La tenture de la Vie de la Vierge de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
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Voir aussi :
La tapisserie de l'Agneau mystique des Hospices de Beaune.
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PRESENTATION.
Vers 1300, les chapitres des cathédrales, et des commanditaires dans les églises et collégiales se préoccupèrent de tendre le chœur de leurs sanctuaires non plus de tentures de soies et autres étoffes, mais de tapisseries tissées pour raconter des histoires : Vie de la Vierge souvent, Vie du Christ, Vie du saint patron, etc. Il s'agissait de bandes de deux mètres de haut environ, formées de plusieurs pièces de quatre à cinq mètres accrochées bout à bout et faisant ainsi le tour complet du chœur, lequel était, à l'époque, fermé du coté de la nef par un jubé. Cette mode perdura jusqu'aux années 1530. Les tentures usées furent ensuite parfois retissées, mais lorsque les jubés et les clotures disparurent pour permettre aux fidèles de la nef de suivre les offices, à la suite des réformes du Concile de Trente, ces ensembles furent souvent démembrées, dispersées ou vendues. Très rares sont les églises qui ont conservé, en bon état, l'intégralité du cycle de la tenture, et plus rares encore sont celles qui peuvent les présenter in situ, dans un chœur au jubé intact : la Vie de la Vierge de l'église Notre-Dame de Beaune en est l'exemple le plus fameux, à coté de la Vie de Saint-Martin de la Collégiale de Montpezat-en-Quercy (entre 1517 et 1539) et de la Vie de Jésus de l'Abbaye de la Chaise-Dieu (en restauration actuellement). Les tentures étaient suspendues et visibles lors de certaines fêtes liturgiques.
La majorité des tentures de chœur sont d'origine flamande et furent tissées à Arras, Lille, Tournai, Bruges et Bruxelles. Outre les trois exemples précédents, parmi celles dont des pièces nous sont parvenues, citons :
Tenture de la Vie de la Vierge ( palais du Thau pour la cathédrale de Reims), 1531. Cet ensemble encore visible comporte dix-sept pièces inspirées des gravures typologiques de la Biblia Pauperum à partir des cartons du flamand Gauthier de Campes.
Tenture de la Vie de la Vierge, Saint-Bertrand-de-Comminges. 1530. 2 pièces conservées sur 9.
Tenture de la Vie de la Vierge et du Christ, (cathédrale d'Aix-en-Provence)
Tenture de saint Maurille d’Angers 1460 ( cathédrale d’Angers)
Tenture de la Vie de saint Pierre de Beauvais (cathédrale de Beauvais).
Tenture de la Vie de saint Gervais et de saint Protais ( cathédrale du Mans) vers1509
Tapisserie de saint Julien du Mans, ( cathédrale du Mans) 1509.
Tapisserie de Saint-Saturnin (église Saint-Saturnin de Tours), 1527
Tenture de la Vie de saint Adelphe à Neuwiller-lès-Saverne, près de Saverne. 17 mètres conservées sur une longueur initiale de 30 m.
Tenture de la Vie de saint Rémi de Reims ( musée Saint-Rémi, dans l’ancienne abbaye Saint-Rémi de Reims). Conservée dans sa totalité avec ses dix pièces
Tenture des Miracles de l’Eucharistie et du Saint-Sacrement (château de Langeais)
Tenture de Saint-Etienne, cathédrale d'Auxerre. Conservée au Musée de Cluny : 23 scènes en 12 tapisseries.
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La tenture de la Vie de la Vierge de Beaune.
La tenture de la Vie de la Vierge de l'église Notre-Dame de Beaune est une tenture de chœur de la fin du 15e siècle formée de cinq pièces, mesurant chacune environ six mètres de long sur 1,90 m de haut. La tapisserie de 5 fils au cm² est faite de laine écrue pour la chaine et de laine et soie teintées pour la trame ; les fils sont torsadés en S. La doublure est en lin.
Elle a été offerte "l'an de grace 1500" par Hugues Le Coq, représenté à deux reprises avec ses armoiries. On a pensé que les cartons étaient dus au peintre Pierre Sicre, qui a réalisé en 1470-1471 les peintures murales de l'église Notre-Dame, et en 1474 des patrons (ou toiles peintes) de la Vie de la Vierge pour la même église ; mais Alain Erlande-Brandenburg a battu en brêche cette hypothèse, soulignant les différences stylistiques entre Sicre et l'auteur de cette tenture, et proposant d'y voir le travail d'un atelier flamand.
Le cycle déroule dix-neuf scènes séparées par des colonnades supportant une arcade en anse de panier.
Disposition dans l'espace architectural à fonction capitulaire.
Pour bien comprendre la disposition de la tenture, il faut savoir que l'église Notre-Dame était depuis le 10e siècle une collégiale, c'est à dire qu'elle était confiée à des chanoines rassemblés en un chapitre collégial, se tenant ailleurs qu'au siège épiscopal d'Autun. Au 13e siècle, on comptait une trentaine de chanoines, demeurant dans des maisons canoniales entourant l'église, et pour lesquels furent alors construits, flanquant l'église au sud, une salle capitulaire, un cloitre, et un grand batiment. Ces chanoines avaient le devoir de se réunir quotidiennement et lors des fêtes dans le chœur pour y chanter les offices, et s'installaient dans les stalles autour du lutrin de chœur. Les fidèles et les pèlerins n'avaient pas accès à cet espace et restaient dans la nef (séparée du chœur par un jubé) ou circulaient dans le déambulatoire donnant accès aux chapelles rayonnantes. Le chapitre collégial décidait des travaux et dépenses, et était le commanditaire d'œuvre d'art, comme les peintures murales et toiles peintes commandées à Pierre Sicre. Les chanoines étaient souvent fort riches, car ils percevaient des prébendes, et pouvaient cumuler les bénéfices de plusieurs titres. A leur tête était un doyen ; la seconde place revenanit à l'Archidiacre de Beaune (*). En 1482, par exemple, les principaux chanoines de Beaune étaient Antoine de Salins, doyen ; Hugues Charinsaul ; Antine et Jean Grignard frères; Girard Martin ; Jean Décologne; Pierre de Villers; Guillaume Arbaleste. En 1477, le doyen était l'official et maistre Girard Martin.
(*) Le diocèse d'Autun était divisé en quatre archidiaconés, ceux d'Autun, de Beaune, de Flavigny et d'Avalon. L'archidiaconé de Beaune comporte quatre Archiprêtrés : Beaune, Nuits, Couches et Arnay-le-Duc. L'Archidiacre était à la tête d'une juridiction religieuse (discipline et contentieux, mariages, adultères, incestes, sacrilèges, legs pieux, etc...) contraignante et disposait d'un Official, d'un Promoteur et d'un Greffier. En 1445, Hugues I Lecoq était archidiacre de Beaune, en 1478 c'était Hugues II Lecoq.
Parmi les chanoines, deux sont remarquables :
— Jean V Rolin, qui sera évêque d'Autun puis cardinal. De 1461 à 1468, il assura le patronage de l'Hôtel-Dieu de Beaune ; en 1474, chanoine de Beaune . À la collégiale de Beaune, il fonda un office solennel de saint Lazare et celui de saint Vincent le 22 janvier. Il offit à la collégiale Notre-Dame les peintures murales de la chapelle Saint-Léger (actuelle chapelle du Cardinal Rolin) réalisées en 1470-1471 (la Résurrection de Lazare et la Lapidation de saint Étienne) , et une tenture de chœur de la Vie de la Vierge à 21 pièces dont les cartons sur toile furent commandés en 1474 au peintre Antoine Spire.
—Jean Rolin VI (1450-1501), fils (par liaison de son père avec une religieuse) du cardinal Jean V Rolin et petit-fils du chancelier Nicolas Rolin, et filleul de Jean Sans Peur. Héritier du goût du lucre et de l'apreté au gain de ses parents, il obtint en 1482 une prébende de chanoine à la Collégiale Notre-Dame de Beaune et le décanat (poste de doyen) de la collégiale Notre-Dame de Semur-en-Auxois, puis le décanat de l'église cathédrale Saint-Lazare d'Autun en 1484. Les États de Bourgogne le désigne comme ambassadeur auprès de Charles VIII de France dont il devint rapidement le conseiller. Il entra au Parlement de Paris et y gravit tous les échelons. Il fut évêque d'Autun du 8 juin 1500 à la date de sa mort le 4 avril 1501.
Les Rolin furent de très grands mécènes artistiques, et on considère parfois que la tenture de la Vie de la Vierge avait été commandée par Jean V Rolin.
