Chapelle de La Madeleine à Penmarc'h:
Le Beau n'est pas un luxe, mais une nécessité et un droit :
Les vitraux de Jean Bazaine.
Dans ma vie de peintre, je suis passé insensiblement des formes aux forces.
Vitraux contemporains : voir aussi :
Bazaine à Locronan chapelle ar Sonj :
Les vitraux de Jean Bazaine à la chapelle Ty ar Zonj de Locronan (29).
Manessier à Locronan,
les vitraux de Saint-Louis à Brest :
http://www.lavieb-aile.com/article-les-vitraux-de-l-eglise-saint-louis-de-brest-103429661.html
Jacques Le Chevallier à Gouesnou :
Gérard Lardeur à Langonnet :
http://www.lavieb-aile.com/article-les-vitraux-de-gerard-lareur-a-langonnet-104407243.html
ou Gérard Lardeur à Saint-Sauveur :
Père André Bouler à Sainte-Marine (29) :
Chapelle Sainte-Marine à Combrit : la Vierge allaitante et la bannière Le Minor.
Père André Bouler à Concarneau :
La chapelle de Notre-Dame de Bon Secours à Concarneau (29).
Mosaïque de Jean Bazaine :
La mosaïque de Jean Bazaine à l'église St-Guénolé de Concarneau (29).
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Région de Penmarc'h. Voir aussi :
La chapelle de la Madeleine à Penmarc'h : Bannière et statues.
Les deux bannières de la chapelle St-Trémeur au Guilvinec (29). J.M. Pérennec et Le Minor.
La Virgo paritura de l'église Sainte Thumette de Plomeur (29).
Sortie à PLozevet ( Finistère Sud) avec Bretagne Vivante
La chapelle Notre-Dame-de Tréminou à Plomeur (29) : la bannière, les vitraux, etc.
L'église Notre-Dame des Carmes à Pont-L'Abbé et les réalisations Le Minor.
Dom Robert à Pont-L'Abbé : Le Minor confronté à Aubusson.
Le vitrail de la Vie de Jésus de l'église Notre-Dame de Confort à Confort-Meilars :
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame du Confort à Confort-Meilars :
Les Roues à carillon de Confort-Meilars, de Locarn, de Priziac et de Quilinen (Landrévarzec).
Si vous avez la chance, comme je l'ai eu le 15 avril 2012 pour la journée du Patrimoine, de trouver ouverte la porte de la chapelle de la Madeleine à Penmarc'h, et si une surabondance de grâce vous accorde d'y être accueillis par Madame Andro au nom des Amis de la Madeleine, vous écouterez un exposé si passionnant sur les vitraux de Jean Bazaine que soudain, vous vous sentirez vous aussi un Ami, un Amoureux de la Madeleine et tenu par un lien de complicité chaleureuse avec l'esprit de cet artiste.
Elle commencera par raconter comment Jean Bazaine ( 1904-2001) avant d'être la personnalité majeure de la nouvelle École de Paris avec Fernand Léger ou Soulages parvient en 1936 à vendre une œuvre : pour fêter cela, il décide d'acheter une voiture et de partir avec son épouse "cap à l'Ouest" : ils arrivent ainsi un soir d'octobre à Saint-Guénolé-Penmarc'h par un de ces coups de vent de noroît qui jamais ne renoncent à défier ici le phare d'Eckmülh : terribles, hurlants, parfaitement inhumains. Madame Bazaine n'a qu'une idée, "cap à l'est", mais l'artiste est têtu et il sort réserver une chambre à l'Hôtel de la Mer face aux rochers de Saint-Gué. Le lendemain matin, c'est un nouveau monde, lavé, tout neuf qui s'offre à leurs regards, c'est la Baie d'Audierne comme elle sait être belle, exposant sa palette de bleus, et Jean Bazaine décide de s'installer à Penmarc'h, installant vers 1950 un atelier à Saint-Guénolé où il résidera 6 mois par an quand il ne sera pas à Clamart, jusqu'à sa mort en 2001. (Dans le n° 56 d'Ar Men, le peintre raconte cet épisode, mais c'est la rencontre, en arrivant après quinze heures de trajet et quelques pannes, d'un groupe de gaillards sur le port, tous habillés en rouge, "un rouge superbe", qui provoqua l'exclamation de Madame Bazaine : "Sauvons-nous vite, c'est un pays de sauvage !").
