Observation d'un camp de femelles d'araignées Pardosa sp. dans le bois de Nevet à Kerlaz (29) le 11 juin 2011.
Les Araignées-loups, ou Lycosidae, sont des araignées qui n'utilisent pas de toiles pour chasser, mais qui capturent leurs proies en courant au sol : c'est dire qu'elles chassent de jour, pour se cacher la nuit sous une pierre, qu'elles sont équipées d'une excellente vision (mais qui n'égale pas celle des Salticidae), et disposent de bonnes jambes. Avec ça, elles consomment une dizaine de petits insectes quotidiens.
Parmi les 116 genres de Lycoses, on trouve celui des Pardosa, qui comprennent le plus grand nombre d'espèces ( 39 en Europe) et qui sont les plus communes et les plus répandues (M.J.Roberts, 2009) Ce sont elles que l'on voit courir sur le sol par temps ensoleillé sans avoir le temps de les observer. Mais à la fin-mai ou au début du mois de juin, on repère plus facilement les femelles, parce qu'elles transportent à l'arrière de leur abdomen leur cocon de couleur claire : et si vous les confondez comme moi au début avec les pisaures, vous apprendrez vite à les distinguer car ces dernières portent le cocon sous l'abdomen ( et parce qu'actuellemnt les pisaures ont déjà mis leur cocon sous une toile).
Le genre Pardosa a été décrit par un inspecteur des Eaux et Forêts allemand, Carl Ludwig Koch en 1847, sans-doute dans son ouvrage princeps Die Arachniden ( 16 volumes de 1831 à 1848). Le nom de ce genre d'araignée-loup signifie "panthère", du latin parda, ae, la panthère, et pardus, i, le mâle de la panthère.
Parmi les 39 espèces de ce genre, M.J.Roberts décrit dans Guide des araignées de France et d'Europe (Delachaux et Niestlé, 2009) les seize espéces courantes : citons parmi celles-ci P. agricola, P. amentata, P. fulvipes dont nous verrons les dons musicaux, P. nigriceps des landes de bruyère et d'ajoncs, P. saltans Topfer-Hofmann 2000, qui se remarque par ses sauts. Il ne cite pasP. lugubris, une araignée bien française puisqu' elle a été décrite par Walckenaer en 1802 dans Faune parisienne. Insectes. ou Histoire abrégée des insectes de environs de Paris. Paris, vol. 2, p. 187-250. Mais rentrer, en néophyte, dans la nomenclature arachnologique supposerait de constater que Töpfer et Hofmann décrivent un groupe-lugubris où ils font rentrer P. alacris (dont P. pseudoalacris est un synonyme ), P. lugubris, P. baehrorum, un nomen nudum, tout comme le quatrième de ce groupe,P. saltans. Finalement, on sait grée à Roberts de rester simple, et le seul avantage de connaître P. lugubris semblait être qu'il se distinguait plus facilement par une bande blanche sur le céphalothorax, comme sur mes images. Mais tous les spécialistes sont au moins d'accord sur un point : toutes les Pardosa dont les pédipalpes et l'épigyne n'ont pas été examinès à la loupe ou au binoculaire sont des Pardosa sp., et c'est tout.
C'est bien assez pour présenter ces photographies (assez médiocres hélas) de ces araignées que j 'ai rencontré lors d'une sortie naturaliste Bretagne-Vivante menée par Mikaël Buord dans les bois et autour des étangs de Nevet, à une dizaine de kilomètres de Douarnenez. Les Parlosaen question s'étaient rassemblées (alors qu'elles ne sont pas connues pour établir des bourgades) sur le flanc d'une levée de terre entourant une souche, où j'en comptais une quarantaine qui semblaient penetrer dans des terriers. Je n'observais qu'un seul mâle, mais mon décompte ne fut pas exhaustif, et il fut vite (le mâle) chassè par une matrone.
