VIERGES ALLAITANTES IV
Église Saint-Germain à Kerlaz,
Des vitraux édifiants :
Quatrième partie : Les prêtres réfractaires
Cinquième partie : Henri Le Floch
Malheur deoc'h mar heuliet
Ar veleyen-se milliguet
Mar assistet o officiou
A memes en o offerennou
Chomet quentoch eb offeren
Eb confessi gant touerien
Rac convers gant tud criminel
A vet certen pebet marvel
Malheur à vous si vous suivez
Ces prêtres maudits si vous
assistez à leurs offices
ou même à leurs messes
Rester plutôt sans messe
Sans vous confesser avec les jureurs,
Car converser avec cette gent criminelle
Est certainement un péché mortel
(Feuille volante, Douarnenez, 1791 : BDHA 1908 :link)
Ces derniers vitraux ouvrent une nouvelle page de l'histoire religieuse de la Cornouaille . Après la mission de 1658 du père jésuite Julien Maunoir, cherchant à expurger le catholicisme breton de ses éléments peu conformes au catholicisme romain et aux consignes du Concile de Trente, après la révolte des Bonnets Rouges de 1675 divisant la population entre partisans de la soumission au roi, à la noblesse et au clergé et insurgés cherchent à abolir des droits ancestraux et les abus de ces droits, voici le moment où les mêmes doléances paysannes sont reprises et conduisent à la Révolution. Si la Révolte de 1675 a laissé des traces durables et si, de ce fait, les paroisses les plus engagées dans cette insurrection sont aussi celles qui, en 1791, seront le plus du coté des Bleus révolutionnaires contre les Blancs monarchistes, en même temps cette longue imprégnation jésuite de fidélité au Pape (c'est la base du combat d'Ignace de Loyola et de ses "soldats du Christ"), placera le clergé dans l'impossibilité de jurer fidélité à une nouvelle organisation de l'église qui tournerait le dos à l'Évêque de Rome et deviendrait gallicane. Les paysans, artisans et bourgeois qui avaient soutenu le Tiers-État furent le plus souvent solidaires de leurs curés. Et la foi tenace des bretons, toujours mâtinée de cultes anciens, était nouée comme un lierre à celle de leurs recteurs, auxquels ils restèrent fidèles dans ce pathétique épisode de résistance au balancier cruel de l'Histoire.
VII. Les trois vitraux de l'ancien ossuaire accueillant les fonts baptismaux : Les prêtres réfractaires pendant la Révolution.
1. Rappel historique.
a) En juillet 1790, l'Assemblée Constituante vote la Constitution Civile du clergé visant à créer un église nationale intégrée dans l'État, église gallicane dégagée de l'autorité et de l'influence du Pape, et décide la sécularisation des biens de l'Église et la suppression des voeux religieux. Le 27 novembre 1790, les prêtres des paroisses ont été tenus de prêter serment à cette Constitution, par le texte suivant : "Je jure de remplir mes fonctions avec exactitude, d'être fidéle à ma nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le roi". La tenue de ce serment fut organisée chaque dimanche de janvier à mars 1791 (ex : à Briec, le maire indique que le serment a été prêté devant l'assemblée électorale tenue à la Cathédrale [de Quimper] le 27 mars 1791). Si seulement 4 évêques sur 143 prêtèrent ce serment, 24 000 des 70 000 curés furent "jureurs", ou "assermentés", tandis que 46 000 refusèrent et furent "Réfractaires" ou "insermentés" (source Wikipédia). Le 13 avril 1791, le pape Pie VI dénonça solennellement ce serment et exhorta les jureurs à se rétracter.
Philippe Sagnac dans son article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine de 1889, Étude statistique sur le clergé en 1791 donnait, pour 43 départements, une moyenne de 57,6% de jureurs, mais en Bretagne, cette proportion était de 27% pour les Côtes d-Armor, de 11% pour le Morbihan et de 23% pour le Finistère link.
Le Finistère était découpé en 9 régions administratives nommées districts. La proportion était, selon ces districts, la suivante :
- Quimper : 36%
- Chateaulin : 12%
- Morlaix : 3%
- Pont-Croix : 9%
- Quimperlé : 7%
- Landeneau : 6%
- Brest : 8%
- Lesneven : 3%
- Carhaix : 6%
Le district de Chateaulin, qui inclut Kerlaz n'est pas fortement réfractaire, et globalement, le clergé de la Cornouaille (Quimper- Chateaulin-Quimperlé ) où la révolte des Bonnets-Rouges avait été virulente, a été plus assermenté que le reste du département et notamment que le Léon (Morlaix-Lesneven).
