Iconographie de la rencontre de Don Quichotte avec la charrette des Cortès de la Mort (Livre II chap. XI). Ses rapports avec les Danses macabres.
PRÉSENTATION.
L'épisode de la confrontation de Don Quichotte et Sancho Panza avec la troupe de comédiens présentant le spectacle de las Cortès de la Muerte (Tribunaux de la Mort) occupe le chapitre XI de la Deuxième partie (1615) du Don Quichotte de Miguel Cervantes. Son titre, dans la traduction de Viardot, est : "De l’étrange aventure qui arriva au valeureux Don Quichotte avec le char ou la charrette des Cortès de la Mort".
Ces comédiens se déplacent entre deux villages suffisament proches pour qu'ils aient décidés de conserver leur costume lors de leur trajet : ils voyagent ainsi dans leurs rôles propres.
La charette est dirigée par un "horrible démon", et ses passagers sont la Mort, l'Ange, l'Empereur, Cupidon, et un Chevalier mais aussi la Reine, et le Soldat :
"Don Quichotte voulait répondre à Sancho Panza ; mais il en fut empêché par la vue d’une charrette, qui parut tout à coup à un détour du chemin, chargée des plus divers personnages et des plus étranges figures qui se puissent imaginer. Celui qui menait les mules et faisait l’office de charretier était un horrible démon. La charrette était à ciel découvert, sans pavillon de toile ou d’osier. La première figure qui s’offrit aux yeux de Don Quichotte fut celle de la Mort elle-même, ayant un visage humain. Tout près d’elle se tenait un ange, avec de grandes ailes peintes. De l’autre côté était un empereur, portant, à ce qu’il paraissait, une couronne d’or sur la tête. Aux pieds de la Mort était assis le dieu qu’on appelle Cupidon, sans bandeau sur les yeux, mais avec l’arc, les flèches et le carquois. Plus loin venait un chevalier armé de toutes pièces ; seulement il n’avait ni morion, ni salade, mais un chapeau couvert de plumes de diverses couleurs. Derrière ceux-là se trouvaient encore d’autres personnages de différents costumes et aspects. Tout cela, se montrant à l’improviste, troubla quelque peu Don Quichotte, et jeta l’effroi dans le cœur de Sancho."
Le "démon" explique à Don Quichotte qu'ils sont des comédiens de la compagnie d’Angulo-le-Mauvais [Angulo el Malo] qui ont joué le matin même pour le jour de l’octave de la Fête-Dieu, l'acte des Cortès de la Mort.
" Ce jeune homme fait la Mort, cet autre fait un ange, cette femme, qui est celle du directeur, est vêtue en reine, celui-ci en soldat, celui-là en empereur, et moi en démon ; et je suis un des principaux personnages de l’acte sacramentel, car je fais les premiers rôles dans cette compagnie."
Un des acteurs, restés en arrière, les rejoint : un Bouffon, qui donne un aperçu de ses talents de danseur jonglant avec son bâton à trois vessies de bœuf, et agitant ses grelots : Rossinante prend peur et se sauve, entrainant Don Quichotte :
"Tandis qu’ils discouraient ainsi, le sort voulut qu’un des acteurs de la compagnie, resté en arrière, arrivât près d’eux. Celui-là était vêtu en fou de cour, avec quantité de grelots, et portait au bout d’un bâton trois vessies de bœuf enflées. Quand ce magot s’approcha de Don Quichotte, il se mit à escrimer avec son bâton, à frapper la terre de ses vessies, à sauter de droite et de gauche, en faisant sonner ses grelots, et cette vision fantastique épouvanta tellement Rossinante, que, sans que Don Quichotte fût capable de le retenir, il prit son mors entre les dents, et se sauva à travers la campagne avec plus de légèreté que n’en promirent jamais les os de son anatomie."
Sancho Panza saute de son âne pour secourir son maître qui vient de chûter, mais le Bouffon, qualifié de "diable aux vessies", s'y juche et part en calvalcade, fouettant le grisson de ses vessies, avant de tomber à son tour.
