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27 décembre 2024 5 27 /12 /décembre /2024 22:22

Gardez-vous de trop garruler ! Des dangers de la garrulité. Nimia garrulitatis, La nef des Folz du monde chapitre XIX. 

 

PRÉSENTATION.

C'est bizarre de se trouver accroché, face à une image, par un mot qu'on ne connaît pas, et ce qui est surtout bizarre, c'est l'attirance qu'il exerce sur vous, force magnétique d'un mot-aimant vous incitant à en rechercher la traduction depuis le latin, puis sa signification en français, jusqu'à en être troublé [oui, il existe vraiment dans les dictionnaires !] comme face à un visage du passé familial venant réveiller une mémoire d'autant plus effacée qu'elle n'a, en fait, jamais été acquise. Était-elle enfouie dans une crypte, dormait-elle en l'attente de ma visite?

C'et encore plus bizarre de publier un article sur cette attirance, toute personnelle : trouverais-je, au monde, un seul vivant qui partagerai avec moi cet attrait pour ce verbe, "garruler"?

Car je m'intéresse aux folios 16r et 16v, soit le 19ème des 113 chapitres de la Nef des Folz (1497), et dans ces folios, au verbe français "garruler"  ou au nom "garruleux", ou au nom latin "garrulitate", qui y figurent. Mots qui vont m'attirer vers un monde insoupçonné.

« La Nef des folz du monde » de 1497  est une traduction en prose libre du  Stultifera navis  de Jakob Locher, qui est elle-même une traduction en latin de la Narrenschiff (Nef des Fous) écrit en allemand par le strasbourgeois  Sebastian Brant et publiée à Bâle en 1494. En 1497 également, Pierre Rivière en proposa une version en rimes françaises. Et, toujours en 1497, Antoine Vérard en enlumina richement un exemplaire pour le roi Charles VII. C'est cet exemplaire que j'ai d'abord consulté :  BnF Réserve des livres rares, VELINS-607,  Paris : [André Bocard] pour « Jehan Philippes Manstener » en « décembre 1497 » [en nouvelle datation entre le 8 mars et le 15 avril 1498].

Ce poème satirique et didactique passe en revue, en 112 chapitres de 6684 vers octosyllabiques, toutes les variétés de fous que charrie le monde des humains, en les entassant dans un navire en route vers la "Narragonie".

On commence très fort pour la découverte des mots qui m'attirent, car le titre du chapitre 19, sous l'enluminure, est : De nimia garrulitate (littéralement :  "Du garrulement excessif"), traduit sur la même page par "De trop parler".

La forme latine garrulitate.

En effet, en latin, garrulitas, atis, féminin, désigne selon Gaffiot "le caquetage de la pie" dans les Métamorphoses d'Ovide, même si Pline l'attribue à la corneille. Suetone l'utilise pour qualifier le babillage des enfants, et Quintillien, le caquet des humains. C'est cette polysémie "cri de la pie"/"babil et caquet des humains" qui est la clef de la compréhension de l'image, rapprochant le bavardage du Fou du garrulement de la pie, qui, par son cri, indique aux passants l'emplacement de son nid et met en danger ses petits.

Plutarque a consacré le 35ème de ses traitès de morale (Moralia) au bavardage, sous le titre De garrulitate. Il attribue ce défaut à l'existence d'oreilles insensées et sourdes "car les bavards n'écoutent pas, et parlent toujours". Ses oreilles ne communiquent par avec l'âme, mais avec la langue, comme deux vases vides. Et le bavardage, ou loquacité, ne qualifie pas ici l'action de parler longuement ou pour ne rien dire, mais celle de parler imprudemment, de ne pas savoir tenir sa langue, de révéler des secrets. C'est une intempérance (un hubris?) comparable à l'ivresse.

Garrulitas vient de garrio, is, ivi, "gazouiller" -en parlant des oiseaux. Mais garritor, oris désigne le bavard, garritus, us, le bavardage (comme garrulatio, onis).

Wiktionnaire relie garrio à  l’indo-européen commun *ger (« appeler, crier ») dont est issu le breton ger, le gallois gair (« mot »), l’anglais care (« attention »).

Ses dérivés sont adgarrio (« dire des sornettes à »), circumgarriens (« qui bavarde autour »), congarrio (« redire souvent, radoter »), garritor (« bavard »), garritŭs (« gazouillement ; bavardage, babil »), garrulans (« qui conte, qui débite »), garrulātio (« bavardage »), garrulē (« à la manière d'un bavard. »), garrulitās (« gazouillement, caquetage, bavardage, loquacité, babil, caquet »), garrulus (« qui gazouille, qui fait du bruit, bruyant, bavard, babillard, loquace, verbeux ») et intergarritus (« chuchoté dans l'intervalle »).

