6 mai 2011, 10heures, Réserve naturelle de l'Alto Merse, Italie : j'assiste aux émergences de trois Anax empereur, Anax imperator.
1. Anax imperator
Je rappelle mon article : Anax imperator : les impératrices font du jet ski
j'illustre par cette image de mes archives la libellule dont il s'agit :
2. Les exuvies.
Ce sont les anciennes cuticules larvaires que les libellules ont abandonnées, et qui restent fixées par leurs pattes aux tiges végétales. Le mot vient du latin exuviae qui signifie "dépouilles". Celles des libellules présentent un "masque", c'est à dire un labium mobile et préhenseur, un bras articulé composé du submentum et du mentum qui se termine par deux lobes latéraux équipés d'une dent mobile : la larve le projette brusquement vers ses proies pour les saisir .
On reconnaît celles des Anax car ce sont les plus grandes, qui dépassent 50mm ; chez les aeshnidés, l'exuvie est allongée et non compacte comme celle des gomphidae, le masque est plat, et les palpes labiaux ne recouvrent pas les autres pièces buccales, les antennes sont longues, éffilées, faites de 7 articles semblables. Et chez les Anax, le bord postérieur des yeux forme une ligne perpendiculaire à l'axe de la tête. (Les yeux, très impressionnants, sont ces globes de plexiglass dont est équipé ce char d'assaut.)
Une vue du masque, en position de repos repliée sur la partie ventrale de la face.. Chez Anax imperator, le mentum (la partie allongée en bec de pélican bien visible ici) est assez long et élancé, et son rapport longueur/largeur est de 1,5. Ses exuvies mesurent 49 à 57 mm.
Elle est, dans sa phase initiale si rapide que je n'ai pas pu réaliser des clichés de ce moment où une masse verte sort de l'exuvie, se déploie puis bascule vers le bas pour pendre, à moitié extraite, et rester ainsi à attendre une Saint- Glinglin hypothétique.
J' ai eu de la chance, car la plupart des émergences n'attendent pas les naturalistes de la dixième heure, mais débutent dès potron-minet ou en fin de nuit : la larve d'Anax, qui se développe dans les eaux stagnantes ou légèrement courantes, sort de l'eau, grimpe sur la première tige venue, et l'opération débute.
Les fils blancs qui pendent sont les trachéobranchies, qui se sont arrachées. Les trachéobranchies sont les organes respiratoires nécessaires à l'oxygénation de la larve durant sa vie aquatique. Chez l'Anax, comme chez les autres Odonates, ce ne sont pas des branchies abdominales, mais des branchies rectales internes se ramifiant dans l'épithélium intestinal ( http://aramel.free.fr/INSECTES32bis.shtml). Cette ampoule rectale (rectume dilaté) sert aussi à se propulser en chassant l'eau qu'elle contient !
Ces filaments seraient les troncs trachéens.
Une heure plus tard, elle quitte définitivement son logis et se redresse. Et elle attend encore. Son thorax a depuis le début la couleur verte propre à Anax, mais l'abdomen d'une couleur chair ressemble à une grosse crevette. Les ailes sont translucides, avec des membrures verdâtres. L'attitude est typique, stéréotypé par quelque atavisme génétique qui veut que les pattes viennent enlacer la tête de l'exuvie ; l'abdomen est court et cambré, mais va s'allonger progressivement. L' hémolymphe pénètre les nervures des ailes et les gonfle, provoquant aussi leur allongement. On note qu'elles sont placées verticalement, collées l'une contre l'autre. Les pattes sont blanchâtres.
Entre chaque séance de poses, je vais chasser les papillons autour de l'étang. Maintenant, l'abdomen se structure, les ailes deviennent transparentes et brillantes, cernées de jaune.
Cramponnées à leur jonc comme des naufragées, je découvre ailleurs d'autres libellules dont l'émergence avait débuté un peu plus tôt et dont j'observe la morphologie. Celle-ci n'est plus cramponnée à son exuvie mais son abdomen dilaté et translucide indique qu'elle est à un stade assez identique à la précédente.
Celle-ci est déjà plus proche de l'envol.
Son abdomen est mince.Les ailes se sont déployées de chaque coté du corps, elles ont atteint leur taille définitive.
Celle-ci me donne à voir la tache pentagonale vert sombre de la tête qui permet de préciser l'espèce : parmi les Anax, c'est bien Anax imperator. Le triangle occipital blanc formé à la base des deux yeux est dépourvu d'appendices. Nous sommes en Italie, mais ce n'est vraiment pas l'Anax napolitain A. parthenopes.
Son abdomen prend progressivement les couleurs spécifiques.
Plus tard : parfaitement camouflée parmi les herbes, cette femelle aurait échappé à ma recherche si je ne l'avais pas vu s'y cacher :