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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 20:41

  Le "Pont gaulois" de Kervon à Crozon (29).

 

 

Résumé : 

   A coté d'un gué dallé traversant la rivière de Kerloc'h et par où passait une antique voie qui cotoie des villae gallo-romaines, des témoignages gaulois et mégalithiques, un pont a été ré-aménagé (peut-être sur une ancienne passerelle) à la fin du XIXe siècle en réutilisant des pierres mégalithiques provenant d'un dolmen de Poulmic. Il s'agit de deux dalles, l'une de quartzite, l'autre de schiste présentant quatre à six cupules. C'est donc, actuellement, un ensemble composite, mais d'un intèrêt réel, et imposant de sérieux devoirs de préservation. Le mégalithisme de Crozon date de 3000 av. J.C (J. Mornand), la période gallo-romaine des quatre premiers siècles de notre ère.

 

 

 

 

Sur la route D63 qui se rend de Tal ar Groas à Lanvéoc, on peut voir sur la gauche un panneau vert où est écrite l'inscription "Pont Gaulois". Le promeneur curieux emprunte alors une route en direction de Kervon et découvre, 800 mètres plus tard, juste avant le hameau de Kervon, un pont de pierre qui enjambe incomplètement le Ruisseau de Kerloc'h. Ce ruisseau long d'une vingtaine de kilomètres prend sa modeste source sur les hauteurs de l'Anse de Poulmic, près de la cote 57, pour s'écouler selon un cap plein Ouest vers l'étang puis le village de Kerloc'h ["le village du loc'h", de l'étang ] avant de rejoindre la mer au nord de l'Anse de Dinan. 

 

              pont-gaulois 2044c

 

  Ce pont est composé de deux pierres rectangulaires, grossièrement plates, posées sur un assemblage de blocs, et sur lesquelles deux gaulois auraient bien du mal à se croiser. Comme le pont est incomplet, on imagine que jadis, une troisième pierre terminait le passage.

 

pont-gaulois 2046c

 

 Un pont gaulois ? je cherche en vain des images et des informations sur la toile. Le pont figure bien sur la carte IGN, mais pas sur la carte de Cassini.

C'est dans la Revue Avel Gornog n°8 de juin 2000, dans l'article de Jean Mornand Archéologie et Voie antique de Landevennec à Landaouec, pp. 24-27, que je trouve l'information:

 " Rappelons au sujet du gué de Kervon qu'il a été doublé à la fin du XIXe siècle d'un pont dont les dalles, l'une à cupules, ont été prélevées au dolmen de Poulmic aujourd'hui disparu."

 Il s'agit donc nullement d'un pont gaulois, mais il mérite notre intérêt pour les pierres mégalithiques à cupules provenant du dolmen de  Poulmic à Saint-Efflez. Je le trouve ainsi recenser sur un site spécialisé Mégalithes du monde. 

 Je poursuis ma recherche directement dans l'ouvrage de Jean Mornand Préhistoire et protohistoire en Presqu'île de Crozon, Ed. Etre Daou Vor, 1998, tome 1, p. 155 : " En 1975 paraissait l'ouvrage sur la Presqu'île de Crozon publié par Louis Calvez, curé de Crozon. Dans le chapitre rédigé par J.L. Éveillard sur l'époque gallo-romaine, on trouve, page 42, une belle photographie du pont archaïque (prés de Kervon) accompagné, page 43, d'un court commentaire : "il (le chemin) franchit la rivière à Kervon, par un gué dallé doublé d'une passerelle d'aspect archaïque". Or, une enquête en 1968, auprès de M. Henry, à la Boissière, nous apprenait que la (les) dalle(s) supérieure(s) de ce pont avaient été transportée(s) du Poulmic par son père, au siècle dernier, et provenait du dolmen de Poulmic. Un examen sur place nous montrait que le tablier du pont était constitué de deux grandes dalles, l'une en quartzite, l'autre en schiste. Cette dernière comportait quatre cupules, venant ainsi confirmer son origine mégalithique. nous avons communiqué cette information en 1975 au directeur des Antiquités. Elle fut reprise en 1977 par Alain Le Bloas. dans un dossier "Abgrall", conservé à la bibliothèque de Quimper, A.H. Dizerbo a trouvé une lettre de A. Devoir du 21 août 1919 dans laquelle il est fait mention du pont mégalithique de Kervon, dont une dalle comporte des cupules. En 1995, Michel Le Goffic, Archéologue départemental, découvrait d'autres cupules sur une grosse pierre gisante au voisinage du pont. Notons aussi que deux belles dalles funéraires en ardoise, datées du début du XIXe siècle étaient encore visibles (vers 1970) en prolongement sud du tablier du pont. Elles ont disparu depuis."

