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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 10:48

       La chapelle de la Madeleine à Penmarc'h :

                Bannière et statues.

 

      I. La chapelle :

  La chapelle de la Madeleine tirait son intérêt premier d'être un témoignage historique sur les anciennes léproseries médiévales. Soigneusement remise en état par Les Amis de la Madeleine après plusieurs détériorations liées notamment à la rivière qui la traverse, elle abrite un ensemble de statues consacrées à Marie-Madeleine, à sa soeur Marthe et à leur frère Lazare. Récemment, elle s'est enrichie d'un splendide ensemble de vitraux de Jean Bazaine qui traitent, sur le mode non-figuratif, de Marie-Madeleine. Enfin, une bannière Le Minor représentant Marie-Madeleine a été réalisée en 2010. 

   Cet édifice qui est devenue un joyau du pays bigouden nous donne ainsi l'occasion d'approfondir la connaissance de l'hagiographie de sainte Madeleine.

 

 

 

Vue du chevet et de la maîtresse-vitre; à l'opposé, le pignon ouest est surmonté d'un clocher à jour, terminé par une flèche et dont l'accès s'effectue par des escaliers extérieurs.

statues 2783c

 

   Près du hameau de Lescors à Penmarc'h, l'emplacement de la chapelle correspond à un ancien culte celte, organisé autour de la Pointe de la Torche et dont attestaient jadis des alignements de menhirs proches. On peut découvrir ces mégalithes "de Lestriguiou" à 250 mètres au nord de la chapelle. Ce fut ici le plus important alignement du Finistère, un "petit Carnac" de quelques 600 pierres encore visibles au début du XIXe siècle. On en voit une cinquantaine qui ont été redressées en 1989 (ils avaient été enterrés pour ne pas géner les cultures) le long des chemins par une association, sans prétention d'exactitude scientifique mais en témoignage de l'importance de ce site. Il y avait jadis quatre rangs de pierres parallèles, sur plus d'un kilomètre. (d'après ce blog :http://voyageautretombe.over-blog.com/article-22263059.html )

 

 

 

Puis le lieu abrite dès le XIIIe siècle une  léproserie : les lépreux ou "ladres"  ou "cagots" mis au ban de la société y vivaient à l'écart, mais disposaient d'une chapelle dédiée à saint Étienne.

  La lèpre qui prit une grande importance au Moyen Âge dès le Xe siècle est sans-doute assez éloignée de la maladie peu contagieuse, responsable de mononévrite, de troubles trophiques et de mutilations des extrémités, due au bacille de Hansen, que nous désignons sous ce nom : nous ignorons ce que nos ancêtres intitulaient "lèpre", englobant peut-être les dermatoses suintantes chroniques, les artérites, le lupus tuberculeux, les lésions de l'ergotisme avec les cas authentiques de lèpre. (M. Trévien, J.C. Sournia, les léproseries en Bretagne, Ann. Bret. 1968  link ).

  Les léproseries, créées sous l'égide des évêques, des monastères ou des seigneurs et fonctionnant grâce à des dons et legs, consistaient en un regroupement de huttes, puis de maisons autour d'une source ou d'un puit, d'une chapelle, et d'un cimetière. Les habitants avaient le droit d'y cultiver la terre, ou d'exercer des métiers réservés, dont le plus répandu était celui de cordier. Lorsque la "maladrerie" était entourée d'une enceinte, les familles des malades, ou les personnes dévouées, apportaient leurs dons par un tourniquet, afin d'éviter tout contact.


  Saint Étienne est connu pour son martyr par lapidation cité dans les Actes des Apôtres, mais c'est un saint thaumaturge responsable de guérisons miraculeuses ; et je note qu'à Caen, la Maladrerie portait le nom de "maison des lépreux ou d'"hôpital Saint-Étienne". On (Wikipédia) cite que les fleurs, posées sur l'autel dédié à ce saint, possédaient le pouvoir de guérir les malades. Ici, à Penmarc'h, l'autel avait été construit au dessus d'une source, dont les eaux traversaient l'église d'est en ouest avant d'atteindre la fontaine de Feunteun Sant Pustoc'h et celle de Sant Stefen: c'est ainsi que cette eau acquérait des vertus curatrices envers les maladies de la peau.

