La peinture murale des Prophètes (3ème tiers du XVe siècle) de la nef de la chapelle de Kermaria an Iskuit. Une séquence basée sur les Credo apostoliques et prophétiques ?
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—Voir sur cette chapelle :
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Le porche de la chapelle de Kermaria-an-Iskuit en Plouha I. Les peintures de la voûte (fin XVe).
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L'intérieur du porche (fin XVe) de Kermaria an Iskuit. II. Vierge à l'Enfant, Anges et culots.
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La peinture murale (dernier quart XVe) de la chapelle seigneuriale de Kermaria an Iskuit.
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La cloche de 1638 de la chapelle de Kermaria-an-Iskuit en Plouha et son blason.
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Voir aussi :
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PRÉSENTATION.
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La nef de la chapelle de Kermaria, dans l’espace jadis séparée du chœur par le chancel, est ornée, à six mètres de hauteur, des peintures de la très célèbre Danse macabre, qui court dans une suite de quarante-sept compartiments, où vingt trois vivants, choisis parmi les diverses conditions sociales de l'époque sont entrainés dans la danse par autant de squelettes. Cet espace correspond aux quatre première travées.
Les écoinçons des piliers de ces travées reçoivent, en dessous de la Danse, les peintures de huit personnages debout présentant des phylactères, dans des costumes du XVe siècle (chaussures pointues et robes damassées). Ce cycle peint est vraisemblablement à-peu-près contemporain de la Danse, qu'on estime antérieure à 1485, date de la première version imprimée de la Danse Macabre par Guy Marchand (I. Hans-Collas) et même proche de 1460 (E. Mâle, T. Lévy 2015).
Le fond à quatrefeuilles rouges et de quintefeuilles violettes du registre inférieur se retrouve sur les peintures murales du transept sud, daté du dernier quart du XVe siècle ("vers 1481", T. Lévy et G. Le Louarn-Plessix) : il pourrait avoir été réalisé "plusieurs années, voire quelques décennies" (T. Lévy) après la Danse.
Ce registre inférieur du programme peint de la nef était séparé de la Danse elle-même par un trait assez épais, aujourd'hui non visible.
Les peintures recouvertes par un badigeon furent redécouvertes en 1856. Tout comme la Danse, les huit figures, immédiatement interprêtées comme des Prophètes, ont été relevées par Alexandre Denuelle en 1861 à la demande de la Commission des Monuments Historiques.
Charles de Keranflec’h, en 1857, précisait que « tout l’espace au dessus des arcades est peint en blanc, semé de quatre feuilles rouges et de quinte feuilles violettes. Sur ce fond, se détachent des figures debout […]. Celle en face de la chaire, la seule découverte à cette date est frappante par la pureté du trait et la noblesse de la pose. Sa tunique de pourpre, le riche manteau qui lui couvre les épaules, la couronne qu’elle porte sur la tête, semblable à celle de nos ducs du XVe siècle et la banderole portant une inscription tirée du livre des psaumes identifient le roi David ». [« Dominus dicit ad me : filius hodie genui te : roy David ». ]
Paul de Taillart a dégagé, par la suite, les figures des prophètes Isaïe et Zacharie.
Un dessin de P. Chardin exécuté en 1885 et publié en 1894 présente la vue d’ensemble du collatéral nord avec le lambris peint; on y lit, en outre, sur les écoinçons des grandes arcades nord de la nef des représentations de personnages tenant des phylactères ; l’auteur y a identifié huit prophètes de l’Ancien Testament. Les deux phylactères visibles sur ce dessin conservent encore leur inscription.
La description la plus complète est celle d'O.L. Aubert en 1928 :
"Les deux côtés de la nef, au-dessous de la Danse Macabre, sont décorés, dans l'axe des piliers, de figures de prophètes dont plusieurs sont encore reconnaissables. Ces personnages, au nombre de huit, sont : Daniel, Jérémie, Ézéchias, Amos, Jonas, Zacharie et Isaïe, plus le roi David. Essayons de les décrire successivement, en commençant du côté de l'épître et faisant le tour de la nef jusqu'à sa dernière travée, du côté de l'évangile. [...]
Cette suite de personnages se détache sur un fond jaune clair, semé de quatrefeuilles rouges et de quintefeuilles violettes, qui paraît avoir été adopté pour l'ensemble du monument, car on en trouve partout des traces."
