NICOLAS DE MALAPERT, AMI DE JORIS HOEFNAGEL A SÉVILLE. ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES.
A propos de la Vue de Séville du Civitates Orbis Terrarum vol. V planche 7 (1598).
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Introduction.
Dans le cinquième volume du Civitates Orbis Terrarum (1598), la Vue de Séville porte dans sa partie inférieure, en splendides majuscules et lettres enlacées, la dédicace suivante :
D.NICOLAO MALEPART AMICO VETERI ET CONGERRONI HISPALENSI LEPIDISSIMO GEORGIVS HOVFNAGLIVS AMICITIE MONVME[N]TVM D. A[NN]O MDXCIII. FRANCOF. AD MOENVM
Ou, sous une autre forme, D. Nicolao Malepart amico veteri et congerroni hispalensi lepidissimo Georgivs Hovfnaglius amicite monvme[n]tv[m] D. a[nn]o 1593. Francof. ad ...
On peut la traduire par : "A Nicolas Malepart, vieil ami, joyeux et brillant compagnon à Séville, ce témoignage d'amitié de Georges Hoefnagel, , en l'an 1593 à Francfort-sur-le-Main."
La question qui se pose donc est de savoir qui est ce Nicolas Malepart.
La dédicace est déjà présente sur le dessin préparatoire actuellement conservé à l'Albertina de Vienne . Ce dessin date des séjours effectués par Hoefnagel entre 1563 et 1567, et la dédicace y a donc été ajoutée, dans un cadre créé par un double trait, sur cette esquisse. Nous avons donc trois temps et trois lieux, celui de la création du dessin (Séville, 1563-1567), celui de la dédicace du dessin (Francfort, 1593) et celui de la gravure du dessin et de sa publication (Cologne, 1598). Selon toute vraisemblance, Hoefnagel s'est lié d'amitié avec Nicolas Malepart à Séville, et l'a retrouvé près de trente ans plus tard à Francfort.
Dans les années 1563-1567, le jeune Joris Hoefnagel a effectué plusieurs séjours prolongés en Espagne pour se former au commerce et poursuivre l'activité de son père, fréquentant presque exclusivement durant cette période des villes d' Andalousie. Séville, porte d'entrée de tous les produits du Nouveau Monde était la plus importante d'entre elles. Il réalisa un certain nombre de villes en vues d'oiseau, deux vues de Séville publiée dans les volume I et Iv du Civitates, mais aussi un dessin où Séville est montrée sous un angle plus ingrat; c'est ce dessin qui servit de modèle de page pour la gravure du volume V de la Civitates Orbis Terrarum. Dans ce dernier, la planche est accompagnée d'une page de texte explicatif, surtout basé sur les notes d' Hoefnagel, et qui souligne que Séville, d' origine romaine, est alors la ville portuaire la plus importante en Espagne et le port d'entrée de tous les biens importés du Nouveau Monde. Le Guadalquivir était alors navigable à Séville, mais son ensablement progressif entraîna un transfert sur Cadix d'une partie du trafic. Entre 1550 et 1570, Séville est devenue un centre important d'implantation de marchands flamands provenant d'Anvers , comme Antoine de Venduylla, Juan Jacarte, Hendrick Aparte, Michel Herbaut, Jean Cambier, André Plamont, Melchior de Haze, et... Louis et Nicolas Malapert.
C'est précisément à Nicolas Malapert (ou Malepart, Malaparte, Malpaert) qui est amico veteri et congerroni hispalensi lepidissimo, le "vieil ami et compagnon de Séville si plein de charmes et d'agréments". J'utiliserais la forme "de Malapert" qui m'est apparue la plus fréquente, ou la plus efficace dans les recherches.
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Nicolas de Malapert et sa famille.
La famille Malapert est originaire de Mons (Hainaut) mais ses membres, des marchands spécialisés notamment dans le commerce de la soie, se sont établis au XVIe siècle dans de nombreux centres commerciaux importants, y compris Cologne, Londres, Venise, Livourne et Séville et Francfort. A Anvers, centre nord-ouest du commerce de la soie, ils étaient susceptibles d'être inquiétés pendant la période de l'oppression du duc d'Albe, et Philippe d'Auxy les signala comme calvinistes.