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Les stalles de Beaune sont particulières, car elles n'adoptent pas la disposition courante en deux (doubles) séries de sièges parallèles se faisant face de part et d'autre de la partie occidentale et rectiligne du chœur : ici, les stalles, en un seul rang, ferment en hémicycle l'abside orientale. Cette rotonde fait face au jubé, qui la ferme. Chaque bras latéral compte d'abord une travée droite de 4 sièges (sellettes mobiles avec leur miséricorde), puis un banc convexe à la manière d' une chaire, à 3 places, puis un rond point débutant par 8 sièges semblables séparées du voisin par un accoudoir et disposant d'un prie dieu à agenouilloir, pupitre et tablette à mi-hauteur, puis une place permettant l'accès, une place centrale, avant de reprendre la même succession pour le bras opposé. Au total, 19 sièges dans le rond-point et 8 dans les travées soit 27 sellettes. [Les stalles actuelles date du 4e quart du XVIIIe siècle. D'après le receveur de la fabrique, ces stalles auraient été faites aux frais de M. Esmonin de Dampierre, demeurant à Dijon, héritier de Claude Esmonin, archidiacre de Beaune de 1750 à 1786 (délibération du 25 janvier 1811). Une série de vingt-sept stalles fut exécutée en 1818 par le sieur Douche,menuisier à Beaune (Arch. dép. Côte-d'Or, 4 VI, nc 3). ]
Dimensions des stalles : .h = 127 ; la = 2109 ; pr = 75,5 (dimensions totales) ; stalle : h siège = 44, la = 69,5, pr = 36 ; pupitre : h = 111. Ornementation (volute, feuille, rosette, rameau d'olivier, pot à feu). Eléments rapportés manquants : 2 miséricordes, 2 culots de miséricorde, 3 culots de parclose et 9 rosettes.
Le pavement en D suit le dessin à rond-point et à travées des stalles. L'aigle-lutrin date de la 2e moitiè du XVIIIe siècle.
Un jubé fut construit en 1477 entre les 4e et 5e travées de la nef par le sculpteur Le Moiturier sur commande du cardinal Jean Rolin, évêque d'Autun ; puis ce jubé fut détruit à la demande du chapitre en 1766 : c'est sans-doute alors que la tenture fut déposée et remisée.
Il n'y a ni dais ni baldaquin, mais une grille en demi-cercle, et c'est précisément pour habiller cette grille qu'est suspendue, devant un drap rouge, la tenture avant qu'elle ne fasse retour sur le jubé. "Les tentures de chœur aidaient à la constitution d’une identité commune à chaque communauté de clercs. En suivant les limites des stalles, elles accentuaient une division de l’espace dans l’église soulignant et unifiant le chœur des chanoines ou des moines qu’elles ceinturaient. De cette manière, tous les membres du chapitre siégeant dans le chœur étaient visuellement réunis par la tenture qui parcourait l’ensemble des stalles. " (Laura Weigert)
La tenture était exposée trois fois durant l'année, à Noël, à Paques et à l'Assomption, ou lors de la visite de personnages éminents. En 1512, l'archidiacre Jean Briçonnet offrit une tenture de la Passion , et les deux ensembles constituèrent le "Thresor" du chapitre, un corpus atteignant 22 à 24 pièces de tapisseries au XVIIe siècle.
Restauration.
Les tentures, soigneusement entretenues par les marguillers sur injonction des chanoines, furent lavées en 1612, nettoyées en 1746, réparées en 1765.
En 1847, Albert Humbert, architecte à Dijon, amateur d'art et d'archéologie et collectionneur (il était le fils d'un orfèvre beaunois) retrouve la tenture dans les combles de la Collégiale. Il manque la 3e pièce, qu'il retrouve devant l'ancien hôtel Joursenvaux, où elle avait longtemps servie de tapis de pieds après avoir été coupée en deux et recousue. Dans une note manuscrite du 14 janvier 1853, il écrit :
"J'ai enfin obtenu en 1852 , la restauration que je sollicitais depuis longtemps, et que j'ai dirigé. Chaque pièce a été lavée, et retenue aveec soin, et elles ont retrouvéées tout l'éclat de leurs couleurs admirables, qui imitent les reflets chatoyant du velours. Les doublures en toile ont été entièrement remplacées par des neuves, numérotées, et marquées au nom de l'Église Notre-Dame ; j'ai fait peindre reddière la cinquième pièce une inscription qui indique l'origine de ces tapisseries et l'année de leur restauration. [...] Cette restauration d'est faite à l'hôpital : la maîtresse des sœurs en a pris tout l'embarras, pour conserver un droit d'avoir tous les ans ces tapisseries pour tendre une partie de la grande cour de cette maison, pendant la procession de la Fête-Dieu..." "Elles tendent maintenant le chœur de cette égloise, où elles font un effet magnifique. On les exposera aux principales fêtes [...] selon l'ancien usage."
La tenture fut présentée à l'Exposition Universelle de 1889 au Trocadéro à Paris.
Classement Monument Historique le 10 octobre 1891.
Une restauration a eu lieu d'avril 1936 à juin 1937 dans les Ateliers du Mobilier National : "réparation des clairs en soie et des laines têtes de nègre généralement détruites par le mordant. Repiquage général. Pas de parties tissées".
La tenture est installée dans le chœur, éclairée et munie d'une alarme depuis 1972.
Les dernières interventions conservatoires ont été réalisées entre 1993 et 1995 par Martine Plantec, conservateur-restaurateur textile à LP3 Conservation de Sémur-en-Auxois.
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Couleurs et pigments.
- bleu : teints à la cuve d'indigo dont le colorant provient de la guède ou pastel, la feuille d' Isatis tinctoria, principale source d'indigo en Europe avant le XVIIe.
- rouge : garance ou racine de Rubia tinctoria et cochenille (rouge écarlate) apportée d'Amérique.
- jaune : gaude, feuille de Reseda luteola, riche en lutéoline.
- bruns : gaude mélée à la garance
- vert : gaude mélée à l'indigo.
- Toutes ces nuances sont fixées par mordançage à l'aluminium (alun), mais pour certains bruns et rouges, lutéoline et de garance sont fixés sur la laine avec un mordançage au sulfate de fer ("couperose"), résistant mal à la lumière. Cette technique est utilisée dans les ateliers de Tournai au XVe.
Les couleurs obtenues par mélange donnent le lie-de-vin ; le vert pistache, le vert tilleul ; et le vieux rose. Les dégradés sont obtenus par hachures.
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VUES GÉNÉRALES DE LA TENTURE.
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Ali Hamadache a eu l'idée d'une vue panoramique du chœur : http://2.bp.blogspot.com/-qzznVyypA9w/UvdTigGA2bI/AAAAAAAABRE/2A5JaT09awQ/s1600/00.vuePanoramiq.jpg
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Première pièce : quatre scènes.
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1. Le baiser d'Anne et Joachim à la Porte Dorée.
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2. Nativité de la Vierge
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3. Présentation de Marie au Temple.
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4. Élection de Joseph comme époux de Marie
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Première pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Première pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Deuxième Pièce : quatre scènes.
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5. Mariage de Marie et de Joseph
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6. Marie se rendant chez Joseph avec ses compagnes
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7. Annonciation
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8. Le donateur Hugues Lecoq présenté par saint Jean-Baptiste.
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Deuxième pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Troisième pièce : trois scènes.
- 9. Visitation
- 10. Nativité
- 11. Circoncision.
Inscription au dos : RETROUVE EN 1847
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Troisième pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Troisième pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Quatrième pièce : quatre scènes.
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12. Adoration des Mages
- 13. Présentation de Jésus au Temple.
- 14. Fuite en Égypte
- 15. Massacre des Innocents
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Quatrième pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Cinquième pièce contre le jubé : quatre scènes.
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16. Repos de la Sainte Famille en Égypte
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17. Dormition
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18. Couronnement de la Vierge.
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19. Hugues Lecoq présenté par saint Hugues.
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Cinquième pièce, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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LES DIX-NEUF SCÈNES.
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L'encadrement.
Chaque scène s'inscrit dans un cadre entre deux colonnes posées sur unsupport hexagonal. Ces colonnes sont ornées de losanges ocres imitant une taille en pointe de diamant et dont l'intérieur est peint d'un motif en feuille, assez complexe, bleu ou rouge. Elles supportent par l'intermédiaire de chapiteaux à décor de feuillage un arc surbaissé, doublé par des arcatures dont les fleurons pointant vers le bas se découpent au dessus des scènes. Les arcades sont ornées de gemmes bleues et rouges, ou de perles.
Dans cinq cas, une tenture bleue est tendue sur le fond de la scène, avec son étoffe à l'aspect de velours quadrillée par les marques du pliage et du repassage.
Le battage, en tapisserie est l'interpénétration de deux couleurs, tissée dans le sens de la trame, par hachures de forme triangulaire plus ou moins longues. On en trouve ici de multiples exemples, mais les plis de ce fond de velours en fournit de remarquables.
Le décor.
Le décor des scènes d'intérieur est fait d'éléments d'architectures, de carrelages, de murs appareillés sur chant, ou de meubles sommaires. Celui des scènes d'extérieur donne à voir quelques châteaux fantaisistes, des moulins à vent bien flamands, des prairies mamelonnées où sont dessinés des plantes stylisées.
Les recherches de perspective sont encore maladroites. "Dans les scènes intérieures, elle est obtenue grâce à l'effet de fuite donné par le carrelage ; dans les scènes extérieures, par la montée du paysage ; enfin, dans la Présentation au Temple, par la disposition de l'escalier. " (C. Arminjon)
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1. Scène n° 1. La rencontre de la Porte Dorée, ou La Conception de la Vierge.
