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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 15:54

                    VIERGES ALLAITANTES IV 

              Église Saint-Germain à Kerlaz,

                  Des vitraux édifiants :

         Troisième partie : le marquis de Névet .


  Résumé : l'ensemble des vitraux de l'église Saint-Germain de Kerlaz a été réalisé pendant la Première Guerre Mondiale par Gabriel Léglise sur la commande et grâce au don de deux enfants du pays, un frère et une soeur, après que leur père,  exploitant agricole du Caouët, soit décédé. Ces co-héritiers étaient l'un Supérieur du Séminaire Français de Rome, l'autre religieuse, tous les deux  spiritains de la Congrégation du Saint-Esprit à vocation missionnaire, et en 1916, ils n'héritèrent pas que de biens meubles ou immeubles, mais aussi des traditions et légendes de ce territoire qui s'adosse à la montagne de Locronan et au "nemeton" (territoire gaulois sacré) de la foret du Nevet, et dont la foi et la pratique religieuse a incorporé un matériau prè-chrétien considérable. Ils héritèrent d'un catholicisme qui accueillait avec  un enthousiasme et une ferveur allant jusqu'au sacrifice les missionnaires et les recteurs qui organisaient des Grands Pardons (celui de Ste-Anne-la-Palud, tout proche, mais aussi celui de Kerlaz, sans parler de Rumengol), qui assuraient aux participants des indulgences plénières, reprenant des circumductions rituelles allant de mégalithes christianisés en anciens sanctuaires de la fécondité  et de source en statue de saints (Eutrope, Ouen, Germain)  lors de la Grande Troménie de Locronan, prenant la tête de processions, validant le légendaire développé autour des saints locaux, Corentin, Ronan, Guénolé, Theleau, Hervé, Thuriau et leur animal dédié, se procurant, avec l'appui des Ducs ou des seigneurs, de saintes reliques. En un mot, il reçurent (notamment de leur mère qui les menaient aux pardons) ce Merveilleux breton qui a su laisser dans l'art religieux comme dans les âmes le plus beau et le plus exaltant des trésors, trésor d'autant plus riche qu'il se mêlait aux légendes et aux haut-faits des écuyers et des chevaliers qui devinrent leurs seigneurs, frappant le fronton et les vitraux des églises de leur armoiries, enrichissant le territoire du panache de leurs noms et de leurs titres, partant en Terre-Sainte quérir la gloire et les reliques, et s'affrontant en combats magnifiques. 

   Mais s'ils héritèrent de cette profusion de Saints et de Héros de légende, ils reçurent aussi lors des veillées  les récits de plaies que la grande Histoire avait laissée en passant : épidémies de pestes diverses, famines, Guerres de religion et violence de la Ligue (Fontenelle dévastant le château de Lezargant situé su la paroisse), Révolte du Papier Timbré,  Révolution, Constitution Civile du clergé. C'était une histoire familiale, mémoires des arrières grands-parents ou d'arrières-grands-oncles : 

    Ces plaies non refermées dont l'Histoire avait balafré leur passé se sont associées aux légendes merveilleuses pour composer cette romance avec laquelle nous enchantons nos vies, et avec laquelle ils affrontèrent la leur. 

   Les images qu'ils nous ont laissé en sont le témoignage. Passionné et passionnant.

 


V.  Baie coté nord : Mort de René de Nevet.

 "René de Nevet, lieutenant du roi et colonel de l'arrière-ban en Basse-Bretagne, meurt le 13 avril 1676 plein de mérites et de vertus en son château de Nevet et pleuré par ses vassaux."

  Ce vitrail est encadré de quatre écussons, qui sont :

  • en haut à gauche, le lion rouge sur fond jaune se lit "d'or au léopard morné de gueules" (je reprends là-dessus l'abbé Horellou qui écrit "le léopard d'or morné de gueules ": Oh !).  Ce sont les armes des Nevet, et on lit leur devise, Perak ?, "pourquoi ?" [inscrit Perac].


  • en haut à droite le château fort se lit " d'azur au château d'or, sommé de trois tourillons de même", qui est Vieux-Chastel ou Koz Kastel. La devise est lue par G. Horellou comme Trementem pungo, "je tue celui qui tremble, je tue le lâche" en signalant que quelques armoriaux portent Prementem pungo, "je tue l'oppresseur", et que Claude de Lannion du Vieux-Châtel (sic) était grand amateur d'antiquités et généalogiste émérite. Mais l'inscription exacte est Prementem pugno (et non pungo), associant le verbe pugno, "combattre" (ou le nom pugno, "le poing" avec l'accusatif singulier de premens, "pressant", "la poursuite"). C'est la devise de la maison de Lannion, et non celle de la famille de Vieux-Chastel, mais elle a pu être empruntée à Claude de Lannion (mort vers 1621)  qui épousa Renée de Quelen, dame du Vieux-Chastel.


  • en bas à gauche, selon Horellou, les armoiries des Quelen du Vieux-Chastel "burelé d'or de six pièces d'argent", que je corrige en "burelé d'argent et de gueules de dix pièces" avec la devise E peb amzer Quelen, "De tout temps Quelen" qui joue sur le sens de quelen en breton, "le houx", toujours vert. Mais le vitrail porte Quelen atao, "Quelen toujours", qui n'est pas la devise héraldique.

          Je remarque que ces armoiries sont proches de celles que j'ai vues dans l'église de Kerlaz en socle du saint-Sébastien avec la date 1569 :  Vierges allaitantes IV : Kerlaz, les statues et inscriptions.  Au lieu d'être entières, elles sont divisées par une ligne médiane en deux parties très proches mais néanmoins dissemblables et décalées , et dont seule la partie gauche semble être dotée des dix burèles ( on nomme burèle une bande horizontale ou fasce dont la largeur est diminuée, et employée en nombre pair supérieur ou égal à dix). Le blason débute en haut par une burèle d'argent (blanche) masquée sur ma photo par la barlotière. 


