La clôture de chœur (1528) de l'église de la Trinité de Vendôme par les abbés Louis et Antoine de Crevant.
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Voir dans ce blog :
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La clôture de chœur de l'ancienne abbaye de la Trinité à Vendôme est digne d'intérêt d'une part comme un bel exemple de la sculpture de la Renaissance, avec ses cartouches, des masques, ses trophées. D'autre part, elle témoigne du rôle de commanditaire des deux abbés qui se succédèrent à la tête de l'abbaye Louis de Crevant et son neveu Antoine. Dans ce cadre, il est intéressant de créer des liens thématiques entre les diverses œuvres qu'ils nous ont laissés : les vitraux, les stalles, et la clôture de chœur. Le point commun, comme le fil d'un collier, associe 1. la relique de la Sainte Larme possédée par l'abbaye depuis le XIe siècle et source de pèlerinages sur le chemin de Compostelle (elle guérissait les yeux), 2 le culte de Marie-Madeleine d'une part comme sœur de Lazare, mais aussi comme modèle du repentir, du chagrin avec effusion de larmes, 3. l'écoulement du sang du Christ lors de la Crucifixion et la valeur rédemptrice de cet écoulement, 4. l'Agneau pascal égorgé.
Ces 4 éléments se renvoient l'un à l'autre avec la même idée centrale : les larmes versées par le fidèle (le moine) sont le sang de l'âme (Augustin), elles sont la réponse de gratitude du chrétien devant le sacrifice du Sauveur.
Ce discours, malgré la profondeur spirituelle qu'il porte, est finalement très simple, et constitue la clef indispensable à la compréhension du décor mis en place par les deux abbés au XVIe siècle.
C'est ainsi qu'on ne sera pas surpris de voir la chapelle Sainte Madeleine placée, dans le déambulatoire, juste en face de l'armoire qui renfermait la relique de la Sainte Larme. Ou de trouver le vitrail représentant la sainte baignant de ses larmes les pieds du Christ. Ou de voir que les armes de l'abbaye représente la Sainte Larme entourée par l'Agneau pascal. Puis, dans le chœur, de voir les jouées des stalles montrer, au sud, Marie-Madeleine au pied de la Croix entourée des Instruments de la Passion et, au nord, la Sortie du Tombeau surmontée de la Pietà, parangon du chagrin de Marie. De trouver, dans le transept, la baie 25 qui présentent le Sang du Christ alimentant la Fontaine de vie (avec une analogie avec le retable de l'Agneau mystique).
De ce fait, il devient passionnant d'examiner les détails de la clôture du chœur et d'y trouver le décor de grosses larmes, les instruments de la Passion, l'Agneau pascal sur les armes de l'abbaye, les inscriptions honorant les larmes du Christ lors de la mort de Lazare, et les armoiries des deux abbés commanditaires.
C'est non seulement passionnant, mais, comme la reprise d'un leitmotiv en musique, ces convergences, répétitions, développements en échos, accentuent l'émotion esthétique ressentie par le visiteur ému d'une telle cohérence dans l'ornementation du chœur.
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En 2, la Sainte Larme, et en 8 la chapelle de Marie-Madeleine :
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I. Le coté nord de la clôture.
Tandis que dans les 3 pans les plus orientaux la clôture est entièrement préservée, les parties hautes avec leurs colonnades et balustres en claire-voie n'ont pas été conservées sur les cotés nord et sud du chœur.
L’armoire contenant, dans quatre reliquaires, la Sainte Larme, se trouvait jusqu'à la Révolution dans cette clôture de chœur au nord, face à la chapelle Sainte-Madeleine. C'est bien logique puisque cette Larme (en fait, un cristal de quartz contenant, par une particularité géologique, une goutte d'eau) avait été offerte à Geoffroy Martel comme ayant été émise par le Christ devant la tombe de Lazare. Recueillie par un ange, elle aurait été remise à Marie, sœur de Lazare (assimilée à Marie-Madeleine). Celle-ci apporta la relique en Provence et, à l’approche de sa mort, la donna à saint Maximin, évêque d’Aix. La relique demeura dans cette ville jusqu’à la fin des persécutions contre les chrétiens. L’empereur Constantin l’emporta ensuite à Constantinople où elle resta jusque vers 1040 avant d'être offerte à Geoffroy Martel, fondateur de l'abbaye, en remerciement de services militaires. (Isnard 2009).