Voici ce qu'il écrit en janvier 1999 à propos de ces vitraux :
" Les six vitraux qui éclairent la chapelle de la Madeleine en Penmarc'h, j'en ai commencé la réalisation il y a maintenant vingt ans et j'y ai travaillé pendant deux ans.
"Je crois n'avoir jamais eu plus de bonheur à chercher les divers mouvements d'orchestration lumineuse d'un thème que dans cette petite chapelle isolée du début du XVe siècle que j'avais trouvé presque en ruines, mais toute animée du chant des oiseaux qui la peuplaient. Cela pour une raison simple.
"Elle se trouve au coeur de la Bretagne, plus exactement du pays bigouden, dont la lumière est devenue peu-à-peu, depuis bientôt trois-quart de siècle _sait-on pourquoi ?_ l'élément vital de ma peinture, c'est-à-dire de moi-même.
" C'est avec cette lumière que j'étais appelé, comme on dit, à jouer. Dès-lors, il n'était plus question "d'intérioriser" dans l'espace concentré du vitrail la lumière environnante, mais d'y laisser sourdre ce que celle-ci m'avait apporté au cours des années.
" Ce qui a permis à un ami "complaisant" de m'écrire que le paysage alentour se trouvait, de son coté, tout imprégné de la présence des vitraux."
( in : Sculpter la lumière, le vitrail contemporain en Bretagne 1945-2000, Château de Kerjean, p. 42).
L'histoire se poursuit : s'étant pris d'affection pour la pointe de Penmarc'h, le peintre cherche un moyen de donner un témoignage des liens qui se sont tissés entre lui, cette terre et ses habitants, d'y laisser en héritage un testament artistique, mais offrir un tableau ne semble pas la solution, et comme il apprécie depuis longtemps la chapelle de la Madeleine, et quoiqu'il ne soit pas croyant, il lui vient l'idée d'y réaliser des vitraux ; il en parle au recteur Mr Lebeul, qui en parle au diocèse, tout le monde est enthousiaste, les habitants trouvent formidable d'installer de beaux vitraux dans leur sanctuaire, et Bazaine dessine un projet de six cartons. Mais ce sont les Bâtiments de France (administration des Beaux-Arts) qui ne sont pas d'accord pour placer une verrière contemporaine dans un édifice qu'ils viennent de restaurer dans le style XVIe. Chacun fait intervenir ses relations, on se regroupe, on négocie, on vend des crêpes et des autocollants, et finalement l'accord est donné. Les verrières sont installées, et les vitraux de la Madeleine sont inaugurés le 26 juillet 1981.
Ainsi racontée avec la verve que j'ai dit, c'est une belle histoire, mais il me faut, pour ma propre compréhension de cette oeuvre, réaliser que ces vitraux sont en réalité inscrits dans un récit plus vaste : le double cheminement, individuel de Jean Bazaine dans le champ de la religion et de la spiritualité ; et collectif de l'Église dans son accueil des artistes contemporains pour la décoration des lieux de culte.
Jean Bazaine, pensée, spiritualité et religion.
Oh oh, vais-je traiter, en parfait béotien, d'un tel sujet ? Non, mais je prends juste des notes qui soulignent que Bazaine ne fait pas cette œuvre sans avoir derrière lui déjà une longue pratique de la réflexion sociale, contestataire ou spirituelle, et une expérience en matière de vitraux.
