La chapelle du Gohazé à Saint-Thuriau.
I. Présentation.
Placée au bord du Blavet à 5 km au nord de Pontivy, près de la confluence de deux ruisseaux, c'est, par le pont qui y était établi et la proximité de moulins, un lieu stratégiquement bien placé et qui précéda Pontivy en importance. En effet, une charte de 1160 mentionne une paroisse de Gohazé-Pontivy, ou plus exactement Cohazé, toponyme (encore mentionné sur la carte de Cassini) signifiant "ancienne assise" et qui passe pour être le premier lieu d'évangélisation de la région alors païenne. La paroisse est encore mentionnée sous ce nom (Cohassé-Pontivy) en 1667 dans le registre de Malguénac. Officiellement, Pontivy était selon Ogée encore une trève de Cohazé. Elle passa sous le Concordat dans la paroisse de Saint-Thuriau.
La chapelle de plan en croix latine est composée d'une nef, d'un transept, d'un chevet plat et d'une tour massive supportant un clocher à la couverture d'ardoise ; sa partie Est daterait de la première moitié du XVème siècle et le reste de la seconde moitié.
On lit partout qu' à l'occasion de l'épidémie de dysenterie (d'autres disent de peste) qui toucha la région en 1695 et 1696, la statue de Notre-Dame de la Joie à Pontivy permit l'arrêt de la propagation de la maladie : la statue de la Vierge aurait fait plusieurs allées et venues entre l'église de Pontivy et Le Gohazé. Je n'ai pas trouvé la source exacte de cette histoire. Le Bulletin de la Société Polymatique de 1860 et 1886 écrit qu'à l'arrêt brutal de ces épidémies de Pontivy après un vœu prononcé le 11 septembre 1696, on offrit une lampe d'argent à Notre-Dame de Joie à l'église de Pontivy et on organisa des processions dans toute la ville, et même à la chapelle de Cohazé, "dont les malheurs de la cité rappelèrent le souvenir." "Ces processions, approuvées par un mandement de l'évêque de Vannes de 1697, se répétèrent tous les ans à pareille époque."
Un chancel "en bois sculpté en trilobes à jour posées deux par deux sur des colonettes à base simple et chapiteau feuillé, comme à N.D de la Houssaye" (Bull. Sté Polym. Morbihan 1860 p. 75) s'adosse sur deux tables d'offrandes en pierre. Rester au fond de la nef était le privilège du bon peuple, et la noblesse et le clergé se voyaient obligés d'occuper le transept et le chœur, de l'autre coté de ce chancel.
J'ai omis de photographier les sablières, les entraits à tête de crocodile et écusson , et, surtout, une inscription au sud où on peut lire, paraît-il, LOY : K(er)LEO : 1610.
Il existe un, ou plutôt deux toponymes Kerleo dans le canton de Pontivy : Kerleo d'an diaz et Kerleo d'ar Lein, le haut et le bas Kerleau, ou Kerlau, dont l'étymologie pourrait relever d'un Ker, "lieu habité" et lo, où se dissimule lev ou glev "lieue" ou " Le Gléau".
On peut citer Perrine Jegado, de Saint-Thuriau en 1721, dont les membres de la famille demeuraient les uns à Cohazé, les autres
à Kerleau d'en haut.
Je me suis pris pour Jacob lorsque j'ai vu cette longue, longue échelle qui, incroyable girafe en équilibre sur un pied, semblait réservée à ceux-là seuls qui, pour atteindre ce septième ciel, saurait en emprunter les échelons. Là-haut, la porte étroite est une escale pour quelque sonneur de cloche cachant discrétement sous son paletot deux ailes chérubiniques.
II. Statuaire.
1. Notre-Dame de Joie.
Avant de regarder la statue, on peut admirer la niche du XVIIème parfaitement restaurée, aux deux colonnes corinthiennes de faux-marbre noir. Quatre chérubins scandent de leur frimousse l'encadrement de la statue, complétés par une chute de bouquets, tête en bas, dans une alternance de tournesols et de pivoines qui se conclue en des sortes de marguerites. La base de cet édifice, surveillée par deux autres chérubins, est décorée par le portrait en buste d'un pieux quidam, peut-être un apôtre ou un Père de l'Église.
