Les peintures murales de l'église du Mont-Dol II : l'Enfer (un grand panneau, fin du XVe siècle) .
Voir :
- Les peintures murales de l'église du Mont-Dol I : la Passion du Christ (11 panneaux restant, seconde moitié du XVe siècle) .
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La peinture murale de l'Enfer de Kernascléden. (après 1492?)
PRÉSENTATION.
"Au Mont-Dol, on distingue trois phases chronologiques des peintures murales :
Un décor primitif peint vers 1200 lors de l'édification de l'église et dessinant sur l'élévation des murs un faux appareillage (ocre et rouge sur fond blanc), complété par une frise tracée entre les arcs et les fenêtres hautes. De très élégants rinceaux de palmes souples sont placés entre deux ordures ocre et rouge. L'avant-chœur, réservé aux chanoines de la cathédrale de Dol, est séparé de la nef par une rupture d'alignement entre l'appareillage factice et la frise entre les deuxième et troisième travées.
Un second décor peint, appliqué directement sur le précédent, a été exécuté en technique mixte — fresque et détrempe— dans la seconde moitié du XVe siècle, comme l'indiquent les costumes des personnages et les comparaisons avec d'autres peintures murales. Il est tout entier consacré à la Passion du Christ et se lit dans le sens des aiguilles d'une montre, en débutant par le mur nord. Il se continuait sur l'arc triomphal aujourd'hui disparu avant de se poursuivre sur le mur sud jusqu'à son extrémité occidentale. Ce cycle se composait de 21 panneaux (ceux du nord peints en partie sur les fenêtres alors murées) ; seulement 11 de ceux-ci ont été conservés entièrement ou sous forme de vestiges plus ou moins visibles.
Enfin la célèbre scène de l'enfer, à l'extrémité occidentale du mur sud, ne s'articule avec le cycle de la Passion ni par son sujet, ni par les dimensions de la mise en page. Elle a été réalisée peu de temps plus tard et correspond probablement à un projet de modification des trois dernières scènes, abandonné après son exécution." (M. Déceneux)
Leurs découvertes en 1867, leurs restaurations en 1972.
Les peintures avaient été recouvertes, comme souvent, par des enduits récents, mais lors de la restauration générale de la charpente et du débouchage des fenêtres nord, un vaste ensemble de peinture est apparu, et fit l'objet d'un relevé (très sommaire) du peintre Théodore Busnel avant d'être recouvert d'un nouveau crépi...
Remis à jour en 1946 grâce à l'intervention du chanoine Descotte, ancien curé du Mont-Dol, l'ensemble fut entièrement restauré par le fresquiste Robert Baudouin en 1972. On découvrit alors de nouveaux éléments.
Comparaison avec Kernascléden (Morbihan) , dont les peintures peintes directement sur la pierre vers 1464 sont contemporaines du cycle de la Passion du Mont-Dol, et présente également une peinture des Enfers plus tardive (après 1492), à côté d'une danse macabre.
Programme des peintures murales du XVe siècle , du nord au sud dans le sens horaire :
—Côté nord :
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L'Entrée à Jérusalem
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Trahison de Judas (très partiellement conservé)
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La Cène. première fenêtre du mur nord. Il ne subsiste que le tiers droit.
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Le Lavement des pieds
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Agonie au Mont des Oliviers. Le plus mal conservé.
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L'Arrestation de Jésus.
—Les scènes disparues de la partie orientale du mur nord (six panneaux : Comparutions, Flagellation, Outrages, Couronnement d'épines, Ecce Homo, Portement de Croix ? ), de l'arc triomphal (Crucifixion?) et du débutr du mur sud (1 panneau).
— Côté sud
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Mise au Tombeau
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Résurrection
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Descente aux Limbes
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Apparition à Marie-Madeleine: Noli me tangere.
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Apparition aux Pèlerins d'Emmaüs
— Côté sud première travée :
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Deux scènes remplacées par une grande scène de l'Enfer.
LA SCÈNE DE L'ENFER, PREMIÈRE TRAVÉE DE LA NEF CÔTÉ SUD.
Elle présente un grand intérêt pour celui qui la compare d'une part à l'Enfer de Kernascéden, avec laquelle elle a de nombreux points communs, et qui recherche ses sources d'autre part dans les Calendriers du Berger (Compost et Kalendriers des Bergiers) édités à partir de 1492, et de l'Art de bien mourir (Ars Moriendi), 1ère édition en 1492. Les deux ensembles sont sans-doute contemporains de la toute fin du XVe siècle.
