L'exposition Miró à Landerneau : ça me botte , ou Au Bonheur des Messieurs.
Pas plus que de Flaubert de Charles Perrault , on ne nous fera dire que Joan Miró relève de ce que MM. Binet, Moll et Krafft-Ebing ont décrit comme le fétichisme de la chaussure. Celui-ci suppose "un désir et une excitation sexuelle pour les chaussures (féminines habituellement) à l'exclusion de tout le reste". Nous sommes ici dans la création artistique, et non dans l'étude clinique d'un cas. Mais cette confusion est si fréquente que la paraphilie est nommée parfois rétifisme, du nom de Restif de la Bretonne pour son roman Le pied de Fanchette (1763). Être l'auteur de Cendrillon peut aussi vous valoir des étiquettes définitives.
Aussi n'est-ce pas la curiosité envers la Psychopathia Sexualis ( Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.) mais la simple et pure émotion artistique qui m'a amené à parcourir les galeries de l'exposition Joan Miró l'Arlequin artificier du Fonds Hélène et Édouard Leclerc aux Capucins de Landerneau en passant d'une sculpture à l'autre à la recherche de toutes les chaussures que le sculpteur catalan avait fait réalisé en bronze, et dont il avait poli les formes fines, pointues et cambrées avec un soin particulier.
Pourtant...quel gâchis de délaisser tout ce matériel onirique qui ne demande qu'à être interprété ! Quelle agressivité dans cette association avec la molette crantée d'une scie ! Quel appropriation dans ce plaisir d'infliger la gravure de son nom dans la matière !
Quelle complaisance à associer la froideur de la mécanique industrielle, de ses essieux et de ses tiges avec la ligne sinueuse de l'accessoire de mode !
Cet homme là ne sait-il pas sculpter le pied d'un homme, pour se contenter de ses richelieu, ses derby et ses molière ? Oh non, il le prouve immédiatement, Phidias et Praxitèle l'accueilleraient dans leurs rangs :
Mais c'est plus fort que lui, quand il ne sculpte pas des croissants de lune, il forme, presque machinalement, des chaussures.
On aura remarqué qu'il ne s'agit pas réellement d'ailleurs de chaussures, et que ces formes pleines, creusées en leur cambrion d'une gorge rectangulaire, dépourvues de quartiers ou de tiges, et à l'empeigne percé de deux trous, correspondent plutôt à ces formes rigides qu'on place dans ses escarpins pour éviter qu'ils ne se déforment.
Autrement dit des embauchoirs ou embouchoirs dont M. Sakoski, bottier à Paris en 1809, distinguait trois modèles : formes correctives ; semi-correctives ; et d'entretien. Elles étaient "composées de telle sorte qu'à l'aide d'une simple clef de pendule on puisse en augmenter les dimensions dans tous les sens, et sur plusieurs points différents, variables à volonté. Quatre boutons, qui se placent à volonté dans des trous sont destinés à élargir à volonté l'endroit convenable de la chaussure. Deux arbres carrés portent le mouvement dans l'intérieur des formes : l'un se tourne avec la clef lorsqu'on veut allonger ou raccourcir ; l'autre sert, à l'aide de deux roues d'angle, d'une vis de rappel et de plans inclinés, à élargir et à faire sortir, ensemble ou séparément, les boutons. Des pièces à coulisse consolident l'assemblage de la semelle avec le talon. (Dictionnaire chronologique et raisonné des descouvertes ... en France Paris : Colas, 1823.)
Il y a autant de différences entre une chaussure et son embauchoir qu'entre les rangées de dents d'un sourire juvénile, et l' appareil multibague d'un orthodontiste. Ou entre une poitrine d'adolescente et un corset de Milwaukee. Et si on peut suspecter (à tort) Charles Perrault de fantasmer sur les pantoufles de vair de Cendrillon, on doit dédouaner de toute suspicion de fétichisme un sculpteur catalan qui écoule un stock d'embauchoir récupéré chez un bottier en faillite !
Quoique...