Alors qu'en mai 1791 un décret accorde le droit aux insermentés de célèbrer le culte dans les églises, dés avril 1791, les autorités du Finistère, toujours en avance sur les décisions de l'Assemblée, décident l'éloignement des curés réfractaires des anciens lieux de résidence, puis leur internement en juillet aux couvent des Carmes de Brest jusqu'à leur amnistie en septembre 1791.
b) En novembre 1791 est adopté à l'Assemblée Constituante un décret contre les prêtres réfractaires, leur imposant de s'éloignerer au moins de quatre lieux de leur ancien lieux de culte. Les églises sont réservées au culte constitutionnel. Le 29 novembre 1791, le Conseil Général du Finistère décide l'internement des insermentés amnistiés en septembre, et de ceux des réfractaires qui troublent l'ordre public: ils doivent être conduit au Château de Brest. Le 1er juillet, il leur est proposé de rester emprisonnés ou de partir en exil ; 74 prêtres quittèrent Brest pour l'Espagne (Bilbao) le 12 août et les autres (les moins valides) sont conduits successivement aux Capucins d'Audierne, à la maison de retraite de Quimper, à la Communauté de Kerlot à Quimper. Ils sont 86 lorsqu'ils sont transférés en novembre 1793 aux Capuçins de Landerneau.
Les prêtres qui échappent à ces mesures se cachent et exercent alors le culte (offices, sacrements, tenue des registres) de manière clandestine, dans les maisons privés, les chapelles, et au fur à mesure que la répression deviendra plus sévère, dans des grottes, ou en mer sur des barques de pêche.
c) En mai 1792, les mesures se durcissent : tout prêtre insermenté, dénoncé par 20 citoyens, sera proscrit.
d) Le décret du 14 août 1792 exige des prêtres un nouveau serment de "liberté-égalité".
e) Un décret du 26 août 1792 bannit les réfractaires qui pourront choisir leur lieu d'éxil (ïles anglo-normandes, Espagne), ou être déportés. Tout prêtre dénoncé par 10 citoyens actifs peut subir le même sort. Les infirmes et ceux qui ont dépassé 60 ans sont placés en une maison commune sous la surveillance de la police.
f) Les pontons de Rochefort : Les prêtres arrêtés sont jugés et condamnés à être déportés en Guyane ou à Madagascar via les ports de Nantes, Bordeaux et Rochefort. La plupart seront enfermés à bord de navires dématés de 1792 à 1795. A Nantes, entre 1793 et 1794, des milliers de personnes sont noyés sur ordre de Jean-Baptiste Barbier. (Dans le Finistère, en novembre 1793, 83 prêtres étaient détenus dans l'ancien couvent des capucins de Landerneau. Le 9 juillet, 29 prêtres sont envoyés à Rochefort.)
A Rochefort, 829 prêtres de toute la France (puis plus de 1000) furent conduits à bord de navires négriers, les Pontons de Rochefort nommés les Deux Associés, Le Bonhomme Richard et le Washington. Entassés dans un espace trés exigu à même le plancher de cale dans des conditions terribles, 547 moururent d'avril 1794 à début 1795, de typhus, dysenterie, scorbut ou autres maladies. les survivants sont transférés en juillet 1794 à bord de L'Indien, puis libérés en avril 1795.
f') déportation en Allemagne :En août 1792, un arrêté décide que les prêtres ni infirmes ni septuagénaires seront enfermés au château du Taureau à Morlaix. Le 18 février 1793, le district de Morlaix décide de déporter 28 prêtres au port de Brème en Allemagne, où ils seront chaleureusement accueillis et hebergés à Paderborn, Hildesheim et Munster.
g) En 1794, (Convention Thermidorienne) un adoucissement des lois permet aux prêtres de revenir d'exil, sans prêter serment et en reprenant l'exercice clandestin (ou parfois public avec l'assentiment des populations) du culte. Le 16 août 1794 est décidée la remise en liberté de plusieurs milliers d'aristocrates, de bourgeois, d'opposants et de prêtres réfractaires.
h) Le 21 février 1795, le libre exercice du culte est rétablit.
i) en réaction à la tentative de débarquement des royalistes à Quiberon et de la Terreur Blanche, une nouvelle répression des manifestations du culte est votée par la loi du 29 septembre 1795, et on exige que les prêtres assermentés tiennent un nouveau serment. Le culte des prêtres insermentés sera à nouveau clandestin de 1796 à 1798.
j) le coup d'État du 4 septembre 1797 est suivi d'une nouvelle répression, exposant les prêtres réfractaires à l'exil ou à la déportation.