  • en bas à droite, un blason qui se lit "d'azur au cerf d'or" et qui n'est pas surmonté de couronnes, mais d'un cimier. Selon G. Horellou, il a été composé  par le R.P. Le Floch pour attribuer des armoiries à l'abbé Le Garrec (du breton gar, "jambe" garreg "celui qui a de grandes jambes"). Il lui a aussi attribué une devise, " Difennour ar feiz", "défenseur de la foi".    Je serais enclin à penser qu'on peut y voir la devise  que le Père Le Floch s'est choisie pour figurer dans ce carré de noblesse.  Le cerf blanc, parfois doté d'un collier d'or,  est, dans le roman breton, le messager des fées et du monde surnaturel, l'animal psychopompe qui guide le héros naïf vers les contrées boisées où il  accédera au Merveilleux où il devra se dépasser et se transformer. Diffenour ar feiz  peut sans-doute se traduire par "confesseur de la foi", titre réservé à un chrétien qui a été persécuté pour sa foi, qui a subi des blessures mais qui a survécu : ce sens s'applique alors à l'abbé Garrec.

  Il reste que ce "détail", l'invention d'armoiries et  d'une devise pour faire figurer les prêtres de Kerlaz à partie égale à l'un des quatre coins d'une représentation imagée du monde (symbolique du nombre quatre) avec les familles nobles ( 1.Kerlaz, 2.ses légendes, 3.ses familles nobles, 4.son clergé) est si singulier, si contraire à l'héraldique nobiliaire, si incongru et, quoique bien dissimulé, si hénorme qu'on ne peut faire l'impasse sur son interprétation. La plus banale serait d'y voir l'équivalent des vitraux du XVIe siècle où le donateur, un noble chanoine comme à Kergoat, figure dans le coin inférieur avec son saint intercesseur et ses armoiries. La plus élaborée partirait de la biographie et de l'étude critique de la pensée d'Henri Le Floch pour déchiffrer un message : ce qui est hors de mon propos.

 


 Description :       

   On  voit un homme alité dans un lit à baldaquin, recevant les derniers sacrements sous les regards d'une femme noble qui doit être son épouse. Une petite fille  est agenouillée devant nous, dont le costume breton contraste avec celui de trois autres enfants plus âgés, vêtus comme des enfants de seigneurs. Deux hommes se tiennent derrière eux, l'un en tenue de mousquetaire. Un paysan breton est visible tout au fond, près de la porte, affichant une attitude plus humble et respectueuse que les autres. Si on ne dispose pas d'autres explications, on conclue à une représentation à quatre composantes, la mort, la religion catholique, la noblesse, la paysannerie bretonne, sans comprendre pourquoi cette scène nous est montrée. 

  Parmi les deux personnages nobles qui assistent à la scène, l'un, en tenue de soie bleue et au chapeau de feutre empanaché, porte le ruban de l'Ordre du Saint-Esprit. Cet ordre ne comporte que 8 commandeurs, tous ecclésiastiques, qui portent le ruban en sautoir, et cent chevaliers, qui portent le large " ruban de soye de couleur bleue céleste" en écharpe sous le bras gauche, pour permettre la chevauchée. A ce  cordon bleu moiré s'attache le "placard" où est brodée d'argent la croix de Malte portant une colombe du Saint-Esprit. Ce sont les chevaliers des ordres du roy, qui sont toujours institués chevaliers de l'ordre de Saint-Michel avant d'être décoré de cet ordre.  La liste en est limitée, au XVIIIe siècle on n'y trouve pas de nobles bretons mais des princes, des maréchaux, des pairs de France, des ducs, des évêques et archevêques, des gouverneurs. Deux personnages proches du marquis de Névet ont porté le cordon bleu du Saint-Esprit, ce sont son beau-père François Goyon de Matigon, Comte de Torigny et Lieutenant-général de Normandie, mais qui mourut en 1675, et  Charles d'Albert duc de Chaulnes son supérieur hiérarchique. Ce serait donc lui qui est représenté ici, bien qu'il n'ait pas assisté au déces de René de Névet. 

  A ses cotés, en habit rouge, nous pouvons penser qu'il s'agit de M. de Tréanna, Sr de Lanvillio. 

  René de Nevet n'avait que deux fils, âgés à sa mort de 3 et 5 ans. Et celui qui l'a accompagné dans ses derniers instants, M. de Tréanna, à la Retraite de Quimper, ecrit qu'il a fait le récit de cette mort pieuse à son épouse, qui était donc absente. Mais un vitrail n'est pas un document historique, mais une représentation artistique. En outre, nous allons le voir, ce qui est montré ici n'est pas un fait réel, mais une légende développée autour d'un personnage historique

   


 

 

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La famille de Névet : éléments historiques :

      Dans la monographie de l'abbé Horellou Kerlaz, son histoire, ses légendes, ses familles nobles , Brest 1920, les pages 110 à 124 sont consacrées à la forêt de Nevet, et les pages 125 à 191 à l'histoire des seigneurs de Nevet : c'est dire l'importance du vieux territoire gaulois devenu ermitage de saint Ronan pour la paroisse de Kerlaz, et de l'histoire de cette famille illustre dont la seigneurie s'étend de 1270 à 1721.  Horellou lui-même reprend les travaux des chanoines Abgrall et Peyron, auxquels on peut se reporter. Enfin, Gérard Le Moigne a publié en 1999 dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère CXXVIII un article sur les seigneurs de Névet.

   Cette seigneurie étendit progressivement son fief sur soixante dix paroisses. Elle agrandit au cours des siècles le château de Lezargant qui finit par comporter deux grands corps de logis et un pavillon. Elle dirigea la Capitainerie de Quimper au XVIe siécle, celles de Quimper et de Douarnenez au XVIIe lors de la Ligue.