En 2013, G. Le Louarn-Plessix indique que beaucoup d’entre eux aujourd’hui ont disparu et qu'il ne reste rien du roi David, tandis qu'en 2015, T. Lévy indique qu'après la récente restauration, ces figures ont été remis à jour. C'est ce que j'ai pu constater lors de mes visites de 2020 et 2023.
Récapitulatif des personnages identifiés par les auteurs (seuls sont certains David et Isaïe) :
—Au sud : David, Isaïe, Zacharie, [et/ou Habacuc selon Hans-Collas) et ? Jonas selon Aubert
—Au nord : Daniel, Jérémie, Ezéchias, Amos ( selon Aubert).
Récapitulatif des phylactères relevés ou aujourd'hui lisibles de manière fiable:
—Celui du roi David : "Dominus dicit ad me : filius hodie genui te : roy David"
—Celui du prophète Isaïe : "Ecce virgo concipiet et pariet filium Ysaie"
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Récapitulatif de mes propositions :
[1. Jérémie : peinture perdue]
2. David
3. Isaïe.
4. Zacharie.
5. Osée.
6 et 7 : côté ouest, deux fragments
8. ?
9 ?
10. Ezéchiel.
11. ?
[12. Dernier prophète de cette série, peinture perdue.]
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Remarque.
Deux fragments montrent que cette série se poursuivait sur le mur ouest, sous les cinq tableaux de la Danse macabre aujourd'hui très altérés. Ce qui porte à dix le nombre de prophètes. Mais deux autres personnages étaient sans doute (en toute logique) peints au début et à la fin du cycle, juste avant le chancel, ce qui porterait le nombre total à douze personnages : un chiffre important dans la tradition chrétienne.
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I. QUATRE PERSONNAGES DU CÔTÉ SUD. DAVID, ISAÏE, ZACHARIE ET OSÉE.
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1. Premier personnage : le roi David.
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Il occupe tout l'espace de l'écoinçon du troisième pilier, sous l'Empereur et le Cardinal de la Danse macabre. Une zone importante est perdue, mais on distingue bien le visage couronné, et une partie suffisante de l'inscription. En dessous, nous retrouvons sur un placard les couleurs ocre sombre et jaune des vêtements, mais sans que nous puissions intégrer ce motif au personnage. Au pied du roi, un objet jaune quadrangulaire représentait-il une harpe ?
"David est vu de face ; il porte en tête une couronne fleuronnée, et sa longue barbe blanche, taillée en pointe, retombe sur sa poitrine ; il est vêtu d'une robe pourpre doublée de blanc qui laisse voir ses chaussures en poulaine. Un manteau d'une teinte claire couvre ses épaules, et à son côté pend une escarcelle ornée de trois glands. Des deux mains, il tient une banderolle, sur laquelle on lit ce verset du livre des Psaumes, inscrit en caractères gothiques : Dominus dicit ad me : Filius hodie genui te (roy David)." (O.L. Aubert 1928)
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Le roi David présente ici le verset 7 du Psaume 2 : Dominus dixit ad me Filius meus et tu ego hodie genui te : "Le Seigneur m'a dit : tu es mon Fils ; je t'ai engendré aujourd'hui".
Cette inscription se retrouve, comme la suivante, sur la suite de prophètes des lambris peint de Châtelaudren (v.1430-1470). Elle est associée à l'apôtre André dans le Credo prophétique du Psautier de Jean de Berry (1380-1400), sur celui de la verrière de Quemper-Guézennec (1460-1470), ou celui des vitraux de Kergoat en Quéménéven (4ème quart XVe).
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Réflexion.
Nous manque-t-il, sur le demi-écoinçon du quatrième pilier précédant l'ancien chancel, un premier personnage, tout comme il nous manque le premier et le dernier tableau de la Danse Macabre ? Et dans ce cas, ce premier personnage, situé sous le Pape, n'était-il pas Jérémie, associé à saint Pierre dans les Credo apostoliques et prophétiques, avec son verset Patrem invocabitis qui terram..?
Débutons-nous ici une série dans laquelle nous allons retrouver ensuite les autres prophètes de la tradition chrétienne des Credo ?
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2. Le prophète Isaïe.