   " La position du dolmen de Poulmic que nous donnons sur le plan correspond sensiblement à celle donnée par P. du Chatellier sur sa carte de 1902. ce monument n'existait plus lors de sa deuxième édition de son inventaire, en 1907. L'emplacement le plus probable de ce dolmen situé à 1 km au sud du manoir de Poulmic, est révélé par le toponyme grunguelde Krugell, «tumulus». "

 

 

  Muni de ces informations, il me restait à retourner découvrir les fameuses "cupules" dont la présence m'avait échappé à ma première visite ; j'en comptais six au total :

                          DSCN0260c

DSCN0259c

 

                               DSCN0261c


   Le mystère des cupules mégalithiques :

  Parfaitement incompétent en matière de pré- ou de protohistoire, je me souvenais pourtant qu'un panneau m'avait signalé la présence de telles cupules sur une pierre de seuil de l'enclos paroissial de Sainte-Marie du Menez-Hom en Presqu'île de Crozon témoignant d'un réemploi de matériel mégalithique; il convenait cette fois-ci d'approfondir sans scrupules mes connaissances, ou, plutôt, de mesurer la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur du nuage d'inconnaissance qui  couvrent pudiquement ces cupules : les savants sont, du moins, unanimes pour déclarer que ces entonnoirs sphériques de 3 à 5 centimètres ne sont pas des phénomènes naturels, mais que c'est l'artifice de l'homme qui les creusa, il y a très longtemps. Elles accompagnent parfois d'autres entailles, en forme d'empreintes de pieds, ou des motifs géométriques comme des losanges, des spirales, des stries. Parfois elles sont reliées en haltère.

  Ce serait, disent les uns, des "pièges rituels d'ombre et de lumière" celle-ci miroitant grâce aux reflets de l'eau de pluie qui ne peut manquer de s'y accumuler. Ces jeux d'eaux et de lumière accompagneraient les défunts vers des jours meilleurs.

   Comme on les trouve sur des pierres sacrées comme les menhirs et les dolmens, d'autres y voient la marque d'un vœu buriné en creux dans la puissance sacrée de la pierre. On les rapproche des idoles à clous africaines, ou des statues de saints et saintes que les paroissiennes piquaient de leur épingles pour obtenir la réalisation d'un désir (épouser le beau Bobby, avoir de beaux bébés), et on imagine même qu'on récoltait peut-être la poussière pour l'ingérer [ c'est ainsi que saint Guénolé, dans la banlieue de Brest, assurait la fécondité de ses fidèles ].

  André Leroi-Gourhan (1964) y voyait "le point d'émergence du symbole graphique", point où se rencontre les deux eléments du couple qu'il étudie, la "main-outil" et la "face-langage" et où se lient les deux sources de l'expression celle de la motricité verbale, rythmée, et celle du graphisme entrainé dans le même processus dynamique" : les comparant aux churingas australiens, ces plaquettes de pierre ou de bois figurant le corps de l'ancêtre mythique, il imagine  un officiant creusant la pierre d'un geste répétitif et rythmé, scandé par des incantations afin d'ancrer une intention magique, une prière, un exorcisme dans la pérénité de la pierre : ainsi le geste devient verbe imprimé et lithographié.

  Faut-il citer Trissotin qui pense que ces cupules recueillaient le sang de sacrifices humains? Philaminte qui les associe aussi au culte de la fécondité pour les observer sur des pierres en forme phallique ? Bélise qui y voit un labyrinthe ? Vadius, lui, sait que ces pierres à ecuelles sont un balisage codé réservé aux initiés pour les guider vers la grande guérison. Philautia, qui est géobiologue, et Anoia, qui se pique de radiesthésie, vous prouveront que les pierres qui les portent ne sont jamais placées, tant s'en faut, au hasard, mais sur les points d'acupuncture de Gaïa, notre mère à tous. Komos pense que ces godets servaient à quelque émule du docteur Bach à préparer, dans l'eau de la rosée, par des herbes choisis, de puissants élixirs, pour s'en enduire et, exposé aux pleurs d'un ciel matutinal, attendre que l'astre de Sélène l' hume en humant la rosée. 

  Tryphe y voit un shéma très élaboré des constellations, mais ce culte astral attend toujours son Champollion.

   Emsare suggère que ce ne sont que les marques de friction laissées par nos ancêtres, quand, frottant d'un archet zélé la baguette de bois sur un lit d'amadou, il allumaient le feu. Mais les essais pratiqués lui donnet tort. Egretos voit, dans la nuit des temps, briller de nombreuses lampes à huile, huile dont on remplissait ces cavités : et c'était fort commode.