La famille est décrite par Félix-Victor Goethals dans le Miroir des notabilités nobiliaires de Belgique, des Pays-Bas , Volume 1
La description de cette famille peut débuter par Michel Le Bouvier dit Malapert, écuyer, apothicaire, échevin de Mons en 1501, 1503 et 1507 : il eut 4 fils, (Jean, Michel, Philippe, Christophe) :
a) Jean de Malapert, épousa 1) Catherine Hoston, d'où François qui épousa à Bruxelles en 1530 Jacqueline de la Verderue, dont Nicolas Malapert qui épousa Françoise de Lange ; 2) Barbe de Glarges, d'où Louis Sieur de Maurage qui épousa Jeanne de Heldewier, d'où Nicolas (mort en 1618) qui épousa Marie de Courcelles, d'où Abraham et Isaac.
b) Michel de Malapert, seigneur de Buquant, épousa Grégoirine de Béhault, d'où Nicolas Malapert, [né le 18 octobre 1564 , décédé le 6 novembre 1615 à Justphaas, qui épousa à Anvers Jossine de Kethel, dame de Justphaas, d'où Nicolas Malapert.] et Louis Malapert Seigneur du Vieux-Gembloux.
Comme on le voit, j'ai cité trois Nicolas de Malapert, d'où des hésitations dans l'identification de l'ami de Hoefnagel, et des risques de confusion. Je part de l'hypothèse que notre homme est le fils de Louis. Mais les prénoms Louis et Nicolas se succèdent dans les différentes branches...
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Louis (Lodewijk, Ludwig) de Malapert Seigneur de Maurage 1520-
Parmi ces membres, revenons donc sur Louis de Malapert, Seigneur de Maurage, car c'est lui qui vint établir une succursale à Séville, avec [son frère] Nicolas. Les informations qui les concernent viennent du fait qu'ils sont tous les deux dénoncés pour leurs opinions religieuses.
En 1567, Philippe d'Auxy cite Nicolas, Antoine et Louis Malapert, de Mons, dans une Notule sur les calvinistes les plus envenimés. Mais dans une Note sur les moyens de remédier à Anvers, Philippe D'Auxy dénonce aussi comme calvinistes Marco Perez, Corneille Van Bomberghe de Cambrai […] Jacques Hoefnagel « marchant de pierreries » et père de Joris, Robert van Haesten, Pierre Harnouts, Jean Damman, « tous trois forts riches, traictant sur Séville ».
En 1566, un rapport secret avait été communiqué par Geronimo de Curiel, facteur (agent d'affaire) du roi d'Espagne à la gouvernante Marguerite de Parme, et, par là au roi Philippe II, sur les marchands d'Anvers hérétiques ou suspects. S'intéressant particulièrement à ceux qui sont installés en Espagne, il signale les biens ou les affaires qu'ils y possèdent : outre Gilles Hooftman et Pierre Van Vye, Marco Perez, ou Jean de la Faille, on trouve Louis et Nicolas Malapert qui sont décrits comme "montois, calvinistes, favorisent les sectaires, Ils ont une succursale à Séville et de nombreuses hacienda. Ils sont de la secte calbeniste". «Luis et Nicolas Malaparte e conpania son rresidentes en Anveres e naturales de Mons en Anaot, y son de la setta calbenista, y an echo arto daño e rruynes ofizios en conpania de los hijos, de Mos de Tolossa, que son muy amigos y tienen grand quenta con los meniettos e con los prenzipales erejes y esto de muchos dias attas. Tienen casa en Sevilla y mucha hazienda en poder de uno dellos del mesmo nonbre o criado suyo.»
En 1602, Louis de Malapert est inscrit comme bourgeois de Francfort.
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Nicolas de Malapert, 1542-1618.
Le Nicolao Malapert de la dédicace de Hoefnagel est donc le fils de Louis de Malapert et de Jeanne de Heldewier, né en 1542, et qui épousa en 1575 Marie de Courcelles, veuve de Diederick (Thierry) Badouere qui avait péri lors du massacre de la Saint-Barthélémy le 25 août 1572. Nicolas "de Malpart" fit des démarches auprès de Henri IV par l'intermédiaire de Louise de Coligny, de la comtesse Palatine et de Buzanval pour que son épouse soit partiellement dédommagée, car la boutique de Thierry Badouer, riche lapidaire, avait été pillée par les gardes de Charles IX. Lorsque Hoefnagel séjourna, entre 21 et 26 ans, à Séville, Nicolas Malepert avait donc 21 ans. Plus tard, il revint à Anvers où il acquit une maison, puis se fixa à Francfort.