  Un mention sur ce nom de Sant Pustoc'h : cet hagionyme, si on me passe ce néologisme, vient du breton puster, "pustule", et il s'agit de l'un de ces noms et l'un de ces saints forgés de toute pièce par une effet de langue pour répondre aux besoins du culte : on avait besoin d'un saint guérisseur de pustule, eh bien voilà Sant Pustoc'h ! (Mireille Andro, 1994, Les fontaines dans le sud-ouest du pays bigouden, Mem. de maîtrise d'histoire (inédit), J.Y. Éveillard dir. U.B.O, Brest, 2 vol.). Cette fontaine porte aussi le nom de Feunteun Intron Varia an Delivrans, ce qui fait penser que les femmes s'y rendaient pour que l'accouchement se passe bien, comme à feunteun an delivrans de Trévars. Cette fontaine semble donc se dédoubler dans ses fonctions, tantôt dédiée à Sant Pustoch contre les maladies (on transmettait au saint la maladie d'un enfant en faisant porter quelques instants à sa statue la chemise du petit malade, et le mal était ainsi "fixé", ou bien on posait la chemise d'un patient et on regardait si elle surnageait, signe de guérison), et tantôt réservée aux parturientes. (Mireille Andro, Les fontaines du sud-ouest du pays bigouden, in Fontaines, puits, lavoirs en Bretagne, CRBC-UBO, Brest 1998).


  Au XVIe siècle, la petite chapelle est agrandie et dédiée (à la suite d'un voeu ) à sainte Marie-Madeleine. Celle-ci est la patronne des lépreux car celle est, selon l'évangile de Jean, la soeur de Lazare. 

  En réalité, c'est un peu plus compliqué et il faut revenir aux textes pour comprendre l'histoire de famille que les statues de la chapelle, sa bannière et ses vitraux vont nous raconter. 

1. Marie, Marthe et Lazare :

  a) Nous avons d'abord dans les évangiles deux Lazares : Lazare de Béthanie, et Lazare le juste, sorte de Job couvert d'ulcères qui, dans Luc 16, 19-31, se nourrit des miettes qui tombent de la table du mauvais riche. "Et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères".  Ce dernier, qui le jour de sa mort sera reçu bras ouvert par Abraham aux Cieux, pourrait sembler un candidat idéal pour devenir le saint patron des lépreux, mais pas du tout, c'est l'autre qui reçut leurs faveurs, et comme personne ne pense que ces deux Lazares ne font qu'un, lorsque nous parlerons de Lazare, il ne sera pas question du scrofuleux de la parabole du Mauvais riche.

 b) Lazare de Béthanie vit dans une bourgade de la banlieue de Jérusalem (sur le Mont des Oliviers) avec sa soeur Marthe et sa soeur Marie, et tous les trois sont d'excellents amis de Jésus. En lisant Luc 10, 33-42, nous avons appris que Marthe est la parfaite maîtresse de maison toujours angoissée d'avoir oublié un couvert à poisson en mettant la table, et qui reçoit Jésus en s'affairant sans-cesse, tandis que Marie est la contemplative qui reste assise à écouter le Seigneur. Et  nous jubilons un peu lorsque Jésus s'adresse à Marthe pour lui dire : "Marthe, Marthe, tu t'agites et t'inquiètes pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée". J'aime d'autant plus cette citation car mon père affectionnait de la déclamer à tort ou à propos, pour le seul plaisir d'accentuer la liaison finale en disant  "elle ne te sera point tôter".

   c) Plus tard, dans Jean 11, 1-44, nous lisons comment Jésus, averti que Lazare est gravement malade, se rend à Béthanie, mais arrive trop tard : Marthe vient en courant (bien-sûr) lui annoncer que Lazare est mort, alors que Marie est restée, elle, assise dans la maison à pleurer. Jésus la fait appeler et elle se jette à ses pieds en lui disant "Seigneur, si tu eusses été ici mon frère ne serait pas mort". Jésus décide alors de ressusciter Lazare et se rend à la grotte où est le tombeau. "Ayant dit cela, il cria d'une voix forte Lazare, sors! Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d'un linge. Jésus leur dit : déliez-le, et laissez-le aller."