La clôture de chœur montre, du coté nord, à gauche de l'autel, la partie basse de l’armoire au décor Renaissance. Récemment l’extérieur de la clôture et l’armoire ont été couverts d’une peinture ocre jaune.
Les panneaux doivent être examinés un par un. Les Instruments de la Passion, les armes de l'abbaye, et un décor de grosses larmes, précèdent l'inscription descriptive.
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Le panneau de droite rassemble les "instruments de la Passion" en dix groupes ; on les retrouve sur la jouée sud-est des stalles.
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Sur le panneau suivant, deux putti présentent les armes de l'abbaye de la Trinité, D'azur à un agneau pascal d'argent, la tête contournée, portant dans sa patte dextre une croix de sable à laquelle pend une banderole d'argent chargé d'une larme de gueules.
Cette réunion sur le même écu du motif de l'agneau pascal égorgé et de la larme me semble résumer la thématique du décor.
L'arrivée de la relique à Vendôme n'est pas éloignée de la vie de sainte Elisabeth de Hongrie '1207-1231), qui adopta la règle de vie franciscaine et reçut "le don des larmes", cette eau du cœur que saint Augustin (Sermon 351) qualifia de sanguinis animae, de sang des âmes.
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Ensuite vient le panneau à grosses larmes, précédant une colonne portant en diagonale l'inscription LE-TRONC.
Un gag ? La signature d'un artiste qui a perdu toute chance d'être identifié ?
Voici, précédé d'une description générale, ce qu'en dit G. Plat :
"Le monument de la Sainte-Larme se divisait en deux parties. L'une, la plus ancienne, se composait de l'arcade, des colonnettes qui la portaient et, sans doute, des statues qui l'ornaient. J'y reviendrai tout à l'heure. L'autre, dont toute la base subsiste encore comprenait un mur plein élevé au xvie siècle, exactement en 1528, en même temps que le reste de la clôture du choeur. L'analogie du travail et des motifs sculptés, le rapprochement des dates, enfin l'usage où l'on était à Vendôme de s'adresser aux artistes tourangeaux ( C'est un orfèvre tourangeau, Adrien, qui avait fourni en 1492 la châsse de saint Eutrope donnée par Aimery de Coudun. On a vu plus haut que c'est à un sculpteur tourangeau, au moins de domicile, qu'on s'adressa pour le tombeau de Louis de Crevant. ll se trouve aussi que les grands travaux de l'abbatiale de Marmoulier s'achevaient, dans la première décade du xive siècle, quand on commençait ceux de l'abbatiale de Vendôme.), me font croire que ce magnifique ensemble est le chef d'oeuvre de l'atelier auquel on doit le portail de Saint-Symphorien près de Tours (1526-1531).
Ce mur plein se composait d'un soubassement qui subsiste encore et se trouve au même niveau que le soubassement des parties intactes de la clôture du choeur. Il est décoré de sculptures et porte deux inscriptions dans des cartouches, l'une grecque, l'autre latine, toutes deux relatives à la Sainte-Larme.
Un autre cartouche, dans une partie légèrement bombée du soubassement, porte cette inscription brève : « Le tronc. » Le tronc, ainsi signalé pour que nul n'en ignore, est formé d'une sorte de trémie, ou de pyramide renversée, aboutissant à un espace carré qui forme caisse et qui s'ouvrait, par une petite trappe basse, sur l'emplacement réservé au moine qui faisait vénérer la relique. Cette trappe était fermée d'une porte solidement scellée.