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Cet écoinçon du deuxième pilier accueille deux personnages, sous le Connétable et l'Évêque. Celui de gauche est Isaïe. On le trouve également, avec ce verset du Livre d'Isaïe 7:14 (très souvent cité comme argument de la virginité de Marie, et de son ascendance royale sur les Arbres de Jessé) sur le lambris de Châtelaudren, et le roi David suivi du prophète Isaïe figurent aussi sur les Credo prophétiques et apostoliques, comme sur la verrière de Quemper-Guezennec datée de 1460-1470 , Il y est associé à Saint Jacques; comme dans le Psautier de Jean de Berry ou sur les vitraux de Kergoat . Ces prophètes de Kermaria an Iskuit, chapelle dédiée à Notre-Dame, réunissent-ils un corpus de citations honorant la Vierge ?
Le bonnet conique est le même que sur l'enluminure d'André Beauneveu pour le Psautier de Jean de Berry. De même, les chaussures y sont tout aussi pointues.
Les traits du visage sont finement conservés. Les sourcils à hachures sont caractéristiques de cet artiste (cf. Zacharie).
Le manteau est damassé d'un motif à rinceaux jaunes.
"Puis vient le prophète Isaïe, coiffé d'un bonnet à l'albanaise de couleur noire. Sa barbe est rousse et taillée court. Sous son manteau blanc, ramagé d'or et doublé de violet, apparaît une tunique lilas qui descend jusqu'à la cheville, dégageant les pieds, dont les chaussures pointues sont d'un gris rougeâtre. L'inscription du phylactère qu'il montre porte ce verset : Ecce Virgo concipiet et pariet filium Ysaïe." (O.L. Aubert 1928)
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3. Un prophète. Zacharie .
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Malgré une certaine difficulté, je retrouve bien sur le phylactère le verset du Livre de Zacharie 12:10 déchiffré par Aubert. Ce verset signifie "Ils tourneront les regards vers moi, celui qu'ils ont percé".
Zacharie, avec ce verset, est figuré sur le lambris de Châtelaudren (mais en cinquième position après Sophonie) , comme il est associé à l'apôtre Jean dans le Psautier de Jean de Berry, en quatrième position .
"Le troisième est Zacharie. Sa barbe est blonde et sa chevelure disparaît sous une coiffe blanche. Il porte une tunique verte, un manteau court d'étoffe pourpre doublé de blanc et des chaussures grises. Sa main gauche tient l'extrémité d'une banderole sur laquelle on lit ce verset : Aspicient omnes ad me quem transfixerunt (Zacharie )." (O.L. Aubert 1928)
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4. Le prophète Osée. Premier pilier.
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Les identifications précédentes nous incitent à attendre ici , en suivant la séquence du Psautier de Jean de Berry, le prophète Osée, et son verset 13, 14 O mors ero mors tua, morsuus tuus ero inferno .
Grâce à cette aide, c'est bien ce que nous déchiffrons sur le phylactère.
Osée et son verset est représenté aussi sur le lambris de Châtelaudren, juste après Zacharie, en sixième position.
Dans les Credo prophétiques, le verset est mis en relation avec le 5ème article du Credo Descendit ad inferna, tertia die ressurexit a mortuis "Il [Jésus] est descendu aux enfers ; le troisième jour il est ressuscité des morts". Ce verset d'Osée est donc considéré comme préfigurant la victoire du Christ sur la mort, après sa descente aux Limbes. On le retrouve ainsi aussi sur l'Arbre de la Croix de Taddeo Gaddi dans le réfectoire du couvent de Santa Croce à Florence.
Psautier de Jean de Berry : folio 15v : Osée 13:14 : O mors ero mors tua morsus tuus ero inferne / Mors tu es trop dure enfer par moy sera mors
Le verset d'Osée est retrouvé dans le Credo de Cambrai, ou dans celui du Baptistère de Sienne, et au total dans treize Credo du XIIe et XIIe siècle selon F. Gay.