  


  • La famille de Névet date ses origines de la période précédent l'introduction du christianisme en Bretagne et estimaient être à l'origine du nom de la grande forêt de Névet, forêt où ils auraient accueilli sur leurs domaines de Plogonnec, Plonévez et Locronan Saint Corentin, Saint Ronan et Saint Guénolé.C'est Hervé VI de Névet (1424-1444) qui après de démêles avec l'évêque de Quimper, fit démonter son château pour le reconstruire pierre par pierre à Lezargant, sur la trève de Kerlaz. puis vinrent :
  • Jean Ier de Nevet (1444-1462), sans postérité : son frère lui succède :
  • Henri Ier de Nevet (1462->1480), seigneur de Névet : il épouse Isabelle de Kerhoent, puis Jeanne du Chastel, puis à nouveau Isabelle de Kerhoent.
  • Jean II de Nevet (>1480-1493), sans postérité, son frère lui succède :
  • Hervé VII de Névet (1493-1494)
  • Jacques Ier de Nevet (1494-1555), seigneur puis baron de Nevet, Sr de Coat-Nevet, de Lezargant, de Pouldavid, de Kerlédan, de Langolidic, Gouverneur de Quimper en 1524 et en 1543, il épouse Claudine de Guengat. Il est de religion réformée.
  • René de Névet (1555-1585) il abjure le protestantisme à la mort de son père. Gouverneur de Quimper. Son frère lui succède :
  • Claude Ier de Névet (1585-1597),Gouverneur du Faou, de Douarnenez et de Quimper en 1585.
  • Jacques II de Névet (1597-1616), il est assassiné le 28 octobre 1616 à la sortie des États de Bretagne à Rennes par le sire de Guémadeuc.
  • Jean III de Névet (1616-1647), baron de Névet, Chevalier du roi et gentilhomme ordinaire de sa Chambre, il épouse Bonaventure de Liscoët dont il eut dix enfants. Auteur de l'aveu du 6 juin 1644.
  • François Ier de Névet (1647-1647), son frère lui succède :
  • René II de Névet (1647-1676), baron puis Marquis de Névet
  • Henry-Anne Ier de Névet (1676-1699), colonel du régiment de Royal-Vaisseaux, sans postérité : son oncle, frère de René, lui succède :
  • Malo Ier de Névet ( 1699-1721), longtemps ermite à Plogonnec, avant d'épouser Marie-Corentine de Gouzillon ;  Le titre passe à la famille de Breil de Pontriant.

Éléments historiques sur René II de Névet.

  On les trouve dans les articles rédigés par le chanoine Peyron en 1919,  soit l'annèe suivant la réalisation des vitraux de Kerlaz, dans le Bulletin Diocésain d'Histoire et d'Archéologie sous le titre Les derniers Seigneurs de Névet. : Bdha 1919 p. 19-48 et 90-96 :http://catholique-quimper.cef.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=40 .

Le contenu de cet article est reproduit  dans la monographie de G. Horellou Kerlaz, son histoire, ses légendes, ses familles nobles, Brest 1920. 

  Les trois ecclésiastiques Henri Le Floch, chanoine honoraire de Quimper, Germain Horellou son ami d'enfance, aumonier à Quimperlé et Paul Peyron, chanoine de Quimper ont sans-doute travaillé de conserve sur les mêmes thématiques, et si les vitraux ont été exécutés en 1917-1918 avant la publication de l'article de Peyron en 1919 et de l'ouvrage d'Horellou en 1920, les deux derniers citant les vitraux de Kerlaz, il est très vraisemblable que les recherches historiques aient été réalisées par Paul Peyron avant le début de la Guerre et communiquées au Père Le Floch lorsqu'il développa son projet. En effet, le chanoine Peyron écrit dans sa Notice sur Kerlaz, qui date de 1915, "nous parlerons plus au long de la maison de Névet dans la notice de Locronan". On peut aussi penser que, appartenant au même catholicisme breton, ils appréhendaient l'Histoire avec les mêmes options.  De là à faire de Paul Peyron l'inspirateur d'Henri Le Floch...

  A la réflexion, reprenant ce texte, je constate que mon hypothèse est une évidence puisque l'inscription légendée qui figure sous le vitrail,  "René de Nevet, lieutenant du roi et colonel de l'arrière-ban en Basse-Bretagne, meurt le 13 avril 1676 plein de mérites et de vertus en son château de Nevet et pleuré par ses vassaux."est une citation de l'article de P. Peyron.

   Sur René de Névet, P.Peyron nous indique ceci : 

"René, marquis de Névet, né le 26 octobre 1641, il fut élevé par les Jésuites, pour lesquels il conserva un profond attachement pendant toute sa vie. A l'âge de 30 ans, vers l'année 1670, il épousa Anne de Guyon de Matignon, fille de François de Guyon de Matignon, et petite fille d'Éléonore d'Orléans de Longueville, apparentée à Louis XIV." Sa pierre tombale à Locronan apprend aussi qu'il était garde-coste général de l'évêché, donc chargé de la Capitainerie.

   "Il était lieutenant du roi et colonel de l'arrière-ban de l'évêché de Cornouaille. C'était un gentilhomme foncièrement bon, doux et charitable. Il était adoré de ses vassaux et rendit à son pays les plus éminents services, notamment pendant la révolte du papier timbré en 1675. Quatorze paroisses s'étaient révoltèes de Douarnenez à Concarneau et avaient pris le Code Paysan comme résumé de leurs revendications. Or, l'influence de M. de Névet fut telle que, sans avoir combattu, mais non sans avoir encouru quelques dangers, il obtint, des paroisses rebelles, la promesse de ne plus prendre les armes, d'empècher de sonner le tocsin, et les détermina même à brûler le Code Paysan. Sur ces entrefaites, à la fin du Carème 1676, sentant la mort approcher, il vint à Quimper chez les Pères Jésuites pour y préparer une dernière retraite. Il y retrouva M.de Tréanna, un autre saint homme qu'il avait choisi comme éxécuteur testamentaire."

  Décédé en son château de Lezargant le 13 avril 1676 et fut enterré le lendemain en l'église de Locronan, en son tombeau prohibitif, au milieu du choeur, face au maître-autel. Ce tombeau fut violé pendant la Révolution et les pierres dispersées. Le recteur Brisson en récupéra deux, que l'on peut encore voir dans l'église de Locronan :

 

  DSCN0605c

DSCN0606c

 

  On y lit ceci : CI-GIST : MESSIRE : RENE DE NEVET : CHEVALIER : MARQVIS : DE : NEVET : COLONEL : DU : BAN : ET : ARRIERE : BAN : ET : GARDE : COSTE : GENERAL : DE : L'EVECHE : DE :  CORNOVAILLE : COMMENDANT : POUR : LE : ROY : DANS : LE : MESME :  EVECHE : IL : ETOIT : FILS : DE : MESSIRE : IEAN : DE : NEVET : ET : DE : HAVTE : ET : P :  DAME : BONAVENTVRE : DV : LISCOVET : IL : EST : MORT : DANS : SON : CHATEAV : DE : NEVET : LE : 13 : AVRIL : 1616 : AGE : DE : 34 : ANS. CY GIST : AVSSI : MESSIRE : DE : NEVET : SON : PERE : FILS : DE : MESSIRE : JACQVES : DE : NEVET : ET : DE : DAME : COISE : DE : TREAL : HERITIERE : DE : BEAVBOIS : IL : EST : MORT : LE : 10...S AGE : DE : 34 : TOUS : LES : SEIGNEVRS : DE : NEVET :..IS  :ONT : AVSSI : ETE : MIS : DANS : CE : TOMBEAV : DE : LEVRS : ANCE...

