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27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 00:00

 

          Un lutrin anthropomorphe

            en costume de Mouton Blanc

            à Bulat-Pestivien (22)

 

   C' était une après-midi d'hiver : je poussais la porte de l'église Notre-Dame de Bulat, soulagé de la trouver ouverte après les kilomètres que j'avais parcouru pour découvrir, après celui de Guiscriff, le deuxième lutrin anthropomorphe de Bretagne  Guiscriff : un lutrin anthropomorphe en costume breton.

  Je n'eus pas à le chercher longtemps, car il m'attendait près d'un confessionnal, derrière une rangée de chaise, dans le collatéral sud, très loin du choeur où je m'attendais à le voir remplir sa fonction et porter les Évangiles. Hum hum, je pressentis un malaise, car on ne mets pas ainsi au coin, fut-ce loin de sa paroisse, un jeune paysan vannetais dignement habillé du costume de son pays Pourleth sans raison majeur. Pourquoi le poussait-on ainsi vers le placard à balai et la poubelle ?

bulat-pestivien 9725c

   En attendant une explication de cette disgrâce ( un lutrin qui avait été exposé au Grand- Palais!), je le pris en photo, bien décidé à découvrir ce fameux costume dit "Mouton Blanc" ou "Mille Boutons", porté par les hommes de Pontivy et, plus largement, du pays Pouhlet, du Vannetais ou Gwenedour. Mille Boutons ou Bouton Blanc, je m'y perds, certains décrivent ce lutrin sous ce titre de Mouton Blanc, qui est Pontivy, alors que d'autres en font un Mille Boutons, qui est Guéméné, et je peine à démêler l'écheveau des démêlés entre pays bretons, surtout si c'est bonnet blanc et dubonnet, et de boire le bouillon.  Je ferai de mon mieux.


bulat-pestivien 9698c

   Alors que son collègue de Guiscriff a adopté la posture de l'Atlante, un genou à terre, le Vannetais se tient debout, tête haute, souriant, portant sa charge avec tant d'aise qu'il se contente de poser deux doigts sur le plateau de bois. C'est qu'il en a porté, des sacs de blé et des ballots de paille ! Et peut-être aussi tire-t-il, tel Samson, sa force de la longueur de ses cheveux.

  Au dessus d'un gilet noir où s'alignent tels des moutons à la queue-leu-leu quelques-uns des 144 légendaires  boutons argentés, il porte la veste blanche qui explique le nom de sa tenue. Elle aussi voit s'aligner des théories de boutons purement décoratifs. J'en ai compté 26 du coté gauche avant de m'endormir. Elle porte le nom de justenn ; elle est ici légèrement plus courte que le gilet, alors que l'inverse est signalé par Jean-Pierre Le Gonidec ( Coiffes et Costumes des Bretons, Coop Breizh  2005).  Les manches sont ornées d'un rectangle de velours noir en T portant trois autres boutons.

bulat-pestivien 9701c

 

   Des boutons, j'en découvre encore quatre le long du haut col droit, purement décoratifs, au dessus d'une boucle-agrafe qui ferme l'encolure. On devine par les plis rayonnants le caractère bouffant de cette chemise. On voit aussi que le gilet n'est fermé qu'au deux-tiers, peut-être par un laçage entre les fentes qui sont visibles. Le plastron du gilet est décoré de bandes horizontales, sans-doute de velours, dont les deux supérieures peuvent se prolonger autour du col et sur l'arrière. Je compare les trois bandes de cette image avec cette photo que je copie-colle du blog http://guemenesurscorff.blogspot.com/2011/07/blog-post_23.html

 

 

bulat-pestivien 9715c

 

  L'arrière de la veste fait apparaître, sous une sur-épaisseur en double arcade, douze godrons qui descendent jusqu'au bord inférieur. On signale qu'en pays pourlhet, elles s'évasaient vers le bas et qu'elle dataient de la Renaissance.

  

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  Le pantalon n'est pas le bragou bras bouffant, mais le pantalon long ou bragou berr. Il dispose de deux poches latérales identiques, découpées en fente en mandorle.

   La photographie montre les sabots, recouverts par des guêtres boutonnées (encore!) de sept boutons extérieurs. Elles se fixent au pantalon par ... un bouton. Finalement, je ne sais pas si ce pantalon descend sous le mollet .