L'emplacement réservé au moine s'ouvrait sur le bas côté par une fenêtre plus large que haute, séparée en deux parties par un petit pilastre détruit par Edde, ainsi que la frise qui le surmontait, mais dont les traces étaient encore visibles (Grâce à M. l'abbé Gougeon, archiprêtre de la Trinité, qui a fait généreusement les frais de la restauration, le petit pilastre et la frise ont été rétablis dans l'état primitif.). Cette fenêtre était garnie de barreaux dont les scellements se devinent sur la pierre d'appui. Une rainure horizontale pratiquée dans le mur à l'intérieur de l'emplacement permettait au moine debout ou assis dans cet étroit espace de placer ses pieds sans trop de gène ou de fatigue.
Au-dessus de la fenêtre et du tronc, ainsi que derrière l'arcade de l'armoire, le mur plein du xvie siècle continuait, absolument nu du côté du sanctuaire, décoré au contraire de sculptures vers le bas côté. Il était couronné d'une décoration de balustres et de clochetons semblable à celles qui ornaient les autres panneaux de la clôture du choeur (Mabillon, op. cil., p. 55. — l'intérieur de l'église de la Trinité en 1791, plan annexe.)."
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Après un panneau orné d'une plante dont les fruits évoquent des larmes, viennent deux inscriptions en grec et en latin du même texte, et la date de 1528 :
Ad bustum amici Christus olim flens dedit testem hanc amorisque et doloris lachrymam, et deux vers grecs dont voici le sens : « Viens à moi, Lazare, dit Jésus ; et ces yeux divins, qui ne connaissaient point les pleurs, laissèrent tomber d'abondantes larmes."
Je propose en traduction du latin ceci : "Sur la tombe d'un ami le Christ éploré donna autrefois cette larme en preuve de son amour et de son chagrin."
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LE PAN SUIVANT DE LA CLÔTURE.
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Les colonnes et les entablements fourmillent de détails témoignant de l'influence des ornemanistes de la Renaissance (masques, putti, rubans) mais les oves qui se succèdent avec insistance un peu lourde dans la partie haute sont peut être assimilables à des larmes.
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LE PAN SUIVANT : LES ARMOIRIES.
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Dans un décor à nouveau parfaitement Renaissance, les armes de l'abbaye et de son abbé sont représentées.
Tous les détails mériteraient d'être étudiés.
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Les armoiries de Louis de Crevant.
Elles figurent en partie haute au dessus d'une cuirasse à l'antique et sous un masque crachant des rubans.
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On différencie les armoiries de l'oncle et du neveu par la présence d'un lambel à 3 pendants.
Je ne l'observe pas en partie haute de la clôture.
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Source : http://www.patev.net/trinite.htm
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La partie basse, ou soubassement, montre par contre les armoiries de l'abbaye à coté de celles d'Antoine de Crevant dont le lambel est bien visible.
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Les armoiries de l'abbaye (je n'y distingue pas la larme).
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Les armoiries de l'abbé Antoine de Crevant.
On les trouve aussi sur la jouée sud des stalles (au dessus de Marie-Madeleine au pied de la Croix), ainsi que sur un Bénédictionnaire à l'usage de l'abbaye de la Trinité de Vendôme, commandée par l'abbé, et placées juste en dessous d'une Marie-Madeleine au pied de la Croix : au cas où on n'ait pas compris son attachement à ce thème.
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Les armes dotées de leur lambel sont placées sous le chapeau cardinalice, à dix fiocchis (l'abbé de La Trinité de Vendôme à droit au titre de cardinal).
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Sur le panneau de la clôture, le lambel et le galero sont bien présent, ainsi que les cinq rangées de houppes 1-2-3-4-5, mêlés artistiquement à des rubans.
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Autre détail.
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PAN SUD-EST.
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Plus sobre ? Les armes de l'abbé y sont tenus par un putti, on voit aussi une tête de mort, et bien d'autres choses.
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Vue globale (prise avant 1932)
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CONCLUSION.
Il ne m'est pas indifférent qu'à peu près à la même époque, un atelier de sculpture de Basse-Bretagne, celui des Prigent de Landerneau (1527-1577) se distingue des précédents en réalisant sur leurs calvaires des Pietà caractérisées par trois grosses larmes s'écoulant de chaque œil de Marie, Jean et Marie-Madeleine. Ni qu'il place au pied de la Croix une Marie-Madeleine agenouillée.