Robert Favreau le découvre sur le Vitrail de la Crucifixion de la cathédrale Saint-Étienne deChâlons-en-Champagne, un vitrail datant du 2e quart XIIe siècle, et il en donne le commentaire suivant :
"Osée et le Léviathan O mors, ero morstua,morsustuus ero, inferne » (« Ô mort, je serai ta mort, je serai ta morsure, enfer » [Os 13, 14]). Il faut lire le texte avec le début du même verset : « Je les délivrerai de la main de la mort, je les rachèterai de la mort ». Cette apostrophe à la mort fait partie de la liturgie du samedi saint. On la trouve citée dans nombre d’inscriptions du XIIe au début XIIIe siècle, ambon de Klosterneubourg, calice du Kestner-Museum de Hanovre, tour-reliquaire du Hessisches Landesmuseum de Darmstadt, peintures murales de Saint-Jacques-des-Guérets et de la salle des morts de la cathédrale du Puy, et encore, particulièrement, à la Rotonde et au Calvaire du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Saint Jérôme commente : Le Seigneur a libéré tous les hommes et les a rachetés dans la Passion de la croix et l’effusion de son sang. Quand son âme descendit en enfer et que sa chair ne vit pas la corruption, il dit à la mort et à l’enfer : « je serai ta mort, ô mort. Je suis mort, afin que tu meures en ma mort. Je serai ta morsure, ô enfer, qui dévorais tout dans ta gorge » "(R. Favreau)
Je peux donc corriger la proposition de l'abbé Aubert :
"Le quatrième et dernier du côté de l'épître est moins bien conservé, et sa tête est entièrement effacée. Son vêtement consiste en une tunique pourpre, par-dessus laquelle est drapé un manteau court de couleur blanche, doublé de vert. Il tient de la main droite un phylactère sur lequel on ne distingue plus que ces mots : Omnia... tua ergo in..., puis le nom du personnage, qui semble être Jonas." (O.L. Aubert 1928)
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II. DEUX FRAGMENTS DE PERSONNAGES DU CÔTÉ OUEST, les n° 5 et 6.
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Nous retrouvons sur le mur ouest le fond à fleurettes ocres. Une portion de vêtement ocre foncé (pourpre) est conservée sur le premier, et en outre un visage coiffé d'un bonnet, et un phylactère se reconnaissent sur le deuxième.
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J'en profite pour faire le point de mon enquête. Les quatre premiers personnages, et leurs quatre inscriptions, suivent exactement l'ordre des Credo prophétiques soit du XIVe siècle en France, soit de la deuxième moitié du XVe siècle notamment en Bretagne, sur deux sites éloignés d'une quinzaine de kilomètres de la chapelle de Kermaria an Iskuit, Châtelaudren et Quemper-Guézennec. Cela m'a amené à postuler la présence jadis de Jérémie en tête de série sur une peinture aujourd'hui perdue, et celle également du dernier prophète en fin de série.
Deux personnages nous manquent ici sur ce côté ouest. Ce serait, dans le même ordre, Michée (Invocabunt omnes nomen domini et servient ei) et Joël (Effundam de spirituo meo super omnem carnem) Il serait donc logique de trouver sur le côté nord de la nef, selon cette hypothèse d'un Credo, si nous suivons le Psautier de Jean de Berry, les prophètes n° 8 à 12 soit Malachie, Amos, Daniel, Ezéchiel et Malachie . Ou, selon l'ordre de Châtelaudren, Joël et Michée, Ezéchiel et Daniel. Hélas, les déterminations vont se heurter à la perte des peintures des textes des phylactères.
-n°8 du Psautier Malachie 3:5 : Accedam contra vos in judicio et ero testis velox
-n°9 du Psautier Amos 9:6: Ipse est qui aedificat [in cœlo] ascensionem suam (« […] celui qui dresse son escalier dans le ciel […] »).
-n°10 du Psautier :Daniel 12:2 Evigilabunt ad vitam, alii ad mortem.
-n°11 du Psautier : Ezéchiel 37:12 Educam vos de sepulchris tuis, popule meus (« Je vous ferai sortir de vos sépulcres »). Avant-dernier prophète du Psautier de Jean de Berry.
-n°12 du Psautier :Malachie (attribué aussi à Michée 7:19) : Deponet Dominus omnes iniquitates nostras (« Le Seigneur piétinera nos péchés »), dernier prophète du Psautier de Jean de Berry.
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III. QUATRE PERSONNAGES DU CÔTÉ NORD.
Daniel, Jérémie, Ezéchias, Amos ? (Aubert) ou Sophonie et Ezéchiel.
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Nous trouvons d'abord (en poursuivant notre visite dans le sens horaire adopté) un personnage seul sur l'écoinçon du premier pilier, puis deux personnages pour le deuxième pilier, puis un seul pour le troisième, selon une répartition symétrique au côté sud.
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7. Un prophète. [ Malachie ? ]
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"Le cinquième et premier du côté de l'évangile est un vieillard à longue barbe blanche, portant sur la tête une coiffe noire et par-dessus un chapeau à bords épais et arrondis. Son manteau blanc brodé d'or laisse voir une robe pourpre, et ses deux mains déroulent une banderole dont l'inscription a complètement disparu." (O.L. Aubert 1928)
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8. Un prophète. Amos ? Non, Sophonie.