La seconde pierre porte inscrit : Est apporté le coeur de Messire Henry-Anne de Nevet, colonel du régiment Royal-Vaisseaux et du ban et de l'arrière-ban de l'évesché de  Cornouaille, et garde-costes général, chevalier, marquis de Névet. Il était fils de Messire de Névet et de dame Marie-Anne de Matignon. Il est mort en son château de Beauboys le 12 décembre 1699, agé de 29 ans.

 


           Un lieutenant du roi est, dans une province, le représentant du roi. La Bretagne était gouvernée par un Gouverneur, alors le Duc de Chaulnes, qui a sous ses ordres trois lieutenant du roi, l'un pour le comté Nantais, l'autre pour la Haute-Bretagne, le dernier Lieutenant du roi pour la  Basse-Bretagne : ce fut le marquis de la Coste, puis en 1675-1676 René de Névet. C'est donc un poste considérable, qui donne la responsabilité de toute l'administration civile et militaire. 

  Le poste de colonel du ban et de l'arrière-ban confère la responsabilité de convoquer pour une action militaire face à un péril, ou pour une Montre pour vérifier l'équipement et l'état des troupes, les vassaux du roi (ban), et l'ensemble des hommes pouvant être armès mais qui que le roi ne peut convoquer directement. L'ensemble représente les hommes fiéffés du roi. Les derniéres convocations (exceptionnelles depuis Henri II) dataient de 1674, sur la Meuse. Ce poste de colonel du ban correspond donc à la plus haute charge militaire. René de Névet siégeait à l'état-major en qualité de premier officier.

  Germain Horellou consacre quatre pages au "rôle joué par le Marquis René de Névet pendant la révolte du papier timbré" en citant l'Histoire de Bretagne de La Borderie et B. Pocquet, tome V, chap. 32 et 33,  1913. 

  C'est, sur le plan historique, l'élément crucial si on pense interpréter ce vitrail comme un testament moral et politique, comme un acte de foi dans la valeur de la religion, et de la noblesse : un noble breton meurt en chrétien, "ayant reçu les derniers sacrements nécessaires à son salut par le vicaire perpétuel de la ville de Locronan" (registre paroissial), entouré des siens et respecté des paysans dont il était aimè. Les chanoines de Quimper citent M. de Tréanna un seigneur converti par les Jésuites qui témoigne de la sainteté de ses sentiments, ou s'appuient sur l'Histoire de Bretagne de La Borderie, père de l'historiographie bretonne, mais catholique monarchiste et antirépublicain dont Henri Le Floch partage les opinions.  

  Voilà les éléments historiques présentés par La Borderie en les résumant à l'extrème puisque chacun peut consulter en ligne la source citée :