Fête liturgique : instituée depuis 1477, par décision de Sixte IV, fête del' [Immaculée] Conception de Marie, le 8 décembre date « supposée » de la conception de Marie neuf mois avant sa naissance fêtée le 8 septembre.
Source : Protévangile de Jacques.
Anne et Joachim, longtemps stériles, se rencontrent sur l'injonction d'un ange devant la Porte Dorée de Jérusalem. Remarquez le moulin à vent en arrière plan ; le rosier et l'olivier ; le motif des nimbes ; mais surtout le rapprochement des corps et plus encore le contact des lèvres, illustration d'une conception ex osculo, "par le baiser".
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Scène n° 1, La rencontre de la Porte Dorée, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 1, La rencontre de la Porte dorée, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Dans la partie inférieure de chaque tapisserie, une longue bande de couleur foncé renferme une prodigieuse quantité de fleurs dans lesquelles évoluent quelques oiseaux. Ce décor fort à la mode à cette époque (tapisserie mille-fleurs ou verdures), notamment en Flandre (tapisserie de la Licorne), associe diverses fleurs en rosette parmi lesquelles je peine à reconnaître origan ou potentille, fleurs des champs, pervenches, anémones, ou primevères, pensées ou pâquerettes, renoncules, ancolies, campanules, scabieuses, crocus, colchiques, muguets ou fraisiers.
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Scène n° 1, La rencontre de la Porte Dorée (détail), Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 1, La rencontre de la Porte dorée (détail), Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 2. Nativité de la Vierge.
Fête liturgique le 8 septembre.
Nous trouvons ici une représentation rare de l'allaitement de Marie par sa mère Anne. De même, le berceau à bascule est un témoignage ethnographique intéressant.
Source : Protévangile de Jacques, chap. V.
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Scène n° 2, Nativité de la Vierge, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Allaitement de Marie par sainte Anne, scène n° 2, Nativité de la Vierge, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Les mots "Grace . a dieu" sont présents tout au long de la tenture (dans les écoinçons des arcades qui encadrent chaque scène) : ils sont considérés par différents auteurs comme la devise du donateur.
"Grace . a dieu", Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 3. Présentation de la Vierge au Temple.
Fête liturgique le 21 novembre.
Source : Protévangile de Jacques chapitres 6-7.
« Quand Marie eut deux ans, Joachim dit à Anne, son épouse : « Conduisons la au temple de Dieu, afin d'accomplir le vœu que nous avons formé et de crainte que Dieu ne se courrouce contre nous et qu'il ne nous ôte cette enfant » Et Anne dit: « Attendons la troisième année, de crainte qu'elle ne redemande son père et sa mère» » Et Joachim dit : « Attendons. » El l'enfant atteignit l'âge de trois ans et Joachim dit : « Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu'elles prennent des lampes et qu'elles les allument» et que l'enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s'éloigne pas de la maison de Dieu. » Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres reçut l'enfant et il l'embrassa et il dit : « Marie, le Seigneur a donné de la grandeur à ton nom dans toutes les générations, et, à la fin des jours, le Seigneur manifestera en toi le prix de la rédemption des fils d'Israël. » Et il la plaça sur le troisième degré de l'autel, et le Seigneur Dieu répandit sa grâce sur elle et elle tressaillit de joie en dansant avec ses pieds et toute la maison d'Israël la chérit. » [ Protévangile de Jacques chap.6 , trad. Gustave Brumet, mis en ligne par Philippe Remacle]
Anne et Joachim conduisent Marie au temple alors qu'elle a trois ans. Sous leur regard ému, la Vierge guidée par deux anges gravit l'escalier sans se retourner. Mais le Temple est vide, alors que le grand prêtre est habituellement représenté au sommet de l'escalier.
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Scène n° 3, Présentation de la Vierge au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Joachim et Anne, scène n° 3, Présentation de la Vierge au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 3, Présentation de la Vierge au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 3, Présentation de la Vierge au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 4. La Vierge au Temple ; l'élection de Joseph comme époux, la verge fleurie.
Deux scènes sont juxtaposées sans partager le même point de vue dans le rendu de la perspective. A gauche, Marie est représentée durant son séjour au Temple, où elle s'adonne à la prière et au tissage.
A droite, le pontife lui choisit un époux parmi les descendants de la Maison de David. Joseph est désigné malgré lui par la floraison de son bâton. Un prétendant dépité brise le sien sur son genou.
Cette scène est intéressante par la recherche des sources scripturaires et iconographiques.
—Sur le plan scripturaire, si l'épisode de l'élection de Joseph comme époux trouve son origine dans le Protévangile de Jacques, néanmoins, dans ce texte, la baguette de Joseph ne fleurit pas, mais il en sort une colombe qui vient se poser sur sa tête. De même, dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, certes la verge de Joseph fleurit, mais une colombe vient s'y poser. Or, nous ne voyons pas de colombe sur cette tapisserie. La source n'est pas non plus l'Histoire de Joseph le Charpentier.
a) Protévangile de Jacques, chap. 8 :
Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu de ce que l'enfant ne s'était pas retournée vers eux. Marie était élevée comme une colombe dans le temple du Seigneur et elle recevait de la nourriture de la main des anges. Quand elle eut douze ans, les prêtres se réunirent dans le temple du Seigneur et ils dirent : « Voici que Marie a passé dix ans dans le temple ; que ferons-nous à son égard, de peur que la sanctification du Seigneur notre Dieu n'éprouve quelque souillure? » Et les prêtres dirent au prince des prêtres : « Va devant l'autel du Seigneur et prie pour elle, et ce que Dieu t'aura manifesté, nous nous y conformerons. » Le prince des prêtres, ayant pris sa tunique garnie de douze clochettes entra donc dans le Saint des Saints et il pria pour Marie. Et voici que l'ange du Seigneur se montra à lui et lui dit : « Zacharie, Zacharie, sors et convoque ceux qui sont veufs parmi le peuple et qu'ils apportent chacun une baguette et celui que Dieu désignera par un signe sera l'époux donné à Marie pour la garder. » Des hérauts allèrent donc dans tout le pays de Judée, et la trompette du Seigneur sonna et tous accouraient.
chap.9 :
Joseph ayant jeté sa hache, vint avec les autres. Et s'étant réunis, ils allèrent vers le grand-prêtre, après avoir reçu des baguettes. Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu'il avait apportée, et aucun signe ne s'était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J'ai des enfants et je suis vieux, tandis qu'elle est fort jeune ; je crains d'être un sujet de moquerie pour les fils d'Israël. » Le grand-prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu et rappelle-toi comment Dieu agit à l'égard de Dathan, d'Abiron et de Coreh, comment la terre s'ouvrit et les engloutit, parce qu'ils avaient osé s'opposer aux ordres de Dieu. Crains donc, Joseph, qu'il n'en arrive autant à ta maison. » Joseph épouvanté reçut Marie et lui dit : « Je te reçois du temple du Seigneur et je te laisserai au logis, et j'irai exercer mon métier de charpentier et je retournerai vers toi. Et que le Seigneur te garde tous les jours. »[ Protévangile de Jacques chap.9 , trad. Gustave Brumet, mis en ligne par Philippe Remacle]
b) Légende Dorée de Jacques de Voragine, Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie :
"Quand elle eut atteint l’âge de quatorze ans, le pontife annonça publiquement que les vierges élevées dans le temple, qui avaient accompli leur temps, eussent à retourner chez elles, afin de se marier selon la loi. Toutes ayant obéi, seule la sainte Vierge Marie répondit qu'elle ne pouvait le faire, d'abord parce que ses parents l’avaient consacrée au service du Seigneur, ensuite parce qu'elle lui avait voué sa virginité. Alors le Pontife fut incertain de ce qu'il avait à faire [...] Or, comme on était en prière et que le Pontife s'était approché pour connaître la volonté de Dieu, à l’instant du lieu de l’oratoire, tout le monde entendit une voix qui disait, que tous ceux de la maison de David qui étant disposés à se marier, ne l’étaient pas encore, apportassent chacun une verge à l’autel, et que celui dont la verge aurait donné des feuilles, et sur le sommet de laquelle, d'après la prophétie d'Isaïe, le Saint-Esprit se reposerait sous la forme d'une colombe, celui-là, sans aucun doute, devait se marier avec la Vierge. Parmi ceux de la maison de David, se trouvait Joseph, qui, jugeant hors de convenance qu'un homme d'un âge avancé comme lui épousât une personne si jeune, cacha, lui tout seul, sa verge, quand chacun avait apporté la sienne. Il en résulta que rien ne parut de ce qu'avait annoncé la voix divine; alors le pontife pensa qu'il fallait derechef consulter le Seigneur, lequel répondit que celui-là seul qui n'avait pas apporté sa verge, était celui auquel la Vierge devait être mariée . Joseph ainsi découvert apporta sa verge qui fleurit aussitôt, et, sur le sommet se reposa une colombe venue du ciel. Il parut évident à tous que Joseph devait être uni avec la sainte Vierge. Joseph s'étant donc marié, retourna dans sa ville de Bethléem afin de disposer sa maison et de se procurer ce qui lui était nécessaire pour ses noces. Quant à la Vierge Marie, elle revint chez ses parents à Nazareth avec sept vierges de son âge, nourries du même lait et qu'elle avait reçues de la part du prêtre pour témoigner du miracle. Or, en ce temps-là, l’ange Gabriel lui apparut pendant qu'elle était en prière et lui annonça que le Fils de Dieu devait naître d'elle."