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L'inscription ne comporte que des voyelles éparpillées mais la signature semble univoque : SOPHONIA
À Quemper-Guézennec, Sophonie est en neuvième place, associé à Jacques le Mineur, et son phylactère indique Sophonie 2:15 haec est civitas gloriosa habitans "Voilà donc cette ville joyeuse"
Dans la Lex Amoris de Fra Angelico, ou dans le Verger de Soulas BnF 9220 f.13v de la fin du XIIIe siècle, ou dans les Grandes Heures du duc de Berry BnF latin 919 f.4r, Sophonie occupe le septième rang avec le verset Accedam contra vos in judicio et ero testis velox, qui est en réalité de Malachie Ma 3,5. Il est alors associé à l'apôtre Philippe.
"Le visage du sixième est effacé. Son costume se compose d'une tunique blanche recouverte d'un manteau sombre doublé de blanc. On ne distingue plus rien de l'inscription qui l'accompagnait."(O.L. Aubert 1928)
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9. Un prophète. Ézéchiel.
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Ezéchiel est en onzième position à Châtelaudren, tout comme sur le psautier de Jean de Berry ou les Grandes Heures du duc de Berry. Rappelons qu'ici ce neuvième personnage serait en dizième position si en suppose l'absence (la perte) de Jérémie au début.
Ézéchiel 37,12 : Educam te de sepulcris tuis popule meus "Je te ferai sortir de tes sépulcres, ô mon peuple".
Mais la Vulgate dit plutôt Educam vos de sepulcris tuis populus meus.
Or, les seuls mots que l'abbé Aubert a déchiffré sont "....vos.... populo...". Je déchiffre pour ma part le dernier mot, "meus".
Cette coïncidence du texte, m'incitent à affirmer qu'il s'agit ici d'Ézéchiel, malgré le décalage de place.
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"De même que le précédent, le septième prophète n'a plus de traits. Un manteau blanc doublé de vert recouvre sa tunique violette. On ne voit plus de l'inscription que ces deux mots : Vos... populo..." (O.L. Aubert 1928)
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10. Le dernier prophète de cette série.
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Je rappelle encore que ce dizième personnage serait le onzième si on postule la perte de Jérémie, et l'avant-dernier si on postule encore la perte d'un ultime prophète.
On attendrait ici Ezéchiel.
L'inscription n'est pas totalement effacée, la première lettre est encore visible, et on lit en milieu le mot latin ad.
Cela pourrait correspondre à Daniel 12:2 Evigilabunt ad vitam, alii ad mortem. Mais Daniel est le dizième prophète du Psautier de Jean de Berry., et le douzième des Grandes Heures du duc de Berry...
"Le huitième porte une barbe longue et coupée carrément. Sa robe brune est recouverte d'une sorte de houppelande d'étoffe blanche semée de ramages de couleur pourpre, comme la doublure de ses larges manches ; sur la tête, une coiffe brune nouée sous le menton. Des deux mains, il tient une banderole déroulée dont l'inscription est indéchiffrable." (O.L. Aubert 1928)
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CONCLUSION.
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Malgré l'altération des peintures et surtout l'effacement d'une grande part des inscriptions des phylactères, les quatre premiers personnages de cette série de prophètes peuvent être identifiés. Or, leur succession répond à l'ordre établi dans les Credo apostoliques et prophétiques. De même, le choix des versets de chaque prophète correspond également à celui de ces Credo, très en vogue au XIVe et au XVe siècle soit dans les peintures monumentales, soit sur les enluminures des livres de dévotion de la noblesse, soit même sur les verrières des chapelles et églises.
Le principe est d'associer à chacun des douze articles du Credo un des douze apôtres, et un des grands prophètes bibliques (Isaïe, Jérémie Ezéchiel et Daniel) ou l'un des douze petits prophètes, avec un verset tiré de leurs Livres, et s'appliquant judicieusement à l'article du Credo.
Ainsi par exemple le premier article Credo in Deum, Patrem omnipotentem, creatorem caeli et terrae est confié à saint Pierre, et associé au verset de Jérémie (pseudo-Jérémie) : Patrem invocavit qui terram fecit.
Le deuxième article Et in Iesum Christum Filium eius unicum , Dominum nostrum est confié à André et associé au verset 7 du psaume 2 du roi David Domine dixit ad me : Filius meus es tu ego hodie genui te. (David qui n'est pas prophète, mais roi, est ici l'exception qui confirme la règle ; on le tenait comme l'auteur des Psaumes.)
