Les peintures murales de la chapelle Saint-Léger de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
Voir aussi:
La tenture de la Vie de la Vierge de l'église Notre-Dame de Beaune.
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Dans l'été de 1901, un membre du conseil de fabrique de la collégiale Notre-Dame, F. Mathieu, découvrit sous le badigeon de la chapelle Saint-Léger des traces de peintures murales.
"La chapelle Saint-Léger avait été décorée au quinzième siècle par le cardinal Jean Rolin, évêque d'Autun, fils du célèbre chancelier, et archidiacre de Notre-Dame. En 1470, au moment où se rallumait la guerre entre Louis XI et Charles le Téméraire, il avait fui sa ville épiscopale menacée par les troupes royales, et s'était retiré à Beaune; le chapitre reconnaissant d'une fondation de 800 écus d'or faite à l'église, l'accueillit avec honneur, mit à sa disposition le logement qui avait été celui de Guigone de Salins, la deuxième femme du chancelier, et lui concéda l'usage de la chapelle Saint-Léger. Le cardinal la fit décorer de peintures où il mit son portrait, de vitraux à ses armes et annonça même qu'il la destinait à sa sépulture, ce qui ne se devait pas exécuter. Sa munificence ne s'arrêta pas là ; il contribua à la peinture renouvelée de la riche imagerie du portail exterminée à la Révolution, et fit élever le jubé qui n'existe plus. Enfin, il chargea le chapitre de faire exécuter à ses frais une tenture en tapisserie, la Vie de la Vierge, destinée aux grandes solennités à orner le pourtour du sanctuaire. Cette tenture existe encore, toutefois elle ne devait pas être exécutée du vivant du cardinal ; plus tard le projet fut repris par l'archidiacre Hugues Le Coq, qui se servit manifestement des patrons — nous dirions aujourd'hui des cartons, mais les modèles de ce temps étaient peints sur toile — commandés pour être traduits en tapisserie." (H. Chabeuf)
En 1474, le chapitre commande au peintre dijonnais Pierre Spicre "les patrons des histoires de Notre Dame" destinées au choeur. Les termes du marché stipulent que le cardinal Rolin y sera représenté "ainsi qu'il est au tableau de la chapelle Saint-Ligier à Beaune que a fait ledit maistre". L'attribution à Spicre repose sur ce texte, dont l'interprétation suscite des objections, le mot tableau évoquant un panneau peint plutôt qu'une peinture murale. Voir A. Erlande-Brandenburg, 1976.
« Sera aussy paint mains jointes » mondit seigneur le cardinal, ainsy qu'il est au tableau de la chapelle Saint Legier, à Beaune, qui a fait ledit maislre feu... emprès de luy et son chapeau de cardinal devant luy », lit-on dans le marché fait au nom du chapitre, le 13 septembre 1474, entre Antoine de Salins, doyen, Antoine Grignard et A. de Salins, chanoines, et Pierre Spicker , peintre à Dijon, pour les patrons des futures tapisseries."
Ces peintures ont été restaurées en 1975-1976 par l'ARCOA (Atelier régional de Conservation Restauration d'Oeuvres d'Art) et Hiso Takahashi.
On décrit trois ensembles :
- Mur ouest de la chapelle : la Résurrection de Lazare.
- Mur : sainte Marthe et sainte Marie-Madeleine.
- Mur est : la Lapidation de saint Étienne.
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I. La Résurrection de Lazare.
Sur le mur ouest de la chapelle : la Résurrection de Lazare, évoque le saint patron du diocèse d'Autun dont le cardinal Rolin était l'évêque. Il illustre le miracle relaté dans l'Évangile de Jean Jn 11:1-45 :
" Il y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa soeur. C'était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c'était son frère Lazare qui était malade. Les soeurs envoyèrent dire à Jésus: Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. [...] Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre et, comme Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, beaucoup de Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère. Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison. [...] Jésus frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au sépulcre. C'était une grotte, et une pierre était placée devant. Jésus dit: Otez la pierre. Marthe, la soeur du mort, lui dit: Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu'il est là. Jésus lui dit: Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu? Ils ôtèrent donc la pierre. Et Jésus leva les yeux en haut, et dit: Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Pour moi, je savais que tu m'exauces toujours; mais j'ai parlé à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé. Ayant dit cela, il cria d'une voix forte: Lazare, sors! Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d'un linge. Jésus leur dit: Déliez-le, et laissez-le aller. Plusieurs des Juifs qui étaient venus vers Marie, et qui virent ce que fit Jésus, crurent en lui."
