C'est une histoire plaisante : le 23 juillet, j'avais vu une belle chenille jaune sur un saule lors de ma visite des tourbières de Kerfontaine (56). Elle était si caractéristique que j'étais persuadé de l'identifier rapidement, mais je revins bredouille de la consultation de mes guides sur les papillons et leurs chenilles, et je plaçais les photographies que j'avais prises dans la rubrique "à identifier".
Tout récemment je découvrais le Forum du site de Bretagne Vivante et je m'y inscrivais : je ressortais ma chenille de ses oubliettes et je la soumettais à l'identification des membres de l'association : mon appât n'est pas resté longtemps inaperçu et j' avais presque instantanément la réponse de Mael Garrin, "moderator" des rubriques lépidoptéres et odonates : " c'est normal que tu n'aies pas trouvé cette (superbe ) chenille dans tes bouquins sur les papillons et pour cause, ce n'est pas une chenille mais une larve d'hyménoptère symphyte. Je me base sur plusieurs critères d'aspect difficiles à décrire. Le mieux a retenir (bien qu'on le distingue à peine sur la photo) est que les chenilles n'ont jamais plus de cinq paires de fausses pattes abdominales ; tandis que les larves de symphytes en ont au moins six ."
Dès le lendemain Mael Garrin me donnait la proposition de détermination d'espèce : Cimbex lutea.
Il me restait à découvrir ce sous-ordre de l'ordre des Hymenoptères, les Symphytes ( c' est-à dire les insectes "associés aux végétaux"), et dans ce sous-ordre, la super-famille des Tenthredinidae, Latreille,1802, le mot tenthredos étant tout droit venu d'Aristote qui désignait ainsi une guèpe nidifiant au sol.
Sur Obsnorm2, Peter Stallegger décrivait récemment les symphytes comme "des guêpes sans taille de guêpe à régime larvaire phytophage"
J'apprends d'un dossier du Gretiaqui leur est consacré que ce manque d'étranglement entre le thorax et l'abdomen est en effet distinctif parmi les hyménoptéres, que les symphytes sont aussi nommées mouches à scie (sawflies en anglais alors que les allemands préfèrent Blattwespen, guêpe des feuilles) en raison de la forme en lame de scie des valves de l'ovipositeur des femelles, grâce auquel elles pondent dans une feuille. Les adultes ont des moeurs diurnes, se nourrissent de pollen ou de nectar.
Je lis encore avec soulagement que les larves, toutes phytophages, ressemblent beaucoup aux vraies chenilles des lépidoptéres, mais en différent effectivement par le nombre de fausses pattes abdominales compris entre six et neuf.
Je m'amuse à découvrir le monde des entomologistes, qui ressemble à celui des agents secrets : lorsqu'ils ne manipulent pas les redoutables "pièges jaunes" ou les "pièges Barber", ils manient le "filet fauchoir", le" parapluie japonais" et la "tente Maltaise" !
Revenons à nos tenthrédes : on en découvre l'organisation taxonomique en parcourant la "liste systématique des hyménoptères Symphytes de France" (2004, mise à jour 2007) de Thierry Noblecourt, l'un des rares "Monsieur Symphyta" , avec Henri Chevin qui prépare actuellement un Atlas des Symphytes de haute-Normandie.
Si je n'ai pas pris la peine de compter les espèces de cette liste de 80 pages, j' ai trouvé dans le dossier Gretia le chiffre de 791 taxons connus en France.
Parmi les tenthredinoidea, on trouve la famille des Cymbicidae, Kirby 1837, chez qui nous ignorerons les corynynae et les abiinae : la sous-famille qu'il nous faut ce sont les cimbicinae, riche en France d'un seul genre, Cimbex sp,Olivier 1791 et comportant :
_Cimbex connatus(Schrank 1776)
_C. fagi, Zaddacch 1863,
_ C femoratus(Linné 1758)
et, last but not least, notre
Cimbex luteus (Linné 1758) :
Si la larve de Cimbex luteus eut, en 2002, l' honneur de faire la couverture de la revue Insectes (n° 126), c'est dans le numéro 151 que Lucas Baliteau et Henri Chevin décrivent ces larves éruciformes, unicolores, à la tête globuleuse, dotées des deux paires de fausses pattes abdominales de plus que les chenilles, et posées sur des feuilles de saule.
Ces larves mesurent jusqu'à 5 cm.
Ces larves se nourrissent des tissus foliaires durant 5 ou 6 semaines, hivernent au stade larvaire et se nymphosent sur l'arbre dans un grand cocon de 16 à 25 mm.
Si Cimbex luteus adopte le saule (salix alba, S. caprea) ou le peuplier tremble, Cimbex connata affectionne l'aulne. Si on trouve des tenthrèdes dans tous les types d'habitats, on les voit fréquemment dans les milieux frais et humides ( comme, pour celle-ci, en tourbière ).
L'imago ne passe pas inaperçu par sa taille, et cette grande guêpe glabre,de 15 à 25 mm , aux ailes fumées presque transparentes, aux antennes en forme de massue, est noire. l'abdomen de la femelle est jaune. L'abdomen est légèrement aplati. Dans sa description princeps du Systema naturae, page 555, Linné le décrit ainsi sous le protonyme de Tenthredo lutea : " antennis calvatis luteis, abdominis segmentis plerisque flavis ... habitat in Salice, Alno, Betula "
Ils volent au printemps et au début de l'été .Ils ne vivent que quelques jours en se nourrissant de la sève ponctionnée dans les feuilles. La femelle pondra 50 à 80 oeufs cylindriques de 3mm de long.
Un grand merci admiratif à Mael Garrin.