Saint Jérôme écrivait dans son  Apologie contre Rufin 3,39 hirundinem in domo non suscipiendam, id est garrulos et verbosos homines sub eodem tecto non habendos. " Il ne faut pas accueillir une hirondelle dans la maison, cette expression veut dire  qu'il ne faut pas garder sous le même toit des personnes bavardes et bavardes." Car c'est souvent l'hirondelle qui garrule, pour les auteurs latins, depuis les Géorgiques de Virgile ,4,307 ante garrula quam tignis nidum suspendat hirundo.

Dans l'édition originale de 1494, en allemand, le titre est : Von vil schwetzen, du verbe actuel schwätzen, "bavarder, babiller". La gravure sur bois, par Dürer, au folio 25v, est comparable aux illustrations des traductions latine et française.

Sebastian Brant, Das Narrenschiff , 1494, f.25v

 

La traduction française.

Nimia garrulitatis est traduit par "de trop parler", mais on lit dès les premiers vers du texte le verbe "garruler" et le nom français de "garruleux" :

" Qui sait réfréner sa langue, et l'empêcher de trop parler, ne se voit pas conduit au mal par la tristesse, qu'il faut craindre. Mais celui qui parle trop se déshonore comme le fait la pie, qu'on repère de trop garruler.

Un garruleux et parlant trop, qui parle en tout temps vainement, que ne vient-il pas à la Nef des Fous? Venez-y donc et que la voile vole!" (adaptation très personnelle du moyen-français dont l'original est donné infra).

La nef des Folz du Monde BnF Res VELINS-607 f. 16r.

Au folio 16v, je vois un fou, en costume typique, avec sa cagoule à oreilles d'âne, crête de coq crénelée et grelots, avec sa tunique aux manches exagérées alourdies par deux grelots, sa marotte qui le singe, ses chausses rouges et son aumônière. Ce fou lève les yeux vers le sommet d'un arbre où un nid contient quatre oisillons de pie. De l'autre côté du tronc, la pie, en position spéculaire par rapport au fou, ouvre le bec : elle garrule.

On remarque que la langue du fou a été effacée (il n'en reste qu'une trace rose), mais elle est présente dans tous les autres exemplaires :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k858429c/f47.item

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859087q/f49.item

https://digital.onb.ac.at/RepViewer/viewer.faces?doc=DTL_5429353&order=1&view=SINGLE

Par contre, la langue de la marotte est bien tirée ; elle "garrule" aussi!

 

Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, VELINS-607 f.16r.

Il faut consulter l'exemplaire de Dresde pour disposer d'une illustration en couleur où la langue du Fou est correctement visible. Dans cette peinture de moins bonne qualité (une copie de l'exemplaire de Vérard?) la pie et ses petits ne sont pas noir-et-blanc. Par contre, le bonnet du Fou est, lui, mi-partie, jaune et bleu, et cette partition est un élément traditionnel important de la représentation de la Folie, témoignant du caractère hétérogène (divisée, schizophrène?) de la psyché de l'aliéné.

 

La nef des folz du monde - Ink.4114.2 Dresde, Bibliothèque d'État de Saxe - Bibliothèque d'État et universitaire, Ink.4114(2) page [51]-16

 

Le verbe garruler et ses dérivés.

Selon le CNRTL:

Garruler. [En parlant du geai] Crier. "Le merle siffle, le geai garrule, la pie glapit, le corbeau croasse, le pigeon roucoule, la poule glousse" (Hugo, Rhin,1842, p. 189). − Au fig. Bavarder, caqueter. (Dict. xixe et xxes.).

REM. 1. Garrulant, -ante, part. prés. adj.Qui garrule. Ce sont (...) des oiseaux garrulants qui s'envolent troublés (Banville, Cariat.,1842, p. 40).

2.Garrulement, subst. masculin.Cri du geai. "Les nombreux oiseaux que l'on rencontre ici n'ont que des sifflements, roucoulements, cris, garrulements, mais toujours très courts et stéréotypés" (Gide, Journal,1938, p. 1302).

3.Garrulité, subst. fém.

a) [En parlant d'un oiseau] Cri. "Rien n'était si charmant que cette solitude, Que ces milliers d'oiseaux et leur garrulité" (A. Pommier, Océanides,1839, p. 107).

b) Au fig. [En parlant d'une pers.] Bavardage immodéré. On pourrait bien me reprocher encore que je laisse quelquefois trop courir ma plume, et que, quand je conte, je tombe un peu dans la garrulité (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 23).