Avec son frère David de Malapert, il était, lors de la dédicace de Hoefnagel, installé à Francfort-sur-le-Main. Son rôle en tant que commerçant, et son importance pour le développement de l'économie pan-européenne est évidente du fait qu'ils furent, avec Noë du Fay, Bastien de Neufville, Jean et Louis de Bary, parmi les grands marchands qui , en plus de Welser, Tuchern et Imhof , conclurent un accord à Francfort en 1585 sur la valeur de l'unité pour les lieux de l'argent, la fixation des taux de change et qui ont ainsi été à l'origine de la Bourse de Francfort. Un document décrit Nicolas Malapert refusant une lettre de change, ce qui témoigne d'une activité de banquier parallèle à celle de marchand.
Nicolas de Malapert eut deux fils, Abraham et Isaac. Abraham (1580-† 1632), a multiplié sa fortune en épousant en 1609 Marie du Fayt, fille du marchand de soie et banquier de Francfort Johann du Fayt, († 1617) . Il eut trois enfants, David, François, et Suzanne qui épousa Abraham de Neuville.
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Son frère David de Malapert 1545-1589.
David épousa Marie Badouer, la fille de Marie de Courcelle et de Thierry Badouer. Leur fille aînée, Marie de Malapert (1583-1646) épousa en 1602 l'architecte protestant Jacques II Androuët du Cerceau (1550-1614), valet de chambre et architecte de monseigneur frère du roi en 1581, architecte de la Grade galerie du Louvre et du Pavillon de Flore aux Tuileries, et qui fit les plans du temple réformé de Paris, le Temple de Charenton, en 1607.
Il ne faut pas le confondre ce Nicolas avec son cousin Nicolaas ou Nicolaes de Malapert, né à Anvers en 1564, décédé le 11 juin 1615, fils lui-même de Nicolas de Malapert et de Jossine de Kethel, et qui épousa en 1592 Margaretha van Panhuys. Ce marchand et partenaire d'affaires d'André et Daniel van der Muelen était aussi le beau-frère d'André van der Muelen (1549-1611), qui s'est marié en 1583 avec sa sœur Susanna de Malapert. Après la chute d'Anvers en 1585, il a quitté sa ville natale et s'est installé à Brême.
On signale un Nicolas Malapert (1533- 21 juin 1581) comme frère de Louis de Malapert, d'après une lettre manuscrite à Hugues Doneau de Hubert Languais qui résidait chez Louis.
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Joannes Vivianus était un riche marchand, humaniste, collectionneur (en particulier les pièces de monnaie) et poète néo-latine. Il est né à Valenciennes (1543-1546), fils de l'écuyer Nicolas Vivien et de Barbe Malapert. Il est mort à Aachen le 12 Septembre, 1598, donc il n'a pas connu le passage de la ville au camp catholique en 1599. Autour de 1571, il s'est établi comme marchand à Anvers. Pendant la période calviniste de la ville entre 1581 et1583, il a occupé le poste de chapelain (chargé de récolter le coût de l'assistance aux pauvres). Cela prouve qu'il était très riche. Le 24 mai 1580, il épousa sa cousine, Catherine de Malapert d' Anvers (1562-1620), avec qui il a eu huit enfants. Le 11 Août, 1585, il est allé à Aachen, où il est resté jusqu'à sa mort en 1598. En 1594, il a fondé avec le marchand de Leyde Daniel van der Meulen et son frère André, avec Jean Vivien et Nicolas de Malapert, la Nieuwe Napelse Compagnie. Dans les archives de Daniel van der Meulen, conservé dans les archives municipales Leiden, se trouve est un fichier contenant 45 lettres. Or, Johannes Vivianus (Jean Vivien) apparaît à de très nombreuses reprises dans l'Album amicorum de Johannes Radermacher, ami de Hoefnagel. Ce dernier a composé aussi un poème pour cet Album amicorum. Vivianus voyagea ave Ortelius en 1575 dans le Brabant .
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SOURCE ET LIENS :
RKD : https://rkd.nl/en/explore/images/22114
— VIGNAU-WILBERG (Thea) : catalogue de l'Albertina de Vienne :
http://sammlungenonline.albertina.at/?id=tms_32377#13f292ee-09c1-4808-ab15-cddd4657c62b
— LE CARPENTIER (Jean) 1664 Païs-Bas ou histoire de Cambray et du ..., Volume 1 page 188
— LERNER ( Franz), 1987, "Malapert" in Nouvelle Biographie allemande, p 723 f [version en ligne]. URL: http://www.deutsche-biographie.de/ppn139774939.html
— EBRARD (F.C), 1906, Die Französisch-reformierte Gemende im Francfurt-am-Main, 1594-1904
https://archive.org/stream/diefranzsischre00ebragoog#page/n129/mode/2up
— Sites généalogiques :
https://www.genealogieonline.nl/genealogie-peeters-rouneau/I29460.php
http://de-sejournet3.skynetblogs.be/