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La Pietà aux trois larmes (kersanton, XVIe, atelier Prigent) de la croix de Tal-ar-Groas à Crozon.
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ANNEXE.
L'ÉGLISE PRIMITIVE DE LA TRINITÉ DE VENDOME PAR M. L'ABBÉ PLAT, SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE Scientifique et Littéraire DU VENDOMOIS ANNÉE 1925 PREMIER SEMESTRE
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5439547q/texteBrut
L'ARMOIRE A RELIQUES DITE DE LA SAINTE-LARME. — On vénérait autrefois à la Trinité une relique célèbre dont l'authenticité donna lieu à une polémique entre l'abbé Thiers, curé de Vibraye (J.-B. Thiers, Dissertation sur la sainte Larme de Vendôme, 1699), et l'illustre Mabillon (F, M. B., Lettre d'un Bénédictin à Monseigneur l'évêque de Blois, 1700,). Cette relique était conservée, avec d'autres presque aussi célèbres, dans une armoire de pierre qui se trouvait dans le sanctuaire, du côté de l'évangile, et faisait pendant au tombeau de Louis de Crevant. J'ai profité des fouilles pratiquées dans l'église pour rechercher les restes de cette armoire et les dispositions de la clôture du choeur dans laquelle elle se trouvait engagée. Ces recherches ont donné lieu à quelques trouvailles intéressantes que je crois devoir consigner ici, tout en faisant remarquer que, n'ayant pas spécialement recherché les vestiges de l'armoire de la Sainte-Larme, mais bien le mur roman du sanctuaire, je ne garantis pas rigoureusement l'exactitude des résultats obtenus. Néanmoins ils sont trop d'accord avec les documents écrits pour qu'on ne les juge pas exacts dans leur ensemble.
Mabillon (op. cil., p. 49) décrit ainsi l'armoire de la Sainte-Larme : « La sainte Larme est gardée dans une Armoire sous une petite Arcade, à costé droit du Grand Autel, c'est-à-dire du costé de l'Evangile. L'Arcade qui est de pierre, aussi bien que l'Armoire, est soutenue de deux piliers et terminée en forme de voûte. Les Figures sont entaillées dans la pierre. »
Un écrit anonyme, mais qui émanerait, au dire de l'éditeur, d'un des membres du clergé constitutionnel de la Trinité, ajoute d'autre détails : « Le monument, de la Sainte-Larme occupait toute la façade du sanctuaire (côté de l'évangile), depuis la porte qui conduisait derrière l'ancien autel jusqu'à la balustrade. Dans la partie du monument qui formait soubassement, étaient des encadrements en pierre sculptée où se trouvait une porte à deux vantaux, revêtus de cuivre doré, ornée de fleurs de lis... A la suite et à gauche du soubassement, était une ouverture comme une baie de porte, mais sans porte, on descendait une marche et l'on se trouvait dans un espace qui avait toute la profondeur du monument. Vis-à-vis de cette ouverture était une arcade à peu près de la même largeur, dans laquelle il y avait une espèce de fenêtre à deux vantaux pleins et revêtus extérieurement de lames de cuivre. C'était par là que le moine faisait adorer la Sainte-Larme. »
Mabillon donne du monument de la Sainte-Larme un dessin assez médiocre ; un autre dessin est conservé à la Bibliothèque nationale.
M. de Rochambeau estime que le dessin donné par Mabillon est une copie de ce dernier (Voyage à la sainte Larme de Vendôme, dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendomois, t. XII, p. 157-212.). En réalité, ce sont deux originaux différents, et si le dessin de Mabillon ne vaut pas l'autre, il le complète néanmoins assez heureusement sur un point intéressant.
Il ressort de ces différents documents qu'au lieu d'être occupée par une clôture à jour, comme les autres arcades du sanctuaire, celle qui se trouvait du côté de l'évangile était close par un mur plein qui comportait un peu à droite une petite arcade portée par deux colonnes, au fond de laquelle s'ouvrait l'armoire de la Sainte-Larme, et à gauche une ouverture donnant sur le bas côté par une double petite fenêtre.