 d) Ce texte de Jean commence par "C'était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c'était son frère Lazare qui était malade". Mais Jean situe la scène de l'onction quelques temps plus tard (Jean 12, 1-4) :

  "Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie, où était Lazare, que Jésus avait ressuscité d'entre les morts. On lui fit là un repas. Marthe servait. Lazare était l'un des convives. Alors Marie, prenant une livre d'un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux ; et la maison s'emplit de la senteur du parfum."

2. La femme pécheresse de Naïm dans Luc 7, 37-38 :

   Jésus, qui vient de ressuscité le fils unique de la veuve de Naïm, une ville de Galilée, est reçu dans la maison de Simon le pharisien; là, alors qu'il est à table, 

"Et voici, une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville, ayant su qu'il était à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d'albâtre plein de parfum, et se tint derrière, aux pds de Jésus. Elle pleurait ; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis elle les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum."

3. Marie de Magdala dans Luc 8, 2 :

" Les douze étaient avec lui et quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons."  

  Le texte ne dit pas que ce Magdala est une ville,, mais le rapprochement a été fait avec  la ville de Galilée du bord du lac de Tibériade nommée Migdal,  forme de l'hébreu mighdal qui signifie "tour".

  La forme latine Magdalena, "de Magdala" a donné notre prénom Madeleine.

4. Marie de Magdala, la disciple du Christ :

  Cette Marie magdalena est mentionnée plusieurs fois parmi les disciples qui entourent le Christ:

  • soit au calvaire (Marc 15, 40-41 ; Matthieu 27, 55-56 ; Jean 19, 25-28 :" Près de la croix se tenait sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdalena" ).
  • Soit lors de l'ensevelissement et la mise au tombeau (Marc 15, 46-47 ; Matthieu 27, 59-61)
  • soit lors de la constatation du tombeau vide et de la Résurrection (Marc 16, 1-11 ; Matthieu 28,1-10, Luc 23, 55, Jean 20, 1-18) "Les femmes qui étaient venues de Galilée avec Jésus accompagnèrent Joseph, virent le sépulcre et la manière dont le corps de Jésus y fut déposé, et, s'en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums. [...] A leur retour du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze, et à tous les autres. Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala ..." (Luc 23, 55 à 24, 11) 
  • soit lors du tête à tête de Marie-Madeleine avec le Christ ressuscité (Jean 20,1)

"Et, le premier jour de la semaine, Marie de Magdala se rendit au sépulcre dès le matin, comme il faisait encore obscur ; et elle vit que la pierre était ôtée. [...] Femme pourquoi pleures-tu Qui cherches-tu ? Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai. Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna, et lui dit en hébreu : Rabbouni ! C'est-à-dire : Maître ! Jèsus lui dit : Ne me touches pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". (Jean 20, 15-18).

C'est la scène de Noli me tangere, "ne me touche pas", sujet de l'un des vitraux de Bazaine.

 5. Sainte Marie-Madeleine de l'église chrétienne d'Occident.

  Saint-Augustin (354-430) puis  Grégoire le Grand (540-604) dans ses Homélies sur l'Évangile (Homiliae in Evangelium 25) assimilèrent Marie de Béthanie avec la pécheresse de Naïm et avec Marie de Magdala , et le père du chant grégorien fut ainsi le père de ce personnage légendaire, Marie-Madeleine, pécheresse repentie et disciple préférée de Jésus, caractérisée par ses longs cheveux, son flacon de parfum, par son élégance, et par sa présence au pied de la Croix lors de la Passion, lors de la Mise au tombeau, et surtout, le lundi de Pâques, lors de sa rencontre avec le Christ ressuscité. Cette Marie-Madeleine, cette Sainte Madeleine fut vénérée dans l'Église d'Occident sans que la véracité de son existence ne fut remise en cause pendant 14 siècles, malgré Lefèbvre d'Étaples au XVIe siècle  par Paul VI en 1969, qui énonce que ce n'est pas la pécheresse que l'Église vénère, mais la disciple de Jésus. 