Voici la description qu'en a laissé Henri Chabeuf en 1903 :
"La composition remplit ou plutôt remplissait l'espace entier inscrit dans l'arc brisé, et descend même un peu plus bas que les consoles d'où jaillissent les nervures. Mais le quart, environ, du sujet manque à gauche du spectateur ; une réfection ancienne de la maçonnerie a aboli toute trace de peinture en cette partie qu'une ligne verticale et nette sépare de ce qui a été conservé. Sur le devant, au centre à peu près de la composition, Lazare, rappelé à la vie et tourné à gauche, se soulève d'un sarcophage ouvert en marbre rougeàtre. La figure a malheureusement disparu presqu'en entier, on voit seulement la partie médiane et nue du corps enveloppé par le bas dans un linceul blanc dont un pan retombe en dehors ; le ressuscité a les mains jointes, et penché sur lui, saint Pierre enlève les dernières bandelettes de l'ensevelissement.
Derrière le Christ devait se tenir debout un groupe d'apôtres, mais cette partie a entièrement disparu, et c'est une perte des plus regrettables. D'abord parce que la lacune détruit l'équilibre de l'ensemble et atteint même en arrière le contour du Christ; ensuite parce que si nous en jugeons par les cinq apôtres subsistant à droite, les figures effacées devaient être de la plus grande beauté. Celui qui, conformément à la tradition iconographique, est au premier rang, saint Jean, me paraît de tous points admirable ; imberbe, et seul des apôtres, même dans l'extrême vieillesse, il sera toujours représenté ainsi, la tête chargée d'une épaisse chevelure, le disciple bien-aimé incline son noble visage attentif, non au miracle qui s'accomplit, sa foi n'a pas besoin de voir, mais au geste du maître, tandis que, ses mains s'enlacent distraites, à la hauteur de la ceinture. La justesse de l'attiiude, la vérité de la draperie qui, à demi retenue par le bras droit, se brise en plis d'une noblesse digne des maîtres ombriens, enfin, par-dessus tout, la grâce sereine du visage, appartiennent au plus grand art flamand, au plus grand art tout court. Le surplus de la paroi, les deux tiers environ, est rempli de la foule des spectateurs."(H. Chabeuf)
Résurrection de Lazare, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
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" Douze personnages, dix hommes et deux femmes, dispersés paisiblement sur deux rangs, ceux du second dominant de beaucoup ceux du premier, assistent au miracle. La plupart dans une attitude assez indifférente, quelques-uns ne regardent pas ou même détournent la tête. Le peintre a bien cherché à leur faire prendre quelqu'intérét à l'événement, mais sans réussir à les grouper dans un sentiment commun et actif. Ainsi à droite un gros Turc imberbe, à turban, fait placidement face au spectateur ; la main gauche passée dans sa ceinture, il esquisse de la droite un geste imprécis ; en un mot, l'idée générale t'ait absolument défaut. Du reste, toutes ces figures semblent étudiées sur la vie môme, ce sont des portraits où nous retrouvons les types familiers à l'art septentrional du temps, mais le peintre les a pris tels qu'ils s'offraient à lui et sans arriver à les incorporer à l'action. Tout de, même, cette naïveté, cette gaucherie, si l'on veut, valent encore mieux que le pathétique conventionnel et gesticulant de l'âge dit classique. Les costumes ne sont pas moins intéressants que les types; voici des bonnets de feutre coniques comme on en voit dans certains portraits du quinzième siècle, le prétendu Charles le Téméraire de Bruxelles, par exemple, qui est plutôt Antoine, le grand Bâtard de Bourgogne, un peu plus jeune que dans le panneau de Chantilly.