Sur le plan iconographique, l'élément intéressant est le jeune prétendant qui, par colère d'être écarté, brise sa baguette sous son genou. Ce personnage est semblable à celui peint par Raphaël dans son Mariage de la Vierge de 1504, (Musée de Bréra à Milan) alors qu'il diffère de celui de la toile concurrente peinte par Le Pérugin en 1500-1504.
https://archive.org/stream/revuedelartchr1900lill#page/198/mode/2up
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Scène n° 4, élection de Joseph par la verge fleurie, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 4, élection de Joseph comme époux, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 4, élection de Joseph comme époux, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 5. Le Mariage de la Vierge.
Le grand prêtre bénit le couple.
Les personnages portent une tenue analogue à celles de la scène précédente : le grand prêtre porte une toque de fourrure et de plumes évoquant à Catherine Arminjon les coiffures des dignitaires byzantins. Sa robe de velours bleu se termine par une large bordure à pierreries où sont brodées les mots BEI (ou BEN) NATR. Cette tenue cherche à évoquer la tenue rituelle des grands prêtres du Temple de Jérusalem, tels qu'ils sont décrits en détail dans Exode 28, Exode 39 et Lévitique 8, avec ses huit vêtements sacrés dont quatre étaient les mêmes que ceux que portaient tous les prêtres et quatre lui étaient réservés.
La Vierge porte la robe blanche damassée de palmettes rouges des scènes 3 et 4 mais enrichie d'un manteau bleu à fermail de pierreries, d'une ceinture basse soulignant la convexité de son ventre (très à la mode) sur laquelle se fixe une longue chaîne et son médaillon, et surtout d'une couronne à fleurons. On entrevoit son fin soulier lie-de-vin.
Joseph porte la même robe gris-brun que lors de sa sélection, le manteau rouge aux parements de gemmes, le chaperon ou scapulaire bleu, et le le bâton noueux qui souligne son grand âge. Il est nu-tête, et chenu.
Les deux femmes qui suivent la Vierge portent des robes conformes à la mode vers 1470-1480 : un turban ou touret est posé sur un front épilé, la robe à encolure ronde possède des manches évasées (en soie ou en hermine).
Les deux hommes (témoins ou assistants) déploient aussi des trésors d'élégance et de richesse vestimentaire.
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Scène n° 5, le Mariage de la Vierge et de Joseph, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 5, le Mariage de la Vierge et de Joseph, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 5, le Mariage de la Vierge et de Joseph, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 6. La Vierge se rend chez son époux.
L'épouse est conduite solennellement chez son mari, escortée de deux femmes et d'une servante.
" les coloris délicats du décor tranchent vigoureusement sur les couleurs beaucoup plus soutenues des vêtements." (C. Arminjon).
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Scène n° 6, Marie se rendant dans la maison de Joseph, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 6, Marie se rendant dans la maison de Joseph (détail), Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 6, Marie se rendant dans la maison de Joseph, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 7. L'Annonciation.
Fête liturgique le 25 mars (neuf mois avant Noël).
"Marie était fiancée à Joseph. Avant qu'ils eussent habité, elle se trouva enceinte par la vertu du Saint esprit" (saint Mathieu). L'ange Gabriel porte un phylactère reprenant ses paroles : "AVE GRACIA PLENA DOMINUS TECUM ...". La Vierge répond : ECCE ANCILLA FIAT MIHI SECUMDUM". La colombe symbolise le Saint Esprit et le lys la pureté de Marie.
Scène n° 7, Annonciation, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 7, Annonciation, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Source iconographique :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f27.image.r=pigouchet
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Scène n° 8. Saint Jean Baptiste présentant le donateur Hugues Le Coq.
Le chanoine Hugues Le Coq est présenté à la Vierge.
Le donateur.
Il est présenté en costume de chœur, l'aumusse canoniale reposant sur le bras droit.
Je citerai Alain Erlande-Brandenburg (1976) :
"Les armoiries placées auprès de ce donateur (D'azur à trois coqs d'or) permettent d'y reconnaître un membre de la famille Le Coq. Comme, d'autre part, une inscription placée sur la dernière pièce à l'extrême droite date l'exécution de la tenture (« Ceste tapisserie fut faicte l'an de grâce mil Ve »), il est aisé d'identifier le donateur. Les Le Coq sont des notables parisiens bien connus, bien que leur généalogie ne soit pas toujours commode à établir. Il existe, en effet, deux Hugues Le Coq, l'un dit l'aîné, qui avait été chanoine de la cathédrale d'Autun et archidiacre de Notre-Dame de Beaune. Il ne peut s'agir de cet Hugues puisqu'il devait mourir en 1485. Ajoutons qu'il fut inhumé dans le chœur des Pères, dans l'église des Chartreux de Vauvert, à Paris. Son neveu, Hugues III Le Coq, devait lui succéder à Beaune avant de devenir en 1502 chanoine de Notre-Dame de Paris. Il était fils de Gérard II Le Coq, frère d'Hugues II Le Coq, tous deux fils, mais d'un lit différent, de Gérard I Le Coq. Ce Gérard I descendait de Jean, secrétaire et maître de la chambre aux deniers du Roi, qui fut annobli par lettres du mois d'octobre 1363. On ignore la date de la mort d'Hugues III, il vivait encore en 1521, date à laquelle il rédigea son testament. C'est à lui que revient le mérite de la commande de la tenture de Beaune qui fut achevée avant qu'il ne devienne chanoine de Notre-Dame de Paris, en 1502. Il s'y est fait représenter à deux reprises pour des raisons qui nous échappent, présenté par son véritable patron saint Hugues et par un autre qu'il s'était délibérément choisi, saint Jean-Baptiste. On a pu penser un moment que, sur la deuxième tapisserie, il s'agirait de l'oncle que Hugues III aurait pieusement associé. Le texte placé au-dessus pourrait le faire croire puisqu'il est question de la mort et de l'intercession de la Vierge pour les défunts. Je ne le pense pas et admettrais plus volontiers qu'il s'agit du même personnage étant donné les ressemblances frappantes entre les deux représentations. On voit enfin son mot répété régulièrement sur toute la longueur de la tenture.
Nous ignorons les raisons qui ont incité Hugues III Le Coq à faire un tel cadeau à Notre-Dame de Beaune, de même que nous ne savons pas à quel cartonnier il s'est adressé et à quel endroit il a fait exécuter la tenture. Ces deux derniers problèmes paraissent aujourd'hui les plus irritants de l'histoire de la tapisserie. Seuls des documents d'archives pourraient leur apporter une solution certaine. En attendant, on est réduit aux hypothèses les plus fragiles que la découverte d'un document risque de réduire à néant."
Selon C. Arminjon :
" Offerte par le chanoine Lecoq, chanoine du chapitre de Beaune à l’époque, il avait demandé à ce que son portrait soit représenté et tissé à l’intérieur sur le dernier tableau. Comme il était le commanditaire il devait être représenté à la fin de la tenture, mais il avait prévu que son protecteur, puisque les protecteurs avaient un rôle très important à l’époque, qui n’était autre que le cardinal Rolin soit présent et tissé également dans cette même tenture. Donc une des premières pièces devait représenter Rolin. Mais entre le temps de la commande et le temps de réalisation de la tapisserie il s’est passé une trentaine d’années et il n’était plus bien du tout avec son protecteur Rolin, on a donc décidé, purement et simplement, de mettre deux fois le portrait du donateur Lecoq en le retissant sur la tête du chancelier Rollin. Ce qui fait que cet ensemble présente le cas exceptionnel de deux figures du même donateur alors que ce n’était vraisemblablement pas prévu à l’origine."
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Puisque c'est par association des armes parlantes aux coqs et de la présence de saint Hugues présentant le chanoine dans la dernière pièce qu'on déduit que le donateur est Hugues Le Coq, ne serait-il pas logique d'identifier le chanoine de la scène 8, présenté par saint Jean, comme un certain Jean Le Coq ? Cela expliquerait la présence de deux portraits de donateurs.
Certes Hugues I Le Coq est connu des généalogistes, comme fils de Gérard I Le Coq, mais on trouve aussi dans cette famille Jean Le Coq, fils de Gérard III Le Coq, conseiller au Parlement de Paris, et lui-même chanoine de l'église de Paris, curé de saint-Eustache, décédé en 1526.