   Si les spécialistes de l'exégèse sont d'accord pour dénoncer la confusion entre les différentes Marie, c'est pourtant la Sainte Marie-Madeleine de la tradition catholique qui est représentée par les statues ou les vitraux, et à laquelle s'est adressée la vénération des fidèles : légendaire ou non, c'est elle qui a donné son nom à cette chapelle de Penmarc'h, c'est elle qui l'anime.

  C'est aussi elle qui selon sa légende, face aux persécutions d'Hérode, quitta Bethanie et la Palestine en bateau avec Marthe, Lazare, Marie Jacobé soeur de la Vierge, Marie Salomé mère des apôtres Jacques et Jean, Maximin l'un des 72 disciples et débarqua en Camargue. Maximin se dirigea vers Aix, Lazare se rendit à Marseille dont il devint le premier évêque, Marthe alla à Tarascon, les deux Marie restèrent avec Sara leur servante fonder les Saintes-Maries de la Mer, et Madeleine se retira dans le massif de la Sainte-Baume pour vivre en ermite pendant trente ans pour épancher sa douleur. Elle fut enterrée à Saint Maximin-la-Sainte-Baume, où son tombeau d'abord gardé par des moines cassianites devint le troisième tombeau de la chrétienté après la découverte des reliques en 1279.

  A l'époque carolingienne la fête de la sainte est fixée le 22 juillet. Le prénom "Madeleine" apparaît au IXe siècle.

  L'abbaye de Vézelay, fondée en 860, est placée sous l'égide de sainte Madeleine à partir du XIe siècle après que l'abbé Geoffroy ait convaincu les fidèles que les reliques de Sainte Madeleine y étaient conservées. 

  Au XIIIe siècle, Jacques de Voragine publie la légende de "Sainte-Marie-Madeleine, pécheresse" au chapitre 95 de sa Légende Dorée.

 

6. La figure de Marie-Madeleine dans l'iconographie.

  Marie-Madeleine associe par les différents aspects du personnage de l'évangile et de son enrichissement légendaire de multiples figures, qui furent soulignés et illustrés tour à tour :

  • La prostituée, la femme symbolisant le péché sexuel et la luxure, et reprenant la figure de la mauvaise Éve : d'où, indirectement, la diabolisation possible de la sexualité, voire de la féminité.
  • La femme des sept démons, des sept péchés capitaux, figure de l'humanité frappée par le péché mais pardonnée par le Christ
  • La femme repentante, rachetant son péché par ses larmes et par son amour quasi sacrificiel pour le Christ.
  • La femme sauvage, versant féminin de Jean-Baptiste, dénudée, seulement couverte par ses très longs cheveux, vivant son remords ou son chagrin dans la solitude du désert ou dans une grotte, 
  • La femme riche, élégante, raffinée caractérisée par les vêtements et surtout son flacon de parfum, et dont le nom (mighdal, "tour"donc "château") évoque la noblesse.
  • la figure de la mélancolie : Madeleine lors d'un exercice de mortification contemple les symboles des vanités de sa vie de courtisane, ou de la vie temporelle : crâne, bougie qui se consume, bijoux, et médite sur le caractère dérisoire et futile de ces biens d'ici-bas par rapport à l'importance de faire son salut et de gagner la vie éternelle.


7. Et les lépreux ?

 Hormis le lien de famille avec Lazare, j'ignore pourquoi exactement sainte Madeleine est devenue la patronne des lépreux, ou peut-être plus précisément des léproseries. 


     D. Iogna-Prat :La genèse du culte de Marie-Madeleine : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_1992_num_104_1_3217

 

  La chapelle.

  Un premier édifice rectangulaire consistant en une simple nef sans bas-cotés a été bâti dans le style roman au XVe (date 1410 sur le coté sud-ouest de le nef). Les lépreux y entendaient l'office à l'écart des autres paroissiens, dans la partie ouest, séparés par une barrière en bois. 