Sancho, qui vit le péril où était son maître d’être jeté bas, sauta du grison, et courut à toutes jambes lui porter secours. Quand il atteignit Don Quichotte, celui-ci était déjà couché par terre, et auprès de lui Rossinante, qui avait entraîné son maître dans sa chute : fin ordinaire et dernier résultat des vivacités et des hardiesses de Rossinante. Mais à peine Sancho eut-il laissé là sa monture que le diable aux vessies sauta sur le grison, et, le fustigeant avec elles, il le fit, plus de peur que de mal, voler par les champs, du côté du village où la fête allait se passer. Sancho regardait la fuite de son âne et la chute de son maître, et ne savait à laquelle des deux nécessités il fallait d’abord accourir. Mais pourtant, en bon écuyer, en fidèle serviteur, l’amour de son seigneur l’emporta sur celui de son âne ; bien que chaque fois qu’il voyait les vessies se lever et tomber sur la croupe du grison, c’était pour lui des angoisses de mort, et il aurait préféré que ces coups lui fussent donnés sur la prunelle des yeux plutôt que sur le plus petit poil de la queue de son âne."
Don Quichotte veut alors se charger "de châtier l’impolitesse de ce démon, sur quelqu’un des gens de la charrette, fût-ce l’empereur lui-même. En parlant ainsi, il tourna bride du côté de la charrette, qui était déjà près d’entrer au village, et il criait en courant : « Arrêtez, arrêtez, troupe joyeuse et bouffonne ; je veux vous apprendre comment il faut traiter les ânes et autres animaux qui servent de montures aux écuyers de chevaliers errants. »
Les acteurs se voyant attaqués décident de se défendre :
En un instant, la Mort sauta par terre, puis l’empereur, puis le démon cocher, puis l’ange, sans que la reine restât, non plus que le dieu Cupidon ; ils ramassèrent tous des pierres, et se mirent en bataille, prêts à recevoir Don Quichotte sur la pointe de leurs cailloux. Le chevalier, qui les vit rangés en vaillant escadron, les bras levés et en posture de lancer puissamment leurs pierres, retint la bride à Rossinante, et se mit à penser de quelle manière il les attaquerait avec le moins de danger pour sa personne.
Sancho raisonne son maître en lui faisant considérer qu'iI n’y a pas là de quoi tirer vengeance des violences faites à l'âne par ce démon, et d'attaquer la troupe puisque, parmi tous ceux qui sont là, bien qu'ils ressemblent à des rois, des princes et des empereurs, aucun n'est pas un chevalier errant.
"Aussitôt il tourna bride, Sancho alla reprendre son âne, la Mort avec tout son escadron volant remonta sur la charrette pour continuer son voyage, et telle fut l’heureuse issue qu’eut la terrible aventure du char de la Mort."
Les illustrateurs se sont arrêtés sur la première confrontation de Don Quichotte avec la troupe occupant la charrette, ou sur la démonstration du Bouffon aux vessies, ou le tableau du Fou s'enfuyant sur l'âne, ou sur les acteurs lançant des pierres à Don Quichotte.
Sur 17603 illustrations des deux parties du Quichotte réunies par le site cervantesvirtual.com, 123 concernent la Carreta de las Cortès de la Muerte, mais en ne retenant pas les reprises de gravures d'édition en édition, le nombre se réduit de moitié, de 1650 à 1906.
L'intérêt que nous pouvons trouver à examiner ces illustrations est, dans le cadre de cet article, de comparer les acteurs avec les personnages de la Cortès de la Muerte de Lope de Vega, et avec ceux de nos Danses Macabres.
Car cette comparaison suscite, pour l'amateur de ces cortèges du XVe et XVIe siècle montrant une troupe de squelettes invitant à leur danse les vivants classés selon l'ordre des hiérarchies sociales (le Pape, l'Empereur, le Roi, etc.) sur des peintures murales ou des incunables, un plaisir certain, plaisir de la citation, du détournement ironique, et du renouvellement toujours transgressif du thème macabre médiéval.
En outre, le face-à-face savoureux du Bouffon agitant ses vessies et de son double, Don Quichotte, toujours prêt à prendre des vessies pour des lanternes, incite à rechercher, dans nos Danses macabres, la présence, rare mais bien réelle, du personnage du Fou.