Étymolologie et Histoire :

1. Ca 1240 garruler « (d'oiseaux) gazouiller » (St François, 2199 ds T.-L.); 

2. xves. garruller (Pierre de Hautefeuille, Amant Trespassé, CCXLIX ds Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique, éd. E. Droz et A. Piaget). Empr. au b. lat.garulare « débiter des inepties », du lat. class. garrulus « qui parle beaucoup; qui gazouille (d'un oiseau) », dér. de garrire « babiller; gazouiller »; cf. DEAF g 3, 344.

 

Recherchant ce que dit le dictionnaire Robert de "garruler" , j'ai la bonne surprise de le trouver cité en ligne dans une "top-liste de 10 mots étonnants du Grand Robert", témoins de sa richesse lexicale. Ah, comment désigne-t-on l'émotion ressentie à savoir qu'un bonheur d'érudition est   partagé par autrui ?

Garrulité : "Les mots rares employés par les plus grands auteurs sont le reflet de leur culture et de leur sensibilité. « Tu railles ma garrulité peut-être à tort », écrivit Verlaine dans ses Élégies (1893). Désignant l’envie constante de bavarder, garrulité est un synonyme rare de loquacité. Attesté en 1477, il est emprunté au latin garrulitas, de garrire « gazouiller ; bavarder ». Deux autres mots complètent la famille : l’adjectif garruleux « bavard » et le verbe garruler « gazouiller », apparu au XVe siècle et repris au XIXe siècle au sens de « bavarder »… également par Verlaine, qui semblait particulièrement sensible à l’expressivité de cette famille lexicale !"

Par contre, Alain Rey ne fait pas rentrer garruler ou garrulité dans son Dictionnaire Historique de la Langue Française.

Godefroy, dans son Dictionnaire,  en atteste la forme avec un ou deux -r- : "Ne parmetz point en ta maison garruler l'arondelle." Il relève la tradition par laquelle la pie harcelait les autres oiseaux de son cri et les chassait de son territoire : "Les oiseaux pour la noise de la pie s'en vont nicher ailleurs que aux pieds d'elle, qui par son aigre garrulement se fait fuir", écrit Deguileville vers 1331 dans son Pèlerinage de vie humaine dans le manuscrit Arsenal 2323 folio 84v. (Mais voir Matsumura

Alexandre Nequam  définit ainsi la Pie dans son  Natura rerum : « Pica loquax, garrulae representarix jactantiae ».

 En 1839, A. Pommier trouvait que rien n'était si charmant "que ces milliers d'oiseaux et leur garrulité".

Théodore de Banville parlait dans La Voie Lactée de 1843  d' "oiseaux garrulants qui s'envolent troublés". André Gide avait adopté le terme, et mentionnait "l'étrange descente chromatique du garrulement prolongé du geai" ou notait dans son Journal "Les nombreux oiseaux que l'on rencontre ici n'ont que des sifflements, roucoulements, cris, garrulements, mais toujours très courts et stéréotypés ".

Citons aussi Brillat-Savarin : "On pourrait bien me reprocher encore que je laisse quelquefois trop courir ma plume, et que, quand je conte, je tombe un peu dans la garrulité." — (Brillat-Savarin, La physiologie du goût, préface, 1826).

Un passereau d'Extrême-Orient— c'est un des plaisirs de cette recherche, qui m'a conduit en Himalaya — , Ianthocincla ocellatus, porte le nom vernaculaire de  "Garrulaxe ocellé", témoignant d'un genre Garrulax, créé par le médecin de Rochefort René Lesson en 1831 (après son tour du monde à bord de La Coquille en 1822?) et regroupant des "Grives bruyantes" commercialisées comme oiseaux chanteurs. Citons ausssi le le Garrulaxe bruyant, mais encore le Garrulaxe du Langbian, le Garrulaxe bicolore, le Garrulaxe hoamy, le Garrulaxe de Hainan, le Garrulaxe du Cambodge, le Garrulaxe à huppe blanche, le Garrulaxe de Maës, le Garrulaxe à poitrine tachetée, le Garrulaxe de Millet, le Garrulaxe à collier, le Garrulaxe mantelé, le Garrulaxe à front roux, et le Garrulaxe de Taïwan.

Qui connait la signification de ce nom de Genre ?

Le Garrulaxe ocellé.

 

Du bavardage de la pie, et de la critique de la garrulité dans la Nef des Fous de Sebastian Brant.

La gravure qui accompagne le texte du Narrenschift, reprise dans ses traductions est suffisament parlante (!) en elle-même et résume parfaitement le texte. Associée au titre et aux sept premiers vers, elle fonctionne déjà comme une illustration des Livres d'Emblèmes qui vont paraître à partir de 1531.