Les avis sont donc partagés . Hugues Le Coq est-il Hugues II Le Coq, archidiacre de Beaune de 1478 à 1502, ou Hugues III comme le pense A. Erlande-Brandenburg ? La tenture actuelle a-t-elle un rapport avec les 21 toiles peintes commandées en 1474 au peintre Antoine Spire ? Celle-ci devait comporter en ses quatre coins les armes (tenues par deux hommes sauvages sous son chapeau) et la devise Time Deum du cardinal Rolin ? Mais elle devait comporter le portrait de Jean V Rolin " priant, mains joinctes, mondit seigneur le Cardinal ainsi qu'il est au tableaul de la chapelle Saint Ligier a Beaune que a fait ledit maistre, son chienot empres luy et son chapeaul de cardinal devant luy", et chaque scène devait être légendée : "et dessoubz ou dessus chacune histoire sera escript le nom d'icelle ".
La réponse est apportée par Fromaget 1994 p.6 :
"Or on sait par les archives capitulaires qu'en janvier 1478 eut lieu la réception et le serment par procuration d'Hugues Le Coq le jeune, institué archiiacre de Beaune par l' cardinal Rolin, évêque d'Autun, avec le canonicat et la prébende attachée à cette charge ; il échangeait cette fonction avec son oncle Hugues Le Coq l'ancien (mort en 1485) contre un canonicat de Reims. En 1502, il abandonnait cet office à Jean Briçonnet, chanoine de Paris et d'Autun, contre un canonicat de Paris. Le donateur de cette tenture datée 1500 est donc l'archidiacre Hugues Le Coq le jeune".
Ce qui est confirmé par un document d'archive du 4 juin 1501 dans laquelle le chapitre de la collégiale de Beaune donne quittance à Hugues Le Coq, archidiacre de Beaune, de la somme de 400 francs qu'il leur devait pour la fondation d'un anniversaire de 4 francs, d'un double office en l'honneur de saint Hugues, et en raison de la livraison des nouvelles tapisseries de l'église qu'il a fait faire pour la dite somme. (Fromaget, 1994, p.12)
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Sources iconographiques.
Comparer avec Robert Campin, Saint Jean-Baptiste et le maître franciscain Henri de Werl , 1438:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C5%93uvres_de_Robert_Campin#/media/File:Robert_Campin_014.jpg
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Scène n° 8, Hugues Lecoq présenté par Jean-Baptiste, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 8, Jean-Baptiste et le chanoine Hugues Lecoq, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Sur un cartouche rouge sont inscrits en lettres gothiques les vers tirés d'une hymne du petit office de la Sainte Vierge :
Maria Mater gracie.
mater, misericorde
tu nos ab hoste protege
hora mortis suscipe
et pro deffunctis intercede.
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Scène n° 8, oraison, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Armoiries du cardinal Jean Rolin d'azur à trois clefs d'or en pal.
Armoiries d'Hugues ou Jean Le Coq d'azur à trois coqs d'or en pal .
Ces armoiries parlantes ont-elles une validité héraldique ou sont-elles une allusion au cardinal Rolin ?
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Armoiries de Hugues Lecoq, Scène n° 8, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 9. La Visitation.
Fête liturgique le 31 mai
Texte : Luc 1:39-45.
Elisabeth, femme du prêtre Zacharie,enceinte de Jean Baptiste, reçoit la visite de la Vierge, enceinte elle aussi. Elisabeth sent son enfant tressaillir au salut de Marie et se trouve remplie de l'Esprit Saint.
"Un soin très particulier a été apporté au traitement de la nature. La Visitation se situe dans un cadre magnifique légèrement montueux où l'herbe verte de la prairie tranche violemment sur les pentes abruptes des collines. Des monuments plus ou moins imaginaires ferment la scène en se détachant sur un ciel d'un bleu merveilleux. Les scènes de la Vierge se rendant à la maison de son époux et de la Fuite en Egypte ne le cèdent en rien ; " (C. Arminjon).
Le petit nuage en forme de chapeau a été considéré par certains comme une allusion à la fidélité de Beaune envers le cardinal Rolin (!).
Sources :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f36.image.r=pigouchet
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Scène n° 9, Visitation, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 9, Visitation, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Bordure fleurie, Scène n° 9, Visitation, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 10. La Nativité.
Fête liturgique : Noël, le 25 décembre.
Joseph et Marie se rendent à Bethléem pour le recensement ordonné par César Auguste. "Marie accouche dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux à l'auberge". (St Luc).
Apocryphe : Pseudo-Matthieu XIV.
Cette scène avait été coupée en deux morceaux et recousue en en amputant un morceau. On suit la ligne du raccord le long du capuchon de Joseph et de son manteau, mais surtout près des maisons à gauche du berger.
Gravure proposée comme source :
Heures à l'usage de Romme, Paris, Philippe Pigouchet pour Simon Vostre, 1496 (et 1501)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f46.image.r=pigouchet
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Scène n° 10, Nativité, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 10, Nativité, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Le bœuf et l'âne renvoient à Isaïe 1:3 cognovit bos possessorem suum et asinus praesepe domini sui Israhel non cognovit populus meus non intellexit "Le boeuf connaît son possesseur, Et l'âne la crèche de son maître: Israël ne connaît rien, Mon peuple n'a point d'intelligence. "
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Scène n° 10, Nativité, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 10, Nativité, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 11. La Circoncision.
Fête liturgique le 1er janvier.
Texte : Luc 2:11
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Scène n° 11, Circoncision, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 12. L'Adoration des Mages.
Source : Évangile de Matthieu 2:11-12 :
Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem, et dirent: Où est le roi des Juifs qui vient de naître? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer. Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s'informa auprès d'eux où devait naître le Christ. Ils lui dirent: A Bethléhem en Judée; car voici ce qui a été écrit par le prophète: et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n'es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple. Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s'enquit soigneusement auprès d'eux depuis combien de temps l'étoile brillait. Puis il les envoya à Bethléhem, en disant: Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi moi-même l'adorer. Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l'étoile qu'ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s'arrêta. Quand ils aperçurent l'étoile, ils furent saisis d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l'adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Des relations typologiques renvoyant à l'Ancien Testament.
L'étoile renvoie tacitement à la prophétie de Balaam dans Nombre 24:17
Les rois renvoient à Isaïe 60:1-6.
Les cadeaux apportés par les Mages peuvent s’expliquer par référence au Livre d’Isaïe: « Debout (…) elle est venue, ta lumière (…) Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. (…) Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens; ils annonceront les exploits du Seigneur » (Is 60, 1-6). Matthieu, sans reprendre la citation, signie que Jésus est bien ce nouveau Messie attendu, et l’orande des parfums est celle de toutes les nations à ce « roi » nouveau-né.
Les Pères de l’Église, comme Irénée de Lyon (IIe siècle), voyaient dans l’or la reconnaissance de la royauté de Jésus, dans l’encens celle de sa divinité, dans la myrrhe sa mort sur la croix, donc son humanité. L’or, l’encens et la myrrhe disaient donc la véritable identité et la grandeur encore cachée de l’enfant nouveau-né, Fils de Dieu. Au VI e siècle, saint Grégoire le Grand, dans son Homélie X sur l’Épiphanie, écrit à son tour:
« Les mages proclament, par leurs présents symboliques, qui est celui qu’ils adorent. Voici l’or: c’est un roi; voici l’encens: c’est un Dieu; voici la myrrhe : c’est un mortel. » Mais il ajoute : « On peut aussi comprendre différemment l’or, l’encens et la myrrhe. L’or symbolise la sagesse, comme l’atteste Salomon : “Un trésor désirable repose dans la bouche du sage.” L’encens brûlé en l’honneur de Dieu désigne la puissance de la prière, ainsi qu’en témoigne le psalmiste : “Que ma prière s’élève devant ta face comme l’encens.” Quant à la myrrhe, elle gure la mortication de notre chair; aussi la sainte Église dit-elle, à propos de ses serviteurs combattant pour Dieu jusqu’à la mort : “Mes mains ont distillé la myrrhe.” »
Melchior, le roi le plus âgé, offre l'or ; c'est toujours lui qui est agenouillé devant Jésus. Inaltérable, l'or symbolise, depuis l’Antiquité, la puissance et le règne.
Gaspard vient ensuite, offrant l'encens. Incensum, en latin, signie « ce qui est brûlé ». L’encens est une résine aromatique qui brûle en dégageant une fumée odoriférante.
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— Gravure proposée comme source : Heures à l'usage de Romme, Paris, Philippe Pigouchet pour Simon Vostre, 1496 (et 1501)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f55.image.r=pigouchet
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Scène n° 12, Adoration des Mages, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Je m'amuse à chercher devant toute Adoration des Mages la boucle d'oreille de Balthazar — le roi noir qui offre la myrrhe — . Et, bien-sûr, je la trouve. Elle stigmatise les "races" réprouvées, ou, du moins, elle en signale l'écart ou la marginalité par rapport à la "normalité". Elle adopte ici la forme d'un grelot, accessoire des marottes des fous et des bonnets des drôles, dont le bruit est à l'antithèse des sons harmonieux, mais encadre le passage vers un monde à l'envers.