  • La misére des peuples dans la seconde partie du XVIIe siècle était réelle,
  • Beaucoup de seigneurs commettent des exactions abusives de leurs paysans et exigent d'eux des corvées excessives,
  • Mais il faut se garder de généraliser, un mauvais seigneur fait plus de bruit que cent bons.
  • Il est juste de dire que la noblesse ne remplissait plus son rôle d'autorité sociale,
  • Plus que contre les nouveaux impots (taxe sur le papier timbré, sur le tabac, sur la vaiselle d'étain) éxigés par le roi, c'est contre les membres de la noblesse et contre le clergé que la colère du peuple s'exerça : "il tournent plus leur colère contre les gentilhommes que contre l'autorité du roi ; ils ont rendu à quelques uns les coups de bâton qu'ils en avaient reçu",
  • mais "les celtes de la Basse-bretagne sont particulièrement fiers, susceptibles,orgueilleux et égalitaires.C'est un pays rude et farouche, et qui produit des habitants qui lui ressemblent, ils entendent médiocrement le français et guère mieux la raison.
  • Les bas-bretons différent beaucoup entre eux : autant le Léonard est profondément religieux, il aime et vénère ses prêtres, il s'incline avec déférence devant les supèriorités sociales, il respecte le seigneur, autant le natif de Cornouaille, autour de Quimper, Quimperlé et Chateaulin, est frondeur, rebelle à toute autorité, il deteste toute supériorité sociale et surtout les chatelains. Les nobles sont pour lui l'ennemi.
  • En mai 1675, une émeute éclate à Guingamp, et le Marquis de la Coste, Lieutenant du roi, s'y rend et fait punir trois meneurs (une femme est pendue et deux hommes condamnés au fouet et au bannissement).
  • le 5 juin, M. de la Coste se rend à Chateaulin où les esprits s'échauffent ; le tocsin sonne dans plus de trente paroisses et des bandes de paysans armès se rassemblent. Face à un huissier insolent qui présente les revendications de la foule, M. de la Coste lui passe son épée au tarvers du corps. Lui-même bléssé, il se réfugie dans une maison où, assailli, il promet la révocation des édits.
  • La révolte éclate dans vingt paroisses de Quemenéven, Cast, Plogonnec à Elliant. Laurent Le Quéau, meunier à Quéménéven, et Alain Le Moign, laboureur à Briec prennent la tête des révoltès ; les recteurs de Briec sont malmenés, le château de la Boixière est attaqué. Un véritable foyer d'insurrection se forme entre Concarneau, Douarnenez, Chateaulin, Chateauneuf-du-Faou et la mer (qui inclut donc le Porzay et Kerlaz) avec de nombreux attentats de juin à août 1675 : pillages, attaques contre des gentilhommes, meurtre du seigneur de Cosquer en Combrit, attaque du château de la Motte à Douarnenez où le gardien est tué, attaque des notaires où le papier timbré est brûlé, "et ils n'en veulent pas moins à leurs recteurs et leurs curés. En juillet 1675, quarante paroisses se sont révoltées, vingt mille hommes ont pris les armes. Ces "Bonnets bleus" (pays bigouden) et "Bonnets rouges" (pays de Poher) furent les maîtres du pays pendant trois mois, les nobles se réfugiant dans les villes, le Duc de Chaulnes en la citadelle de Port-Louis. 
  • Un Code paysan en 14 articles rassemble les revendications de 14 paroisses, ainsi qu'un Code Pesovat "un véritable programme social, éxigeant non seulement la supression des nouvelles taxes, mais l'affranchissement des impositions royales, des droits seigneuriaux et de dîmes ecclesiastiques".
  • Le Duc de Chaulnes nomme le marquis de Névet au commandement des milices de l'évêché en remplacement du marquis de la Coste, blessé. Mais jusqu'à juillet, il n'y eut aucune répression, le duc de Chaulnes restant enfermé à Port-Louis, le marquis de la Roche (Gouverneur de Quimper) à Quimper, le marquis de Névet dans son château de Lezargant, anxieux, sans troupes, vivant dans la crainte perpétuelle d'une attaque et ne songeant point à réprimer une attaque.
  • Les paysans, n'ayant ni chefs, ni organisation et pressés par leur récolte, se dispersent alors que le duc de Chaulnes reprend l'initiative habilement, tente de diviser les insurgés, promet l'amnistie à ceux qui déposeront les armes, donnant des instructions en ce sens à La Roche et à Nevet, ainsi qu' au P. Lefort, supérieur des Jésuites de Quimper,qui parcourait plusieurs paroisses rurales. M. de Nevet fit même arréter, juger, exécuter et pendre, aux fourches patibulaires de Névet, les meurtriers du garde du château de La Motte.
  • D'autres essayaient de négocier: "M. de Névet très bienveillant et très aimé", reçut le 19 juillet 1675 la visite d'un délégué de vingt paroisses de la région de Chateaulin demandant miséricorde au roi.  M. de Névet "la trouve fort juste" : "ils ne font plus condition ni pour les édits, ni autrement, mais seulement demandent justice de la méchante noblesse, juges et maltôtiers". Le duc de Chaulnes pense aussi que les paroisses devraient se soumettre, se plaignant "seulement des mauvais traitements qu'elles recevaient des gentilhommes et des curés", et de se libérer de leurs véxations, "et il est certain qu'elles sont grandes", mais demande qu'on lui envoie les troupes nécessaires pour appliquer aux mutins une punition exemplaire.
  • La Remontrance des vingt paroisses "vers Chateaulin" que reçut René de Névet et qu'il trouve fort juste est cité en note page 505 : les paysans se plaignent :  1. du manque de justice , "les juges n'ayant aucune considération ny pour les pauvres, ny mineurs, ny pour la pauvre populace". 2. du champart, prélèvement en nature sur les récoltes. Wikipédia donne le chiffre d'une gerbe sur huit, et on trouve ici les chiffres de une sur trois, sur cinq, ou de cinq à est selon les seigneurs. 3. du droit de moulin. 4. du droit de pâtures de brebis et autres bestiaux que les nobles font paître occasionnant des dégats dans les champs de blés, parcs et terres. 5. des Corvées. 6. des pigeons qui mangent les blés sans qu'ils aient le droit de les chasser. 7. Des nouvelles taxes : "comment veut-on que nous payons les nouveaux édits, n'étant pas capable de soutenir ceux qui y étaient?".
  • Les révoltes menées  dans le Porhay par le notaire Le Balp et dans la région de Carhaix sont décrites, ainsi que la riposte "incontestablement habile" du duc de Chaulnes retranché à Port-Louis : envoyer dans les paroisses révoltées les prêtres et des religieux chargés de "prêcher des missions" (les guillemets sont de La Borderie) : après le Père Lefort, Supérieur des Jésuites, c'est le Père Maunoir qui prêche à Plouguernevel, essayant d'amener à resipiscence les paysans révoltès, " apaisant les esprits, et la procession, représentant les scènes de la Passion, obtint son effet habituel, d'émotion et d'attendrissement sur ces rudes et simples esprits". Le texte renvoie, en note, vers le Parfait Missionnaire du Père Boschet, pp 360-364 :link dont la lecture est édifiante. On y lit combien "le duc de Chaulnes fut très content du Père Maunoir", comment le Père Maunoir accompagna le duc lorsque celui-ci "entra dans le pays en état de faire tout plier et de châtier les plus coupables" afin d'assister religieusement les suppliciés et de convaincre de docilité la population, car "Dieu bénit aussi ces missions militaires" et comment il se félicita qu'allant prêcher à Pontivy après que "quelques paysans y ayant été tués dans la chaleur de leur crime et d'autres venant d'être exécutés", cela provoqua plus d'ardeur dans les conversions à la foi, évoquant dans l'esprit du zélé missionnaire le verset du Psaume 77, verset 34 : "on les tuait, et ils retournaient à Dieu".
  • M. de Névet est encore mentionné pour avoir adressé des courriers au chef des révoltès (Le Balp) pour le détourner de marcher sur Morlaix. Mais Sébastien le Balp, installé au château de Tymeur à la tête de 30 000 hommes et avec 2000 bonnets rouges, est tué par le marquis de Montgaillard le 3 septembre 1675.
  • De l'avis de La Borderie (p. 517) comme du duc de Chaulnes "la révolte des paysans bretons méritait une répression énergique" mais entre ceux qui traitent le duc de tyran sanguinaire et cruel et ceux qui en font un saint, le chartriste historiographe juge avec impartialité qu'il était "un administrateur très fin, plutôt doux par caractère, bienveillant même quand cela ne nuisait pas à ses intérets personnels, ne faisant le mal que quand on le lui commandait, mais capable alors d'aller jusqu'au bout, ne dédaignant pas d'ailleurs les petits profits, et surtout attentif à soigner sa carrière. Ce n'était point à coup sûr un Néron, encore moins un Saint-Vincent-de-Paul, bien qu'il fut devenu sur le tard fort dévot : c'était un parfait fonctionnaire, et ce terme moderne le dépeint tout entier". (p. 518) Terme si moderne qu'il évoque certaine publication sur la banalité du mal...
  • Les quarante paroisses qui avaient participé à la révolte furent divisées en trois groupes : cetaines furent pardonnées, non sans avoir envoyè des suppliques signées des principaux habitants et promettant de se soumettre, et avoir dédommagé les victimes nobles ou du clergé. D'autres durent livrer "deux ou trois coupables", remettre leurs armes, descendre leurs cloches, payer des droits. Les troisièmes, instigatrices des révoltes, furent exclues de toute amnistie et de toute pitié. Parmi elles, 38 paroisses de Cornouaille, (parmi lesquelles ne figure pas Plonevez-Porzay et donc Kerlaz, mais Cast, Quéménéven, Plogonnec, Plomodiern et Doaurnenez), soit 79 personnes dont quatre prêtres.Voir la liste : link On sait  que six clochers du pays bigouden furent décapités.
  • on ne trouve pas d'autres mentions que celles cités précedemment  sur le rôle de René de Nevet dans cette répression. On sait qu'il devint fort dévot, et il est cité p. 592 parmi les collaborateurs du Père Maunoir, avec Saluden de Trémaria, Hingant de Kerisac, Jean de Treanna seigneur de Kerazan en Cap Sizun, ou le marquis de Pontallec, autant de nobles qui, parfois après une vie trés dissolue, devenus veufs ou ruinés par les créances, abandonnent la vie mondaine, se font parfois ordonnés prêtres et mènent auprès des Jésuites une vie de dévotion, de macération et de charité en collaborant à l'effort missionnaire.