 Au XVIe siècle, une augmentation de la population de "cacous" imposa un agrandissement du lieu : le clocher fut déplacé au dessus du pignon ouest, renforcé de contreforts, le mur est fut abattu et remplacé par un arc diaphragme et on construisit un batiment de style gothique à chevet plat avec choeur à trois travées avec unique bas-coté gauche, dont la belle  porte est actuellement murée. Cette augmentation du nombre des malades entraina l'établissement d'autres lazarets, à Plovan et à Pont L'Abbé (chapelle de la Madeleine détruite en 1970, remplacée par des toilettes publiques).  A La Madeleine, une grille de fer séparait l'église en deux parties : celle d'ouest, correspondant à l'ancienne chapelle romane, était réservée aux lépreux.  

  Le pignon oriental fut percé d'une large baie, conforme aux prescriptions de l'école d'architecture de Pont-Croix, qui faisait autorité et dont les tailleurs de pierre ont signé leur passage par leur marque spécifique d'un motif en frise. 

  En 1809, elle a été vendue comme bien national à Pierre Durand, maire de Penmarc'h, puis restituée à la paroisse en 1819.

  La rivière qui traverse d'est en ouest le sous-sol a toujours été responsable d'une humidité considérable qui a entrainé à de multiples reprises la ruine de la chapelle. C'était le cas, bien attesté, en 1890, où une rénovation quasi totale (vitraux, charpente, toiture) fut menée à bien. Mais en 1928, un orage fit tomber la foudre sur le clocher, lequel s'effondra sur la toiture en la détruisant. En 1933, une nouvelle remise en état est décidée, mais on poussa le zèle jusqu'à lambrisser la charpente, ce qui en supprima si bien la ventilation qu'elle s'ecroula brutalement un beau jour.

  Quoiqu'elle fut classée en 1956 par les Monuments historiques, elle était alors réduite à ses murs, une ruine où les gamins du voisinage venaient jouer, lorsque dans les années 1960, Edmond Michelet, alors ministre de la culture, et qui possédait une maison à Penmarc'h depuis 1930, décida sa restauration. Des crédits furent alloués, des projets élaborés, les habitants furent sollicités pour débrousailler le placître et la chapelle et regrouper les pierres...jusqu'au changement de ministre et la suspension des crédits. Enfin, une équipe de Compagnon de France fut envoyée par les Bâtiments de France, lesquels rénovèrent la charpente en 1966-68 dans le plus pur style XVIe siècle, poutres en chêne chevillée de bois, remarquable travail qui n'eut pas son équivallent pour la maçonnerie. Là, pour remonter les murs, point de maîtres maçons, pas de tailleurs de pierre, mais les bonnes volontés improvisées localement à coup de ciment ou de parpaings. Dommage, mais voilà enfin, en 1970, la chapelle "hors d'eau", et bien ventilée puisqu'il n'y avait ni porte ni vitre aux fenêtres ! 

  C'est alors que se situe la grande aventure de la réalisation des vitraux par Jean Bazaine : ce que nous découvrirons dans l'article consacré à ce chef d'oeuvre.

 

  Ces éléments historiques sont issus des notes prises lors d'une visite remarquablement guidée par Mme Andro, de l'association des Amis de la Madeleine, lors de le Journée du Patrimoine du 15 avril 2012. Que l'on me pardonne toute erreur de compréhension ou de transmission de son exposé aussi vivant et passionné que passionnant.

 

II. Les statues    

      Marie-Madeleine :

Bois polychrome

  Elle apparaît ici comme une femme riche, habillée "dernier cri", maquillée, les sourcils épilés en arc, le front épilé également. Sous un manteau violet (couleur de la pénitence) aux larges manches, elle porte une robe dorée constellée de quatrefeuille, robe courte qui dévoile largement une tunique blanche ornée et ourlée d'or. L'encollure n'autorise aucun décolleté, mais montre les rabats d'une chemise blanche et or, qui apparaît aussi aux manches.

