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9 juillet 2016 6 09 /07 /juillet /2016 21:36

La tapisserie de saint Antoine aux Hospices de Beaune.

Les volets du Polyptyque du Jugement Dernier.

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Voir aussi :

La tenture de la Vie de la Vierge de la collégiale Notre-Dame de Beaune. (fin XVe)

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I. PRÉSENTATION.

 

La tapisserie exposée dans la Salle du Polyptyque du Jugement Dernier des Hospices Civils de Beaune est  l'une des deux pièces réalisées dans le même atelier et à partir du même carton à tourterelles ; elles mesurent 2,05 m de haut sur 3,37 m de large. Tissées à six fils avec des filets d'or et d'argent dans les auréoles (un luxe rare), avec une trame en laine teintée et une chaîne en laine écrue, elles sont datées entre 1443 –date de la fondation de l'Hôtel-Dieu–,   et 1470, année de la mort de Guigone de Salins.   Elles étaient tendues les jours de fête dans la chapelle qui prolonge la Salle des Pôvres, sur les sièges des célébrants  qui encadraient l'autel et son Polyptyque. Les deux pièces sont semblables, mais celle-ci est à armoiries à mi-parties, et l'autre à armoiries à parties. Elles ont été restaurées (retissage et potomage) en 1944 et 1962 par la maison Aubry. 

Inv. 87 GHD 293.2 classé Monument historique le 23/06/1943. Voir la notice de la base Palissy

Voir la photo de la chapelle, dont la reconstitution reproduit cette disposition :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hospices_de_Beaune#/media/File:H%C3%B4tel-Dieu_de_Beaune_014.JPG

Elles apparaissent dans l'Inventaire de 1501 :

"Item deux draps de tapisserie d'aultelisse esquelzs est l'ymaige de sainct Anthoine et sont semées de torterelles et des armes desdicts fondateurs desquels l'on paire les chaieres estant es costés de l'aultel."

 

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La pièce exposée représente saint Antoine, patron des Hospices de Beaune, sur un fond framboise où la devise du chancelier Rolin alterne avec un rang de tourterelles et les initiales entrelacées NG des fondateurs Nicolas et Guigone. Au centre et aux quatre angles se trouvent les armoiries de l'épouse de Nicolas Rolin, Guigone de Salins.

Les tapisseries cumulent, pour le donateur et son bénéficiaire, plusieurs fonctions :

  • valeur ostentatoire soulignant la puissance financière du donateur, et le lustre des lieux.
  • valeur d'appropriation du lieu, et de pérennisation du souvenir, par la présence d'armoiries, de devises ou d'autres signes d'identité.
  • valeur patrimoniale, sorte de réserve de trésorerie, accentuée par la présence de fils de métaux précieux.
  • fonction de mécénat, le donateur s'illustrant comme protecteur des arts.
  • pour les sujets religieux, fonction de vénération de la divinité ou des saints, et fonction de mise sous la protection de leurs pouvoirs. 
  • de manière accessoire ici, fonction d'ameublement et de protection à l'égard de la froideur des murs.

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D'autres "couvertes de haulte lisse  faicte à torterelles et ormoyées des armes des fondateurs" étaient tendues, les jours de fêtes, dans la Grand-Chambre pour parer les 31 lits doubles des malades. On les protégeait d'une toile de fin lin. 

Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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II. SAINT ANTOINE.

L'Hôtel-Dieu a porté dès sa fondation le nom de saint Antoine,  patron des hôpitaux en raison de l'implication de l'Ordre des Antonins dans les soins des malades atteints du Mal des Ardents, ou Feu Saint-Antoine depuis le XIe siècle. Saint Antoine le Grand, anachorète en Égypte au IVe siècle, a été très vénéré en Bourgogne depuis le XIVe siècle. 