On y trouve en effet regroupés , comme à Kernascléden, sous forme de saynètes les représentations des principales peines reservés aux damnés selon la typologie de leurs fautes, précisément comme elles sont détaillées et commentées et illustrées dans ces deux ouvrages.
Je renvois à mon article sur l'Enfer de Kernascléden pour l'analyse de cette iconographie et de ses sources.
I. Le supplice de la roue destiné aux orgueilleux.
II. Le supplice du chaudron réservé aux avares.
III. Le supplice de l'arbre sec aux branches acérées réservé aux héritiers d'un usurier couché dans le puits.
IV. le diable géant Asmodée dévorant un damné.
V. La gueule de Léviathan (effacé).
I. Le supplice de la roue, destiné aux orgueilleux.
Dans les représentations des Peines de l'enfer, anciennes mais qui, dans la dernière décade du XVe siècle, on décrit en sept châtiments, pour autant que de péchés capitaux.
Ici, il est facile de reconnaître ici le premier supplice, précisément celui de la roue, qui punit le péché d'orgueil. Dans cette tradition, plusieurs roues tournent entre de hautes montagnes, et les damnés y sont attachés, passant leur éternité à monter puis à être précipité dans les flammes tandis que Léviathan, « capitaine des orgueilleux », préside à leurs tortures en les frappant d'un bâton de feu.
Une roue à huit rayons est posée sur un tréteau, et un grand diable noir, doté d'une longue queue et de très longues cornes, en tourne la manivelle. Sur l'extérieur de la roue sont retenus trois damnés (seuls deux sont visibles aujourd'hui) qui subissent indéfiniment les supplices que leur inflignent trois démons cornus (dont un est ailé) armés d'épieux. Le bâtit en bois est semblable à celui de Kernascléden, le nombre des rayons également. Le diable tournant la manivelle se devine à Kernascléden. Les vues de détail montrent que le diable en haut à gauche est placé sous de grandes flammes, qui devaient se poursuivre vers la droite. La pointe de son épieu est rougie.
On remarque aussi sur les clichés que les damnés sont transpercés par des lames en demi-lune.
On peut intégrer à cette scène les deux démons qui transportent vers le lieu du supplice de nouveaux damnés : l'un (perdu) les portent dans une hotte, l'autre, qui est ailé, dans une brouette.
La scène en bas à gauche montre un diable à califourchon sur une femme nue aux cheveux longs placée à quatre pattes. Il lui tire les cheveux, et la transperce ou la frappe d'un coutelas. Elle n'appartient pas à ce supplice de la roue.
II. Le supplice du chaudron réservé aux avares.
III. Le supplice de l'arbre sec aux branches acérées réservé aux héritiers d'un usurier couché dans le puits.
À Kernascléden, un arbre se dresse à partir d'un puits où baignent des damnés. Aux branches acérées de cet arbre sec sont pendus sept autres damnés, qui y sont liés ou transpercés en diverses parties de leurs corps. Ils sont tourmentés par quatre ou cinq diables qui les mordrent, les griffes, les fouettent ou les aggripent de leurs crocs.
La fresque du Mont-Dol montre des corps pendant des arbres par les pieds ou par le cou. L’imagination du peintre semble s’être nourrie des lectures du passage de l’Art de bien Mourir. En effet, ici comme à Kernascléden, l'arbre est planté dans un puits.
IV. Asmodée dévorant un damné.
Un diable géant, Asmodée, à double paire de cornes et tête de bovin, dévore par les pieds un damné. La lecture de l'image est difficile, il pourrait s'agir d'un enfant.
V.La gueule du Léviathan.
Théophile Busnel a représenté, à l'extrême gauche, sous la fenêtre, la gueule d'un Léviathan, aujourd'hui effacé.
SOURCES ET LIENS.
— Source principale : panneaux explicatifs provenant d'une exposition réalisée par la ville du Mont-Dol et exposés dans l'église, dont les textes sont de Marc Déceneux, docteur en histoire de l'art.
Je salue la qualité de ces panneaux nombreux et très bien illustrés.