- Jean Bazaine a rencontré vers 1932 Pierre Bonnard qui a reconnu en lui un héritier possible ; rappelons que Bonnard a fait partie avec Sérusier Vuillard et Maurice Denis des Nabis, qui cherchaient à retrouver le caractère sacré de la peinture et la mission spirituelle de l'art, se passionnaient pour l'occultisme, l'ésotérisme et la spiritualité, s'ouvraient aux influences orientales (japonisme), et se préoccupaient de marier l'art et l'artisanat sous forme de tapisseries, papiers peints, décors, mais aussi vitraux. Mais l'oeuvre tardive de Bonnard est plus intimiste, cherchant toutes les possibilités d'exploiter la lumière et de rendre par les couleurs les impressions sensorielles d'un lieu. On retrouve cette idée lorsque Bazaine, refusant l'étiquette d'art "abstrait", déclare : "ce que je peins est l'aboutissement d'une émotion que j'ai éprouvée devant la nature".
- Il a également rencontré Emmanuel Mounier, fondateur du personnalisme, animé par une foi chrétienne convaincue, conférencier à l'école des cadres d'Uriage. De 1934 à 1938, il a collaboré à sa revue Esprit, qui, sans être une revue chrétienne, recherche une voie intermédiaire entre fascisme et communisme dans un humanisme communautaire. En effet, la revue s'appuie sur un groupe d'artistes tels que Lurcat, Gromaire, Roger Leenhardt et Bazaine.
- C'est encore Mounier qui est à l'origine du mouvement Jeune France en 1940 sous le régime de Vichy. Présidé par Alfred Cortot, il réunissait des intellectuels, des hommes de théâtre, et les peintres (Manessier, Jean Le Moal, Bazaine, Jean Bertholle, quatre artistes qui créeront des vitraux en Bretagne) dans le projet d'une nouvelle politique culturelle moderne avec organisation de concerts, d'expositions et de manifestations. Jean Bazaine est l'un des cadres puisque c'est lui qui est chargé de l'organisation de la section Arts Plastiques. En juillet 1941, Mounier, qui a introduit dans ce mouvement des personnalités et des objectifs déplaisant pour le régime du maréchal Pétain et un esprit de résistance, est exclu, puis Jeune France est dissous en juillet 1942.
- Cet esprit de résistance est orchestré par Jean Bazaine lorsqu'il organise au printemps 1941 la première manifestation d'avant-garde française au mépris de l'hostilité des nazis à " l'art dégénéré" : c'est l'exposition "Vingt jeunes peintres de tradition française" à la galerie Braun, dont les protagonistes se placent dans la tradition de l'art roman et de ses techniques (émaux cloisonnés, tapisserie, vitraux) tout autant que du fauvisme, du cubisme et de leurs prolongements abstraits. Derrière ce titre lénifiant se cachait le travail "judéo-marxiste" (Jean Bazaine) de tous ceux qui développeront la peinture non figurative, et les membres de la Nouvelle École de Paris.
- Les vitraux et réalisations d'art sacré:
- En 1937, il réalise un premier vitrail pour une chapelle privée. En 1942, il rencontre le Père Couturier, ancien élève des Ateliers Sacrés de Maurice Denis et directeur de la revue L'Art Sacré depuis 1937 qui lutte contre l'académisme, "les poncifs architecturaux, les plâtres "sulpiciens", les similis d'orfèvrerie, la décalcomanie décorative ou figurative sur verre usuel" (M. Dilasser) qui détournaient l'Église de l'art vivant et creusaient le fossé entre les artistes et architectes contemporains et le soi-disant art religieux. Ce dernier l'intègre à l'équipe d'artistes qu'il réunit quelque soit leur confession pour faire de l'église Notre-Dame de Toute-Grâce du Plateau d'Assy de Maurice Novarina un manifeste pour ses conceptions de l'art sacré, avec Georges Rouault, Pierre Bonnard, Fernand Léger, Jean Lurcat, Henri Matisse, Georges Bracque, Jacques Lipchitz ou Marc Chagall. Jean Bazaine y réalise trois vitraux.
- 1951 : mosaïque de la façade de l'église d'Audincourt (Doubs) du même architecte, Novarina.