Un personnage du second rang, il regarde celui-là, porte le chapeau à grands bords retroussés, la coiffure des Juifs, du prophète Zacharie dans la statue du monument dit le Puits de Moïse ou des Prophètes, à l'ancienne Chartreuse de Dijon. Seuls, au premier plan, un homme et deux femmes ont un rôle de spectateurs actifs dans le drame divin; une grosse commère vue de face, à coiffure faite de linges compliqués, suppute sur ses doigts la durée, de l'ensevelissement : Plus rapprochée du sépulcre, une autre femme vêtue d'un riche damas à grands dessins comme on les aimait alors, la tête abritée sous un capuchon faisant pèlerine, se détourne, la main étendue, comme pour écarter la vision du mort, et se bouche le nez. C'est la traduction du : Dicit et Martha soror ejus qui mortuus fuerat : Domine, jam fœtet, quatriduanus est enim. JOAMNES, cap. xi, f. 39.
Un personnage en longue dalmatique de drap d'or ramagée de fleurs bleues et coiffé d'amples linges faisant couvre-nuque, la rassure en lui montrant le miracle déjà accompli. Ces femmes sont certainement Marthe et Marie, les deux sœurs du ressuscité, mais le peintre s'est montré ici plus réaliste qu'il ne convenait. Comme dans les tapisseries dn temps, le terrain est fait de gazon semé de fleurettes; selon une coutume très ordinairement suivie chez les Juifs, le tombeau de Lazare se trouvait dans un jardin, mais c'était une grotte creusée dans le roc et fermée par une énorme pierre s'encadrant exactement dans la feuillure de la porte, non un sarcophage à la mode païenne. Ainsi sera le sépulcre neuf où, bien peu de semaiues après- la scène de Béthanie, Joseph d'Arimathie déposera le corps du Christ. En arrière et en haut, sans le moindre souci de la perspective, se profile une ville toute hérissée de tours et de hautes toitures ; le chemin qui y conduit passe par une coupure de la première enceinte crénelée, la fausse braie, et ondule vers la seconde porte ouverte entre deux tours rondes à faîtes aigus.
Quelle est cette ville représentée, bien entendu, comme une forteresse du quinzième siècle? Serait-ce Jérusalem? C'est possible."
Résurrection de Lazare, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Résurrection de Lazare, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Résurrection de Lazare, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
Résurrection de Lazare, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
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II. Sainte Marthe et sainte Marie Madeleine.
"La sainte Marthe est très dégradée et ne présente plus que des traces, suffisantes toutefois, à nous en faire reconnaître la beauté à demi ruinée. On distingue cependant, la tête à la coiffure de linges plissés, les mains qui tiennent un bénitier et une palme, la tarasque enfin qu'elle foule aux pieds; le fond est de montagnes aux formes bizarres. " (H. Chabeuf)
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"Mieux conservée est la sainte Madeleine, et de l'avis de tous elle doit être tenue pour une des plus belles choses que l'art médiéval ait laissées en Bourgogne; le vêtement est fort riche, un manteau bleu brodé d'or, recouvre une robe à fleurs d'or qui tombe cannelée pour s'amonceler en beaux plis cassés autour des pieds, la main droite tient le vase à parfums, la gauche, le livre ouvert qui sont les caractéristiques de la sainte. La tête un peu penchée — les deux figures sont tournées vers la fenêtre où était sans doute peint un Christ ou une Vierge — montre sous une abondante chevelure crespelée ruisselant sur les épaules un pur et doux visage plus français, semble-t-il, que flamand. On remarquera que la robe ouverte en carré laisse voir le cou et même un peu de la poitrine ; dans le fond, une montagne abrupte portant un château à quatre tours. Cette figure, la perle de tout cette décoration, peut soutenir la comparaison avec n'importe quelle autre du même temps et du même art. La triple moulure creuse qui enserre la fenêtre est peinte dans le style des bordures prodiguées par les enlumineurs du temps aux pages des manuscrits ornés. Dans la première gorge au fond de pourpre à la fois sombre et chaud, ce beau ton de rouge rabattu de violet, qui est propre au quinzième siècle, montent de souples rinceaux entremêlés de phylactères où se lit la devise du cardinal : Deum time. Dans l'azur de la seconde ce sont des plantes à feuilles de chêne d'un vert éclatant et doux, à grosses fleurs retombantes. Ces fresques, d'un éclat merveilleux, nous montrent ce qu'étaient dans leur jeunesse les grandes pages décoratives qui couvrent les murailles des édifices italiens." (H. Chabeuf)
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III. La Lapidation de Saint Étienne.