Notre-Dame-de-Joie est couronnée, comme l'Enfant-Jésus, et, assise sur un trône, elle tient un sceptre tout aussi fleurdelysé que les dites couronnes. Le fils, sérieux comme un pape, bénit de la main droite et tient le Livre de la gauche. Les visages sont très arrondis, les traits sont hiératiques, et les yeux larges ressemblent à ceux des momies égyptiennes. Le manteau bleu à revers blanc de la Vierge s'épanche en une cascade de plis.
L'ensemble des statues présentées ont été volées en 1977, et remplacées par des copies récentes mises en place en 1990; elles sont, en tout point, admirables.
On lit l'inscription écrite en lettres capitales peintes en noir : D : T : M : C : R : T : E : D : P : OLICHET : R
Le patronyme Olichet est attesté dans la région de Pontivy, et on le retrouve à Gohazé dans une recherche généalogique (de Patrick Collin) : Rolland Olichet, laboureur à Gohazé, décédé en 1731, marié à Jeanne Le Bihan, trois enfants dont Pierre Olichet (1702-Gohazé 1751), père lui-même de trois enfants (Julien, Jacques, Pierre, tous mariés).
Mais quel est le sens des initiales qui le précèdent ? Elles correspondent souvent à des titres tels que D.V.M, "discret et vénérable messire", ou F.F.P pour "fait fait par", mais, ici, je ne trouve pas la solution.
Notule:
Dans le livre Manoirs de fortune et d'infortune de Michel de Galzain - 1968 Page 194 on lit ces lignes : "la statue même de Notre Dame de Joie a été offerte à la paroisse, par la famille Prévost de Kerascoët qui a signé son don en sculptant discrètement sur le socles ses armoireries: trois roses à cinq petales d'argent sur champ d'azur. Elles figurent en outre sur la statue presque identique de la trève du Cohazé."
2. Saint Cado.
Dans une niche symétrique à celle de N.D. de Joie, comme co-patron de la chapelle, saint Cado est représenté en saint-évêque.
La vie de saint Cado ou Cadoud,( du celte kat, "combat") évêque et martyr, fêté le 1er novembre, est relaté dans la Vie des saints de Bretagne Armorique (1659) d'Albert Le Grand. Ce prince gallois est, sous le nom de saint Cadoc, l'un des saints les plus importants du pays de Galles. Après y avoir fondé l'abbaye de Llacarfan, il vint précher dans la région de Vannes, se rendit en Terre Sainte, rencontra le pape, devint l'évêque de Bénévent en Italie, puis mourut assassiné dans sa cathédrale par des Barbares. Il guérit la surdité (à Belz) et les écrouelles.
Saint Pierre est représenté en peinture sur la base de cette niche.
3. Saint Cornely.
Saint Cornely est bien connu en sud Bretagne pour être, comme son collègue Herbot, le protecteur des bêtes à cornes.
4. Statue de sainte Anne éducatrice.
Toutes ces statues qui sortent du même atelier ont en commun une allure de santons de crêche en porcelaine, et de grands yeux aux larges prunelles. Sainte Anne est assise, et indique à sa fille Marie un passage particulièrement important des Saintes Écritures, que Marie lit sagement, en suivant du doigt. Comme cela est habituel dans ce thème, les manteaux et les pieds des deux femmes se rapprochent et tendent à se confondre.
Marie est tête nue, comme c'est la règle, alors que sa mère est coiffée d'un voile blanc ourlé d'or qui, par sa manière de se relever en visière au dessus de la stricte guimpe, et de s'élargir en ailes sur le coté, prend des allures de coiffe.
5. Statue de procession de N.D. de Joie.
C'est, en moins jouflue, la réplique du groupe de la Vierge à l'Enfant.
III. Vitraux.
1. Le réseau.
Il est composé de mouchettes trilobées et de quadrilobes, qui contiennent des armoiries et des fragments issus d'un Jugement Dernier du XVIe siècle. Un Christ central étend les bras, entourés de deux anges buccinateurs annonçant la Résurrection des morts. Plus bas, des anges tiennent des feuilles de trèfle.
Armoiries : de gauche à droite
- Famille de Rohan, de gueules aux neuf macles d'or, 3,3,3.