 

Le vitrail de René de Névet, une autre interprétation :

  Plutôt que de voir ce vitrail comme la représentation d'un fait historique, la mort chrétienne d'un acteur de la Révolte des Bonnets Rouges (ce qu'il est), il est possible de le voir comme l'image illustrant une complainte bretonne, une gwerz  qui ne respecte pas toujours l'exactitude historique mais qui séduit par son effet de vérité et par sa puissance émotive. La chanson est tirée du Barzaz Breiz de La Villemarqué et se nomme Maronad ann otrou Nevet, Élégie de monsieur de Nevet : voir ici : link

 

 

_Savet, savet, otrou person ! 

Ann otrou Nevet a zo Klaon ;

Kaset gen-hoc'h ar groaz-nouen,

War ann otrou koz a zo tenn.

_ Chetu me deut, otrou Nevet,

Tenn eo war 'n hoc'h am euz klevet.

Ar groaz-nouen zo gan-ime

D'ho konforti, mar gallann-me.

_ N'em euz konfort bet da gahouet

Enn tu ma c'horf e-barz ar bed ;

Enn tu ma c'horf me n'am euz ket,

Enn tu ma ene, larann ket _

 

 

_Levez-vous, levez-vous, monsieur le Recteur ! M. de Nevet est malade ;

Portez avec vous l'extrème-onction, le vieux seigneur souffre beaucoup.

_ Me voici, monsieur de Nevet, vous soufferz beaucoup, me dit-on ?

J'ai apporté l'extrême-onction pour vous soulager si je puis.

_ Je n'ai aucun soulagement à attendre à l'égard de mon corps en ce monde ;

Je n'en attends aucun à l'égard de mon corps ; à l'égard de mon âme, je ne dis pas._

Après avoir été confessé, il dit au prêtre : _Ouvrez aux deux battants la porte de ma chambre, que je vois tous les gens de ma maison.



Ma femme et mes enfants tout autour de mon lit ; Mes enfants, mes metayers et mes serviteurs aussi.

Ma friet ha ma bugale Tro-war-dro demeuz ma gwele. Ma bugale, ma meriounen, Kerkouls ha ma servichourien

 

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Que je puisse, en leur présence, recevoir Notre-Seigneur avant de quitter ce monde_

La dame et ses enfants, et tous ceux qui étaient là, pleuraient ;

Et lui, si calme, les consolait et leur parlait si doucement !

_ Taisez vous ! taisez vous ! ne pleurez pas ; c'est Dieu le maître, ô ma chère femme !

Oh ! taise-vous, mes petits enfants ! La sainte Vierge vous gardera !

Mes métyers, ne pleurez pas : vous le savez, gens de la campagne,

Quand le blé est mûr, on le moissonne ; quand l'âge vient, il faut mourir !

Taisez-vous, bons habitants des campagnes ; taisez-vous, chers pauvres de ma paroisse ;

Comme j'ai pris soin de vous, mes fils prendront soin de vous.

Ils vous aimeront comme moi ; ils feront le bien de notre pays.

Ne pleurez pas, ö bons chrétiens ! nous nous retrouverons bientôt !_

Voilà l'extrait de ce chant composé par le mendiant Malgan, l'un des dix mille parmi les pauvres gens qui assistaient à son enterrement, ce chant "en l'honneur du seigneur de Névet, du seigneur de Névet béni, le soutien des Bretons :

D'ann otrou Nevet benniget,

A oa kendalc'h ar Vretoned."

 

  Bien-entendu, le chanoine Peyron, infatigable fureteur, s'est interrogé sur l'identité de ce Monsieur de Névet, ( link ,p. 91) retrouvant les publications dans lesquelles Gaston de Carné ( link ) et de M. de Trévédy (link) dans la Revue de l'Ouest de 1888 proposent d'y voir l'un Malo, le frère de René de Névet, parce qu'il était le seul à avoir atteint l'age d'être qualifié d' ann otrou koz, de vieux monsieur, l'autre Jean, le pére de René et de Malo, en objectant que Malo n'avait pas eu de fils, et seulement une fille. Paul Peyron rétorquait que le terme breton otrou koz était parfois appliqué pour des hommes jeunes, et optait pour y voir la description de la mort de René de Névet, pour tenir compte de la strophe III chant qui dit Dar iou vintin, otrou Karne, "Sire de Carné ce jeudi matin / de la fête de nuit / Sur son cheval blanc revenait / vêtu d'un habit gallonné / tout de velours d'un rouge ardent " (Tr. C. Souchon). Ce monsieur de Carné en habit rouge est peut-être celui que nous voyons sur le vitrail. L'indice que retient P. Peyron, c'est cette nuit de fête, alors que Malo et Jean sont décédés soit au Carème, soit pendant l'Avent, périodes où les fêtes ne sont pas de mise. Au contraire, la date du décès de René de Névet tombe, selon le chanoine, le lundi de Pâques, ou lundi de la Quasimodo, jour de fête. Le fait que le texte parle d'un jeudi matin et non d'un mardi matin ne semble pas le déranger. De toute façon, inutile de rechercher un exactitude stricte puisque le chant se conclue par l'enterrement du défunt au cimetière, et qu'aucun seigneur de Nevét n'a jamais été enterré ailleurs qu'aux Cordeliers à Quimper ou en l'église de Locronan. Quoiqu'il en soit, pour le chanoine Peyron, un monsieur de Névet à la mort si chrétienne ne peut être que le marquis René de Névet.