  En Haute-Maurienne Vannoise, elles sont nombreuses dans les couloirs d'avalanche : nul doute qu'elles témoignent d'un système de protection ; car nous autres, modernes dénaturés, avant perdu tout sens des anciens savoirs. Nous flottons dans une mer de sargasse, coupés de nos racines. L'étendue de notre inculture est consternante ; ainsi, au dessus de Lans-le-Villard, une de ces pierres à cupules, la Pierre aux Pieds de Pisselerand est aussi marquée par des empreintes de pieds : à 2750 mètres d'altitude, une race d'homme capable d'y monter a jadis existé là, qu'aucune science n'a encore décrit. C'est sans-doute en raison de leur petite taille, car ces marques de pieds ne sont pas bien grandes.


Les anciennes voies de la Presqu'île.

 

 Si le tablier de pierre de ce pont n'est pas gaulois, mais mégalithique, datant du néolithique, et s'il n'a été placé ici qu'à la fin du XIX-début du XXème siècle (de notre ère), il n'en demeure pas moins que cette aménagement récent a peut-être renforcé ou remplacé un pont plus ancien, mais dont on ait perdu la trace.

  Par contre, il est certain que le gué pavé que ce pont vient doubler est, lui, bien attesté, puisqu'il permettait à un ancienne voie de traverser le Kerloc'h.

 Jean Mornand la décrit comme une division de la route Landevennec-Landaoudec. A partir de Landevennec, elle suivait la ligne de crête passant par l'actuel manoir d'Hirgars, traversait les bois de Poulmic au nord de Luguniat jusqu'à Saint-Efflez (où se trouvait à Ar Grungel le dolmen qui a procuré notre pierre à cupules). A Botsant, elle passait près d'un ancien camp antique. Elle pouvait desservir le rivage du Poulmic, où des habitants pouvaient traverser la rade. 

 C'est à Botsant que la voie se divise en une branche qui suivait la crète vers l'alignement mégalithique de Landaoudec, un ensemble considérable, riche de quelques 300 pierres dressées et de deux dolmens. C'est l'autre branche, qui descend vers le sud-ouest, qui va franchir le ruisseau de Kerloc'h par le pont ; auparavant, elle aura traversé Guenatec et cotoyé le site gallo-romain de La Boissière (La Bouessière, dérivé de beuzit, "le buis"), microtoponyme révélateur de ruines romaines, le buis ayant été introduit en Gaule à cette époque. En 1980, en creusant les fondations d'une maison, les thermes d'une villae ont été découverts ; par ailleurs des monnaies et céramiques du Ier au IVe siècle ont été découverts dans les champs voisins (notre "pont gaulois" se situe à 350 mètres au sud ouest de la Boissière). On y a découvert aussi un fragment de bracelet en verre gaulois, et une monnaie gauloise avec l'inscription ARIVOS / SANTONOS, témoignages d'une occupation plus ancienne, et aussi des silex taillés datant du néolithique.

  Jean Mornand fonde aussi son étude par celles de la toponymie, qui garde la trace de l'ancienne occupation du sol. Je signale pour ma part que le toponyme  Kervon a pu être rapproché du Caerpont qui apparaît dans la charte 11 du cartulaire de Landevennec.

  L'ouvrage de Louis Calvez consacre plusieurs pages à ces anciennes routes. Page 43, on lit : 

  " Pour le site de Buzit, en Lanveoc, Bachelot de la Pylaie avait remarqué déjà qu'il réunissait les conditions recherchées pour l'implantation de grandes villae : un coteau exposé au midi, ménageant nune vue agréable sur le vallon verdoyant du Kerloc'h, bien protégé "des vents du sud et du nord par des terrains plus élevés". Un chemin privé assurait la communication avec l'extérieur ; il franchit la rivière à Kervon, par un gué dallé doublé d'une passerelle d'aspect archaïque ; plus à l'ouest, aux environs du bourg de Crozon, il vient se fondre dans la voie principale en décrivant un angle très fermé.

  De ces routes, on trouve une carte dans l'article de Jean Mornand, page 24, et dans l'ouvrage de Louis Calvez, page 34.

carte-IGN-Crozon-Tal-ar-Groas.png

 

Liens : 

Topic-topos, Gué de Crozon . 

    G. Guénin : Les menhirs à cupules du Finistère, Bull. Soc. Préhist. France 1915 vol.12 n°4 pp. 202-212

Sources : 

 Jean Mornand Archéologie et Voie antique de Landevennec à Landaouec, pp. 24-27,Revue Avel Gornog n°8 de juin 2000.

Jean Mornand Préhistoire et protohistoire en Presqu'île de Crozon, Ed. Etre Daou Vor, 1998, tome 1, p. 155

 Louis Calvez La Presqu'île de Crozon Histoire-Art-Nature, lLe Livre d'Histoire, 2005 pp. 34-43.

 Remerciements:

à Didier Cadiou pour son aide et les renseignements fournis.

 

 

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Published by jean-yves cordier

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