- Armoiries d'Yves de Pontsal D'argent à la fasce de gueules chargée de trois besants d'or et accompagnée de six mouchetures d'hermines de sable. Yves de Pontsal fut évêque de Vannes de 1444 à 1475 et Vice-Chancelier du Duc de Bretagne Pierre II le Simple en 1451
- blason non identifié entouré du collier de l'Ordre de Saint-Michel: partie de droite, de gueules au lion d'or [Louis de Laval](? et à gauche, de gueules à croix d'or, et un quartier reprenant le blason suivant [De lantivy :
- Blason non identifié entouré du collier de Saint-Michel. D'or à la herse d'azur ???
Ces armoiries ont permis de dater le vitrail du troisième quart du XVe siècle, dans un style gothique flamboyant d'influence normande.
Il est à noter que la première promotion de l'Ordre de Saint-Michel date de 1469.
Les armoiries d'Yves de Pontsal sont aussi présentes dans une chapelle de Plescop ; dans la chapelle N.D. de Béléan de Ploeren ;
La verrière est composée de quatre lancettes trilobées de quatre panneaux. Ceux-ci associent huit éléments anciens, très remaniés dans des restaurations anciennes mais qui n'ont pas été restaurés en 1980, et des compositions de Jean-Pierre Le Bihan en 1987.
Parmi les éléments anciens (fin du XVe), on trouve de gauche à droite :
- une sainte femme (Marie au pied de la Croix ?) ;
- un Christ en Croix ;
- Une Fuite en Égypte avec une inscription gothique la v(ier)ge d? alla en egypte ;
- Une Pietà ? ;
- Une Annonciation avec l'inscription (Comment) lange gabriel salua la v(ier)ge et, autour du lys, ave gratia...ecce anc(ila).
- ??? Deux personnages (des soldats) arrivent de gauche à la tête d'une troupe (car on voit des lances et hallebardes), comme dans une Arrestation de Jésus. Le personnage de droite est coiffé d'un drôle de chapeau, et il tient un sac rempli d'épis de blé, ou tout autre chose.
- Une Nativité.
- Un saint en prière (Saint Jean au pied de la Croix ?
Addenda.
Pierre-Yves Quémener s'est interessé à la zone d'ombre entourant le soi-disant arrêt miraculeux de l'épidémie de 1696 grâce à la statue de N.D. de Joie de Cohazé et a rédigé les commentaires suivants:
" 1) Bonjour,
Si l'on en croit l'abbé Euzénot, le document qui mentionne le voeu d'une lampe d'argent à Notre-Dame de la Joie se trouve dans un procès-verbal d'une délibération de la communauté de ville de Pontivy en date du 11 septembre 1696 conservé aux archives municipales de la ville.
Cf. Bulletin archéologique de l'Association Bretonne, tome 6, 1887, pages xxiv et 45.
Bien cordialement,
Pierre Yves Quémener
2) "Par curiosité, j'ai été consulter les registres paroissiaux de Saint-Thuriau, m'attendant à trouver une interruption soudaine des décès au 11 septembre et finalement, j'ai l'impression que cette attribution à Notre-Dame de la Joie d'une responsabilité dans l'arrêt de l'épidémie respire assez la récupération religieuse.
Voici un récapitulatif des décès survenus dans la trève en 1696 (St Thuriau dépendait alors de la paroisse de Noyal Pontivy). J'ai procédé à un regroupement en quatre tranches : moins de deux ans, de 2 à 19 ans, de 20 à 49 ans, 50 ans et plus.
Janvier : 7 décès répartis ainsi : 4 (moins de 2 ans), 3 (de 20 à 49 ans)
Février : 4 décès : 2 (2-19), 2 (20-49)
Mars : 6 décès : 2 (50)
Avril : 6 décès : 2 (50)
Mai : 6 décès : 6 (
Septembre 1696 : 7 + 30 + 9 + 2 = 48
Octobre 1696 : 7 + 14 + 2 + 5 = 28
Total 1696 : 35 + 49 + 21 + 14 = 119
Je ferais pour ma part la réflexion que l'arrêt naturel d'une épidémie, liée à des facteurs bio-climatiques, est assez souvent brutal, même sans intervention de Dieu ou de ses Saints. Par ailleurs, c'est la ville de Pontivy, et non de Saint-Thuriau, qui était frappée par l'épidémie.
Liens :
Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan
Bull. Sté Polym. Morbihan 1860
Anciennes photographies de G. Estéve
Toponymie de Pontivy (voir Ar Gohazé ; Kerleo)
Vitraux: site de Jean-Pierre Le-Bihan.