Début juin, je l'ai dit, les femelles portent leur progéniture dans un cocon ovigère attaché aux filières de l'extrémité caudale de l'abdomen. Ce sont des sacs lenticulaires bruns, avec une couture plus claire. Après deux ou trois semaines, les mères ouvrent le sac, et les enfants montent gaiement sur le dos maternel en chahutant. Ils resteront sur ce bus à impériale pour un circuit de découverte de la campagne environnante durant une semaine entière, et ce sont eux que je découvrais sous mon objectif, gesticulant, chantant, faisant des gestes provocants aux passants sans se rendre compte qu'avec leurs pattes écartées ils ressemblaient plutôt à d'étranges sauvastikas octoscèles.
Certaines femelles ne portaient que le cocon ; d'autres cumulaient le cocon et la marmaille, et d'autres enfin s'étaient débarrassées du sac caduque.
Je dirais un mot sur l' appareil visuel de ces araignées : le céphalothorax porte huit yeux, dont les deux plus gros sont à l'arrière ; puis vient une autre paire, puis une rangée de quatre yeux antérieurs.
La parade des Pardoses et ses secrets.
Chez les araignées, c'est toujours le même problème pour le mâle : s'accoupler, oui, mais se laisser dévorer par la femelle, non, de préférence. Aussi Monsieur Pardosa sp., guidé par les phéromones femelles, ne se précipite-t-il pas, mais se tient à distance raisonnable, et se livre à sa parade.
Il doit d'abord découvrir sa partenaire, et être informé de sa disposition, et bien que les Lycosidae n'utilisent pas la toile pour la chasse, ils se servent de sécrétions de soie imprégnée de signaux chimiques pour transmettre des données chimiotactiles et vibratoires ( Raymond Leborgne, 1981) : placez un mâle Pardosa amentata sur la soie, et le voilà qui se met à chercher la femelle ; imprégnez les fils de soie de substances chimiques phéromonales, et il commence à faire la cour à la femelle.
Mais certaines espèces seront surtout déterminées par des signaux visuels, d'autres olfactifs et de chimiotactisme, d'autres par des messages mécaniques... Et les messages sonores ? Ils existent aussi :
Les signaux sonores.
On décrit trois méthodes de production de son :
- La vibration d'appendices.
- Le tambourinage du substrat (toile, fil, sol), ou drumming, qui peut se réaliser par les palpes, par l'abdomen ou par les pattes.
- La stridulation, par frottement d'un archet ou d'une rape ( file en anglais) sur un racloir (scraver).
L'usage de la stridulation a été démontrée chez Pardosa fulvipes (Colett) par Kronestedt (Zoologica Scripta, 2, 1,: 43-47) en 1973 : les dispositifs ont été classés par Legendre 1963 en différents types, et il s'agit ici du type "g" où les soies rigides des fémurs des quatrièmes pattes ambulatoires viennet jouer sur les crêtes très fines dont est couverte leur plaque pulmonaire. Lopez a décrit cette production sonore chez des Lycosidae de la Guyane française (Gasteracanthinae).
Un appareil de type "h" est constitué par un archet du tibia dorsal des pédipalpes jouant avec le tarse proximal des pédipalpes. Il a été décrit chez d'autres Lycosidae néotropicales ou ibériques. Ainsi Schizocosa stridulans peut se signaler par des sons basse fréquence créés par la trémulationde l'abdomen, ou par des sons haute fréquence engendrés par la stridulation de type "h".
Aucun organe auditif n'est connu chez les araignées, mais elles disposent de recépteurs aux vibrations organisés en structures variées ( poils réceptifs, organes en fente, trichobothries).
La tarentella ou pizicca tarentata.