La langue tirée par le Fou n'est pas une grimace d'insolence à l'égard de l'oiseau (comme je l'avais pensé d'abord), mais c'est l'attribut qui témoigne de ses excés et déraillages de langue, de sa garrulité. Sa marotte l'imite.

Note : La plupart du temps, le Fou n'est pas accompagné de sa marotte dans les autres gravures de la Nef, et notamment sur la page de titre. Et dans les gravures ou peintures qui font exception, la marotte n'imite pas l'action ou le défaut du Fou.

Le comportement de la pie, qui par ses cris attire l'attention sur son nid, est mis en parallèle et illustration de l'excès inconsidéré de paroles.

Le texte développe le thème du chapitre (le bavardage est une folie), mais nous sommes trahis par la pauvreté de notre vocabulaire, car "bavardage" n'a pas aujourd'hui un sens si péjoratif : c'est un trait de personnalité, qu'on critique avec le sourire. Mais la garrulité, ou loquacité, est bien pire, c'est un comportement insensé, qui menace le bavard et son entourage, en menaçant l'ordre. Car la garrulité verse vite vers la médisance, pour celui qui est entrainé par le plaisir (presque auto-érotique) de parler :  "Plusieurs ya qui se delectent et aultre chose ne souhaytent Que tousiours parler et mesdire Quant touchent par leurs mauvais dire Ce que nul ne vouldroient toucher". Il rompt un tabou social, il est  impudique.

Ou bien il rompt l'unité et la cohérence du groupe : Souvent division en court Grans noyes et dissensions, Miseres molestacions, Mieulz luy seroit amoderer Sa bouche a bien considerer Que parler ainsi si souvent Qui de son gre comme savent Respond sans en estre prie Un foul de scavoir detrie A toute gent exhibe et monstre

C'est en ce sens que tirer la langue (pour garruler) serait un geste obscène, qui dévoile ce qui doit être caché ; et c'est ainsi que la parole imprudente est assimilée à un venin.

.

 

ANNEXE. LE TEXTE DES ÉDITIONS FRANÇAISES

I. La version en octosyllabes :

 

De nimia garrulitate.

De trop parler.

Qui scet sa langue refrener

et de trop parler la retreindre

Ne se voit à mal prosterner

Par tristesse que l'on doit craindre

Mais qui parle trop sans se plaindre

Se deshonneure com fait la pie

Par trop garruler qu'on s'espie.

1. Ung garruleux et trop parlent

Qui parle en tous temps vainement

Que ne vient il a la nef folle

Venez y tost la voille volle

Avancez vous qui trop parlez

Et voz langaigez ravallez

7.Plusieurs ya qui se delectent

Et aultre chose ne souhaytent

Que tousiours parler et mesdire

Quant touchent par leurs mauvais dire

Ce que nul ne vouldroient toucher

Mieulz luy seroit saller cacher

Comme gens sans corps et sans vie

Du dart dune fervente envie

Sans iamais le cueur appaiser

Qui se pelt en honneur taiser

Toustefois ce non obstant parler qui

Sans refraindre sa langue par le

langaige qui de luy sourt

Souvent division en court

Grans noyes et dissensions

Miseres molestacions

Mieulz luy seroit amoderer

Sa bouche a bien considerer

Que parler ainsi si souvent

Qui de son gre comme savent

27.Respond sans en estre prie

Un foul de scavoir detrie

A toute get exhibe et monstre

30. Le peril et le malencontre

De sa langue salle et villaine

Il y a des gens si tresfoulz

A qui leur parler semble doulx

Et de garuller sesiouyssent

Et sont bien aises quant iouyssent

De quaqueter et babiller

Mieux leur vaudroit saller biller

Car aucunes fois telles gens

Ont du dueil et des maulx ingens

Et quelque chose qui se face

41. Leur mauldite langue procace

Les contrainct souvent supporter

43.Mains accidens et mal porter

Et douleur de rage confite

Dictes moy de quoy luy profite

Ce quauquet babil et langaige

De riens  non que de dommaige

Dont tout malleur procede et vient

Et quant eulx confesser convient

Et dire leur mal et deffault

Toute la parolle leur fault

Sans scavoir aulktre chose faire

Si non que de leurs pechez taire

Et ne peuvent parolles direz-vous

Pour gaigner leternel empire

Et de leur crime abhominable

Est fait examen miserable

Maintes gens qui ont beaucoup dans

Fussent maintenant bien prudens

Qui sont comme foulz acculez

Silz ne se feussent maculez

Par trop parler : las quon contemplent

Et que chacun preignent exemple

64.A loyseau quon nomme la pie

Qui par garruler notifie

Le nid ou sont ses petits.