"L’Ordre des Antonins comptait au début du XIVe siècle, 200 commanderies, regroupées en prieurés (de France, de Saint-Gilles, d’Aquitaine, d’Auvergne, de Toulouse, de Champagne, d’Allemagne), avec environ 3 000 chanoines secondés par les laïques. Au XVe siècle, l’ordre sera à son apogée avec environ 10 000 moines répartis en 389 hôpitaux ou commanderies." (G. J. Aillaud http://books.openedition.org/iremam/3132?lang=fr)

Le Mal des ardents sévissait par épidémies, et nous savons maintenant qu'il était provoqué par l'ergot, un champignon parasite du seigle et donc par la consommation de pain fabriqué avec les farines contaminées. Les malades présentaient des convulsions, des gangrènes, une insomnie ou des douleurs cuisantes des membres. Les moines qui accueillaient les malades dans leurs hôpitaux les soignaient en substituant à une consommation trop exclusive une alimentation carnée reposant surtout sur la viande de porc. Ce régime était accompagné de prières, de mesures d'hygiène, d'applications de potions à base d'herbes. 

 

"Parmi les médicaments utilisés par les Antonins figuraient le baume de saint Antoine et le Saint-Vinage, vin dont on aspergeait d'abord la statue du saint, mais sa composition exacte en plantes médicinales a été perdue.

La puissance de l'Ordre était renforcée par l'appui que les Antonins trouvaient auprès des papes dont ils étaient d'ailleurs les médecins. En 1297, une bulle de Boniface VIII érige la confrérie , jusque-là laïque, en ordre de chanoines réguliers soumis à la règle de saint Augustin , et les prieurés avec les hôpitaux qui s'y rattachent en abbayes.

L'afflux de pèlerins, attirés par les succès médicaux, et le nombre croissant de confréries dans toute l'Europe nécessitaient des moyens financiers importants. En 1330, le pape Jean XXII accorde à l'Ordre des Antonins le monopole du culte de saint Antoine.

L'élevage des porcelets offerts aux confréries est une autre source de revenus non négligeable. A la fin du XIII siècle, des bulles pontificales de Clément IV d'abord, puis de Boniface VIII établissent de manière définitive cet usage en accordant aux Antonins un droit absolu sur les «cochons de saint Antoine» qui, seuls avaient le droit de vaguer  en ville pour s'y nourrir des déchets   .

Ceux-ci étaient marqués du Tau, signe qui a la forme de la lettre T et que les Antonins portaient également sur leur manteau, et ils avaient une clochette autour du cou." (http://www.issenheim.fr/histoire-de-la-commune/ordre-des-antonins.html)

Les attributs de saint Antoine dans ses fonctions de saint guérisseur sont donc :

  • Son habit monastique de bure doté d'un capuchon.
  • La Bible
  • Sa canne en T rappelant la lettre Tau. les Antonins adoptèrent en effet la marque du Tau, figurant la béquille des malades estropiés par le feu de saint Antoine. Ils portèrent aussi le nom de religieux de Saint-Antoine du T ou Théatins.
  • La clochette que les porcs avaient au cou (ou "qui servaient aux moines à les appeler" selon hospicesdebeaune.com).
  • Le cochon.

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Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Les attributs de saint Antoine, Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Les attributs de saint Antoine, Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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On remarquera le battage, interpénétration de deux couleurs, tissée dans le sens de la trame, par hachures de forme qui permettent de faire des dégradés de couleur. Au Moyen-Âge, ces couleurs sont toutes naturelles, provenant de la culture de la gaude pour le jaune, de la garance pour le rouge, du pastel pour le bleu clair, voire de l'indigo qui vient "des Indes".

 

Saint Antoine  Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Saint Antoine Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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III. LES DONATEURS : DEVISE, ARMOIRIES ET PORTRAITS.

 Les donateurs de ces pièces aux tourterelles sont Nicolas Rolin et Guigone de Salins. 