  C'est ici la femme aux parfums qui est donnée à voir, sans aucun élément évoquant le chagrin, le remords, ou le péché. 

DSCN2940c

 

Les deux attributs principaux sont le flacon de parfum, et la chevelure. Le flacon est suffisamment précieux pour laisser imaginer la valeur du nard qu'il contient : c'est une pièce d'orfévrerie d'or et d'argent, aux flancs torsadés.

  La chevelure est également torsadée, déroulant ses volutes sur les épaules et vers les reins au lieu de le maintenir sagement attachée, ce qui est le symbole de la liberté (passée) de ses moeurs. Elle est recouverte d'un voile fait de ce tissu blanc rayé que j'ai retrouvé sur les vierges allaitantes. Ce tissu posséde certainement un nom qui en préciserait la provenance, mais je l'ignore. Au dessus du front, une rose d'or symbolise peut-être la pureté conférée par le repentir et la conversion, à moins qu'il ne soit là que comme un bijou luxueux. 

  Le maquillage des yeux et des lèvres est outré, mais faut-il l'attribuer à la sainte elle-même, ou au zèle du dernier de ses restaurateurs ?

 

statues 2828vv

 

Sainte Marthe

  Est-ce vraiment elle ? Elle ne porte aucun des attributs que l'on pourrait lui imaginer, le plateau ou la table roulante, le chiffon à poussière ou la tête-de-loup, le tuyau d'aspirateur ou la raquette à battre les tapis. Pourtant l'étymologie de son nom, l'araméen martã signifie "maîtresse de maison, hotesse". Freud aurait pu la donner en exemple d'un cas de psychose de la ménagère pour traiter sa patiente Ida Bauer, alias Dora, dont la mère était sévèrement atteinte. (Fragmenjts d'une analyse d'hystérie, Cinq psychanalyses, 1905).

  En y regardant de près, on voit que les mains de Marthe tenaient jadis un manche à balai, qui n'a pas été conservé.

   En réalité, le véritable attribut de sainte Marthe est la Tarasque, la bête féroce (une araignée peut-être ?) qu'elle captura à Tarascon en l'enlaçant de sa ceinture. Mais point de tarasque ici, nous sommes dans le Finistère et non dans le Midi.

statues 2823ccc

 

Saint Lazare

Bois polychrome, XVIIIe siècle.

frère de Marthe et de Marie, porte sa tenue de premier évêque de Marseille. Rien ne le différencie d'un autre saint-évêque, rien n'évoque son petit séjour outre-tombe, dont il semble revenu sans crier gare, le teint frais et le regard bleu ciel.


 

statues 2802c

      Un diacre : saint Étienne. 

Bois polychrome, XVIIe siècle.

statues 2842c

 

Pietà.

Bois polychrome, fin XVe (R. Couffon) ou 4ème quart XVIe (fiche PM 29001625 des Monuments historiques), classée.


DSCN2943c

 

      Saint Yves

représenté ici en official ou juge écclésiastique, comme à l'église paroissiale Saint-Nonna.

 " En official ", facile à dire, mais trouver une description fiable du costume de l'official du XIIIe siècle, c'est autre chose. L'article, comme toujours trés documenté et à la riche iconographie, de Yves-Pascal Castel dans la publication de CRBC et des Presses Universitaires de Rennes de 2004 Saint-Yves et les Bretons, ne m'a pas donné d'éléments précis, et surtout, aucune des statues décrites ou photographiées ne montrent cette cocarde blanche qui semble, sur la statue de La Madeleine comme à Saint-Nonna, l'attribut de sa fonction.

  L'iconographie de saint Yves, vêtu dans ses fonctions de recteur ( de Trédrez ou de Louannec) ou dans celle d'official, apparaît en réalité très variable : robe rouge, carmail d'hermine, soutane, tunique orné d'hermine, cotte et surcot complété d'un capuchon, coiffures diverses.



 

statues 2806c

 

 


La statue de saint Yves à Saint-Nonna : sur l'épaule gauche cette fois-ci, la large galette blanche cousue sur une bande de tissu fixée au cou. 