67.Refrenons tous noz appetits

Car mieulz vault parler sobrement

Que respondre a tous promptement

En une facon deshonneste

Pour apres en souffrir moleste

A tous plaist parolle petite

Qui est en temps modere dicte

Et cest grant vertus a la bouche

75. Quant seurement son parler touche

Combien de necessite

Soit en yeur ou en teste

Fault parler selon la doctrine

De la langue doulce et benigne.

Le texte s'appuie sur des citations littéraires, toutes tirées  de l'Ancien Testament et des épîtres de Jacques, et dont la source est indiquée en marge :

Vers 1 : 

Et lingua ignis est, universitas iniquitatis. Lingua constituitur in membris nostris, quæ maculat totum corpus, et inflammat rotam nativitatis nostræ inflammata a gehenna. (Iac. 3,6)

Omnis enim natura bestiarum, et volucrum, et serpentium, et ceterorum domantur, et domita sunt a natura humana : linguam autem nullus hominum domare potest : inquietum malum, plena veneno mortifero. (Iac. 3,7f.)

Qui custodit os suum custodit animam suam ; qui autem inconsideratus est ad loquendum, sentiet mala. (Prov. 13,3)

Acuerunt linguas suas sicut serpentis ; venenum aspidum sub labiis eorum. (Ps. 139,4)

Terribilis est in civitate sua homo linguosus : et temerarius in verbo suo odibilis erit. (Sir. 9,25)

Vers 7 :

Ne temere quid loquaris, neque cor tuum sit velox ad proferendum sermonem coram Deo. Deus enim in cælo, et tu super terram ; idcirco sint pauci sermones tui. Multas curas sequuntur somnia, et in multis sermonibus invenietur stultitia. (Ecl. 5,1f.)

Vers 27 :

Numquid sapiens respondebit quasi in ventum loquens, et implebit ardore stomachum suum ? Arguis verbis eum qui non est æqualis tibi, et loqueris quod tibi non expedit. Quantum in te est, evacuasti timorem, et tulisti preces coram Deo. Docuit enim iniquitas tua os tuum, et imitaris linguam blasphemantium. (Iob 15,2-5)

vers 30 :

Qui prius respondet quam audiat, stultum se esse demonstrat, et confusione dignum. (Prov. 18,13)

Vers 41 : Jérémie

Nunc ergo dic viro Juda, et habitatoribus Jerusalem, dicens : Hæc dicit Dominus : Ecce ego fingo contra vos malum, et cogito contra vos cogitationem : revertatur unusquisque a via sua mala, et dirigite vias vestras et studia vestra. Qui dixerunt : Desperavimus : post cogitationes enim nostras ibimus, et unusquisque pravitatem cordis sui mali faciemus. (Ier. 18,11f.)

Vers 43 :

cadent in gladio principes eorum, a furore linguæ suæ. Ista subsannatio eorum in terra Ægypti. (Os. 7,16)

Vers 64 notation marginale « pica », traduction latine de « pie »

Vers 67 :

Ne temere quid loquaris, neque cor tuum sit velox ad proferendum sermonem coram Deo. Deus enim in cælo, et tu super terram ; idcirco sint pauci sermones tui. Multas curas sequuntur somnia, et in multis sermonibus invenietur stultitia. (Ecl. 5,1f.)

Mala aurea in lectis argenteis, qui loquitur verbum in tempore suo. (Prov. 25,11)

Vers 75 :

Cor sapientis intelligitur in sapientia, et auris bona audiet cum omni concupiscentia sapientiam. (Sir. 3,31)

 

II. Le texte français dans la version en prose : 

1ere version :

En la satyre ensuyvante sont reprins les folz garrulateurs qui ne scavent tenir leur langue et parlent sans considération : dont souvent mal leur advient. Parquoy ilz sont comparez a la pie qui a des petits piars et quant elle voit passer aucun pres delle tant caquette que elle enseigne le nid de ses petits qui luy sont ostez : dont c'est une grant erreur à lhomme qui a iugement que pour faulte de garder sa langue aye du mal et soit compare a un oyseau des champs garrulateur que rien ne entent. Et pource allegue cest acteur lescripture [Jacques 3] qui dit. Toutes natures de bestes doyseaux de serpens et des aultres choses irraisonnables sont domees et seigneuries par humaine nature : mais nul des hommes ne peult domer, reffraindre et seigneurier la mauvaise langue. Car cest ung mal sans repos plaine de venin mortel qui macule et honnit tout le corps. Et pource qui garde sa bouche garde son âme. Mais qui est inconsidere a parler sans regarder quil dit : il sentira des maulx Dont met le prolude. Qui frene sa langue et reffraint les ris de sa bouche fait que sa pensee vacque sans angoisse et sans tristesse. Mais celluy qui parle follement chiet en blasmes repute comme la pie loquace qui par son caquet et murmure enseigne ses poullets dont ils sont perdus.