I. LA RENCONTRE INITIALE DE DON QUICHOTTE AVEC LA CHARRETE.
On trouve sur le site insula barañaria les belles illustrations suivantes :
II. LE DÉMON OU BOUFFON AUX VESSIES OU BOJOGANGA.
Le terme Bojiganga dérive de Vejiga « vessie" et sert à désigner aux XVIe et XVIIe siècles, en Espagne, une sorte de courte troupe de comédiens ; mais c'est aussi ce terme que Cervantes utilise pour désigner un acteur saltimbanque portant des grelots, sautant, faisant des pirouettes et des danses tout en maniant à la grande terreur et à l'amusement du public, un bâton avec des vessies de vaches gonflées.
Le Fou est également un personnage invité par la Mort lors des Danses macabres.
III. LES COMÉDIENS LANÇANT DES PIERRES À DON QUICHOTTE.
LA SOURCE DE CE CHAPITRE : UN AUTO-SACRAMENTAL DE LOPE DE VEGA
Les critiques ont vite reconnu l'allusion du chapitre II,XI du Quichotte à un de ces comédies religieuses, appelées mystères ou moralités au Moyen-Âge et auto sacramentales depuis la seconde moitié du XVIe siècle, qu’on jouait principalement pendant la semaine du Corpus Christi ( Fête-Dieu). On élevait alors dans les rues des espèces de théâtres en planches, et les comédiens, traînés dans des chars avec leurs costumes, allaient jouer de l’un à l’autre. C’est ce qu’ils appelaient, dans le jargon des coulisses du temps, faire les chars (hacer los carros).
Ils ont d'abord recherché la source de ce chapitre dans une pièce, les Cortès de la Muerte, commencée par Micael de Carvajal, terminée par Luis Hurtado de Toledo, et imprimée dans la Cité Impériale par Juan Ferrer en 1557. Mais cet auto-sacramental a été écrit plus d'un demi-siècle avant la publication de Don Quichotte et ne comporte ni Cupidon ni l'Empereur, la Reine ou le Soldat.
Actuellement, le consensus est acquis pour reconnaître plutôt l'influence de l'auto-sacramental Las Cortes de la Muerte (Les Tribunaux de la Mort) de Lope de Vega, un texte resté inédit avant sa publication en 1892.
Voir C. Mata Indurain 2016.
Texte :
https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-22012016000200015
La pièce de Lope de la Vega met en scène 10 personnages, dont 8 correspondent par leur nom ou leur description à ceux évoqués dans le roman de Cervantes : la Mort, le Péché (Reine), la Folie, le Temps, l'Homme (Empereur), l'Ange Gardien, le Diable et « le dieu qu'ils appellent Cupidon ». Il n'y manque que l'Enfant-Jésus, et l'Envie, source de tout péché. La Mort est habillée en squelette et tient une faux. Le Péché est habillée en Reine, couronnée, avec un masque noir couvrant la moitié de son visage. La Folie est habillée de façon bigarrée (mi-partie?), en bouffon ("moharracho"). Le Temps est vêtu en cavalier, avec une épée et un chapeau avec une plume. L'Homme est habillé en Empereur avec un manteau, une couronne et un sceptre. L'Ange a de grandes ailes peintes. Le Diable est habillé de couleurs de feu, avec des cornes sur la tête et une grande queue. Cuopidon est vêtu d'un tricot couleur chair avec son arc, son carquois et
flèches.
Selon Stefano Arata,
"tout, dans la description de la charrette d'acteurs qui croise le chemin de Don Quichotte , répond à la sphère de la vérité historique, de manière presque documentaire. L'auto sacramentelle des Cortes de la Muerte que les acteurs viennent de jouer peut être identifiée avec une pièce de Lope de Vega, dont le texte nous est parvenu, et la description de la tenue vestimentaire du showbiz reproduit presque littéralement les instructions de costume du lopesco. manuscrit. Aussi l'étrange personnage qui apparaît à côté de la charrette - ce bojiganga qui sonne des cloches et brandit un bâton avec des vessies de vache - vient également de la réalité vivante des fêtes de la Fête-Dieu. C'est un personnage carnavalesque, personnification de la Folie, qui précédait les voitures lors des cortèges, effrayant les spectateurs avec ses sauts et son bâton. Selon la zone géographique, on l'appelait poutargue, mojarrilla ou moharracho."