  Si vous pouvez éclairer ma lanterne, n'hesitez pas !

DSCN3012c

 

  Yves Hélory de Kermartin a été nommé official du Diocèse de Tréguier en 1284 et a exercé cette fonction pendant 20 ans. 

  Ici, il porte comme coiffure une sorte de bonnet rond, et non la "barrette" ou bonnet carré.

  Au dessus de la sage chemise blanche, il porte un camail qui recouvre ses épaules et est orné de franges dorées dessinant des créneaux. Et puis une robe noire, simple, aux manches larges, descendant jusqu'aux pieds chaussés de chaussures noirs sans boucles.  Dans la main, il tient le rouleau de sa plaidoirie.

 

statues 2794c

 

 

III. La bannière : 

  Elle a été réalisée à la demande de l'association des Amis de la chapelle de la Madeleine, présidée par Pierre Gloaguen, pour le pardon du 25 juillet 2010 et un article du Télégramme de Brest nous apprend que le trésorier Antoine Tirily a du réunir une somme de 8000 à 9000 Euros. Le carton a été confié à Jakes Derouet, qui avait déjà conçu celle de la chapelle de Lannelec  Vierges allaitantes VII : Chapelle de Lannelec à Pleyben, la Vierge. 

  Une bannière de procession est en réalité composée de deux pans de tissu brodés, qui peuvent être exposés de façon indépendante.

   1. La première face :

Une face est consacrée à Saint Étienne, à qui la chapelle romane initale (XIIIe siècle) était vouée : on voit ce diacre tenir fermement un livre qui témoigne de son érudition et de sa volonté de défendre la fidélité aux Écritures. La lecture du chapitre 7 des Actes des Apôtres montre Étienne s'en prenant aux vingt-trois membres du Sanhédrin en s'appuyant sur la Bible pour leur montrer qu'ils ont repoussé les prophètes et se sont opposés au Saint-Esprit pour adorer des veaux d'or. C'est lorsqu'il les traite d' "hommes au cou raides, incirconcis de coeur et d'oreilles" et qu'il déclare :" lequel de vos prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? Ils ont tué ceux qui annonçaient d'avance la venue du Juste, que vous avez livré maintenant, et dont vous avez été les meurtiers" qu'ils le conduisirent à l'écart de la ville et qu'ils le lapidèrent. Et les témoins déposèrent leurs vêtement au pied d'un jeune homme nommé Saul, qui n'est autre que Saint Paul, du temps où il persécutait les chrétiens.

  On voit donc les pierres qui fusent de partout, les éclairs venant du ciel, et Étienne pris dans un très beau mouvement qui entraîne avec lui manteau, cordon de ceinture, étole et surplis , dans l'accession au martyr.

  Parmi les inscriptions, on lit Ar Valaden, transcription en breton de "La Madeleine", puis  Le Minor, la célèbre Maison de broderie de Pont-L'Abbé, et enfin J.M.Pérennec suivi d'une sorte d'étoile.

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  Cette dernière mention est intéressante car elle indique pour une fois le nom du brodeur, Jean-Michel Pérennec, qui a brodé depuis 1989 les bannières Le Minor ; or c'est à ma connaissance  la première bannière qui l'honore.

  Le brodeur Jean-Michel Pérennec

  Dans la revue Ar Micheriou Coz d'avril-mai 2004 sur les brodeurs se trouvent quelques éléments sur ce professionnel. "Né en 1957 d'un père glazic et d'une mère bigoudenne", J.M. Pérennec montre très tôt un intérêt marqué pour l'art et l'artisanat, mais intègre une carrière dans la banque tout en se consacrant pendant ses loisirs à recopier les motifs de broderie des costumes anciens, et en apprenant la broderie blanche, celle des coiffes, auprès d'une de ses voisines du Guilvinec, Marie Le Bec née Simon.