- 1954 : vitraux du baptistère d'Audincourt
- 1957 : vitraux inspirés des mystères glorieux de la chapelle du Père Joseph Wresinski, lieu historique de fondation du mouvement ATD Quart Monde sur le camp des sans-logis de Noisy-le-Grand. Dans le même temps, l'épouse du peintre, Catherine de Seyne créait une troupe de théâtre pour les adolescents. Lorsque le "bidonville" a été supprimé en 1969, les habitants ont remonté la petite chapelle en préfabriqué pièce par pièce. En 1983, Bazaine a illustré le livre "Paroles pour demain" du Père Wresinski.
- 1958 : nouvelle collaboration avec Novarina à l'église de Villeparisis (Seine-et-Marne)
- 1964-69 : il réalise huit vitraux de l'église Saint-Séverin à Paris sur le thème des sept sacrements.
- 1969 : tapisserie L'eau et le Sang pour l'église Cran-Gévrier (Haute-Savoie) de Novarina
- 1970 :vitraux aux Arcs (Var),
- 1976 vitraux du château de Penguilly (22)
- 1976 : il proteste contre la restauration des vitraux de Chartres et crée avec Manessier l'Association pour la défense des vitraux de France
- 1977 : vitraux de la chapelle Ti-ar-Zonj à Locronan placés sous le thème du vent
- 1981 : vitraux de la chapelle de Berlens en Suisse,
- 1984-1988 : vitraux de la cathédrale de Saint-Dié.
Vitraux de la Madeleine et renouveau de l'art sacré en Bretagne :
De même qu'aucun des artistes majeurs de notre temps n'auraient pu réaliser leurs œuvres dans les églises contemporaines sans l'impulsion du Père Marie-Alain Couturier et sans la maturation de l'Église qui "devait d'abord remettre en cause sa perception d'un monde en mutation, comprendre les aspirations diffuses de celui-ci et proposer le message de l'Évangile dans un langage adapté à la culture de chaque peuple. Le concile Vatican II a entrepris cette mise à jour et en a précisé les orientations. Sa réforme s'est attachée d'abord au renouveau liturgique. La constitution Sacrosanctum concilium a voulu faire de l'assemblée liturgique une manifestation de l'Église dans son aspect visible et son mystère profond : à cette fin, elle stimulait la participation unanime des fidèles par l'usage de la langue vernaculaire dans la proclamation de la Parole, dans le dialogue entre prêtres et fidèles ; en outre, elle rénovait prière et musique et organisait le lieu même de l'assemblée pour favoriser sa réunion autour de l'autel et autour du célébrant comme un signe de la présence du Christ ressuscité au milieu de ceux qui prient en son nom. De là découle une nouvelle conception de l'édifice, de ses signes extérieurs et de son organisation intérieure, de son mobilier et de sa lumière. Ainsi naît une architecture novatrice : au plan gothique, développé en longueur pour l'échelonnement hiératique de l'assemblée, tend à se substituer un plan en éventail, favorable au rassemblement autour du livre de la parole et de la table eucharistique. Ainsi se propose l'aménagement des édifices anciens dont le sanctuaire s'ouvre sur le transept pour esquisser un mouvement semi-circulaire, suggestif d'une assemblée non de sujets mais de convives."(Chanoine Dilasser, Sculpter la lumière, 2000).
Cette longue mais splendide citation était nécessaire pour expliquer la conversion (au sens spatial du terme) et les changements de paradigmes qui préparèrent l'installation des verrières contemporaines dans les sanctuaires. Et c'est précisément l'auteur de ces lignes, Maurice Dilasser, qui sollicita Jean Bazaine pour la chapelle de Ti-ar-Zonj à Locronan dont il était le recteur, puis qui permit au peintre de réaliser la verrière de La Madeleine ("oui, c'est l'abbé Dilasser qui m'a fait obtenir cette commande", revue Ar Men n° 56 p. 71).
La Commission Diocésaine d'Art Sacré de Quimper, crée en 1949 par Mgr Fauvel "qui, après le long épiscopat de Mgr Duparc, introduisait pastoralement son diocèse dans un monde nouveau (id)" a opté, depuis ses premiers choix audacieux de Saint-Louis de Brest, pour l'art contemporain et non figuratif.
