Église de Guiscriff (Morbihan) :
un lutrin porté par un paysan en costume breton.
C'était le soir de Noël, lors de ma visite à l'exposition de crèches organisée à l'église St Pierre et St Paul de Guiscriff : un homme grand et accueillant, sans-doute le recteur, que je voyais s'affairer à donner à chacun des précisions sur les santons, voyant que je photographiais son lutrin à double plateau, me déclara : "Vous savez, il ne reste que deux lutrins anthropomorphes comme celui-là en Bretagne, et l'autre, qui est polychrome, se trouve à Bulat. Vous pouvez le dégager des branches de sapin qui le cache, vous allez voir : il est entouré de deux démons qu'il écrase. L'un tient une bouteille, il représente l'ivrognerie ; et à gauche, l'autre diable tient un biniou, pour faire danser les filles."
Me voilà qui étreint ce diable de lutrin qui pesait un poids de voleur, en train de le faire riper à droite, riper à gauche, et sans patin, de rattraper l'énorme bouquin qu'il soutient, et de constater que Monsieur le curé disait vrai (ce dont je n'avais jamais douté) :
donc, voici le "lutrin anthropomorphe" avant ma lutte contre le lutrin. On ne voit, au pied, à droite, qu'un des deux lutins, l'ivrogne, et l'autre, le lutin qui lutine au pied du lutrin, est dans le sapin.
Il n'en mène pas large, l'enfant de Bacchus sous les fesses d'un Titan ; le faune ébrieux aux oreilles pointues, l'aegypan qui picole, le téteur de fiole : au pied Médor, et bas les cornes !
De l'autre coté du lutrin que je n'ai pas dérangé en vain, voilà le lutin turlupin au pif zinzolin, le joueur de tsoin-tsoin tout aussi velu et cornu que son voisin, l'oreille pointue et le sourire assasin. Mais ce n'est pas un faune, mais un vieux satyre libidineux et retors, un fieffé chafouin, un gredin caprin aux moeurs de carabin, le fils du Mâlin à la cornemuse infernale.
Mais le diablotin est bien incapable de jouer de son vilebrequin à danser, son engin à six trous car dès qu'il y tâte, de son crin-crin, l'atlante armoricain resserre sa prise comme un serre-joint et lui cloue le bec.
Maintenant que ces babouins sont écrasés par le brodequin et peu enclins à chahuter, enfin, intéressons-nous à l'Atlas porte-atlas accroupi sur sa base octogonale : la sculpture en ronde-bosse date du XIXème siècle, on ne peut être plus précis sur la datation et on ne parvient pas, m'explique le chapelain, à dire exactement à quel pays, à quelle guise son costume appartient.
C'est un paysan, tête nue bien-entendu puisque son chapeau rond n'aurait pas apprécié le pieux fardeau qu'il s'agit de porter, les cheveux longs , vêtu d'une veste courte et ouverte. Je l'imagine de drap bleu, enrichie de fil de soie jaune, mais qui sait? Ses bords sont garnis d'un galon de raies horizontales, qui suit l'ensemble des contours, se repliant en chicane pour suivre le décroché du pan droit, mais courant vers le haut autour du col, et vers le bas jusqu'au dos de la veste. Les manches sont fendues et dotées d'un bouton.
Le gilet est fermé, sur la droite, par une enfilade de boutons (j'en compte neuf visibles) en face d'autant de boutons du coté gauche. Aucune passementerie n'est visible.
Sous ce gilet, une chemise monte très haut en col montant fermé par devant par cinq petits boutons. Je ne trouve pas ce type de chemise dans le livre de Creston, mais elle se rapproche de la chemise de paysan en chanvre ou lin de la figure 137.
Plus bas, nous trouvons la large ceinture de cuir ou gouriz, fermée par une boucle, puis le bragou bras, et les guêtres boutonnées à l'extérieur. Tout cela ressemble assez bien au Saint Isidore dont j'ai décrit la statue dans l'église d'Élliant : Costumes bretons d'Elliant : vitrail et statues.
J'en étais là de mon inspection de notre cariatide mâle lorsque je fus tiré par la manche par une curieuse femme qui, auparavant, aidait le curé en tenant un stand où elle proposait des lectures pieuses consacrées à la Nativité, aux crèches et aux arbres de Jessé, et des numéros spéciaux du Pèlerin. J'avais évité de m'en approcher, non vraiment en raison de ses traits fripés , du bonnet de laine qui l'a coiffait jusqu'au dessus des yeux, et de la tronche de rustre basse-bretonne qu'elle affectait de prendre pour entretenir l'impression que j'étais tombé dans un conte de Noël des temps anciens, mais justement parce que je redoutais de trouver exposée la preuve même d'un retour dans les années 1950-70 : les albums Fleurette, Sylvain et Sylvette, l'hebdomadaire Bayard ou la revue Record, Je veux être prêtre, la Vie du Curé d'Ars, parmi les exemplaires de Notre Temps ou de Prions en Église.
Elle me montra la paire de godillots du manant à genoux et elle me dit : "regardez les chaussures cloutées : avec des modèles comme ça, la sculpture ne peut pas être très ancienne". Ses yeux pétillaient, elle m'avait bien eu avec sa comédie de bonne du curé!
Et c'est vrai que la statue ne portait pas de sabots, mais des bonnes grosses chaussures lacées ferrées à clous.
Le recteur, nous voyant plongés dans cette contemplation, prit à son tour la parole : Savez-vous ce qu'ils ont découvert lorsqu'ils l'ont restaurée ? Un Saint Sacrement gravé dans le dos de sa veste ! "
Je n'en avais jamais vu, mais j'avais lu quelque chose à ce sujet dans Creston, et , revenu chez moi, je retrouvais la page 87 de Le Costume Breton :
" Il y a à peine cinquante ans, [ 1905, si l'article Cornouaille est paru en 1954] la mode de Rosporden se signalait par un motif ornemental qu'elle semble bien avoir été la seule à employer, et dont l'origine paraît venir directement des ornements décorant armoires et lits clos : le Saint Sacrement et son dérivé le bouquet de fleur, le premier étant le plus ancien (fig. 48 et 49). Ces motifs, comme sur une chasuble, étaient brodés dans le dos du chupenn."
Dés-lors, il serait possible de dater ce costume de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle ( 1890-1910), et de le localiser comme un costume "du groupe de Rosporden", groupe auquel appartient Guiscriff. En un mot, ce serait le costume d'un paysan de Guiscriff des années 1900.
N.B. Cette histoire de Noël est banale mais authentique, et j'en remercie chaleureusement les acteurs, en espérant qu'ils ne m'en voudront pas de les avoir enrôler dans cet article de mon blog.