Baume précieux produit à partir d'une résine rouge importée d'Arabie, la myrrhe était utilisée pour les noces et des ensevelissements. Dans l'Ancien Testament où elle est citée douze fois dont sept dans le Cantique des Cantiques, elle est liée à l'amour de Dieu. Elle entre dans la composition de l'huile d'onction sainte pour l'Arche d'Alliance et les prêtres (Ex 30, 22-38), pour parfumer le vêtement du Roi Messie (Ps 44, 9) ou pour décrire la Sagesse, parole du Très-Haut (Si 24, 15).(Article dans La Croix, 4 janvier 2014) . Elle est utilisée, selon Jean 19:39-40, pour l'embaumement du corps du Christ :
"Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d'environ cent livres de myrrhe et d'aloès. Ils prirent donc le corps de Jésus, et l'enveloppèrent de bandes, avec les aromates, comme c'est la coutume d'ensevelir chez les Juifs."
Le visage noir de Balthasar, sa boucle d'oreille et ce grelot ne sont donc pas tant des signes de mépris, que des éléments iconographiques visant à signaliser le domaine de la Mort.
Scène n° 12, Adoration des Mages, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 13. La présentation de Jésus au Temple.
–Fête liturgique le 2 février, 40 jours après la Nativité.
–Texte : Luc 2:22-38 : « Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification, selon la loi de Moïse, ils l'emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. »
Marie présente Jésus au grand prêtre, et Joseph porte le couple de tourterelles offert pour le sacrifice. Une servante ou amie porte un cierge. Siméon ne semble pas représenté ici.
— Gravure proposée comme source : Heures à l'usage de Romme, Paris, Philippe Pigouchet pour Simon Vostre, 1496 (et 1501)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f59.image.r=pigouchet
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Scène n° 13, Présentation de Jésus au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 13, Présentation de Jésus au Temple, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 14. La fuite en Égypte.
Alarmé par la prédiction des mages, Hérode fait rechercher Jésus. Joseph reçoit en songe l'ordre de fuir en Égypte. Les statues des idoles s'écroulent sur leur passage.
Source : Matthieu 2:12-15
" Lorsqu'ils furent partis, voici, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, et dit: Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu'à ce que je te parle; car Hérode cherchera le petit enfant pour le faire périr. Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira en Égypte. Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète: J'ai appelé mon fils hors d'Égypte."
Matthieu ne cite pas le nom du prophète; il s'agit d'Osée Os.11:1 :
"Quand Israël était jeune, je l'aimais, Et j'appelai mon fils hors d'Egypte. Mais ils se sont éloignés de ceux qui les appelaient; Ils ont sacrifié aux Baals, Et offert de l'encens aux idoles"
Il s'agit encore d'une lecture typologique de la vie de Jésus tendant à prouver que le Christ accomplit les Écritures.
« Le thème de l’accomplissement (plêroô) est essentiel à Mt, comme à Jn ; le verbe signifie “révéler la plénitude de sens” que prend un événement ou une parole d’Écriture à la lumière de la vie et des paroles de Jésus. [...] Il ne s’agit donc pas d’abord d’une “prévision” qui se trouverait réalisée ou d’une “démonstration” de la cohérence du dessein divin. Il n’y a pas deux Alliances, l’une périmée et l’autre prenant sa place ; il n’y en a qu’une, qui manifeste son absolue nouveauté dans la révélation de Jésus, portée par toutes les attentes et les figures qui l’ont annoncé. "J. RADERMAKERS, Exposé « Le livre d’Isaïe et l’Évangile de Matthieu », IÉT, 4 juin 1991, cité par Marie-David WEILL, I.E.T. - Séminaire « Le Prophétisme » 2015-2016/2 3 juin 2016.
Aussi peut-on voir cette tenture, non pas comme un livre mural de belles images pieuses, mais comme le support d'une méditation théologique sur cet accomplissement christique.
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— Gravure proposée comme source : Heures à l'usage de Romme, Paris, Philippe Pigouchet pour Simon Vostre, 1496 (et 1501).
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f63.item.r=pigouchet
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Scène n° 14, Fuite en Égypte , Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Bordure fleurie , rapace et faisan, Scène n° 14, Fuite en Égypte , Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 14, Fuite en Égypte , Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 14, Fuite en Égypte , Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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La chute des idoles.
Plusieurs idoles païennes tombent de leur piédestal et se brisent au passage du Christ enfant. Ce détail iconographique, fréquemment repris par les artistes du Moyen Âge, s’inspire d’un épisode de l’Évangile du Pseudo-Matthieu, texte apocryphe qui décrit le voyage de la sainte Famille en l’agrémentant de nombreuses légendes. Le thème de la chute de l’idole lors de la Fuite en Égypte est lié à une riche tradition orale de l’Orient, et a été diffusé principalement par les apocryphes relatifs à l’Enfance de Jésus. Sa représentation apparaît dès le VIIIe siècle, et est répandue tant en Occident qu’en Orient. L’épisode est d’abord figuré dans les peintures murales, les vitraux et les bas-reliefs d’églises, où il constitue un sujet indépendant. À partir du XIe siècle, il est massivement utilisé dans le domaine de l’enluminure, puis prend fréquemment place dans la peinture flamande des XVe et XVIe siècles. Ensuite, il est représenté de manière ponctuelle en peinture et en gravure jusqu’au XVIIIe siècle, époque à laquelle il tend à disparaître.
Sources :
Le texte d’origine est l’Évangile du Pseudo-Matthieu, daté de la fin du VIe siècle au plus tôt, mais on ne dispose pas de manuscrit avant le XIe siècle. Il est connu notamment à travers le manuscrit du Livre de la Naissance de la Bienheureuse Marie et de l’Enfance du Sauveur, qui consacre huit chapitres à la Fuite en Égypte. Les chapitres 22 à 24 de l’Évangile du Pseudo-Matthieu décrivent la chute des idoles :
XXII. Joyeux et exultants, ils [la Sainte Famille] parvinrent dans la région d’Hermopolis et entrèrent dans une ville d’Égypte appelée Sotinen. N’y connaissant personne dont ils pussent recevoir l’hospitalité, ils entrèrent dans un temple appelé le « Capitole d’Égypte ». Dans ce temple se trouvaient 365 idoles auxquelles chaque jour on rendait des honneurs divins en des cérémonies sacrilèges.
XXIII. Or il advint que lorsque la bienheureuse Vierge Marie entra dans le temple avec l’Enfant, toutes les idoles furent jetées à terre, si bien que toutes gisaient en morceaux, la face brisée, et ainsi leur néant fut prouvé. Ainsi fut accompli ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : « Voici que le Seigneur viendra sur une nuée de lumière et entrera en Égypte, et tous les ouvrages faits de la main des Égyptiens trembleront à son aspect. »
Le chapitre XXIII de l'Histoire de la Nativité de Marie et de l'Enfance du Sauveur est plus concis :
"Et il advint que lorsque la bienheureuse Marie avec son enfant entra dans le Temple, toutes les idoles tombèrent par terre sur leur face, et elles restèrent détruites et brisées (22). Ainsi fut accompli ce qu'avait dit le prophète Isaïe : « Voici que le Seigneur vient sur une nuée, et tous les ouvrages de la main des Égyptiens trembleront à son aspect. »
Comme le souligne Gwendoline de Mûelenaere, "la scène de la chute des idoles au passage du Christ relève du même procédé [exégétique]: elle est née d’un texte prophétique de l’Ancienne Loi qu’il fallait justifier. L’exégèse médiévale explique cette scène comme la réalisation des prophéties d’Isaïe 19, 1 : « L’Éternel entrera en Égypte et les idoles crouleront devant sa face », et de Jérémie 43, 13 : « Il brisera les stèles de la maison du soleil qui est dans le pays d’Égypte et il brûlera les maisons des dieux d’Égypte ».
Cette relation avec les prophéties d'Isaïe est mentionnée dès 1173 par Pierre Le Mangeur dans son
Historia scholastica, une compilation présentant toute l'histoire biblique depuis le paradis terrestre jusqu'à l'Ascension, et qui sera adaptée en français vers la fin du XIIIe siècle, par Guiart des Moulins sous le nom de "Bible historiale" :
"De fuga Dominii in Aegyptum : [...] Cumque ingrederetur Dominus in Aegyptum, corruerunt idola Aegypti, secundum Isaiam, qui ait: Ascendet Dominus nubem levem, et ingredietur Aegyptum, et movebuntur simulacra Aegypti (Isa. XIX) : "Oracle sur l'Egypte. Voici, l'Eternel est monté sur une nuée rapide, il vient en Egypte; Et les idoles de l'Egypte tremblent devant lui, Et le coeur des Egyptiens tombe en défaillance". ."
Entre le XIIe et le XIVe siècle, ces textes sont compilés avec des vies de saints et d’autres récits légendaires. Les plus connus sont le Miroir historial de Vincent de Beauvais (VI, chap. 93 ; vers 1230-1250) et la Légende Dorée de Jacques de Voragine (chap. 10 ; vers 1260).
"...ainsi la chute de différentes statues qui tombèrent en plusieurs autres lieux. Voici ce qu'on lit dans l’Histoire scholastique (ch. III, Tobie) : « Le prophète Jérémie venant en Egypte, après la mort de Godolias, apprit aux rois du pays que leurs idoles crouleraient quand une vierge enfanterait un fils." (Légende Dorée) .
