La croix de Pennayeun à Dinéault : saint Pol et son dragon ou saint Marc et son lion.
.
.
Sur la route départementale D987 Crozon-Châteaulin, alors que vous venez de laisser à votre droite l'Ecole de gendarmerie de Ty Vougerez (Ty Rogeret), vous apercevez sur votre gauche une croix placée au départ de deux routes secondaires en patte d'oie ; elle précède de 50 m peut-être l'intersection de Penn Ar Yeun, d'où part la D60, mais ici, c'est Pennanyeun, "l'extrémité du marécage" dans les deux cas.
https://www.google.com/maps/@48.1926393,-4.1396175,3a,60y,354.05h,82.05t/data=!3m6!1e1!3m4!1ssChMHBwf2vlFHIOpv6ZKJg!2e0!7i13312!8i6656
Ar yeun (du féminin Geun) en breton, c'est le marais ; car c'est ici que le Garvan (cf. la commune de Trégarvan) prend sa source, au pied des 230 m du Menez bras (Là, les éoliennes, vous voyez ?).
Mais je ne suis pas sûr que cette croix occupe son emplacement originel. C'est d'ailleurs une croix composite, avec un blog de granite vaguement taillé coulé au sommet de trois degrés de ciment. Puis un fût à six pans taillés, en kersanton, de deux mètres, guère plus. Et au sommet, un crucifix bien moderne. Les quatre parties ne se réunissent ici que par raison fortuite, par la force des choses.
Rien n'incite réellement le voyageur à garer son véhicule à proximité et à venir examiner cet assemblage, mais qui ne tente rien... nothing ventured, nothing gained, as they say. Je tentai.
Je fus vite abordé par un petit homme gris qui me dit "vous aussi !", et je répondis "oui" sans savoir.
— "Je le savais. Seuls s'arrêtent ici les collectionneurs de fûts-polygonaux-à-statue-incluse. C'est du kersanton, vous savez?"
— "As far as I know" répondis-je pour passer pour un english.
Il ne fut guère dupe :
— Monsieur le malin, who is this man ? dit-il en pointant le fer de sa canne vers une sorte de nain de jardin.
Je scrutais le gnome. Il était barbu, ça c'est certain, et coiffé d'un bonnet marin, ça l'était moins. Un turban ? Sur les épaules, un kabik retenu par un gros bouton. Ses deux grosses mains tenaient une écharpe qui coiffait la tête d'un petit chien allongé à ses pieds. Il est assis devant la route comme une vieille qui tricoterait en comptant les voitures.
— It's Sneezy-Wheezy, no ?
— Ah ah ah ! Ah ah ah ! me fut-il répondu dans la langue de Goethe. Vous avez devant vous Monsieur saint Pol, not' Paol Aorelian, dans son costume d'évêque du Léon !
— Il avait un chien ?
— Non pas, mécréant, ne savez-vous pas qu'il délivra l'île de Batz et Saint-Pol-de-Léon d'un affreux dragon en lui passant son étole autour du cou ? Une écharpe, ma Doué ! Et l'inscription sur les pans du soubassement, vous arrivez à la déchiffrer ? Seriez ben le premier !
Mais un savant m'a dit que ce serait plutôt saint Marc l'évangéliste, avec son lion à ses pieds. Après tout, pourquoi pas ? Mais votre écharpe, ce serait alors un phylactère. Objection, il n'est pas pieds nus, et il n'a aucune raison d'être coiffé d'une mitre.
Bizarrement, vous ne trouverez pas cette croix dans l'Atlas des Croix et Calvaires du Finistère de l'abbé Castel.
.
.
.
.
.
.
— Vous voyez, la statue n'est pas scellée au fût, c'est un seul bloc en haut-relief. C'est pas commun, m'sieur, c'est pas commun.
Mais si vous allez Saint-Exupère, ici à Dinéault, vous verrez le même saint Marc.
.
.
Et si vous vous rendez à Roscanvel, vous verrez saint Yves sur un fût analogue :
.
.
Une telle sculpture sur le fût s'observent aussi à l'église d'Argol (Atlas n°1, 1593) , où elle représente saint Pierre. De même, le fût du calvaire de Kerluan à Châteaulin (Atlas n°216) porte un saint Sébastien sur une face et saint Roch de l'autre. A Lopérec, le fût de la croix de Kergonan, Croas-Nevez (Atlas n°1244) de 1580 porte un saint Sébastien. Et à Plomodiern, le fût porte un saint Yves.
Tout cela dans le même matériau et dans le même secteur géographique, la Presqu'île de Crozon et le nord du Pays de Porzay.
.
.