C'est de ces dispositions que j'ai retrouvé les restes en partie. Quand le monument de la Sainte-Larme fut détruit en 1803 par le sieur Edde, sacristain (Abbé Mêlais, L'église et l'abbaye de la Trinité pendant la Révolution, dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendomois. I. XXV, p. 200206.), agissant évidemment d'après les ordres de la fabrique, celui-ci avait monté à sa place jusqu'à hauteur d'appui un mauvais mur de pierres tendres, et rempli de gravats l'espace compris entre ces pierres de taille et le fond du monument, vers le bas côté. Mais il s'était contenté de recouvrir les gravats d'une couche de plâtre. Celle-ci s'étant effritée, j'enlevai un jour quelques gravats et reconnus ainsi le fond de l'armoire de la Sainte-Larme ; puis, à gauche de l'armoire, un tronc de pierre en forme de trémie de moulin, ménagé dans la muraille même ; enfin, plus à gauche encore, l'emplacement où se tenait le moine pour faire vénérer la relique aux pèlerins qui défilaient dans le bas côté.
Ces résultats encourageants furent complétés lors de mes fouilles proprement dites où je retrouvai dans le sanctuaire la base d'une des colonnettes de l'arcade qui abritait l'armoire. C'était la base de la colonnette de droite. Elle se trouvait à l'angle d'un seuil usé qui avait été évidemment le seuil du monument.
En interprétant ces découvertes à l'aide des documents écrits et dessinés, j'ai pu établir des conclusions et dresser, un plan dans lesquelles l'hypothèse n'intervient que pour une part minime et, je l'espère, justifiée.
Le monument de la Sainte-Larme se divisait en deux parties. L'une, la plus ancienne, se composait de l'arcade, des colonnettes qui la portaient et, sans doute, des statues qui l'ornaient. J'y reviendrai tout à l'heure. L'autre, dont toute la base subsiste encore comprenait un mur plein élevé au xvie siècle, exactement en 1528, en même temps que le reste de la clôture du choeur. L'analogie du travail et des motifs sculptés, le rapprochement des dates, enfin l'usage où l'on était à Vendôme de s'adresser aux artistes tourangeaux ( C'est un orfèvre tourangeau, Adrien, qui avait fourni en 1492 la châsse de saint Eutrope donnée par Aimery de Coudun. On a vu plus haut que c'est à un sculpteur tourangeau, au moins de domicile, qu'on s'adressa pour le tombeau de Louis de Crevant. ll se trouve aussi que les grands travaux de l'abbatiale de Marmoulier s'achevaient, dans la première décade du xive siècle, quand on commençait ceux de l'abbatiale de Vendôme.), me font croire que ce magnifique ensemble est le chef d'oeuvre de l'atelier auquel on doit le portail de Saint-Symphorien près de Tours (1526-1531).
Ce mur plein se composait d'un soubassement qui subsiste encore et se trouve au même niveau que le soubassement des parties intactes de la clôture du choeur. Il est décoré de sculptures et porte deux inscriptions dans des cartouches, l'une grecque, l'autre latine, toutes deux relatives à la Sainte-Larme. Un autre cartouche, dans une partie légèrement bombée du soubassement, porte cette inscription brève : « Le tronc. » Le tronc, ainsi signalé pour que nul n'en ignore, est formé d'une sorte de trémie, ou de pyramide renversée, aboutissant à un espace carré qui forme caisse et qui s'ouvrait, par une petite trappe basse, sur l'emplacement réservé au moine qui faisait vénérer la relique. Cette trappe était fermée d'une porte solidement scellée.
L'emplacement réservé au moine s'ouvrait sur le bas côté par une fenêtre plus large que haute, séparée en deux parties par un petit pilastre détruit par Edde, ainsi que la frise qui le surmontait, mais dont les traces étaient encore visibles (Grâce à M. l'abbé Gougeon, archiprêtre de la Trinité, qui a fait généreusement les frais de la restauration, le petit pilastre et la frise ont été rétablis dans l'état primitif.). Cette fenêtre était garnie de barreaux dont les scellements se devinent sur la pierre d'appui. Une rainure horizontale pratiquée dans le mur à l'intérieur de l'emplacement permettait au moine debout ou assis dans cet étroit espace de placer ses pieds sans trop de gène ou de fatigue.