Néanmoins, si l'ordre des articles du Credo est immuable, leur couplage avec un des douze apôtres n'est pas si absolu qu'on pourrait s'y attendre, et, de même, l'association avec un prophète et son verset connaît de nombreuses variantes, surtout à partir du cinquième article.
Cette variation, et donc l'absence d'un canon absolu de référence, rend difficile l'acquisition d'une certitude pour défendre l'hypothèse que les prophètes de la chapelle de Kermaria an Iskuit obéissent, par le choix des prophètes et le choix des versets, à la séquence en vigueur dans ces Credo prophétiques.
Par ailleurs, l'association d'une Danse macabre, et des figures des Prophètes n'est pas propre à Kermaria an Iskuit, et se retrouvait aussi, selon I. Hans-Collas sur les murs de l'église des Dominicains de Strasbourg, à peu-près à la même période:
"Trois décennies plus tard fut réalisée la Danse macabre aux dominicains de Strasbourg. Le contrat, en latin et en allemand, daté du 11 octobre 1474, livre tous les détails de cette commande initiée par le prieur dominicain Johannes Wolfhart et confiée au peintre Lienhart Hoischer. Le peintre est payé pour réaliser une Danse macabre – den doten dantz mit sinen figuren die dartzu gehörent –, un Jugement dernier, dix prophètes avec leurs versets (mit ihren sprüchen). Il reçoit 80 florins (gulden), une somme importante. Le contrat indique que des couleurs à l’huile doivent être employées ainsi que de l’or et de l’argent. L’œuvre fut donc d’un très grand raffinement. Les figures ont été peintes à hauteur d’homme et étaient de grandeur nature.Cet ensemble, qui avait disparu sous un badigeon, a été redécouvert en 1824 par l’architecte August Arnold. Il en fit des relevés avant que ce décor disparaisse à nouveau sous un badigeon, puis dans les décombres de l’église vers 1870.Le vaste édifice avait accueilli le cycle qui s’étendait sur deux murs (ouest et nord). Une nouvelle fois la Danse macabre commence par l’image du prédicateur. Dans sa chaire, il s’adresse à un groupe d’hommes et de femmes – religieux et laïcs – qui l’écoutent attentivement avant que les morts ne viennent emmener les vivants, non pas chacun individuellement, mais par groupes de personnages, ce qui fait la particularité de la Danse macabre de Strasbourg. L’insertion dans un programme qui comprend le Jugement dernier, une allusion aux fins dernières directement liée au thème macabre, est intéressante, de même que la présence des prophètes dans les écoinçons
Relevés publiés par plusieurs auteurs, en particulier par F.W. Edel, Die Neue Kirche in Straßburg. Nachrichten von ihrer Entstehung, ihren Schicksalen und Merkwürdigkeiten, Strasbourg, 1825, p. 55–63. Les relevés originaux n’ont pas pu être localisés. Les photos anciennes de l’église en ruine montrent, notamment sur le mur occidental, des vestiges de la Danse macabre.
Les vues de l’église en ruines montrent des arcades dont les retombées ont pu accueillir ces figures de prophètes. Par ailleurs Edel indique que la taille des prophètes était de moitié plus réduite que les figures de la Danse macabre. Ibid., p. 62.
Le programme peint incluant les prophètes semble significatif. Les sermons sur la mort prononcés par des religieux sont attestés pour le xve siècle, comme le De morte de Bernardin de Sienne ou les propos du frère augustin Simon Cupersi de Bayeux qui évoquent certains textes des prophètes comme Isaïe 40 ou Jérémie 22 ou l’histoire de Job [H. Martin, "Deux prédicateurs du xve siècle parlent de la mort, La mort au Moyen Âge". Colloque de l’association des historiens médiévistes français réunis à Strasbourg en juin 1975 au Palais universitaire, Strasbourg, 1977, p. 103–124. ]"
Sur le thème du Credo apostolique, voir :
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Vierge allaitante II : Chapelle Notre-Dame de Kergoat, Quéméneven: I. les vitraux.
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Le vitrail du Credo apostolique de la cathédrale du Mans, ou baie 217 du transept nord. I. Les lancettes : Credo apostolique et donateurs. entre 1430 et 1435.