L'inclusion de ces fragments de réalité contemporaine et l'allusion à l'auto sacramentelle de Las Cortes de la Muerte ne sont pas une coïncidence. Il est important de rappeler que la charrette de Lope est la version baroque des anciennes danses de la mort de la fin du Moyen Âge, et met en scène la rencontre entre l'Homme et les figures du Diable, du Temps, de la Folie et de la Mort, qui le soumettent à un procès grotesque. L'homme ne sera sauvé qu'après avoir renoncé à sa folle vie. Dans l'auto sacramental, en outre, apparaît précisément la figure carnavalesque de la poutargue, qui représente, dans la pièce, le rôle de la Folie.
Enfoncés dans une charrette, hors du contexte naturel du théâtre, les acteurs costumés apparaissent comme un mirage dans le paysage rude de La Manche. Ces images sans âme d'un Roi, d'une Reine, d'un Amour, de la Mort, regroupées dans une charrette conduite par le Diable, semblent se transformer, par l'effet même de leur déguisement et de la rencontre avec le chevalier dérangé, en protagonistes d'une histoire paradoxale. danse de la Mort, au centre de laquelle se trouvent le Quichotte et le bojiganga . Curieuse rencontre : voici un fou déguisé en chevalier errant devant un acteur déguisé en fou, c'est-à-dire le fou devant son image emblématique. Rosinnante s'enfuit effrayé et tombe avec Don Quichotte . La Folie "pour imiter Don Quichotte et Rossinante" s'enfuit avec l'âne et tombe. Dans une pantomime grotesque, le bojiganga répétera, comme dans un miroir déformé, les gestes du chevalier."
Les critiques ont vite reconnu l'allusion à un de ces comédies religieuses, appelées mystères ou moralités au Moyen-Âge et autos sacramentales depuis la seconde moitié du XVIe siècle, qu’on jouait principalement pendant la semaine du Corpus Christi ( Fête-Dieu). On élevait alors dans les rues des espèces de théâtres en planches, et les comédiens, traînés dans des chars avec leurs costumes, allaient jouer de l’un à l’autre. C’est ce qu’ils appelaient, dans le jargon des coulisses du temps, faire les chars (hacer los carros).
Pendant la semaine des festivités de la Fête-Dieu , la soi-disant octave de la Fête-Dieu, les compagnies de théâtre, après s'être produites dans les processions des capitales, emmenaient leurs voitures sacramentelles dans les villes de la région.
Ils ont d'abord recherché la source de ce chapitre dans une pièce, les Cortès de la Muerte, commencée par Micael de Carvajal, terminée par Luis Hurtado de Toledo, et imprimée dans la Cité Impériale par Juan Ferrer en 1557. Mais cet auto-sacramental a été écrit plus d'un demi-siècle avant la publication de Don Quichotte et ne comporte ni Cupidon ni l'Empereur, la Reine ou le Soldat.
Actuellement, le concensus est acquis pour reconnaitre plutôt l'influence de l'auto-sacramental Las Cortes de la Muerte (Les Tribunaux de la Mort) de Lope de Vega, un texte resté inédit avant sa publication en 1892.
Voir C. Mata Indurain 2016.
https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-22012016000200015
La pièce de Lope de la Vega met en scène 10 personnages, dont 8 correspondent par leur nom ou leur description à ceux évoqués dans le roman de Cervantes : la Mort, le Péché, la Folie, le Temps, l'Homme, l'Ange Gardien, le Diable et « le dieu qu'ils appellent Cupidon ». Il n'y manque que l'Enfant-Jésus, et l'Envie, source de tout péché. Dans un procès qui rappelle le Jugement Dernier (ou les distiques des Danses macabres), se succèdent quatre discours, ceux de la Folie, du Diable, du Péché et de l'Ange. Lors d'un intermède, véritable théâtre dans le théâtre, la Folie chante en s'accompagnant d'une guitare, se déguise en géante, met sur sa tête une tunique, avec des cornes pour indiquer qu'elle est le Diable, etc., reproduisant des éléments communs des célébrations de la Fête-Dieu. Enfin les Cortès reprennent avec le plaidoyer de l'Homme, et se terminent par le Jugement Dernier et une pièce musicale : "Veillez, veillez, pécheur, voyez que le monde vous trompe, que le loup est en campagne : fuyez et craignez sa rigueur".