  En 1921, c'est Louis Le Guellec qui reprend la réflexion dans le bulletin de la Société Archéologique du Finistère pour réfuter les arguments de l'abbé Peyron (René était vraiment trop jeune pour être qualifié ann otrou koz ; et il n'avait que deux fils, alors que le chant en mentionne d'avantage ; et son épouse n'a pas assisté à son déces ; et il n'a pas été enterré au cimetière..) pour conclure tout à trac "que cette élégie est une oeuvre d'imagination, et non un document historique, qu'elle a été composée seulement au XIXe et que par suite elle manque d'authenticité". Ou bien que " La Villemarqué a réllement découvert des lambeaux d'une gwerze ancienne sur la mort d'un seigneur de Névet _probablement ce René qui trépassa dans de si touchants sentiments ..." et qu'à partir d'informes débris décousus il a peint de chatoyantes couleurs le tableau de la mùort du Juste qui venait en contrepoint de la figure sinistre du marquis de Guerrand, qui la précède. Ayant débuté son article par un reproche adressé à l'abbé Horellou et "à son interessante notice Kerlaz, ses légendes, ses familles nobles", lequel a reproduit intégralement l'élégie sans avoir remis un instant en cause l'authenticité du récit et sans en confronter les données "à la généalogie de cet antique estoc" (sic), Germain Horellou décida de montrer par l'étude des manuscrits de collecte de La Villemarqué que celui-ci ne disposait pas de fragments rapsiodiés, mais qu'il avait transmis le chant fidélement. Mais, malade, il décéda en 1923 sans avoir fait publié sa réponse (qui reste inédite).

  Article de Louis le Guennec : : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441279g/f210.image.r=arch%C3%A9ologique%20Finist%C3%A8re.langFR

  

   Ce qui m'étonne, c'est que tous ces auteurs cherchent l'identité du défunt, mais ne s'interrogent pas sur celle de l'auteur de la chanson, et qu'ils admettent l'histoire d'un chant composé par un mendiant (La Villemarqué : "son oraison funèbre a été composée par un mendiant, et la voici telle qu'on la chante encore aujourd'hui".) Car il me paraît évident que le style est plus proche du style jésuite que de celui d'un mendiant, et je me demande si ce chant n'a pas été composé au XVIIe siècle par M. de Tréanna, Julien Maunoir, ou un de leurs amis en simulant une version populaire, imprimé à Quimper comme feuille volante pour être vendue ou chantée lors des pardons et des missions, et si, la feuille, support fragile, une fois  perdue, la chanson colportée, patinée par l'usage, retouchée pour introduire le personnage du mendiant ou la mention du cimetière,  n'a pas été collectée par La Villemarqué auprès d'un authentique chanteur populaire. Je me permets cette hypothèse en l'étayant sur une note n° 10 d'un article en ligne de Daniel Giraudon, professeur à l'U.B.O link qui écrit : " On peut considérer que la pratique qui consista à imprimer des chansons en langue bretonne et les vendre sur la voie publique remonte au moins au XVIIe siècle, c'est à dire au moment où la Bretagne connaît une activité religieuse intense. Elle semble en effet avoir été inaugurée dans le cadre des missions qui se déroulèrent à cette époque. Les Jésuites, à l'origine de ce coup de fouet religieux, prenant modèle sur l'église réformée, virent tout le bénéfice qu'ils pouvaient tirer en faisant chanter et vendre des cantiques à leurs ouailles. Celles-ci se prêtèrent d'autant plus volontiers à cet exercice que les cantiques étaient chantées sur des airs populaires." Ne seraient-ce pas eux qui, à l'origine, voulurent écrire "la mort chrétienne d'un seigneur aimé de tous" ?

  Les publications de Donatien Laurent et celle de Francis Gourvil donnent les antériorités, les autres versions et les données complémentaires sur de nombreux chants du Barzaz Breiz, mais je n'y est rien trouvé sur l'Élégie de Mr de Névet, si ce n'est une mention de la source auprés de qui elle a été colléctée : un seul mot sur les "Tables des matières" manuscrite :mr de nevet, un étrangé.

    La Villemarqué lui-même donne, après son "argument" initial, donne un commentaire en note : après avoir surenchéri sur le caractère illustre de la famille de Névet, son zèle héroïque, sa "passion inviolable à conserver les droits et immunitéz de la Bretagne", ou sur la famille de Carné, " seigneurs braves, galants et généreux", il cite Augustin Thierry : "Les gens du peuple en Basse-Bretagne n'ont jamais cessé de reconnaître dans les nobles de leur pays des enfants de la terre natale ; ils ne les ont point haïs de cette haine violente que l'on portait ailleurs à des seigneurs de race étrangère ; et sous les titres féodaux de Baron et Chevalier, le paysan breton retrouvait encore les tiern et les machtiern du temps de son indépendance. Il leur obéissait avec zéle, dans le bien comme dans le mal, par le même instinct de dévouement qu'avaient pour leur chefs de tribu les Gallois et les Montagnards d'Ecosse".

  Et La Villemarqué verse cette Élégie de monsieur de Nevet "à l'appui du jugement[...] sur les bons rapports qui ont toujours existé entre l'aristocratie bretonne et les habitants de nos campagnes", tout comme d'ailleurs "on dirait que les descendants des anciens celtes ont conservé aux prêtres catholiques la vénération que leur père avaient pour leurs druides" (Barzaz Breiz, 1839, Prêtre Exilé, tome II p. 153). 