C'est la rencontre de peintres engagés, d'un clergé ouvert au progrès, et d'associations locales de fidèles délibérément avides d'innovations esthétiques, qui permit de convaincre une administration encore parfois acquise au conservatisme académique ( "Ce parti conduisit l'administration à promouvoir un style figuratif souvent bien mièvre, illustrant jusqu'à la caricature le poncif d'un art breton folklorique et archaïsant", Philippe Bonnet, Sculpter la lumière, 2000, p. 17)
Un vitrail est une œuvre à quatre mains : administration ; diocèse réunissant dans sa Commission clergé, professionnels et fidèles ; peintre cartonnier ; maître-verrier. Chacun doit tenir son rôle, et M. Dilasser insiste sur celui du diocèse dans l'élaboration d'un programme. Il précise qu'à La Madeleine, ce n'est pas Bazaine qui a décidé du thème iconographique centré sur le personnage de Marie-Madeleine : "Cette composition de La Madeleine, déclenchée par une initiative de la commission diocésaine et la proposition d'un thème, est issu librement de l'inspiration de l'artiste, de sa méditation évangélique, de sa fréquentation du site et de son expression personnelle. Elle fut accueillie par les gens du village, malgré son secret langage, car le peintre prit le temps d'éclairer sa démarche disposant chacun à cheminer vers le sens, à travers formes et couleurs. L'accueil communautaire de cette belle oeuvre confirme l'importance des rencontres préalables avec les artistes, d'un dialogue familier avec le projet ; ils établissent la confiance et disposent les esprits à s'ouvrir à une forme d'art qui passait pour étrangère et inaccessible." (M. Dilasser, Sculpter la lumière, 2000, p. 36)
Sur le rôle de Maurice Dilasser, voir aussi Les vitraux de Manessier à Locronan, chapelle de Bonne-Nouvelle.
II. Les vitraux :
Il me paraît essentiel de mentionner d'abord le nom du maître-verrier : il s'agit de Bernard Allain, qui a réalisé aussi les cartons de Jean Le Moal (notamment à la cathédrale de Saint-Malo et à Saint-Servant -sur-Oust), ceux de Léon Zack à Issy-les-Moulineaux, qui a formé de nombreux maîtres-verriers et qui fut professeur aux Beaux-Arts.
Les cartons de ces vitraux se trouvent au musée des beaux-arts de Quimper.
Le cursus de ces verrières débute par le vitrail près de la porte d'entrée, suit le coté sud jusqu'au choeur et revient vers le fond de la chapelle et l'unique vitrail nord. Bien qu'il fut non-croyant, Jean Bazaine a lu soigneusement dans les Évangiles les textes qui avaient trait à Marie-Madeleine afin d'en traduire les éléments de spiritualité qui le marquaient. C'est pour cela que j'ai détaillé ces textes dans la première partie La chapelle de la Madeleine à Penmarc'h : bannière et statues.
1. Le premier vitrail prés de la porte d'entrée (baie 5) :
Il évoque un portrait de Marie-Madeleine à travers sa chevelure transformée en une flamme montant vers le ciel. Les formes ondulent et dansent avec souplesse. Chacun des morceaux de verre taillés en fuseaux, navettes, croissants ou demi-lunes est placé verticalement, noué comme dans une natte avec le voisin en mariant les tons châtains, roux, fauves et ocres évoquant le feu d'une femme ardente avec le blanc d'une spiritualité dépouillée. On remarquera que sur chaque pièce colorée est appliquée une grisaille qui vient en moduler la lumière, et que la disposition de cette grisaille, loin d'être stéréotypée, est travaillée comme peut l'être, sur un tableau, la touche de pinceau. Observer ces grisailles permet de prendre conscience du travail et du métier de Jean Bazaine.
Chaque vitrail est organisé en écho réciproque, souvent en diagonale, avec un deuxième : celui-ci préfigure le dernier (qui lui est presque vis-à-vis) où ce blanc de la transmutation spirituelle a mûri et s'est organisé en Forme, à la suite de la rencontre du Christ ressuscité, mais sa couleur rouge se retrouve dans le vitrail n°3.
