brigitte) "Récits, programme, commanditaires, concepteurs, donateurs : publications récentes sur l'iconographie des vitraux de la cathédrale de Chartres" Bulletin Monumental 1996 Volume 154 pp. 55-71
— HAURÉAU (Jean-Barthélémy) 1872 "Bernard de Chartres et Thierry de Chartres" Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Volume 16 pp. 75-84 Persée
— LAUTIER Claudine 2003 « Les vitraux de la cathédrale de Chartres. Reliques et images » Bulletin Monumental Vol. 161
— Description des vitraux de Chartres :
http://www.cathedrale-chartres.fr/vitraux/rose_sud/index.php
— Site sur les évangiles :http://home.nordnet.fr/caparisot/html/marcsept.html
— Wikipédia article Des nains sur les épaules des géants. http://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_%C3%A9paules_de_g%C3%A9ants