Nicolas Rolin fut  chancelier de Philippe le Bon, duc de Bourgogne durant quarante ans, de 1422 à sa mort en 1462, âgé de 85 ans. Veuf pour la seconde fois, il épouse en troisièmes noces le 20 décembre 1423, Guigone de Salins. Issue de la noblesse comtoise, celle-ci est née à Beaune en 1403 et sert comme dame d'honneur de la duchesse de Bourgogne. Elle lui donna trois enfants. À partir de 1462, devenue veuve, elle continue à diriger l'Hôtel-Dieu jusqu’à la fin de sa vie et se consacre au réconfort des malades. Elle décéda à Beaune le 24 décembre 1470 et fut enterrée dans la chapelle des Hospices.

Tout, dans cette tapisserie, célèbre la solidité de l'amour unissant les époux, mais Nicolas est connu pour ses liaisons et pour ses enfants bâtards.

Il est le fondateur, avec Guigone de Salins, des Hospices de Beaune, en 1443. Il crée en 1452 un nouvel ordre religieux : Les sœurs hospitalières de Beaune. C'est lui qui commande le polyptyque du Jugement dernier au peintre flamand Rogier van der Weyden, placé dans la chapelle des hospices.  Grand mécène, il commande aussi en 1435  un portrait orant : La Vierge du chancelier Rolin à Jan van Eyck (actuellement au Louvre). Il fonde également la chapelle du couvent des Célestins d'Avignon , et, en la collégiale d'Autun, il érige Notre-Dame du Châtel avec un chapitre de onze chanoines.

 

 

 

La tapisserie comprend le monogramme de Rolin et de Guigone NG et la devise du chancelier : Seulle suivie d'une étoile (Seule étoile), en référence à sa femme, devise apposée sur tous leurs biens et sur le carrelage des Hospices : « Seule dame de ses pensées, elle sera l'astre qui lui montre le chemin du salut ».

La tourterelle est le symbole de l'amour fidèle ; elle est peut-être l'emblème personnelle de Guigone.

Enfin les armoiries associent à gauche celles de Nicolas, et à droite celles de Guigone : armoiries mi-parties qui sont celles d'une alliance.  Cette pièce est peut-être celle qui lui correspond, alors que la pièce similaire, mais aux armoiries parties, était peut-être celle correspondant à Nicolas.

 

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Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Tapisserie de saint Antoine, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Pour voir le bon saint Antoine, mais aussi les portraits du couple, lorsqu'on se trouve dans la salle d'exposition, il suffit de se tourner vers la gauche : la tapisserie voisine le Polyptyque du Jugement Dernier, et plus exactement les volets qui se refermaient, en temps ordinaire, sur le polyptyque.  On y voit Nicolas à gauche, agenouillé sur son prie-dieu devant son livre d'Heures, présenté par un ange aux ailes rouges qui porte ses armoiries :  Champ d'Azur à trois clefs d'Or, deux en chef une en pointe ». Du coté droit, Guigone de Salins, est également agenouillée et présentée par un ange tenant ses armoiries mi-parties : en 1, d'azur à trois clefs d'or posées 2 et 1 (qui est de Rolin) et en 2, d'azur à la tour d'or maçonnée de sable (qui est de Salins).

Au centre, les deux saints thaumaturges en grisaille  : saint Sébastien, qu'on implore contre la peste, et saint Antoine. Le portrait de ce dernier est globalement semblable à celui de la tapisserie.

Au dessus, deux panneaux de grisaille sont consacrés à l'Annonciation.

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L'invocation à saint Sébastien et saint Antoine dans un contexte de famines et d'épidémies.