Dans l'exposition poétique de la 11e strophe de l'Acathiste à la Mère de Dieu on chante :
Projetant sur l’Égypte l’éclat de la vérité tu chassas les ténèbres de l’erreur.
Les idoles de ce pays, ô Sauveur, ne pouvant supporter ta puissance, tombèrent.
Et ceux qui en furent délivrés s’écrièrent à la mère de Dieu.
Quoique liée au culte orthodoxe —et acathiste fut chanté la première fois pour célébrer la protection que la Mère de Dieu offrit à la ville de Constantinople , lors de son siège en 626 — il est remarquable par son ancienneté, et par le fait qu'il est considéré comme un chef-d’œuvre littéraire et théologique présentant la foi commune et universelle de l’Église des premiers siècles au sujet de la Vierge Marie.
Il n'est pas indifférent de voir que les idoles soient nues, anthropomorphes, tiennent en main des lances –brisées– munis de fanions, qu'elles sont placées au sommet de colonnes, et qu'elles chutent par section du tronc à mi-corps, car ces différents éléments sont constitutifs de l'habitus iconographique.
Dans la scène n°14, la place principale est réservée à la figure attendrissante de Marie enlaçant son Fils emmitouflé, à Joseph portant sa poële à frire et à l'âne au regard amusé : une image pleine de familiarité qui a une fonction narrative (rappellant au fidèle ou au chanoine le récit évangélique et apocryphe) et une fonction émotionnelle et dévotionnelle susceptible de faire naitre des sentiments de piété et d'identification. Au contraire, la chute des idoles, placée presque en arrière plan, est utilisée dans le cadre de la typologie, principe exégétique considérant les épisodes du Nouveau Testament comme des accomplissements de ce qu’annonce l’Ancienne Loi. Dans la tenture de la Vie de la Vierge de Reims, comme dans celle de la Chaise-dieu, cette fonction typologique est première, car chaque scène associe un épisode néo-testamentaire et sa préfiguration vétéro-testamentaire, reprenant les gravures de la Biblia Pauperum. L’effondrement des idoles égyptiennes y est mis en relation avec des représentations de la destruction du Veau d’or et la démolition de Dagon, le dieu-idole des Philistins, au passage de l’Arche d’Alliance (I Samuel 5, 2-4). Ou bien, dans le Speculum humanae salvationis, la Fuite en Égypte est combinée avec l’épisode de Moïse détruisant la couronne de Pharaon (tiré d’un midrash, méthode d’exégèse du texte biblique), et celui du songe de Nabuchodonosor, raconté par Daniel (1, 1-44). La pierre qui brise la statue composite dans le rêve du roi de Babylone préfigure le Christ détruisant les idoles, et le fait qu’elle tombe de la montagne « sans que main l’eut touchée » annonce la conception virginale de Marie. Ici, ces relations sont supposées être maîtrisées par les chanoines réunis dans le chœur, la fonction dévotionnelle est valorisée, et l'image des idoles n'est qu'un bref rappel typologique.
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Chute des idoles, Scène n° 14, Fuite en Égypte , Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 15. Le massacre des innocents.
– Fête le 28 décembre.
– texte : Matthieu 2:16-18 : « Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages. "
Cette scène est peut-être marquée par l'influence du mystère du roi Hérode que les chanoines jouaient à Beaune, dans la nef de l'église, la veille de l'Epiphanie : chaque année, un chanoine était désigné pour jouer le rôle d'Hérode (en 1475, ce fut Jean des Forges), la veille de la Fête des Fous. Mais ce serait oublier qu'elle figure dans la plupart des cycles de la Vie de Marie en dehors de Beaune.
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Scène n° 15, Massacre des Innocents, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 15, Massacre des Innocents, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 16. La Sainte Famille en Égypte.
A la mort d'Hérode, un ange avertit Joseph qu'il peut regagner la Judée. Marie réchauffe Jésus devant la cheminée.
Sources proposées : La Vierge à la cheminée, Robert Campin, 1433 ; comparer notamment le chenet en crosse:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C5%93uvres_de_Robert_Campin#/media/File:Robert_Campin_009.jpg.
Scène n° 16, le Repos de la Sainte Famille en Égypte, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 16, le Repos de la Sainte Famille en Égypte, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 16, le Repos de la Sainte Famille en Égypte,Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 16, le Repos de la Sainte Famille en Égypte,Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 17. La Dormition de la Vierge.
– Fête liturgique : l'Assomption le 15 août.
– Texte : Ap 2:10 ; la Patristique.
La Vierge (qui a les yeux ouverts) est entourée des 12 apôtres, parmi lesquels on reconnaît Jean (imberbe, en robe rouge, tenant une palme) et Pierre (qui bénit et tient un cierge) . Marie porte la guimpe, d'habitude réservée à sainte Anne pour signifier son statut de femme âgée.
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— Gravure proposée comme source : Heures à l'usage de Romme, Paris, Philippe Pigouchet pour Simon Vostre, 1496 (et 1501)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54141t/f67.item.r=pigouchet
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Dormition, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 18. Le couronnement de la Vierge.
La Vierge reçoit sa couronne de Reine des Cieux d'un ange tandis qu'. elle est bénie par la Trinité : le Père, le Fils Sauveur montrant ses plaies et le Saint Esprit. Ils apparaissent dans une mandorle de nuées festonnées où s'échelonnent des anges prosternés.
Source : un texte apocryphe attribué à Méliton, évêque de Sardes ; la Légende Dorée.
Couronnement de la Vierge, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Scène n° 19. St Hugues et le donateur.
Hugues Lecocq est présenté par St Hugues, abbé de Cluny.
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Scène n° 19. St Hugues et le donateur, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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L'archidiacre ou chanoine Hugues Lecocq a revêtu le surplis au dessus d'une robe écrue et longue. Ce surplis mérite un examen attentif pour discerner les motifs de dentelle dont il est fait.
Scène n° 19. St Hugues et le donateur, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Saint Hugues le présente, en robe de bénédictin, tenant la crosse, volute tournée au dehors et sudarium noué au bouton, privilèges des abbés réguliers. Une inscription indique :
Se hugo / abbas cluniac~ecis
...soit Sancte Hugo, abbas cluniacencis, Saint Hugues, abbé de Cluny.
Saint Hugues de Cluny, né le 13 mai 1024 à Semur-en-Brionnais et mort le 28 avril 1109 à Cluny, parfois appelé Hugues le Grand ou Hugues de Semur est le sixième abbé de Cluny, de 1049 à 1109, aprèsOdilon et avant Pierre le Vénérable. C'est grâce à lui –et aux armoiries – que le donateur a été identifié, et on pense donc que sa présence se justifie comme saint patron du donateur. Mais par ailleurs, selon la Légende Dorée, "on lit ( Pierre le Vénérable, De miraculis, liv. I, ch. XV.) que saint Hugues, abbé de Cluny, la veille de la Nativité du Seigneur, vit la bienheureuse vierge tenant son fils dans ses bras : « C'est, dit-elle, aujourd'hui le jour où les oracles des prophètes sont renouvelés. Où est maintenant cet ennemi qui avant ce jour était maître dés hommes ? » A ces mots, le diable sortit de dessous terre, pour insulter aux paroles de la madone, mais l’iniquité s'est mentie à elle-même, parce que, comme il parcourait tous les appartements, des frères, la dévotion le rejeta hors de l’oratoire, la lecture hors du réfectoire, les couvertures de bas prix hors du dortoir, et la patience hors du chapitre. On lit encore, dans le livre de Pierre de Cluny, que, la veille de Noël, la bienheureuse vierge apparut à saint Hugues, abbé de Cluny, portant son fils et jouant avec lui en disant: « Mère, vous savez avec quelle joie l’Église célèbre aujourd'hui le jour de ma naissance, or où est désormais la force du diable? que peut-il dire et faire? » Alors le diable semblait se lever de dessous terre et dire : « Si je ne puis entrer dans l’église où l’on célèbre vos louanges, j'entrerai cependant au chapitre, au dortoir et au réfectoire. » Et il tenta de le faire; mais la porte du chapitre était trop étroite pour sa grosseur, la porte du dortoir trop basse pour sa hauteur, et la porte du réfectoire avait des barrières formées par la charité des servants, par l’avidité apportée à écouter la lecture, par la sobriété dans le boire et le manger, et alors il s'évanouit tout confus. " Légende Dorée, Nativité
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Scène n° 19. St Hugues et le donateur, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Inscription de datation
cette tappisserie fut faicte lan de grace mil V. C.
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Scène n° 19. St Hugues et le donateur, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
Scène n° 19. St Hugues et le donateur, Tenture de la Vie de la Vierge, église Notre-Dame, Beaune. Photographie lavieb-aile.
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Jesu, Verbum sum[m]y Patris,
Serva servos tuæ matris,
Solve reos, salva gratis,
Et nos tue claritatis
Cuumfigura glorie
"Jésus, Verbe du Père Très Haut, sauve ceux qui sont au service de ta Mère. Absouds les accusés, délivre les par ta grâce, et conforme nous à la clarté de ta gloire."