Fernandez Montraveta a recherché ce mécanisme chez une araignée-loup du genre Lycosa, L. tarentula, mais ne l'y a pas trouvé. C'est dommage, car il aurait été plaisant de trouver des talents musicaux à cette araignée qui n'est autre que la tarentule de Tarente. Celle-ci est à l'origine d'un des phénomènes les plus passionnants de possession animale, le tarentisme qui n'est pas sans rapport avec la lycanthropie (les loups-garous) :en Italie du Sud, des femmes persuadées d' avoir ètè mordues par Lycosa tarentula (et dont le venin est parfaitement inoffensif pour l'homme, même si les Lycoses s'en servent pour paralyser les insectes) développaient des troubles marqués essentiellement par des convulsions et un état de léthargie. Le seul moyen de les guérir étaient de procéder à une sorte d'exorcisme, étroitement associé au culte de Saint Paul et à la célébration de sa fête, lors d'une cérémonie au cours de laquelle des villageois et des musiciens se réunissaient pour faire danser à la patiente, prise dans des transes par lesquelles elle imitait, renversée en arrière et marchant à quatre pattes les déplacements de l'araignée, cette danse nommée tarentelle, sur un rythme effréné que menaient sans une seule pause durant des jours, un violon et un tambourin. Après avoir dansé sans s'arrêter, épuisant les équipes de musiciens qui se relayaient, réalisant des prouesses physiques sans rapport avec ses capacités habituelles, la malade sortait brutalement de son état de possession ; mais l'année suivante, à la date même où l'araignée-loup l'avait mordu survenait le re-mord, le retour cyclique de l'emprise, et il n'y avait plus qu'à commander les musiciens, les boissons, et recommencer l'étrange bacchanale . (Sur ce sujet, la lecture d'Ernesto di Martino, Le Monde magique, tome III, la terre du remords, 1948, reste incontournable).
La technique du sémaphore (Leg wawing).
Si on ne trouve pas ce tambourinage, ces stridulations et ces signaux "sonores" ( vibratoires) chez toutes les espèces de Pardosa, les signaux visuels sont par contre constant chez ces espèces ; ils ont toute leur importance lors de la phase qui succède à cette recherche du partenaire et qui est celle de la prise de contact : période de tous les dangers, où il faut analyser très rapidement s'il faut choisir l'offensive de séduction, ou la fuite et le combat, si on aborde un partenaire sexuel, ou un prédateur : là, rien ne vaut la vision. Il y a une distance, un espace de sécurité à franchir, et les Parlosa ont leur technique dite "du sémaphore" . Le mâle progresse sur la " dragline", qui mène à la femelle en palpant ce fil par ses palpes, et en se livrant à des mouvements alternatifs des pédipalpes, des chélicères et des pattes, ressemblant aux mouvements des bras du sémaphoriste par leur rapidité et leur rythme, et dont on peut penser qu'il hypnotise la femelle. En même temps, ils permettent à celle-ci de s'assurer que le personnage qui s'avance est bien de la même espèce qu'elle, car le Code, loin d'être international, est un mot de passe spècifique. On trouvera ici : http://www.european-arachnology.org/proceedings/15th/174-183_Vlcek.pdf la description des six phases de la parade d'approche de Parlosa alacris comparée à celle, très différente, de P. lugubris.
Mais que se passe-t-il si le mâle a perdu quelque patte, comme cela est assez courant au cours de l'existence d'un Pardosa sp. ? S. Brautigam et M.H.Persons nous répondent dans Journal of Insect Behavior, 16, 4 : 571-587 (2003): au delà de deux pattes en moins, le succes de la cour amoureuse est compromis, et si celle-ci réussit, c'est pour une copulation de moindre durée, et en s'exposant à un risque accrue de cannibalisme : ces messieurs doivent savoir danser le Jerk du Sémaphoriste par coeur et de toutes leurs pattes et palpes, ou tant-pis pour eux.
Mais celui qui aura su percevoir les signaux phéromonaux, émettre les stridulations que la belle attend d'entendre en sérénade sur son balcon, progresser sur la dragline ( j'adopte le terme anglais qui me plaît bien) , lancer ses messages sans commetre une seule erreur dans le Code International des Signaux Maritimes ou ne pas se prendre les pinceaux dans les bras du télégraphe Chappe, celui là pourra se hisser sur l'abdomen de la femelle, tête-bêche, subir les épreuves que la Dame saura imposer à son chevalier (la pire, celle de la chasteté, du nudus cum nuda ou de l'assag étant èvitée aux araignées), celui là donc sera digne de l'Étreinte, au cours de laquelle, comme nous l'avons vu, Accouplement de Tetragnathes. , il s'agira de jouer des pédipalpes pour que le bulbe copulateur atteigne l'épigyne correspondant .
Et il saura ne pas se plaindre, le mâle-heureux, et chanter avec Guillaume IX de Poitiers :
Ma dame me met à l’essai et m’éprouve
Pour savoir en quelle guise je l’aime