Vers le milieu du quinzième siècle, à la fin de la guerre de Cent Ans, la France et la Bourgogne se trouvèrent réduites à de dures extrémités. Le traité d'Arras (1435), qui réconcilia le duc Philippe le Bon avec Charles VII et prépara l'expulsion des Anglais, fut lui-même suivi d'années calamiteuses. Les armées étant dissoutes, il se forma de leurs débris des bandes de gens sans aveu, appelés Écorcheurs, qui ravagèrent la Bourgogne et la tinrent dans de continuelles alarmes. Les vols, les incendies, les viols, les meurtres marquaient partout le passage de ces brigands. Les laboureurs, forcés de se tenir dans les villes et les châteaux, négligèrent la culture des terres et il en résulta la plus affreuse famine. Elle commença en 1436 ; elle devint extrême dans les années 1437 et 1438. On voyait dans les villes les pauvres se rassembler sur les fumiers et périr de faim. On défendit de nourrir les chiens. Cette famine fut suivie de la peste qui désola longtemps la Bourgogne. Les loups accoutumés à se nourrir de cadavres humains se jetaient sur les vivants jusque dans les villes.

« En l'an 1438, dit un chroniqueur de cette époque, fuft grande famine par toute la Bourgogne & grand'faute de vin. Et mouroient les povres gens de fa^m par les rues & les champs. Et il fuft tant de povres gens à Beaulne, Châlon & xMacon que les bourgeois firent maisons communes pour loiger les povres ; & se tailloient (s'imposaient) par fseptmaine ung chacun, selon sa faculté, pour les pourventoir. ... En 1439, il y eut grand'mortalité. Et mangèrent les laboureurs du pain de glands & de terre »

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Volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Nicolas Rolin (Autun, 1376- 18 janvier 1462)

Nicolas Rolin était alors chancelier de Bourgogne. Petit bourgeois d'Autun, humble avocat, il était devenu l'un des hommes marquants de son siècle ; il fut pour la maison de Bourgogne ce que devait être plus tard Colbert pour Louis XIV.

En 1407, il est déjà l'avocat du duc de Bourgogne au Parlement de Paris. En 1419, éclate la guerre entre Philippe le Bon, dont le père Jean sans Peur vient d'être assassiné au pont de Montereau, et Charles VI. Gui V de Damas-Cousan  suivit le camp du Dauphin, ce qui lui valut la confiscation de toutes ses possessions en Bourgogne et Charolais au profit de Nicolas Rolin En 1422, Nicolas Rolin est nommé chancelier de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui le fait chevalier l'année suivante. Il est très lié à Jean sans Peur, qui est parrain de son premier fils.. Il est l'âme et l'un des piliers du traité d'Arras(1435), qui marque la réconciliation entre le roi de France Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Ce traité stipulait que tous les biens confisqués devraient être rendus à leurs légitimes propriétaires, mais par exception en faveur de Nicolas Rolin négociateur du traité, ce dernier conserva ceux qui lui avaient été donnés.

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Nicolas Rolin, revers du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Nicolas Rolin, revers du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Nicolas Rolin et Guigone de Salins, touchés de la misère du peuple, résolurent de consacrer une large part de leurs richesses au soulagement des pauvres. Le Chancelier pria le Souverain-Pontife de l'autoriser à fonder un hôpital, et le conjura de l'enrichir de privilèges et d'indulgences. Le 8 septembre 1441, le pape lui écrivit de Florence : «  Nous voulons qu'il soit exempt de la juridiction de l'évêque d'Autun, de celles des chapitres de l'Eglise d'Autun et de Beaune et de toutes autres personnes ecclésiastiques. Nous accordons que la messe puisse être célébrée tous les jours dans la chapelle de cet hôpital, qui jouira en toute sécurité des privilèges, exemptions, immunités, libertés et induits de l'hôpital du S'-Esprit de Besançon. De plus, Nous concédons aux fidèles qui visiteront dévotement la dite chapelle et contribueront à la construction de l'hôpital, les mêmes indulgences que gagnaient, en leur temps, ceux qui visitèrent le dit hospice du Saint-Esprit et contribuèrent à sa construction . » Eugène IV concéda au prêtre qui serait chargé du futur hôpital le pouvoir d'accorder une indulgence plénière, à la mort, à tous ceux qui y décéderaient contrits de cœur et confessés de bouche.