— Voir aussi :
2003, Bulletin de l'Association Bretonne T 112 130ème congrés (non consulté)
http://histogen.dol.free.fr/mont-dol/dossiers/peinmur.htm
https://www.patrimoine-histoire.fr/P_Bretagne/DolDeBretagne/Mont-Dol-Saint-Pierre.htm
— CHARTIER (Jean-Jacques) : l'église du Mont-Dol. Non consulté
SUR LA REPRÉSENTATION DE L'ENFER À LA FIN DU XVE SIÈCLE :
— BASCHET (Jérôme), 1993 Les Justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe -XVe siècle), Rome, EFR, 1993, p. 437-448 et fig. 152-159.
https://journals.openedition.org/ccrh/2886
— BASCHET (Jérôme), 1993, Les justices de l'au-delà. Les représentations de l'enfer en France et en Italie (XIIe-XVe s.). Rome, Ecoles françaises d'Athènes et de Rome, 1993. Christe Yves, compte-rendu Cahiers de Civilisation Médiévale Année 1995 Suppl. 1995 pp. 4-7
En résumé, on retiendra ces quelques conclusions. L'enfer gothique est figuré le plus souvent par la gueule d'enfer — elle est déjà attestée au xne s. — d'abord comme seuil infernal, ensuite comme lieu de tourments. Celle-ci est également l'image usuelle de l'enfer dans les manuscrits contemporains. Elle est accompagnée par la marmite sur le feu qui, à partir du milieu du xine s. (Bourges, puis Rouen), tend à se confondre avec elle. Il est rare au nord des Alpes que Satan intronisé préside aux supplices infernaux. Le portail de Conques et celui de Notre-Dame de la Couture au Mans, un siècle plus tard, en présentent une illustration exceptionnelle. À cette courte liste, j'ajouterai un témoignage précoce mais très important, celui des tituli de Gauzlin pour le revers de la façade de Saint-Pierre de Fleury au début du xie s. « Satan enchaîné dans une prison qui vomit des flammes » évoque exactement le même sujet dans YHortus Deliciarum d'Herrade de Landsberg.
— BASCHET (Jérôme), 1985, Les conceptions de l'enfer en France au XIVe siècle : imaginaire et pouvoir, Annales Année 1985 40-1 pp. 185-207
https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1985_num_40_1_283151
— BASCHET (Jérôme) Les fresques du Camposanto de Pise
https://e-l.unifi.it/pluginfile.php/1066072/mod_resource/content/0/BASCHET_Les%20justices...%201993.pdf
—DESCHAMPS (Paul), 1957, "Notre-Dame de Kernascleden" , dans Congrès archéologique de France, 1957, Cornouaille, Orléans 1957, p. 100-113
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3210063v/f102.item.r=Landr%C3%A9varzec
— DESHOULIÈRES (François), 1924, La danse macabre de Kernascleden (Morbihan) [compte-rendu] Bulletin Monumental Année 1924 83 pp. 195-196
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1924_num_83_1_12028_t1_0195_0000_3
— FRAPPIER ( Jean), 1953,. Châtiments infernaux et peur du Diable. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1953, n°3-5. pp. 87-96;
https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1953_num_3_1_2020
—KERMOAL (Christian), 2020, « L’enfer froid en images (xve et xvie siècles) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest
https://journals.openedition.org/abpo/6473
—MÂLE (Émile), 1908, L’art religieux de la fin du Moyen Âge en France, Paris, 1908, p. 471-475 ;
https://archive.org/details/lartreligieuxdel00mluoft/page/470/mode/2up
— MEYER (Paul), 1895, La descente de saint Paul en enfer, poème français composé en Angleterre, Romania Année 1895 95 pp. 357-375
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1895_num_24_95_5887
— SHIELDS (Hugh), 1971, . Saint Paul aux Enfers : Notice d'un incunable en français Romania Année 1971 365 pp. 87-99
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1971_num_92_365_2267
—Photo RMN de l'enfer Camposanto de Pise
https://www.photo.rmn.fr/archive/17-501720-2C6NU0AT95HYP.html
—Maître François Vision de l'enfer d'un enfant nommé Guillaume , Musée de Chantilly
https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/maitre-francois_vision-de-l-enfer-d-un-enfant-nomme-guillaume_peinture-sur-papier_parchemin
—Cathédrale d'Albi
https://www.europexplo.com/la-cathedrale-dalbi-un-joyau-dans-une-forteresse/
—Le Kalendrier des bergers Guy Marchant (Paris) 1493
: Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, VELINS-518
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040412v/f32.item
—Compost et kalendrier des bergiers Guiot Marchant Paris 1493 BM Valenciennes, INC 66
—Compost et kalendrier des bergiers 1496 Guiot Marchant Paris
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k87105966/f76.item
—Thomas de Saluces, BnF 12559, 1403.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10509668g/f385.item
—BnF, Rés XYLO-24, Ars moriendi…, vers 1480-1485, vue 32.
— Les visions du chevalier Tondal, Getty museum
https://www.getty.edu/art/collection/object/103RZ8
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vision_de_Tondale#