Au-dessus de la fenêtre et du tronc, ainsi que derrière l'arcade de l'armoire, le mur plein du xvie siècle continuait, absolument nu du côté du sanctuaire, décoré au contraire de sculptures vers le bas côté. Il était couronné d'une décoration de balustres et de clochetons semblable à celles qui ornaient les autres panneaux de la clôture du choeur (Mabillon, op. cil., p. 55. — l'intérieur de l'église de la Trinité en 1791, plan annexe.).
Mais la partie la plus intéressante du monument de la Sainte-Larme est celle qui, malheureusement, a été le plus complètement détruite, je veux dire l'arcade décorée de sculptures qui précédait et encadrait l'armoire. De son plan, tel que je le restitue, deux éléments m'ont été fournis par les fouilles : c'est la colonnette de droite et le fond de l'armoire. J'ai pu ainsi rétablir la profondeur de l'arcade, et sa largeur aussi, puisqu'il suffisait de placer l'autre colonnette dans une position symétrique à celle de la première. Quant au mur de l'arcade, derrière chaque colonnette, le dessin de la Bibliothèque nationale et celui de Mabillon permettent d'en restituer le plan sans trop d'incertitude. Le dessin de Mabillon en particulier permet de voir que la colonnette était montée sur un dosseret un peu plus étroit que le mur même, mais que le dégagement ainsi formé s'arrêtait à l'astragale du chapiteau et n'affectait pas non plus le tailloir.
Il est également évident, d'après les deux dessins, que le devant de l'armoire faisait saillie sous l'arcade. Par suite de cette saillie, les deux dessinateurs ne pouvaient apercevoir le bas de la scène qui ornait le tympan, ce qui fait que dans les deux dessins cette scène est tronquée dans sa partie inférieure. Il est bien probable que cette disposition n'existait pas dans l'origine, mais qu'elle ne remontait qu'au xvie siècle.
Au reste, lors même que les dessins n'auraient fourni à ce sujet aucune indication, il eût été facile de conjecturer que l'armoire formait saillie, en remarquant qu'elle eût été sans cela d'une étroitesse extrême et qui n'aurait pas permis de loger les reliquaires à l'intérieur. Je lui attribue approximativement 0 m. 40 de profondeur, ce qui permet de placer en arrière d'une double porte épaisse une tablette d'au moins 0 m. 20 de profondeur. Cet espace suffit pour le reliquaire de la Sainte-Larme qui n'avait que 0 m. 16 de large (environ 6 pouces, dit Mabillon). La tablette que je suppose n'a laissé d'autre trace dans le mur du fond de l'armoire que celle des trois scellements qui servaient à la porter.
Un point plus délicat à établir, c'est la date de l'arcade. La base de la colonnette appartient bien au xive siècle. La dépression de la scotie, l'aplatissement du tore permettent même de préciser assez rigoureusement l'époque : elle appartient à la seconde campagne de reconstruction qui comprit la partie supérieure des deux premières chapelles du déambulatoire, la travée du choeur et celle du bas côté qui lui correspond.
1320 conviendrait assez comme date moyenne de cette campagne. On aurait donc attendu que le chevet de l'église fût complètement achevé pour y replacer le monument de la Sainte-Larme. « Replacer » est le mot juste, car si les dessins que nous possédons semblent indiquer par les crochets et les trèfles qu'on y aperçoit sur une façade d'église sculptée en haut et à droite, que cette partie fut restaurée au xive siècle, l'ensemble de l'arcade évoque indiscutablement une date antérieure. L'imperfection des dessins est telle qu'on ne saurait rien établir de rigoureusement fondé sur les détails qu'ils représentent. Néanmoins, à cause des tailloirs ornés de figures d'anges et des mentonnières portées par les figures de femmes, j'inclinerais à voir dans l'arcade une oeuvre du commencement du xme siècle et de l'école angevine. Les statues elles-mêmes seraient de la même époque. Dans le dessin auquel nous nous' référons, on ne voit pas la base sur laquelle elles reposent, non plus que -les bases des colonnettes, parce que le sol du sanctuaire avait été relevé depuis le xive siècle, sans doute en 1632, quand on reconstruisit le maître-autel.