  Si bien que l'on se demande, dans cette Cornouaille idylique où un esprit clanique et religieux ancestral fait régner un Âge d'or de cohésion sociale quasi familiale (Nelly Blanchard, Barzaz Breiz, une fiction pour s'inventer, P.U.Rennes 2006), quelle réalité ont eu les révoltes paysannes, le pillage du château de Roscannou à Gouezec en 1590 et le massacre de soixante dix gentihommes, la révolte des Bonnets Rouges contre les nobles et l'attaque du hâteau de Ty meur par Le Balp entre mille exemples, et surtout pourquoi, si le bon peuple aimait tant son clergé et sa noblesse, pourquoi ceux-ci s'unirent-ils pour les punir et les réprimer si sévèrement.



 

 

VI. La légende de la ville d'Ys et du roi Gradlon.

"St Guénolé abbé de Landevennec sauve le roi Gradlon lors de la submersion de la ville d'Ys"

  Les sources litteraires et iconographiques de ce vitrail sont claires :

 -1. en 1845, dans la seconde édition du Barzaz Breizh, Théodore Hersart de la Villemarquépublie Livaden Geris, Submersion de la ville d'Is, avec l'argument suivant : "La ville d'Is, capitale du roi Gradlon était défendue contre les invasions venues de la mer par un puits ou bassin immense destiné à recevoir les eaux de l'océan lors des grandes marées comme autrefois le lac Moeris celles du Nil. Ce puits avait une porte secrète dont le roi seul avait la clef, et qu'il ouvrait ou fermait lui-même quand cela était nécessaire. Or, une nuit, pendant qu'il dormait, la princesse dahut, sa fille, voulant couronner dignement les folies d'un banquet donné à un amant, lui déroba la clef du puits, courut ouvrir la porte, et submergea la ville. Saint Gwénolé l'avait prédit". ,

-2.  En 1850, Olivier Souvestre fait paraître un chant en breton qu'il a composé à 19 ans: Ar Roue Gralon ha Kear Is, Le roi Gradlon et la ville d'Ys. voici le passage que décrit le vitrail  (trad : Christian Souchon link)


  "Qui donc vois-je là-bas dans la rue, dans une cavalcade éperdue, sur un cheval noir dont le galop  fait jaillir le feu sous ses sabots?

C'est le messager de Dieu, député au roi d'Is ; c'est l'apôtre de la foi, saint Gwennolé, aimé dans la Bretagne.

Je le vois approcher, sa crosse d'abbé à la main gauche, et une étole d'or sur sa robe blanche, et un cercle de feu autour de la tête.

Le voilà au seuil du palais où dort le père d'Ahes, et, sans descendre de cheval, il appelle, à haute voix dans la nuit :

Roi Gradlon, lève-toi sans tarder ! Lève-toi pour suivre Gwénnolé, Debout et fuis devant la mer verte car les écluses d'ys sont ouvertes.

Et le vieux roi, troublé s'est élancé de son lit : A moi, mon cheval le plus rapide !... Hélas, c'en est fait de cette ville!...

Et bientôt à cheval, il court sur les traces de son ami, et, derrière eux, mugissante, ils entendent rouler la mer.

En ce moment, la princesse débauchée dont l'amant avait disparu errait par la ville d'Is, les cheveux épars.

En entendant, au milieu de ses angoisses, le galop des chevaux fuyant la mer, elle reconnut, à la lueur des éclairs, son père et le saint.

Mon père ! mon père ! Si vous m'aimez, emportez-moi sur votre cheval léger !

Va zad, va zad, ma em c'harit Var ho marc'h skanv va c'hemerit !

_Et, sans prononcer une parole, le père, dans sa tendresse, prend sa fille en croupe.

Aussitôt, les vagues accourent plus rapides, et Gwennolé en tremblant s'écrie :

_Grallon, Grallon, au nom de Dieu, hâte-toi de noyer cette couleuvre ! 

Gralon, tôl an diaoul-ze "Divar dailler da hinkane!..."

Cependant, plein d'une mortelle inquiétude, le père tient encore embrassée la pécheresse, mais le saint fait le signe de la croix, et la touche du bout de sa crosse.

A l'instant même, l'amante du démon roule dans les flots écumants et le vieux roi entend à ses cotès un rire bruyant dans la nuit. Eur c'hoarin skiltre e kreiz an noz...

Mais allégé de ce fardeau, il ne tarde pas à rejoindre Gwénnolé, et son cheval, les quatre jambes mouillées, s'élance sur le rivage."

  Certains disent qu'il arriva à Quimper, en fit sa capitale où il vêcut jusqu'au restant de ses jours.

  Mais Anatole le Braz (Au pays des pardons) raconte que Gradlon desespéré d'avoir sacrifié sa fille se retira à l'orée de la forêt du Cranou et vécut en ermite. Ses dernières volontés furent qu'on éleva une église dédiée à la mère douloureuse du Christ pour que les malades y trouvent guérison et les affligés, miséricorde : ce voeu fut accompli et l'église de Rumengol accomplit son premier miracle en guérissant le vieux roi de son terrible remords.

 

- 3.  Évariste-Vital Luminais expose vers 1884 au Salon La fuite du roi Gradlon, actuellement exposé au Musée de Quimper avec une étude préparatoire. Études présentées également aux musées de Rennes et de Nantes.

 La légende peut s'interpréter de mille façons, mais  cette image m'inciterait à y voir les saints et le clergé  arrachant la  Bretagne de l'emprise diabolique du paganisme : une nouvelle image des Missions.

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 Liens :

 1. Christian Souchon, texte et étude critique des gwerz de Souvestre et de La Villemarqué : http://chrsouchon.free.fr/chants/keris1.htm  et http://chrsouchon.free.fr/kerizf.htm

2. Tableau d'Évariste-Vital Luminais La Fuite du roi Gradlon au Musée des Beaux-Arts de Quimper : http://www.bretagne-musees.fr/Les-musees/FINISTERE/Quimper/Musee-des-beaux-arts-de-Quimper/La-Fuite-du-Roi-Gradlon

   étude préparatoire vers 1884 :http://www.bretagne-musees.culture.fr/index.php?p=reserve/fiches/oeuvre&l=1&NumOeuvre=15

3. Réception de la Gwerz de Souvestre par J.M.Déguinet vers 1851-54 :http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_gwerz_de_la_ville_d'Ys_chant%C3%A9e_par_D%C3%A9guignet#_ref-0

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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