Selon Stefano Arata,
"tout, dans la description de la charrette d'acteurs qui croise le chemin de Don Quichotte , répond à la sphère de la vérité historique, de manière presque documentaire. L'auto sacramentelle des Cortes de la Muerte que les acteurs viennent de jouer peut être identifiée avec une pièce de Lope de Vega, dont le texte nous est parvenu, et la description de la tenue vestimentaire du showbiz reproduit presque littéralement les instructions de costume du lopesco. manuscrit. Aussi l'étrange personnage qui apparaît à côté de la charrette - ce bojiganga qui sonne des cloches et brandit un bâton avec des vessies de vache - vient également de la réalité vivante des fêtes de la Fête-Dieu. C'est un personnage carnavalesque, personnification de la Folie, qui précédait les voitures lors des cortèges, effrayant les spectateurs avec ses sauts et son bâton. Selon la zone géographique, on l'appelait poutargue, mojarrilla ou moharracho."
L'inclusion de ces fragments de réalité contemporaine et l'allusion à l'auto sacramentelle de Las Cortes de la Muerte ne sont pas une coïncidence. Il est important de rappeler que la charrette de Lope est la version baroque des anciennes danses de la mort de la fin du Moyen Âge, et met en scène la rencontre entre l'Homme et les figures du Diable, du Temps, de la Folie et de la Mort, qui le soumettent à un procès grotesque. L'homme ne sera sauvé qu'après avoir renoncé à sa folle vie. Dans l'auto sacramental, en outre, apparaît précisément la figure carnavalesque de la poutargue, qui représente, dans la pièce, le rôle de la Folie.
Enfoncés dans une charrette, hors du contexte naturel du théâtre, les acteurs costumés apparaissent comme un mirage dans le paysage rude de La Manche. Ces images sans âme d'un Roi, d'une Reine, d'un Amour, de la Mort, regroupées dans une charrette conduite par le Diable, semblent se transformer, par l'effet même de leur déguisement et de la rencontre avec le chevalier dérangé, en protagonistes d'une histoire paradoxale. danse de la Mort, au centre de laquelle se trouvent le Quichotte et le bojiganga . Curieuse rencontre : voici un fou déguisé en chevalier errant devant un acteur déguisé en fou, c'est-à-dire le fou devant son image emblématique. Rossinante s'enfuit effrayé et tombe avec Don Quichotte . La Folie "pour imiter Don Quichotte et Rossinante" s'enfuit avec l'âne et tombe. Dans une pantomime grotesque, le bojiganga répétera, comme dans un miroir déformé, les gestes du chevalier."
LES RELATIONS ENTRE LE CHAPITRE XI DE DON QUICHOTTE ET LES DANSES MACABRES EUROPÉENNES.
Existe-t-il une relation entre les deux, hormis les liens intertextes qui se forment spontanément dans l'esprit d'un lecteur, sans que celui-ci puisse le justifier?
La relation la plus évidente est liée à la présence dans ce chapitre II-XI de la Mort, d'un Empereur d'une Reine et d'un Chevalier face aux deux héros. Mais le Fou n'est pas étranger non plus aux Danses macabres.
Le Fou et la danse macabre.
1. Le Fou est présent dans la Danse macabre du cimetière de l'église Saint-Jean à Bâle (1440), détruite mais dont la reproduction en aquarelle de Rudolf Feyerabend d'après les gravures de Merian est disponible.
La Mort est coiffé du bonnet de fou, et vêtu de la tunique à larges manches et tient un bracelet de grelots. Le Fou tien la marotte, porte la coiffe à grelots et est vêtu de chausses mi-parties vertes et mauves.
