Le cloître du couvent des Clarisses de Santa-Chiara (fondé en 1310 par la reine Sancia, épouse du roi Robert de Naples) est orné de fresques, qui ont été peu étudiées (du moins dans les sources disponibles en ligne). Elles remplaceraient, dans la première moitié du XVIIe siècle, celles du XIVe siècle, détruites des le XVIe, de Giotto. Elles sont attribuées à un artiste appartenant probablement à l'école de Belisario Corenzio. La première moitié du mur à droite de l'entrée en est dépourvue, car elles ont été détruites par le bombardement du 4 août 1943.
La meilleure source de renseignements et d'images me vient de ce site :
https://www.monasterodisantachiara.it/fr/chiostro-di-s-chiara/
https://www.monasterodisantachiara.it/gli-affreschi/
Amputée par le percement d'une porte, on voit une Vierge à l'Enfant entourée de saint André et de saint Jacques.
Sur les autres murs, ces fresques sont consacrées, nous dit-on, à des scènes de l'Ancien Testament (mais je crois reconnaître le Massacre des Innocents présentés à Hérode), mais sur le troisième mur, le récit biblique s'interrompt pour laisser place à un double registre figuratif : le registre inférieur présente différents saints, dont saint François prêchant au loup, et saint Onuphre l'anachorète ( sant Onofrio). Au registre supérieur se trouvent des vertus théologales (je déchiffre au dessus de saint François Sincerita, et au dessus d'Onuphre Iustizia).
Parvenus à l'extrémité de ce mur sud-est, nous trouvons la scène de la Conversion de saint Paul, sous les figures de Saint Michel (S. MICHELIS) terrassant un dragon ailé, et d'un personnage singulier désigné par l'inscription SILENZIO. C'est cet ensemble qui a retenu mon attention.
Fresque de la Conversion de Paul au couvent de Santa-Chiara à Naples. Photographie lavieb-aile 2024.
Fresque de la Conversion de Paul au couvent de Santa-Chiara à Naples. Photographie lavieb-aile 2024.
La fresque de la Conversion de saint Paul est amputée d'un bon quart, mais on reconnaît facilement saint Paul, tombant de son cheval parmi d'autres cavaliers romains effrayés, et, dans les nuées, le Christ tendant la main vers le futur apôtre et lui adressant la phrase fameuse SAVLE, SAVLE, QVID ME PERSEQVERIS ? (Actes 9:5), "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?".
L'inscription est écrite non seulement de façon rétrograde de droite à gauche (ce qui est assez logique pour rendre l'effet qu'elle est énoncée par le Christ et qu'elle descend vers Paul), mais aussi, de façon spéculaire, comme l'écriture "secrète" de Léonard de Vinci. Elle n'est pas directement lisible, il faut la déchiffrer, elle n'est accessible qu'aux initiés (même si l'épreuve n'est pas bien difficile, même sans miroir).
Fresque de la Conversion de Paul au couvent de Santa-Chiara à Naples. Photographie lavieb-aile 2024.
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Le registre supérieur est-il indépendant ? Il ne poursuit pas en tout cas la série des Vertus isolées, puisqu'il associe à Saint Michel, figure du combat du Bien contre le Mal ou de Dieu contre Satan, et Silenzio.
Ce dernier est singulier. Il est jeune, il est légèrement vêtu d'une tunique laissant ses jambes et ses bras nus, il est coiffé d'un chapeau en cloche, qui peut difficilement passer pour un casque. Il pose son index sur sa bouche, avec un air sentencieux, et c'est cela qui, ajouté à l'inscription de son nom, le fait figurer en illustration de l'article "Silence" de Wikipédia.
On notera qu'il reprend la posture d'Harpocrate, figure héllénisé du dieu égyption Horus enfant, fils d'Isis et Osiris, et que cette posture invite moins au silence qu'à la compréhension des mystères, au déchiffrement des secrets.
Mais deux autres détails (qui n'en sont pas) éloignent cette figure d'une simple allégorie du Silence.
D'une part, les deux yeux peints sur ses épaules. Peut-on les considérer comme une incitation à la clairvoyance ?
D'autre part, les yeux baissés, et le bras gauche tendu vers le bas. Silenzio semble bien désigner du regard et de l'index la Conversion de saint Paul.
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Fresque de la Conversion de Paul au couvent de Santa-Chiara à Naples. Photographie lavieb-aile 2024.
Fresque de la Conversion de Paul au couvent de Santa-Chiara à Naples. Photographie lavieb-aile 2024.
Ma réflexion est que ce Silenzio, tel qu'il est retrouvé en ligne sur Alamy et dont la photo illustre divers articles sur Wikipédia avec la légende Il Silenzio, ou Alégoria del Silenzio, ne doit pas être réduit, malgré l'inscription, à cette allégorie, car c'est aussi une allégorie de la clairvoyance (voire du déchiffrement de sens cachés), et ne doit pas être séparé de son contexte qui le relie à saint Michel luttant contre le Mal, et surtout à saint Paul accédant, par une fulguration, à la conversion au christianisme.
La suite du texte des Actes des Apôtres est la suivante :
7 Les hommes qui l'accompagnaient demeurèrent stupéfaits; ils entendaient bien la voix, mais ils ne voyaient personne. 8 Saul se releva de terre, et, quoique ses yeux fussent ouverts, il ne voyait rien; on le prit par la main, et on le conduisit à Damas.
Elle décrit d'une part la stupéfaction des soldats romains, qui entendent, mais ne voient pas, et de Saul/Paul, qui ne voit rien, jusqu'à l'intervention par imposition des mains d'Ananias, à Damas, dont Saul a été averti par une vision :
"Au même instant, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue. Il se leva, et fut baptisé"
Autrement dit, c'est la vue, et non l'audition ou la parole, qui est au centre de ce récit , d'abord occultée, puis miraculeusement rendue. C'est la clairvoyance, la vision intérieure (au delà du trouble, ou des apparences) qui est primordiale, ce sont les deux yeux supplémentaires de Silenzio qui donnent la clef de la Conversion.
Existe-t-il un lien entre cette fresque et la mystique franciscaine, notamment dans son interprétation du chemin de Damas ? Je l'ignore, mes recherches sur ce point étant restées vaines.
Peut-on retrouver, dans l'iconographie du Silence, des figures comparables, au XVIIe siècle ou auparavant? Je l'ignore également.