Il faut regretter que des querelles purement spéculatives sur l'authenticité de la Sainte-Larme, jointes au peu de respect que l'on professait jadis pour les vestiges du passé, aient amené la destruction d'un monument si curieux et qui, s'il avait à certains yeux le défaut de rappeler l'objet d'un culte discuté, aurait dû garder pour tous l'avantage d'être l'une des plus belles armoires à reliques qui aient jamais existé."
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SOURCES ET LIENS.
.— MABILLON , Jean 1700, Lettre d'un bénédictin à Monseigneur l'évesque de Blois : touchant le discernement des anciennes reliques, au sujet d'une dissertation de Mr Thiers, contre la sainte larme de Vendôme ([Reprod.]) / [par le père Mabillon] chez Pierre de Bats (Paris)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57971p/f19.image
— ISNARD (Isabelle), L’abbatiale de La Trinité de Vendôme, Rennes, Presses universitaires de Rennes (collection Art & société), 2007, 1 vol., XII -331 p., illustrations noir et blanc, bibliogr., notes bibliogr., glossaire, index. ISBN : 978-2-7535-0370-0
Isabelle Isnard, Etude architecturale de l'abbatiale de la Trinité de Vendôme : le chantier gothique thèse soutenue en 2003 à Paris 4.
— ISNARD (Isabelle), 2009 - La Sainte Larme de l'abbaye de la Trinité de Vendôme ...
https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.RM.5.101148
— JOUBERT (Fabienne)2006, L'artiste et le clerc: commandes artistiques des grands ecclésiastiques à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe siècles), Presses Paris Sorbonne, pages 190-192
—SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE NATIONAL DE LA RENAISSANCE AU CHÂTEAU D’ÉCOUEN Note d’information N° 298 –Février 2019 JOURNÉE A VENDÔME LE 19 DÉCEMBRE 2018
https://musee-renaissance.fr/sites/musee-renaissance.fr/files/cr_vendome.pdf
"la partie basse de l’armoire au décor Renaissance subsiste. La surface est couverte de figuration de larmes ; les pilastres portent des décors d’oiseaux affrontés au-dessus de riches rinceaux en candélabre, ou un réseau enserrant les emblèmes de la Passion. Deux putti italianisants sont placés en dessous de la niche de l’ostension de la relique. Deux inscriptions en grec et en latin sur un cartouche en trompe l’œil, figuré comme suspendu en biais en donnent le sens. Récemment l’extérieur de la clôture et l’armoire ont été couverts d’une peinture ocre jaune… Une clôture à claire-voie a été posée entre chaque pilier du tour du chœur. Chacune des travées est de structure et de type de décoration différents ; la plus ambitieuse étant celle d’axe. L'élément de clôture face à la chapelle des Saints vendômois allie le gothique flamboyant et l'art de la Renaissance avec sur la base deux grands médaillons ; des pilastres et des balustres placés au sommet, très ornés, avec des bandeaux latéraux décorés de perles, de denticules, d'oves et de dards. L'intérieur de la clôture que l'on observe du chœur montre à la fois une sculpture très travaillée, des motifs très imaginatifs, souvent pittoresques, en général antiquisants, faisant appel au répertoire de la première Renaissance. On observe des personnages légèrement sculptés, Apollon ailé et nu tenant son arc, des putti joueurs, des crânes, des animaux monstrueux… On remarque dans l’exécution des différences de qualité, avec des parties plus frustes, en particulier dans les zones plus discrètes. On peut penser que plusieurs tailleurs de pierre ont œuvré selon des dessins très ambitieux. Notons aussi les armoiries de l'abbaye (l’agneau). "
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