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      Le chapeau du pays pourleth (capitale : Guéméné sur Scorff) est un chapeau rond feutré aux larges guides arrières sans boucle, alors que la boucle qui libère les deux  guides est ici bien visible. Les bords du chapeau sont larges.

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        Cette image montre la large ceinture de cuir et la boucle latérale en laiton. On découvre une poche droite supplémentaire, à rabat, horizontale et fermée par cinq boutons. N'oubliez-pas le bouton qui ferme le pantalon.

   Mes comptes :

  -chemise : 4 boutons

  -gilet : 26 boutons

   -veste : 50 boutons + 6 boutons de manches font 56 boutons

   -Pantalon : 5 boutons sur la poche et 2 boutons fixe-guêtres font 7, je n'oublie pas celui de la ceinture soit 8 boutons

   -Guêtres : 14 boutons 

_____________________________________________

Total : 4 plus 26 plus 56 plus 8 font 94, je rajoute 14 qui font 108. Mais je n'ai pas osé aller chercher les n boutons de braguettes, et les éventuels boutons de manche de chemise ou de gilet. 

Je proclame donc le résultat de CENT HUIT BOUTONS dont QUATRE-VINGT TROIS larges boutons plats argentés et SEPT larges boutons plats de guêtres, QUATRE petits  boutons ronds, et SEPT petits boutons plats, et AUCUN MOUTON.

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   Le coin arrière droit du socle cache derrière un missel (sûrement) une inscription : 

    KISELET GANT ANOTROU CHAMAILLARD chom an ROSTREN, signifiant comme chacun sait Sculpté par Monsieur Chamaillard de Rostrenen.

 

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   Bien-sûr, je me demande de quel "Chamaillard" il peut s'agir, pour découvrir rapidement qu'un Paul Chamaillard, sculpteur à Rostrenen, est l'auteur, en 1890 de le série des apôtres en bois polychrome alignés dans le porche de l'église Notre-Dame du Roncier à Rostrenen. C'est aussi l'auteur dans la même collégiale, de la cathèdre destinée à Mgr Bouche, qui fut évêque de Saint-Brieuc de 1882 à 1888, ce qui permet de dater ce fauteuil. En 1886, Mgr Bouche rend hommage à sa statue de St Jacut placée à l'entrée du monastère de Saint-Jacut. 

   De quand date ce lutrin? Un fiche des Monuments Historiques, qui l'a classé au titre d'objet en 1978, a été rédigée en 1994 et mise à jour en 2002 (ref PM 22000065). Elle donne la datation de "3e quart du XIXe ", et "vers 1860". Très bien, Paul Chamaillard aurait pu l'avoir réalisé étant jeune.

  Le frère de ce sculpteur était entrepreneur en travaux publics et privés, et a été chargé de restaurer l' église de St Michel-en-Grève (jusqu'en 1850), celle de Trémargat ou de la voûte de l'église de Kergrist-Moëlou, qui fut peinte en 1871 par Gilbert. 

  Il apparaît que c'est le fils de cet entrepreneur de Rostrenen, Émile Chamaillard, né en 1875 à Rostrenen, neveu de Paul Chamaillard dont il dut fréquenter l'atelier, qui est l'auteur de ce lutrin (source :http://marikavel.org/bretagne/bulat-pestivien/eglise-interieur.htm). Il devint chirurgien-dentiste à Paris (v.1901), et il publia en 1910 un ouvrage historique qui continue à faire référence, Rostrenen révolutionnaire

  Il ne peut donc dater, au plus tôt, que de 1895, dans la fourchette de vraisemblance de 1895-1901. Cette date approximative est très proche de celle à laquelle j'ai abouti pour le lutrin de Guiscriff.

   Le costume dit "des moutons blancs" est apparut vers 1870. Il s'agit d'un chupenn et d'un gilet de draperie blanche avec des bandes de velours noir rehaussées de broderies bleues et rouges en forme de motifs ornementaux primitifs (soleil, croix, étoiles, fleurs de lys), qui disparaîtront peu à peu. En pays pourleth, le costume initialement très proche du "mouton blanc" change  après 1870 pour devenir noir : c'est le costume "mille boutons".