 En 1980, la commission broderie de la confédération culturelle bretonne Warl Leur voit le jour grâce à Viviane Hélias, Geneviève Jouanic, Raymond Yaouanc, Marie Le Bec, Mimi Kerloc'h...et Jean-Michel Pérennec pour guider les groupes traditionnels afin qu'ils réalisent leurs costumes et leurs coiffes: dés 1982 son savoir-faire l'amène à intervenir lors de stages de la fédération War'leur, puis à mettre en place une initiation à la broderie au sein du Musé Départemental Breton de Quimper. Il est alors sollicité par le groupement culturel de la municipalité, il intervient à Landerneau, et ce bénévole très actif songe à faire de la broderie son métier.

  C'est en 1989 qu'il quitte la banque pour entrer chez Gildas Le Minor, à l'étage de l'atelier de Pont-L'Abbé, poursuivant une activité d'enseignement au Relecq-Kerhuon, ou auprès des enfants du Centre Rosquerno de Pont-L'Abbé. Chez Le Minor, il a travaillé avec Cécile Le Roy puis avec Christelle Baron. 

  Il est aussi le président de la Maison de la broderie et de la dentelle bigoudène à Plonéour-Lanvern, association de plus de 70 adhérents. 

 

     Alors que la broderie sur coiffe était réservée aux femmes, parce qu'elle exigeait des doigts fins, la broderie sur drap était un métier d'homme, complémentaire de celui des "tailleurs d'habits", qui sillonnaient le pays pour confectionner les costumes à domicile. Au XIXe siècle, la corporation des tisserands et tailleurs d'habits était extrémement importante, mais tandis que les tisserands se voient remplacès assez tôt par des marchands de tissu, les tailleurs et les brodeurs restent encore nombreux au début du XXe siècle et à Pont-L'Abbé on dénombrait 70 tailleurs (on ne peut distinguer entre tailleur et brodeur) et apprentis en 1901, 4 tailleuses et 54 brodeuses. Les apprentis en question sont des garçonnets de 8 à 9 ans qui tirent l'aiguille  tout le long du jour pour acquérir, après un long ue formation auprès du maître, la capicité de réaliser un travail parfait. Dès 1911 cette population décline, la guerre de 1914-18 accentue les choses d'autant que le deuil vient chasser les couleurs des costumes. Le costume n'est plus porté, le coût des matières premières augmente, les ateliers ferment, les brodeuses se reconvertisent en dentelieres mieux rémunérées. 

   Jean-Michel Pérennec marche sur les traces d'hommes hauts en couleur, et dont certains restent des figures mémorables, comme Per Canevet qui se rendit célèbre pour avoir travaillé Place de l'Opéra, exposé dans une vitrine de La Grande Maison du Blanc en décembre 1948, pour Le Minor. Et Vincent Nicolas, dit "le Protestant", ou les frères Louis et Nicolas Cossec.  Mais le grand maître, Ar Mestr Bras, ce fut Laouig Jégou, né à Plonéour-Lanvern en 1863, et qui donna son nom à un point utilisé pour l'entourage des napperons, le "point Laouig Jégou". C'est lui qui fut choisi pour broder l'habit d'académicien de Charles Le Goffic.

 

 

banniere 2978c

 

  Sur la bannière de la Madeleine,Jean-Michel Pérennec a travaillé pendant deux mois.

 

 2. La seconde face :

  Ce serait le recto, si on admet qu'étant consacrée à sainte Madeleine, Santez Mari-Madalen, à qui est dédiée la chapelle depuis le XVIe siècle, elle porte les couleurs de la chapelle.

  La sainte est placée dans une diagonale ascendante vers la droite, où elle tend le flacon de parfum vers le corps crucifié du Christ. La chevelure est littéralement aspirèe vers le pied ensanglanté, et sur le visage, une larme est là pour rappeller l'épisode où elle a baigné de ses larmes les pieds de Jésus puis les a essuyé de ses cheveux.

   Cette chevelure est une référence aux couleurs du vitrail de Bazaine qui la transforme en un feu sacré.

  C'est donc Marie-Madeleine lors de la Passion qui est ici illustrée, Madeleine éplorée, embrasée par le chagrin.

  

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        Sur les autres bannières Le Minor: voir :  Les bannières Le Minor.

 

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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