Sur le mur est de la chapelle, le martyre de saint Etienne, fait allusion au fait que le cardinal Rolin était titulaire de l'église romaine de San Stefano in Monte Celio. Le personnage agenouillé à gauche serait le doyen du chapitre, Henri de Salins, en pendant à la figure très lacunaire du cardinal Rolin.
"Richement velu en diacre, agenouillé, les mains jointes, la tète nimbée rejetée en arrière, le jeune saint a déjà reçu une pierre, mais prie toujours ; c'est le moment suprême où les cieux s'ouvrent visibles pour le recevoir. [...]. Malheureusement l'enduit est tombé ou a été détruit clans toute la partie de droite, supprimant l'apparition de la gloire divine, et même la ligne verticale de séparation entre ce qui est et ce qui n'est plus, coupe environ un sixième de la scène terrestre. Derrière le martyr — dans toutes les représentations de cette scèrië, les bourreaux frappent le jeune diacre par derrière — se voit debout un des bourreaux improvisés, il porte un turban, un vêtement collant mi-partie rouge et bleu brodé d'or, et se prépare à lancer une grosse pierre ; la physionomie est féroce, l'attitude et le geste parfaitement exprimés sont bien ceux de l'homme qui veut porter un coup avec le maximum de sa force. Même précision dans le mouvement d'un personnage du premier plan et vêtu comme le premier, qui ramasse une pierre; mais tout en étant reconnaissable dans son ensemble, cette figure est fort dégradée. La composition, simple et d'un beau caractère, ne remplit en hauteur que les deux tiers de l'arc ; au-dessous s'étend un riche parement figuré, un dossier, comme on disait alors, en drap d'or damassé avec une bordure feinte d'orfèvrerie gemmée de pierres précieuses. Il était tenu par deux anges debout, à longues ailes et en robes blanches, dont il subsiste un entier au côté de l'évangile ; malgré un défaut de régularité dans les traits, il est fort beau. Enfin, au-dessous, agenouillé et les mains jointes, voici, peint en petites proportions, un homme d'église vêtu d'un manteau noir avec capuchon, doublé de rouge, et que recouvre une aube blanche ; cette figure a malheureusement beaucoup souffert dans la partie inférieure. Il est manifeste que nous avons là, mis à la place d'honneur, un personnage important; serait-ce le cardinal? On l'a cru d'abord [mais] il se pourrait que Jean Rolin, se considérant dans la chapelle de la collégiale comme un simple dignitaire du chapitre, eût cédé la préséance au doyen, ce serait alors Antoine de Salins dont nous aurions l'image agenouillée. "(H. Chabeuf)
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Lapidation de saint Étienne, chapelle Saint-Léger, Collégiale Notre-Dame de Beaune. Photographie lavieb-aile.
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SOURCES ET LIENS.
— CHABEUF (Henri) 1903, Les peintures de la chapelle Saint-Léger à Notre-Dame de Beaune. Mémoires de la Commission des Antiquités du département de la Côte-d'Or, Dijon, 22 pages
http://www.bm-dijon.fr/documents/MEMOIRES%20CACO/1832-2001/1901-1905-014-08-113-134-1385947.pdf
— Base Palissy : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/palsri_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=PM21000185
— ERLANDE- BRANDENBURG ( Alain), 1976, "La tenture de la Vie de la Vierge à Notre-Dame de Beaune". In: Bulletin Monumental, tome 134, n°1, année 1976. pp. 37-48; doi : 10.3406/bulmo.1976.2659 http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1976_num_134_1_2659
— La collégiale Notre-Dame de Beaune: Côte-d'or, Éditions du patrimoine, 1997 - 63 pages.
—Peintures murales de la chapelle Bolin (chapelle Saint-Léger) à l'église collégiale de Deaunc, par F. Mathieu, membre de la Société d'Histoire et d'Archéologie. Extrait des mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Beaune i901. Beaune, imprimerie Arthur Batault, i902, in 8° de 12 pages, avec 2 planches héliographiques et 2 lithographies.'