Pour celui qui a en mémoire les textes évangéliques, l'évocation de la chevelure de la sainte s'associe immédiatement à celle du parfum, et les volutes des boucles de cheveux se transforment en effluves capiteuses ; puis vient aussitôt l'effusion des larmes, l'écoulement liéerateur du chagrin, ou du remords, ou du bonheur inouï de se sentir accueillie, aimée et pardonnée au delà des fautes ou des troubles de la vie ; aussi ces boucles, ces effluves, ces larmes deviennent-ils embrasement chaleureux et amour rayonnant.
De même que les couleurs du vitrail ne cessent d'évoluer avec autant de rapidité que, sur la côte bretonne, la lumière et les couleurs du ciel et de la mer, de même les émotions que suscitent ces vitraux varient selon l'état d'âme et selon l'heure, basculent en leur contraire et battent de leur vagues le flux et le reflux de leur beauté.
2. Le second vitrail sud (baie 3) :
Il représente l'atmosphère du Golgotha, une composition dominée par la forme oblique de la croix, mais dont les éléments acérés et blessant ont la violence d'une vitre fracassée dans le sang versé. Bazaine le décrit comme celui "où les bleus dominent, c'est le Golgotha, on voit une amorce de croix sur la droite et une descente dramatique de violets". Il répondra aux bleus du vitrail en diagonal (n° 5) de la robe de Madeleine.
3. Le troisième vitrail sud ( baie 1) : le lundi de Pâques.
Dés potron-minet, dans la belle lumière de l'aube, Marie de Magdala se hâte de se rendre au tombeau, accompagnée de Marie:
" Après le sabbat, à l'aube du premier jour de la semaine, Marie la Magdaléenne et l'autre Marie allèrent voir le tombeau. Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre, car un ange du Seigneur, étant descendu du ciel, s'approcha, roula la pierre, et s'assit dessus. Son aspect était brillant comme l'éclair, et son vêtement blanc comme la neige".(Mat. 28, 1-3)
"et prenant la parole, l'ange dit aux femmes : vous, ne craignez rien. Car je sais que vous cherchez Jésus le crucifié. Il n'est point ici car il est ressuscité, comme il l'avait dit ; venez, et voyez la place où il était". (Mat. 28, 5-6)
" Et voici que Jésus se présenta devant elles et leur dit : Salut!"
" Elles s'approchèrent, saisirent ses pieds et se prosternèrent devant lui". (Mat. 28, 9)
C'est un peu délicat de le souligner, mais Marie-Madeleine et les pieds de Jésus, c'est tout un roman. Elle leur porte une vénération absolue. Mais Bazaine ne représente pas une paire de pieds, ni Madeleine avec sa robe bleue pleurant de joie, ni ses cheveux, mais la dilatation d'un cœur bouleversé par l'inespéré.
Le bleu, le blanc et le rouge sont des couleurs que Bazaine n'a cessé de marier pour exprimer le tremblement intérieur des émotions, le tremblement des lumières du littoral, le tremblement de la musique (Tremblement du temps, Hommage à Schubert, huile sur toile 1989 ; Peinture bleu, blanc, rouge, article de 1943), mais ici le rouge, qui prend la prédominance, tremble et scintille d'un soleil qui se lève. Un grand soleil intérieur.
4. La maîtresse-vitre : la réssurection.
Il est identique aux autres par cette façon d'assembler des fuseaux colorés en lignes de forces, mais celles-ci jaillissent ici comme un torrent ascensionnel avec ses veines violettes d'une part, jaune-orangé de l'autre, pour culminer en ce que le peintre nomme "le rose à l'or" : On l'appelle rose à l'or parce que jadis il rentrait de l'or dans sa composition, je crois. J'aime bien cette couleur, c'est une couleur très mystique qui se nuance du rouge au rose" (Ar Men n°56).