Des raisons de haute convenance militaient pour le choix de Beaune plutôt qu'Autun: c'était la ville la plus passante de Bourgogne et une forteresse où, en cas d'alerte, s'abritaient les populations du voisinage. Puis, dans cette cité, la misère était profonde ; sur les 465 feux qui la composaient, 27 seulement étaient solvables, les autres étaient misérables ou mendiants ; et il n'y avait point là, comme à Autun, de riches abbayes faisant de larges aumônes.

La fondation de l'hospice eut lieu sur le parvis de la Collégiale Notre-Dame de Beaune, en présence d'Henri de Salins, doyen du chapitre. L a charte de fondation fut rédigée en latin, mais en voilà la substance.

« Moi Nicolas Rolin, chevalier, citoyen d'Autun seigneur d'Authume et chancelier de Bourgogne, en ce jour de dimanche, le quatre du mois d'août de l'an du Seigneur 1443, négligeant toutes sollicitudes humaines et dans l'intérêt de mon salut ; désirant par un heureux commerce échanger contre les biens célestes, les biens temporels que je dois à la divine bonté, et de périssables les rendre éternels; en vertu de l'autorisation du Saint-Siège, en reconnaissance des biens dont le Seigneur, source de toutes bontés, m'a comblé ; dès maintenant et pour toujours je fonde et dote irrévocablement dans la ville de Beaune un hôpital pour les pauvres malades . avec une chapelle en l'honneur du Dieu tout-puissant et de sa glorieuse mère, Marie toujours Vierge , en vénération et sous le vocable du bienheureux Antoine, abbé. Je fais cette fondation dans les conditions suivantes :

« J'érige de mes biens le dit hôpital sur le fonds que j'ai acquis près des halles de Monseigneur le Duc, du verger des religieux de Saint-François et de la rivière de la Bouzaise. Ce fonds que je donne à Dieu pour l'érection du dit hôpital est, avec tous les édifices qui y sont et seront élevés, franc, libre et exempt de toute servitude féodale, et affranchi de tout autre redevance par le prince illustrissime, Monseigneur le duc de Bourgogne.

« De plus, je donne et laisse au Dieu tout-puissant, pour son honneur et sa gloire et ceux de sa très glorieuse vierge-mère et du bienheureux confesseur Antoine, dans l'intérêt et pour la fondation de cet hospice, pour y rendre plus complètes les œuvres de miséricorde et plus convenable, le service divin, je donne mille livres tournois de revenu annuel, sur la grande saline de Salins. Lequel revenu a été amorti par mon dit seigneur duc et comte.

« J'ordonne que ce revenu de mille livres soit distribué de la manière qui suit : c'est-à-dire qu'à partir du lundi 5 août 1443, chaque jour, à perpétuité, à huit heures du matin, il soit distribué aux pauvres de Jésus-Christ demandant l'aumône à la porte de l'hôpital, en pain blanc la valeur de cinq sous tournois et qu'à chaque jour du carême il leur soit donné le double. Cette aumône non interrompue s'élève annuellement à la somme de cent deux francs. Le reste des mille livres tournois sera employé à l'achèvement de l'hospice et de sa chapelle qui, comme j'en ai l'intention et l'espérance, seront, avec le secours de Dieu, terminés dans quatre ou cinq ans.

« Je promets au Dieu tout puissant, à la bienheureuse Marie et à saint Antoine de faire construire cet hôpital dans des proportions et sur un plan digne de sa destination, à mes frais; de le munir de lits garnis, propres à recevoir les pauvres de Jésus-Christ, de le pourvoir du mobilier nécessaire, de fournir sa chapelle de vêtements sacerdotaux, de livres, de calices et d'autres ornements.