Haste soy le fol garrulateur [garrulus atque loquax] plein de langaige qui en tout temps blactere et ne scait quil dit vienne a la folle nef et monte au hault.

Hastez vous de entrer folz loquaces et baveurs : car le vent agite et demaine les carbases et voiles de la nef. Plusieurs folz sont maintenant dont loblectation de vie est grande : et tresgrant le desir de exercer leur langue procace et mauvaise. Car a lors quilz touchent de leur mauvais langaige ce que homme saige ne vouldroit avoir touchie ilz meritent le glaive de envie. Et pour certains mieulz leur vaulsist de estre teu : et est ung grant bien a qui se peult taire de retenir sa langue. Mais qui parle et ne veult reffraindre ses levres aucunesfoys encourt les crimes de griesve noise avecque fortunes miserables. Dont mieulz luy eust este avoir retraint ses levres. Et qui de son gre devant que estre prie respont a tous il se monstre fol impulse et sans consideration. Et pareillement offre les dangiers de la mauvaise langue.Sont aussi plusieurs folz qui prennent la puissance et liesse de leur inique garrulite : et leur semble quant ilz ont dit aucune villenie que ce soit a eulz ung grant soulas. Toutesfoys advient que entretant ilz sont ployez et reprins par une cruelle peine. Et selon le dit de iheremie en son dixhuitiesme:la langue procace et baveresse a contrainct plusieurs porter et souffrir angustes et estroictes adventures. Pource nous aultres qui ceste satyre lisons considerons que profitte aux baveurs et plains de langaige la fallacieuse delation ou folle maniere de parler.

 

https://www.narragonien-digital.de/exist/lesetexte/einzeleditionen.html?gw=GW5065&page_id=gw5065_030_providence_c3v

2eme version 

Deurs ebestes et langues dragoniques qui a trop parler et blamer aultruy vous arrestes toute nature de bestes, d'oyseaux et de serpents et aultres d natures humaine se peuvent chastier. Mais la langue de l'homme ne se peut chastier car elle est plaine de mal et de venin mortifere elle macule tout le corps ; Qui garde sa bouche garde son âme (Proverbes). Pource langues arceniques et mortifères, brides vous de cette doctrine car on dit communément que pis vault ung coup de langue qu'un coup de lance. Celuy qui parle trop et vainement en tout temps que ne vient-il pas à nostre folle nef.

Venez y tost pour gouverner les voilles avances vous fols a trop parler et ravales voz langages. Plusieurs ya qui se delectent et ne pensent que tousiours mal parler et mesdire daulteuy quant ilz disent ce que nul ne vous droit dire, mieulx leur voudrait avoir la bouche close a iamais que du dart denvie blessier aulcun et mal parler en plant sans restraindre la langue que luy vient en court souvent divicion, discensiin, noisez, molestations, miseres et calamitez.

Telles gens ont fait souvent guerrez entre les empereurs, roys, ducs, et comtes, et ont esmeut les cueurs des nobles a tyranie et crudelite.

De tant de perilz viennent par telles langues que de leurs gre sans estre priez resposent.

Ils sont plusieurs folz a se delecter a mal parler par la vaine ioye de leur langue eux esiouissant de leur babil et quaquet. Telles gens ont souvent dueil et de grans malx, mais nonobstant leur mauldite langue les entraict souvent supporter mains accidens et malux de rages confite

Dictes moy donc folz dangereus que vous sert ce langaige, ce quaquet, ce babil : de rien certes. Quant telles gens se ofessent la parolle leur fault et ne peuvent ouvrir la bouche pour dire leur pechez, et souvent quant ils vouldroyent parler dieu leur ferme la bouche.

Plusieurs folz sont que silz neussent trop parle que sussent sages et prudens .

Hellas prenes exemple a la pie qui par trop garruler et crier, notifie ou sont ses petits. (Pica)

Refrenons nos langues car meulz vault sobrement parler que respondre a tous a tous proppos et choses deshonnestes:et en avoir après reproche. (Ecclesiaste V et Proverbes XXXV) Peu parler plait à toutes gens quant le langaige est modéré. Cest grant vertus a la bouche quant elle tient la parole.