Le rose à l'or ? Je voulais en savoir plus, et j'en trouvais la mention ici : link "Les couleurs obtenues sont désignées par des numéros mais certains termes étalons sont utilisés pour désigner une teinte précise : ainsi le rouge signal, le vert pré, l'isly (une turquoise bien précise), le jaune d'or plus cher que le ton uni, le pourpre de cassius, ancienne dénomination du rose à l'or obtenu avec des oxydes de métal précieux"
On en signale l'emploi à Vence par Matisse (qui paya de sa poche le surcoût entraîné), et par son élève François Rouan à Nevers qui utilise un rose à l'or soufflé et plaqué sur un verre incolore.
5. Le vitrail du bas-coté gauche (baie 2) : Noli me tangere.
C'est la rencontre entre Madeleine et le Christ en son corps transfiguré par la résurrection, mêlant le violet mystique à la palette des jaunes. Je retrouve la problématique évoquée devant le vitrail de la Transfiguration à Plogonnec : Vitrail de Plogonnec III : la Transfiguration. : comment rendre un corps dont la matière est énergie pure, transformée par l'alchimie spirituelle en une irradiation, un don rayonnant ?
Jésus connaît la puissance de ce feu, et recommande à Marie-Madeleine : Noli me tangere, ne me touche pas.
Madeleine, comme l'aveugle Bartimée (Marc 10, 51) vient de l'appeler Rabbouni (rhabboni en grec,tiré de l'araméen que parlaient Jésus et Marie-Madeleine), "Mon Maître" ! Rabbouni est, par rapport à Rabbi qui est utilisé ailleurs dans les Évangiles, une amplification du titre par l'adjonction d'un nun emphatique. Plus que "mon maître", ce sont les mots "Mon Dieu" qui viennent à se lêvres : un face-à-face avec la divinité, et comme Moïse c'est bien face à un buisson ardent qu'elle se trouve ; "Alors, Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu".
Ce vitrail est le plus "figuratif" des six, et on discerne très bien Madeleine en robe bleue entraînée par un mouvement de retrait face à la puissance embrasante de la divinité, et dont l'être commence déjà à se métamorphoser sous l'effet de la vocation, l'appel qui lui est lancé : "Va vers mes frères et dis-leur".
Noli me tangere... Un des sommets de la mystique occidentale, qui reste indissociable du souvenir du jour où, à Florence, au couvent San Marco, je me suis trouvé dans la cellule dépouillée où l'œuvre de Fra Angelico attendait dans la lumière toscane.
Les œuvres les plus fortes sont souvent celles qu'on découvre dans un lieu tout simple, très naturel, dans le silence que rompt un chant d'oiseau : ici, à la Madeleine, ou bien à l'étage donnant sur le cloître de San Marco.
6. Le vitrail nord (baie 4) : Madeleine transfigurée.
Le feu divin l'a touché, et il ne reste plus rien de la matière bleue dont elle était revêtue : elle n'est plus faite que du rouge du matin de Pâques et de l'or de la parole du Christ et les cellules curvilignes des pièces de verre qui formaient sa chevelure, ses parfums ou les plis de sa robe deviennent des corolles, des coupes débordants, des paumes jointes, les rameaux d'un arbre. Elle n'est plus qu' extase, réception et don.
Lorsqu'il a appris le décès de Jean Bazaine le 4 mars 2001, le mouvement Aide à toutes détresse-Quart Monde fondé par Joseph Wrésinski, a déclaré : Les pauvres ont perdu un vrai ami, qui avait compris que le beau n'est pas un luxe, mais un droit et une nécessité pour les plus défavorisés.
En effet, Jean Bazaine avait écrit à propos des vitraux de Noisy-le-Grand : " La première conquête de l'individu, c'est la conscience de sa dignité d'homme. Je pense que ces modestes vitraux où certains n'auraient pu voir que l'inutilité, la gratuité de l'œuvre d'art en un lieu où manque le pain, la population de Noisy-le-Grand a senti qu'ils n'étaient rien d'autre que l'affirmation de leurs droits irréductibles à une conscience plus élevée".
Sources :
Rencontre avec Jean Bazaine à Penmarc'h, revue Ar Men n°56, Scop Le Chasse-Marée, janvier 1994, pp.64-75.
Sculpter la lumière, le vitrail contemporain en Bretagne 1945-2000, Château de Kerjean