« Aussitôt que les édifices seront achevés et complets, je veux qu'il soit procédé à la réception des pauvres et à la célébration du service divin.

« Chaque jour, dans la chapelle de l'hospice, deux prêtres, dont je réserve le choix à moi et à mes successeurs, célébreront la messe à huit heures du matin. Ils seront chargés d'administrer les sacrements aux pauvres et à ceux qui serviront dans ledit hôpital.

« De même, je veux qu'il soit fait dans l'édifice principal, proche la chapelle, trente lits, quinze d'un côté et quinze de l'autre ; sans compter ceux qui seront établis à l'infirmerie et partout où il sera besoin. Je veux que les pauvres infirmes des deux sexes soient reçus, alimentés et soignés, aux frais de l'hôpital, jusqu'à ce qu'ils soient revenus à santé et capables de faire place à d'autres malades indigents. Afin que les pauvres puissent être convenablement servis, j'ordonne que résident, à mes frais, dans cet hospice des femmes dévotes et de bonne conduite en nombre suffisant pour subvenir aux besoins des pauvres.

« Je veux que cet hôpital avec ses revenus soit régi par un Maître nommé par moi ou mes héritiers et révocable à volonté. Il sera tenu chaque année de rendre compte de sa gestion en présence du maire et des échevins, de moi, de mes héritiers ou de celui que nous déléguerons. Ce Maître recevra chaque année de bonne administration quarante livres tournois de gages.

« Comme quelques-uns de ces articles, à cause de leur trop grande généralité, auront besoin d'être éclaircis ; voulant y pourvoir avec l'aide de Dieu, je me réserve le droit de les interpréter et de les améliorer à l'avantage de l'hôpital. »

Le Chancelier fit insérer dans le corps de cet acte les bulles du pape et les lettres-patentes de Philippe le Bon, pour assurer et maintenir les privilèges qu'elles concédaient. Quand cette charte de fondation fut écrite et signée, on la scella soigneusement des sceaux du duc de Bourgogne, de l'évêque d'Autun et du notaire.

Les travaux furent achevés en décembre 1451 et le 1er janvier 1452, l'hôpital accueille son premier patient. Dès lors et jusqu’au XXe siècle, les sœurs des Hospices de Beaune prendront soin de nombreux malades dans plusieurs grandes salles. L’Hôtel-Dieu a rapidement acquis une grande renommée auprès des pauvres, mais aussi auprès des nobles et des bourgeois. 

 

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Nicolas Rolin, revers du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Nicolas Rolin, revers du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Le chancelier est vêtu d'un manteau à capuchon ou chaperon, au revers ou bordure de fourrure fauve, resserré par une ceinture,  et d'une robe à col et poignets fourrés. Cette tenue lui est habituelle (on la retrouve sur des peintures), et elle est peu différente de celle de son épouse. Le noir était de rigueur à la cour de Philippe de Bourgogne, depuis le meurtre de Jean sans Peur. A l'époque, à la cour, les robes sont faites de drap de laine fourrées d'agneau (noir) ou de martre zibeline. 

J'ai essayé de savoir à quelle page est ouvert le Livre d'Heures, tant la peinture est précise. Je ne peux que décrire les rubriques, la lettrine D azur et vermillon, les bouts-de-lignes bleus et rouges, les lettres majuscules alternativement bleu et rouge (A, -, Q) et une nouvelle lettrine B.

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Livre d'Heures de Nicolas Rolin, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.
Livre d'Heures de Nicolas Rolin, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Livre d'Heures de Nicolas Rolin, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Guigone de Salins.

Guigone de Salins.

Son prénom qui fut répandu en Bourgogne serait d'origine germanique et signifierait "combat du bois" .