Et aussi quant seurement son parler touche combien de necessite il faut parler selon droicture. (Ecclesiaste III : Cor sapientis intelligitur in sapientia, et auris bona audiet cum omni concupiscentia sapientiam. (Sir. 3,31) )

 

 

SUITE : LA POSTERITÉ DE LA NOTION DE GARRULITAS AU XVIe SIÈCLE.

1. Erasme, 1500.

Erasme utilise le terme latin garrulitas , parfois remplacé par loquacitas ou volubilitas, pour critiquer le  vice de la parole : médisance, dénigrement, diffamation, ou parole creuse, stérile pour ne rien dire; bref, toute corruption de l'éloquence.

Mais le terme latin est — difficilement—traduit en français par bavardage.

Dans son Adage 828 sur la cigale,   Cicadam ala corripuisti, Erasme qualifie la cigale de "bavarde par nature" : cicadam natura garrulam. Là encore, le terme français garruleuse n'est pas utilisé par les traducteurs.

 

2. Alciat, 1531.

Source :  je cite ici Anne-Angélique Andematten 2017.

C'est surtout dans les Emblèmes d'Alciat  — inspirés des Adages d'Erasme— que la garrulité est joliement illustrée : mais, là encore, uniquement en latin, alors que la quasi totalité des éditions françaises à partir de 1534 sont bilingues. 

Rappel : L’emblème allie texte et image et se compose de trois parties qui interagissent entre elles : inscriptio (titre), pictura (image) et subscriptio (épigramme) : l’image est encadrée par un titre, l’inscriptio, et par l’épigramme, appelée aussi subscriptio.

Les termes latins qui nous concernent  se retrouvent directement dans les titres de deux emblèmes : n° XCVI In garrulum et gulosum  et n° LXX : Garrulitas, mais on les trouve aussi dans les épigrammes latins.

On y constate que ces emblèmes sont centrées sur des animaux (emblématiques...) mais que la garrulité, loin d'être le privilège de la Pie, qualifie l'Hirondelle ( 70 et 101), ou le Pélican, mais aussi la Corneille (19). Des oiseaux dans tous les cas, remarquables par leurs cris jugés dissonants ou répétitifs. L'emblème 185 applique le qualificatif à la Cigale, comme Erasme.

 

Emblema LXX Garrulitas.

Quid matutinos Progne mihi garrula somnos rumpis et obstrepero Daulias ore canis ? dignus epops Tereus, qui maluit ense putare, quam linguam immodicam stirpitus eruere.

"– Pourquoi interromps-tu, bavarde Procné, mon sommeil matinal et, toi, oiseau de Daulis, pourquoi chantes-tu d’une voix sonore ?

– Térée était digne de devenir une huppe, lui qui a préféré trancher par l’épée la langue immodérée que de l’arracher à la racine."

 

L'emblème met en scène trois oiseaux et fait allusion au mythe de Procné et Philomèle. Le premier distique se compose d’une question oratoire adressée à Procné, la bavarde hirondelle (garrula étant une épithète associée à l’hirundo chez Virgile), et à sa sœur Philomèle, devenue un rossignol, l’oiseau de Daulis. Le personnage qui parle à la première personne reproche à l'hirondelle d'avoir interrompu son sommeil matinal par son bavardage, jugé importun et agaçant.

 

Emblema XCVI In garrulum et gulosum : Emblème 96 Contre le bavard et le gourmand

: Le pélican au large gosier et au cri retentissant incarne le mauvais orateur .

Voce boat torva ; praelargo est gutture ; rostrum instar habet nasi multiforisque tubae. deformem rabulam addictum ventrique gulaeque signabit, volucer cum truo pictus erit.

"Il fait retentir un cri farouche ; sa gorge est très large ; son bec ressemble à un nez et à une trompette percée de plusieurs trous. Lorsque l’on représentera un pélican, il désignera un vil orateur, un être asservi à son ventre et à son gosier."

 

D’emblée l’inscriptio, marquée par les jeux sonores, annonce la cible visée par l’épigramme : le bavard (garrulum), censé correspondre à l’expression rabula (v. 3), et le gourmand (gulosum), équivalent de l’homme « asservi à son ventre et à son gosier » (v. 3).

Le premier distique décrit un oiseau qui, dans un premier temps, n’est pas nommé. Alciat tient en haleine le lecteur et ne mentionne que quelques-unes de ses caractéristiques : son cri puissant, son large gosier et son bec en forme de nez et de trompette. Le second distique dévoile son identité, le pélican ou truo, et en expose le sens symbolique. En effet, pour désigner un gourmand ou un bavard, l’épigramme suggère de peindre un pélican, comme s’il s’agissait d’une sorte de pictogramme, à la façon des Hiéroglyphes d’Horapollon.