Cette appel à l'intercession de la Vierge est la dernière strophe d'une "prose" de Beata d'Adam de Saint-Victor (XIIe siècle), le Salve mater salvatoris, dont Léon Gautier assure qu' "A St Victor on chantait cette prose pour la Nativité. A Paris on la chantait dans les trois solennités suivantes :1°) In Annunciatione, post Pascha ; 2°) In Oct. Assumptionis ; 3°) In Oct. Nativitatis." Dans la composition du Salve mater salvatoris le poète, en panne d'inspiration face à une rime qui lui manquait, obtint que la Vierge Marie vienne lui souffler la rime nobile triclinium présentant Marie comme réceptacle de la Trinité divine qui, par elle, prodigue son amour aux hommes.
Adam est premier chantre de la Cathédrale Notre-Dame de Paris dès 1107 et jusque 1133-1134 environ. Il fait don de sa prébende à la proche abbaye de Saint-Victor, sur la montagne Sainte-Geneviève et s'y retire ensuite, vers 1140, avant d'y mourir. Le musicien-poète conçevait ses poèmes pour le chant et porta le genre de la séquence au plus haut degré de perfection formelle. Ces poésies qui unissent mysticisme et réflexion théologique, visions symboliques et allégoriques, sont influencées par le mysticisme de Hugues de Saint-Victor, abbé de 1125 à 1140.
ANNEXE.
La tenture de Notre-Dame de Beaune, étude d'Alain Erlande-Brandenburg.
"Le cartonnier a prévu dans la partie inférieure de chaque tapisserie une longue bande de couleur foncé d'où s'échappe une prodigieuse quantité de fleurs dans lesquelles viennent se perdre quelques volatiles. Ce décor est trop à la mode à cette époque pour que l'on s'en étonne. Plus rare, en revanche, est le cadre dans lequel s'inscrit chaque scène. Les colonnes ornées de carrés posés sur la pointe dans laquelle s'inscrit un décor et l'arc surbaissé qu'elles supportent évoquent le portique de l'aile Louis XII, à Blois, alors en pleine construction. On y retrouve également ces hautes bases à la modénature identique. En revanche, les chapiteaux sur la tenture conservent sur la corbeille un décor de feuillages. Il ne pouvait être question d'adapter les motifs italianisants et laïcs dans une tenture d'inspiration religieuse.
Le décor intérieur, les paysages où se détachent quelques châteaux fantaisistes sont ceux que l'on trouve habituellement dans les tapisseries de l'époque. Il faut cependant souligner dans cinq cas l'existence d'un tissu bleu tendu sur le fond de la scène et qui forme un fond abstrait. Pour en rompre la monotonie, l'artiste a pris soin de souligner les pliures du repassage.
Il faut noter aussi les recherches de perspective, encore maladroites. Dans les scènes intérieures, elle est obtenue grâce à l'effet de fuite donné par le carrelage ; dans les scènes extérieures, par la montée du paysage ; enfin, dans la Présentation au Temple, par la disposition de l'escalier.
Un soin très particulier a été apporté au traitement de la nature. La Visitation se situe dans un cadre magnifique légèrement montueux où l'herbe verte de la prairie tranche violemment sur les pentes abruptes des collines. Des monuments plus ou moins imaginaires ferment la scène en se détachant sur un ciel d'un bleu merveilleux. Les scènes de la Vierge se rendant à la maison de son époux et de la Fuite en Egypte ne le cèdent en rien ; sur la première, les coloris délicats tranchent vigoureusement sur les couleurs beaucoup plus soutenues des vêtements.
Les défaillances du cartonnier se manifestent dans le traitement des personnages : proportions trapues, attitude maladroite, gestes engoncés, visages allongés et sans grande expression nous assurent qu'Hugues Le Coq ne s'était pas adressé à un artiste de premier plan ; quoi qu'il en soit, son art n'a rien de commun avec celui de Pierre Spiere.
Les vêtements aux plis cassés et lourds où les effets d'ombre sont fortement soulignés par des battages évoquent irrésistiblement l'art du Nord. Dans La Visitation, la robe de sainte Elisabeth est traitée comme une sculpture brabançonne avec ce bosselage si étonnant donné aux vêtements. D'ailleurs, le costume est celui que l'on trouve habituellement dans la peinture flamande. C'est à un peintre issu de ce milieu artistique qu'Hugues III Le Coq s'est adressé pour exécuter les cartons de la Vie de la Vierge.
Les maladresses soulignées ont été masquées en grande partie par le prodigieux coloris qui a conservé toute sa fraîcheur : les bleus sont rompus par des rouges tout aussi intenses. On remarque même l'emploi de couleurs assez rares comme dans l'Assomption, où un jaune légèrement passé, un vert olive et un bleu violacé créent une magnique harmonie. La palette apparaît assez riche pour une tapisserie d'aussi médiocres dimensions. On en tire la preuve que la tenture a été exécutée dans un atelier assez important pour offrir une telle variété de laines colorées. Cette remarque ne suffit cependant pas à se décider pour un centre quelconque que seul un document permettrait de préciser. On peut néanmoins affirmer qu'il devait se trouver situé dans une des villes des Pays-Bas du Sud dont on connaît la fébrile activité en ce domaine." (Alain Erlande-Brandenburg, 1976)
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SOURCES ET LIENS.
— ARMINJON (Catherine) Les tapisseries de chœur : un patrimoine exceptionnel . Conférence
http://www.abbaye-chaise-dieu.com/les-tapisseries-de-choeur-un.html?lang=en
— ARMINJON (Catherine), 2004, Saints de chœurs: tapisseries du moyen âge et de la renaissance : [Toulouse, Ensemble conventuel des jacobins, 24 avril-31 août 2004; Aix-en-Provence, Musée des tapisseries, septembre 2003-décembre 2004; Caen, Musée de Normandie, janvier-mai 2005, 5 continents, 191 pages.
— BACRI (Jacques) La tenture de la vie de la Vierge de Notre-Dame de Beaune et son cartonnier Pierre Spiere: peintre bourguignon du XVe siècle 1958 - 3 pages
—BRELAUD( J.-P. ), 1997, Les chanoines de la collégiale Notre-Dame de Beaune au XVe siècle, mémoire de Maîtrise d'histoire, Université de Bourgogne, 1997, t. II, p. 97, n° 232. ou Recueil des travaux du Centre beaunois d’études historiques, 17 (1999), p. 9-77.
— CHABEUF (Henri ), 1896, « Les Tapisseries de l'église Notre-Dame de Beaune ». Dijon : imprimerie Jobard, 1896 [extrait des Mémoires de la Commission des antiquités du département de la Côte-d'Or] OU Revue de l'Art Chrétien, 1900, t.II, p. 193-205.
https://archive.org/stream/revuedelartchr1900lill#page/192/mode/2up
— ERLANDE- BRANDENBURG ( Alain), 1976, "La tenture de la Vie de la Vierge à Notre-Dame de Beaune". In: Bulletin Monumental, tome 134, n°1, année 1976. pp. 37-48; doi : 10.3406/bulmo.1976.2659 http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1976_num_134_1_2659
— FROMAGET (Brigitte), Judith Kagan, Martine Plantec, 1994, La Tenture de la vie de la Vierge: Collégiale de Beaune, Côte d'Or, Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, [Service régional de Bourgogne] Images du patrimoine, 48 pages ISSN 0299-1020
—GANDELOT (L.), 1772, Histoire de la ville de Beaune et de ses antiquités
— HAMADACHE (Ali) 2014, blog Tapisserie de la Vierge à Beaune (Bourgogne) :
http://amidache72.blogspot.fr/2014/02/tapisserie-de-la-vierge-beaune-bourgogne.html
— MOINGEON-PERRET (Geneviève), Christiane PRELOT-LEVERT, 1988,
Les tapisseries de Notre-Dame de Beaune,
Recueil des travaux du Centre beaunois d'études historiques, tome 7, 1988, 149 pages, p. 15-59
—MÛELENAERE (Gwendoline de ), 2009, La chute des idoles lors de la fuite en Égypte . Analyse iconographique d'un récit apocryphe.
http://www.koregos.org/fr/gwendoline-de-muelenaere_la-chute-des-idoles-lors-de-la-fuite-en-egypte/2072/
— REVEILLON ( Élisabeth) 2002,. Un nouveau jalon pour la carrière d'Antoine Le Moiturier en Bourgogne : le jubé de Notre-Dame de Beaune. In: Bulletin Monumental, tome 160, n°3, année 2002. pp. 299-304; doi : 10.3406/bulmo.2002.1131
http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2002_num_160_3_1131
— WEIGERT (Laura) Weaving Sacred Stories: French Choir Tapestries and the Performance of ...
— WEIGERT (Laura), Les tapisseries de La Chaise-Dieu, entre messe et mystères
Conférence de madame Laura Weigert, Professeur, Rutgers University, Princeton (USA)
— La collégiale Notre-Dame de Beaune: Côte-d'or. Éditions du patrimoine, 1997 - 63 pages
— Sur l'église Notre-Dame : http://www.bourgogneromane.com/edifices/beaune.htm
— Base Palissy :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=WEB&VALUE_98=VISPAL-BEAUNE-COLLEGIALE-TAPISSERIE