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Le Credo prophétique et apostolique et l a maîtresse-vitre de l'église de Quemper-Guezennec (22). entre 1460 et 1470
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N.B On remarquera que les douze apôtres du porche ne portent pas les plylactères qui attesteraient qu'ils forment un Credo apostolique.
Bref, ce serait ici, comme à Châtelaudren, "un Credo sans Credo".
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SOURCES ET LIENS.
— AUBERT (Octave Louis), [1928] , La chapelle de Kermaria-Nisquit, édition de la Bretagne touristique, 16 pages.
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/3460
http://www.infobretagne.com/plouha-kermaria-an-iskuit.htm
—BÉGULE (Lucien), 1909, La chapelle Kermaria-Nisquit et sa Danse des morts, H. Champion, Paris, 1909, 52 p.
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1909_num_73_1_11490_t1_0180_0000_2
https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1908_num_24_3_4152_t1_0413_0000_2
— CHARDIN (Paul), 1894, La chapelle de Kermaria-Nisqit en Plouha, Revue archéologique 1, pages 246-259
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203636c/f249.item
— CHARDIN (Paul), 1885, Recueil de peintures, Bulmo
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1885_num_51_1_10552
— CHARDIN (Paul), 1886, La chapelle de Kermaria Niquit mémoires de la société nationale des antiquaires de France 1886 t. 46
—COUFFON, René. Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier. Saint-Brieuc : Les Presses Bretonnes, 1939. p. 374-375
—COUFFON, René. Quelques notes sur Plouha. Saint-Brieuc : Francisque Guyon éditeur, 1929. p. 27-35
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3346690r
— CRITCHLEY (David J.) Prophets, Apostles, and Saints in the side windows of Winchester College Chapel
https://www.vidimus.org/issues/issue-141/features/winchester-college-chapel/
—CRITCHLEY (David J.) 2023, The Apostle's creed and the north crawley rood screen, Records of the Buckhinhamshire vol.63
https://bas1.org.uk/publications-2/records-of-bucks/
—GAY (Françoise), 2019, épigraphie des inscriptions présentées par les Prophètes.
https://in-scription.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=316
https://in-scription.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=299
— HANS-COLLAS (Ilona), 2021,
Interactions entre textes et images. Les Danses macabres peintes dans les églises en France aux xve–xvie siècles Dans Le Moyen Age 2021/1 (Tome CXXVII), pages 81 à 104
https://www.cairn.info/revue-le-moyen-age-2021-1-page-81.htm#no42
"Trois décennies plus tard fut réalisée la Danse macabre aux dominicains de Strasbourg. Le contrat, en latin et en allemand, daté du 11 octobre 1474, livre tous les détails de cette commande initiée par le prieur dominicain Johannes Wolfhart et confiée au peintre Lienhart Hoischer .Le peintre est payé pour réaliser une Danse macabre – den doten dantz mit sinen figuren die dartzu gehörent –, un Jugement dernier, dix prophètes avec leurs versets (mit ihren sprüchen). Il reçoit 80 florins (gulden), une somme importante. Le contrat indique que des couleurs à l’huile doivent être employées ainsi que de l’or et de l’argent. L’œuvre fut donc d’un très grand raffinement. Les figures ont été peintes à hauteur d’homme et étaient de grandeur nature.Cet ensemble, qui avait disparu sous un badigeon, a été redécouvert en 1824 par l’architecte August Arnold. Il en fit des relevés (*) avant que ce décor disparaisse à nouveau sous un badigeon, puis dans les décombres de l’église vers 1870. Le vaste édifice avait accueilli le cycle qui s’étendait sur deux murs (ouest et nord). Une nouvelle fois la Danse macabre commence par l’image du prédicateur. Dans sa chaire, il s’adresse à un groupe d’hommes et de femmes – religieux et laïcs – qui l’écoutent attentivement avant que les morts ne viennent emmener les vivants, non pas chacun individuellement, mais par groupes de personnages, ce qui fait la particularité de la Danse macabre de Strasbourg.
L’insertion dans un programme qui comprend le Jugement dernier, une allusion aux fins dernières directement liée au thème macabre, est intéressante, de même que la présence des prophètes dans les écoinçons
(*)Relevés publiés par plusieurs auteurs, en particulier par F.W. Edel, Die Neue Kirche in Straßburg. Nachrichten von ihrer Entstehung, ihren Schicksalen und Merkwürdigkeiten, Strasbourg, 1825, p. 55–63. Les relevés originaux n’ont pas pu être localisés. Les photos anciennes de l’église en ruine montrent, notamment sur le mur occidental, des vestiges de la Danse macabre. Les vues de l’église en ruines montrent des arcades dont les retombées ont pu accueillir ces figures de prophètes. Par ailleurs Edel indique que la taille des prophètes était de moitié plus réduite que les figures de la Danse macabre. .