L’oiseau insatiable incarne non seulement le glouton, comme dans l’emblème 91, mais aussi le bavard, appelé garrulus dans l’inscriptio, mais rabula dans la subscriptio. Le terme rabula qui, d’après Paulus Festus, dérive de rauca vox, possède une connotation très négative. 

 

 

Emblema XIX  Prudens magis quam loquax

Noctua Cecropiis insignia praestat Athenis, inter aves sani noctua consilii. armiferae merito obsequiis sacrata Minervae, garrula quo cornix cesserat ante loco.

"La chouette sert de symbole à Athènes, la ville de Cécrops, la chouette de sage conseil parmi les oiseaux. Elle est consacrée à juste titre au service de la belliqueuse Minerve, poste auquel l’avait précédée la corneille bavarde."

 

Emblema CI In quatuor anni tempora

 

Advenisse hyemem frigilla renunciat ales. ad nos vere novo garrula hirundo redit. indicat aestatem sese expectare cucullus. autumno est tantum cernere ficedulas.

"Le pinson ailé annonce que l’hiver est arrivé. L’hirondelle bavarde revient chez nous au printemps nouveau. Le coucou indique qu’il attend l’été. Les becfigues ne se laissent apercevoir qu’en automne."

L’hirondelle reçoit l’épithète garrula, déjà citée dans l’emblème 19 Prudens magis quam loquax et dans l’emblème 70 Garrulitas, la première fois, à propos de la corneille, et la seconde, de Procné. Alciat pourrait aussi s’être inspiré d’un vers des Géorgiques où l’hirondelle est qualifiée de garrula : […] ante garrula quam tignis nidum suspendat hirundo.

 

Emblema CLXXXV Musicam diis curae esse, La musique tient à cœur aux dieux

Locrensis posuit tibi, Delphice Phoebe, cicadam Eunomus hanc, palmae signa decora suae. certabat plectro Spartyn commissus in hostem et percussa sonum pollice fila dabant. trita fides rauco coepit cum stridere bombo legitimum harmonias et vitiare melos, tum citharae argutans suavis sese intulit ales, quae fractam impleret voce cicada fidem. quaeque allecta, soni ad legem descendit ab altis  saltibus, ut nobis garrula ferret opem. ergo tuae ut firmus stet honos, o sancte, cicadae, pro cithara hic fidicen aeneus ipsa sedet.

"Le locrien Eunomos a déposé pour toi, Phébus delphique, cette cigale, beau symbole de sa victoire. Aux prises avec son concurrent Spartys, il rivalisait avec le plectre et les cordes frappées par son pouce faisaient retentir un son. Lorsque la lyre usée par le frottement commença à grincer d’un bourdonnement rauque et à troubler les harmonies et la mélodie régulière, alors une cigale, douce créature ailée, s’élança sur l’instrument en babillant, pour emplir de sa voix la lyre brisée. Attirée pour suivre les lois musicales, elle descend de ses hauts séjours boisés, afin de nous venir en aide par son bavardage. Afin que l’honneur de ta cigale, ô dieu saint, soit durable, ce joueur de lyre d’airain est posé ici, au-dessus de la cithare même."

 

 

SOURCES ET LIENS

17 exemplaires de la première édition française ont été conservés dans des institutions publiques, dont les ouvrages numérisés suivants : 

         —BnF Arsenal, 4-BL-2142 :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k858429c/f47.item

—Paris, Bibliothèque nationale de France, RES-YH-1

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859087q/f49.item

—Vienne, Bibliothèque nationale autrichienne, Ink 8.E.26

https://digital.onb.ac.at/RepViewer/viewer.faces?doc=DTL_5429353&order=1&view=SINGLE

—Dresde, Bibliothèque d'État de Saxe - Bibliothèque d'État et universitaire, Ink.4114(2)

https://digital.slub-dresden.de/werkansicht?id=5363&tx_dlf%5Bid%5D=86316&tx_dlf%5Bpage%5D=51

Le texte est relevé ici :

https://www.narragonien-digital.de/exist/lesetexte/einzeleditionen.html?gw=GW5065&page_id=gw5065_030_providence_c3v

Voir aussi :

https://ia601203.us.archive.org/5/items/lagrantnefdesfol00bran/lagrantnefdesfol00bran.pdf

— ANDENMATTEN (Anne-Angélique), 2017,  Les Emblèmes d’André Alciat. Introduction , texte latin, traduction et com mentaire d’un choix d'emblèmes sur les animaux SAPHEINEIA Contributions à la philologie classique

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Published by jean-yves cordier - dans Fou. Peinture.

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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