 

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  A me voir tourner autour de ce lutrin pour vérifier qu'il ne lui manquait pas un bouton de guêtres, une de ces dames qu'on trouve dans ces églises désertes en train de fleurir la statue de Sainte Catherine, de redresser tendrement la crosse d'une saint-évêque qui fléchit, d'effacer un pli sur  la nappe d'autel, de tirer machinalement le rideau du confessionnal, celui de droite étant légèrement plus ouvert que le gauche, de surveiller  si les cierges de dévotion piqués sur l'if (mais oui, le support où les fidèles plantent leur bougie porte le même nom que le support de bouteilles de vin qui s'égouttent ) s'éteignaient bien, comme le commercial de la ciergerie l'avait assuré, automatiquement à 6 centimètres du bord, de prévoir mentalement la prochaine commande de veilleuse votive ( reprendre les rouges, forme tulipe, un carton de 48, l'essai de ces cylindriques couleur ambre n'a pas été heureux), bref une de ces saintes dévotes dont la relève n'est plus assurée et qui portent sur leurs humbles épaules la logistique d'une paroisse s'est approchée de moi sous prétexte qu'elle ne trouvait plus ses deux pieds de micro qui étaient pourtant toujours là, à la même place. "Ils n'ont pas pu s'envoler, tout-de-même". Non, mais je les découvris sous la statue de Notre-Dame, où elle se rappela les avoir placé. Elle avait tant de chose à faire...il y allait avoir une messe d'enterrement... le manuterge était-il plié sur la paire de burettes, ou bien ec linge liturgique, avec lequel le prêtre essuie ses doigts après le lavabo avait-il été confondu avec le corporal ? (le premier a une croix brodée dans le coin, et le second au centre...l'antépendium était-il masqué par la nappe d'autel ?... tout-à-l'heure, le célébrant trouvera-t-il tout ce qu'il faut pour superposer successivement sur le corporal le calice, puis le purificatoire, puis la patène, puis le pale, puis le voile de calice ?

  _ Eh puis maintenant, on ne peut rien laisser. Vous avez vu ce qu'ils ont fait ? Et puis ne me dites pas que ce sont des enfants qui ont fait ça

  Je suivais du regard l'index tremblant d'indignation, et il me désignait, un peu plus bas que la ceinture de notre paysan en tenue du dimanche, un dessin noir qui transformait notre paroissien bas-breton en pâtre grec ithyphallique!

  J'en fus rouge de confusion pour cette dame qui voyait ainsi toute sa peine, son dévouement, l'abnégation de ses humbles balayages, l'oraison de ses travaux ennuyeux et faciles, sa patience à exercer en son église la tradition rustique et millénaire de l'hospitalité, bafouée par le pencil ridicule d'un imbécile.

 - Et regardez le visage, qu'ils ont barbouillé comme des sauvages !

  C'est vrai que le gwenedour (vannetais) prenait des allures de petit ramoneur :

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   _Une personne a voulu le nettoyer, mais les Monuments Historiques ont dit : "Laissez le comme ça" ! Ah ben ça alors !

  Juste en face, du coté gauche de la nef, j'entendis un ricanement, comme un grincement : je traversais-genuflexion-la nef et je vis une chaire à prêcher dont la cuve  n'avait pas vu un chat depuis des lustres.

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  Et, en dessous, me fixant d'un regard glaçant, il y avait Ceci :

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  Il avait ouvert toutes grandes ses oreilles de chirioptère et n'avait perdait goutte de notre discussion. Il jubilait. Il frétillait de la queue et claquait ses griffes nerveusement.

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        Ah le Malin ! Comme il savait tramer ses coups infects jusque dans la Maison Divine ! L'Odieux !

    Scandalisé, je revenais vers le lutrin :

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   Je comprenais maintenant qu'il soit placé dans son coin, et il pouvait s'estimer heureux de ne pas être dos au mur, pour cacher ça ; imaginez-le sur l'estrade derrière la clôture du choeur, portant les Saints Évangiles ! 

   A Dieu ne plaise! Cui-ci peut pus servir à ren  avec c'truc à l'air comme s'il avait l'grand pont ouvert et la têt lessivée avec une morgat ! I vaut puz un'bolée d'cid!

 


   

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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