La Mort dit au Fou : "Tu te plais à sauter ? Eh bien saute, bouffon /Mon jeu ferait suer le fou le plus agile/ Mais laisse pour toujours la marotte inutile / Tes farces parmi nous ne sont plus de saison.
Le Fou répond : "Oh que j'aimerais mieux n'être qu'un pauvre diable / Porter de lourds fardeaux, être chargé de coups / Que de suivre ce monstre à face épouvantable/ Qui ne respecte rien, non pas même les fous!
(trad : Todtentanz, Bâle 1858)
2. On le découvre aussi à la fin de la danse macabre historiée éditée par Guy Marchant 1486.
Comme dans l'édition de 1510 par Nicolas Le Rouge, le Fou est figuré tenant sa marotte, coiffé du bonnet à oreilles d'âne et grelots, vêtu d'une tenue rayée et à pois les jambes équipées de guètres à grelots.
Le Mort dit : Que si danser n'est que usage /Mon amy sot: bien vous advient/De y danser comme plus sage/Tout homme danser y convient/Lescripture si men souvient/Dit en ung pas: qui bien lentend/Lomme sen vad point ne revient/Chascune chose a sa fin tend
Le sot répond : Or sont maintenant bons amis /Et dansent icy dun accord:/Pleuseurs qui estoient ennemis
Quant ilz vivoient et en discord/Mais la mort les a mis dacord/La quelle fait estre tout ung/Sages et sotz: quant dieu lacord/Tous mors sont dun estat commun
Voir aussi :
http://www.dodedans.com/Exhibit/Image.php?lang=e&navn=laurens-30
http://www.dodedans.com/Exhibit/Image.php?lang=e&navn=oudot-1641-30a
3. On le trouve encore dans la Danse macabre des femmes de Guy Marchant de 1491 (c'est alors une Folle).
La Mort dit : Sust tost margot venez avant/Estes vous maintenant derriere / Vous deusfiez ja etre devant/et danser toute la premiere/Quelle contenance ; quelle maniere/ Ou est votre fille marotte/ Ne vault faire si mesgre chière/ Car c'est vostre dernière note.
4. Le Fou assiste du coin de l'œil et en lui tournant le dos à la confrontation de la Mort avec le Docteur dans le Mors de la Pomme (vers 1470) de Jean Mielot BnF 17001 f.113v. Il sert de témoin à la scène, et énonce la morale : Le fol : Ou le sens fault, eschiet folie ; Qui bien scet morir, il est sage ; Nul ne crient Dieu, ne sumilie Tant voye de morir lusage. Corrupti sunt et abominabiles facti sunt non est [verset 1 du Psaume XIII : L’insensé dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables ; il n’en est aucun qui fasse le bien.].
Le Fol tient la marotte, porte une tenue rayée, et le bonnet à tête de coq et oreilles d'âne.
5. Le Fou est entrainé par la Mort dans la Nef des Fous de Sébastian Brant en 1494.
Ici dans la traduction française de Pierre Rivière en 1497, La Nef des Folz du Monde, BnF Res Velins-607 folio 75v.
SOURCES ET LIENS
—INDURAIN (Carlos Maria), site Insula Barañaria, catégories Auto Sacramentales et Don Qijote. Quatres articles sont consacrés à "Burla, teatralidad y violencia en el episodio del carro de las Cortes de la Muerte («Quijote»,II, 11" .
https://insulabaranaria.com/
https://insulabaranaria.com/2021/05/06/burla-teatralidad-y-violencia-en-el-episodio-del-carro-de-las-cortes-de-la-muerte-quijote-ii-11-1/
https://insulabaranaria.com/2021/06/04/burla-teatralidad-y-violencia-en-el-episodio-del-carro-de-las-cortes-de-la-muerte-quijote-ii-11-y-4/
—INDURAIN (Carlos Maria), 2016, «Las cortes de la Muerte, auto sacramental atribuido a Lope de Vega, y el episodio cervantino de la carreta de la Muerte (Quijote, II, 11)», Alpha. Revista de artes, letras y filosofía, 43, 2016, pp. 219-231.