Le programme peint incluant les prophètes semble significatif. Les sermons sur la mort prononcés par des religieux sont attestés pour le xve siècle, comme le De morte de Bernardin de Sienne ou les propos du frère augustin Simon Cupersi de Bayeux qui évoquent certains textes des prophètes comme Isaïe 40 ou Jérémie 22 ou l’histoire de Job [H. Martin, Deux prédicateurs du xve siècle parlent de la mort, La mort au Moyen Âge. Colloque de l’association des historiens médiévistes français réunis à Strasbourg en juin 1975 au Palais universitaire, Strasbourg, 1977, p. 103–124. ]
—LE LOUARN-PLESSIX (Geneviève ) , 2013, Plouha, Chapelle de Kermaria an Iskuit Mémoires SHAB
https://m.shabretagne.com/scripts/files/5f464c1e917b93.94134739/2013_50.pdf
https://docplayer.fr/108538314-Plouha-chapelle-de-kermaria-an-iskuit.html
"Le dessin de P. Chardin exécuté en 1885 présente la vue d’ensemble du collatéral nord avec le lambris peint; on y lit, en outre, sur les écoinçons des grandes arcades nord de la nef des représentations de personnages tenant des phylactères ; l’auteur y a identifié huit prophètes de l’Ancien Testament. Beaucoup d’entre eux aujourd’hui ont disparu.
Ch. de Keranflec’h, en 1857, précisait que « tout l’espace au dessus des arcades est peint en blanc, semé de quatre feuilles rouges et de quinte feuilles violettes. Sur ce fond, se détachent des figures debout […]. Celle en face de la chaire, la seule découverte à cette date est [frappante] par la pureté du trait et la noblesse de la pose. Sa tunique de pourpre, le riche manteau qui lui couvre les épaules, la couronne qu’elle porte sur la tête, semblable à celle de nos ducs du XVe siècle et la banderole portant une inscription tirée du livre des psaumes identifient le roi David ». [« Dominus dicit ad me : filius hodie genui te : roy David ». ] Paul de Taillart a dégagé, par la suite, les figures des prophètes Isaïe et Zacharie."
« Selon le dessin de P. Chardin, et la description de Ch. de Keranflec’h, le mur en dessous de la dance, était peint de fleurettes rouges et de quintefeuilles vertes et les écoinçons ornés de représentations des prophètes. En 1872, sept étaient visibles accompagnés du roi David. Aujourd’hui, on distingue à peine Isaïe (phylactère devant, bonnet noir : Ecce Virgo) et Zacharie (phylactère dans main gauche et bonnet) ; le roi David, décrit avec tant de précision en 1857 a disparu. Chardin a proposé au sud : roi David, Isaïe et Zacharie ; au nord : Daniel, Jérémie, Ezéchias, Amos et Jonas. » (Geneviève Le Louarn-Plessix)
—LÉVY (Tania), 2015, « La chapelle Kermaria-an-Isquist. Les peintures murales », Congrès archéologique de France. 173e session. Monuments des Côtes-d'Armor. « Le Beau Moyen Âge ». 2015, Société française d'archéologie, pp. 303-311 (ISBN 978-2-901837-70-1).
— PICHOURON ( Patrick) - L'HARIDON ( Erwana) 2005, La chapelle de Kermaria-an-Isquit Inventaire général ; Dossier IA22005349
"La chapelle Kermaria-an-Isquit a été fondée au cours de la 1ère moitié du 13ème siècle par Henry d'Avaugour, comte de Goëlo. Elle a été agrandie au 15ème siècle..."
https://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/la-chapelle-de-kermaria-an-isquit-plouha/b4cbaf07-cdea-4601-a286-377b8f21585f
— THIBOUT (Marc), 1949, « La chapelle de Kermaria-Nisquit et ses peintures murales », Congrès archéologique de France. 107e session. Saint-Brieuc. 1949, Société française d'archéologie, 1950, p. 70-81.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32118665/f72.item
— MÂLE (Emile)
https://patrimoine.amis-st-jacques.org/documents/000135_e_male_credo_des_apotres_2.pdf