Née en 1403 et décédée le 24 décembre 1470, elle était la fille d'Étienne de Salins-la-Tour (d'où le motif des armoiries), seigneur de Poupet, et membre d'une famille noble du Jura originaire de Salins-les-Bains. Les sources salées de cette ville en avait fait le poumon économique du duché de Bourgogne. L'Hospice de Beaune est dotée d'une rente annuelle grâce à ses salines.

Avant son mariage, elle  servait comme dame d'honneur de la duchesse de Bourgogne. 

Cette excellente et généreuse dame, issue de l'antique et illustre race des Vienne et des Salins était douce, gracieuse et débonnaire à son époux. Par l'ordre, la sage économie et le travail, c'était la femme forte des livres saints ; par la foi, la piété et les autres vertus c'était la chrétienne accomplie. Le pape Eugène ÏV l'avait en telle estime qu'il l'autorisa, malgré la sévérité des saints canons sur la clôture, à pénétrer dans toutes les communautés de femmes et à y passer quelques jours ; à l'occasion de sa visite, il dispensait même les religieuse de la loi du silence " .

 

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Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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armoiries de Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

armoiries de Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Et le Livre d'Heures de Guigone ? La page que lisait son époux est visible, mais l'épouse a tourné quelques pages et prie désormais devant un texte orné d'une lettrine B, ...alors qu'une lettrine D termine presque la page suivante. Cette inversion spéculaire D -B  à gauche, B-D à droite a-t-elle un sens ? 

On admirera le tranchefile de tête bleu et rouge. Ou les tranches dorées à décor ornemental de lignes perlées blanches en losanges.

Comme tout mécène de son époque, Nicolas Rolin a fait copier et enluminer des livres, possédait de nombreux missels, une riche bibliothèque. Je n'ai pas trouvé le livre qui est représenté ici, mais on pourra trouver amusant de jeter un coup d'œil sur un manuscrit de la BM d'Autun ms 275 aux armes mi-parties de Guigone. 

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Livre d'Heures de Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.
Livre d'Heures de Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Livre d'Heures de Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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LES GRISAILLES DES VOLETS DU POLYPTYQUE.

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Commençons par saint Antoine, pour comparer la peinture de Rogier van der Weyden avec le carton de la tapisserie : drelin drelin ! Vlà un antonin.

 

 

Saint Antoine, Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Saint Antoine, Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Saint Antoine, Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Saint Antoine, Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Admirons saint Sébastien, le bel éphèbe en contrapposto, plongé dans ses pieuses pensées et parfaitement indifférent aux trois flèches tirées par ses propres archers.

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Saint Sébastien, Saint Antoine, Guigone de Salins,  volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Saint Sébastien, Saint Antoine, Guigone de Salins, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

L'Annonciation.

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Ange Gabriel, Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Ange Gabriel, Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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 Vierge de l'Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Vierge de l'Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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Vierge de l'Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

Vierge de l'Annonciation, volets du Polyptyque du Jugement Dernier, Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.

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SOURCES ET LIENS.

http://www.olivierchaudouet.com/notice-historique.pdf

— BAVARD ( Étienne), BOUDROT ( Jean Baptiste Claude), 1881 L'Hôtel-Dieu de Beaune, 1445-1880, par M. l'abbé E. Bavard curé de Volnay  d'après les documents recueillis par M. l'abbé Boudrot  Société d'Histoire, d'Archéologie et de Littérature de l'arrondissement de Beaune. Memoires. 2nd sér. no. 1, Beaune, Batault-Morot.

 

https://archive.org/stream/lhteldieudebea00bava#page/8/mode/2up

 — FROMAGET (  Brigitte), Reyniès Nicole de, Les Tapisseries des Hospices de Beaune 

— JOLIVET ( Sophie), 2015, « La construction d’une image  : Philippe le Bon et le noir (1419-1467) », Apparence(s) [Online], 6 | 2015, URL : http://apparences.revues.org/1307

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Tentures Beaune

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • jean-yves cordier
  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué). "Les vraies richesses, plus elles sont grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)

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