2. Le Très Révérend Père Le Floch et les prêtres réfractaires.
Henri le Floch possède deux bonnes raisons de placer, dans l'ancien ossuaire, trois vitraux illustrant le refus de la Constitution Civile par certains prêtres de la paroisse, outre son souci d'enseigner l'histoire par ses images : la première, c'est que sa carrière l'a conduit à Rome, où il a placer ses compétences au service du Vatican : ses convictions anti-gallicanes rejoignent des convictions antirépublicaines. L'autre raison date de son enfance et de ses traditions familiales puisque quatre de ses arrière-grands oncles ont été prêtres réfractaires et persécutés à ce titre : ils sont selon ses termes, "confesseurs de la foi", et leur dévouement contre le jacobinisme antireligieux possède une haute valeur d'exemple.
On sait peut-être que parmi les prêtres déportés sur les pontons de Rochefort, et qui y sont décédés, 64 ont été béatifiés par Jean-Paul II le 1er octobre 1995. Mais inutile de dire que pour les familles des "confesseurs de la foi", chacun d'entre eux est, à leurs yeux, équivallent de saints.
Le Père le Floch leur devait ce mémorial qui arrose de sa lumière les fonts baptismaux en cette belle alliance de l'ossuaire des ancêtres et de la fontaine d'onction des enfants de l'avenir.
L'inscription indique :" Ignace le Garrec prêtre vicaire à Kerlaz, le père Maximin L'Helgoualc'h, capucin, Le Gac, Alain Le Floch, prêtres réfugiés, refusent de prêter serment à la Constitution Civile du clergé et sont arrêtés (1793)".
L'image est suffisament éloquente pour se dispenser de commentaires : les trois prêtres sont en surplis, barrette sur la tête, et brandissent le crucifix alors que le capucin est en robe de bure.
1. Ignace Le Garrec est né à Plonévez-Porzay le 30 novembre 1734. Il était le fils de Guillaume le Garrec (né 30 septembre 1738 à Plonévez-Porzay) et de Catherine Le Quiniou (3 mai 1744, Quéméneven-6 avril 1768). Sa soeur Marie-Anne épousa Jean le Bihan (descendance alliance avec les familles Le Bihan (de Ploaré), Cosmao, Pichavant) Je n'ai pas pu établir (de même que pour les trois autres prêtres) son lien de parenté exact avec Henri Le Floch, dont le sépare apparemment plus de cinq générations. Ignace Le Garrec, qui porte le prénom du fondateur des Jésuites, était recteur de Kerlaz. Il exerça publiquement le culte jusqu'en août 1792. Arrété en début 1793, il est interné à Kerlot (note 1) puis à Landerneau (note 2), il fait partie des 29 prêtres transférés à Rochefort le 9 juillet 1793 et se trouve sur le Washington. Il a alors 55 ans. Libéré par ordre du 4 avril 1795, il est de retour à Kerlaz le 14 mai et assure un ministère clandestin sur une large partie du Porzay. Il échappe à la vague de répression qui suit le coup d'État du 4 septembre 1797 et il tient des assemblées clandestines importantes à Plogonnec et à Guengat. (Note 3) ; en 1801 il est interpellé à Plogonnec. En 1803 il devint le recteur de Ploéven puis de Saint-Évarzec. Il meurt le 28 mai 1814.
Au Concordat, Kerlaz demeura sans recteur jusqu'en 1874.
Dans sa monographie, l'abbé Horellou le confond avec Jean-Guillaume Le Garrec, curé de Kerlaz en 1773. Néanmoins il consacre les pages 16 à 27 à son activité clandestine. Il le donne comme natif de Kerolier ou plutôt, selon H. Le Floch, du Caouët. Il décrit comment il reste caché deux heures dans une cheminée obstruée, comment il demeura une nuit dans les roseaux du marais de Guern-Névet, comment il se cachait au Caouët chez sa belle-soeur la veuve Carrec, ou à Lézarscoët où un confessionnal avait été aménagé , ou encore à Kergreiz ou dans la forêt de Névet, échappant aux gardes nationaux par une fenêtre du manoir de Keryar... Il décrit comment la paroisse se détourne du curé jureur de Plonévez-Porzay et recherche les services des prêtres insermentés pour le culte, les baptêmes ou les confessions, et comment , la chapelle de Kerlaz ayant été fermée, c'est à celle de Sainte-Anne-la-Palud qu'il vient officier, avant que celle-ci ne soit controlée en permanence par les gendarmes.
_ note 1 : La Constitution Civile du clergé ne reposait que sur les prétres actifs ; les religieux et les moniales ont été rendus à la vie civile et leurs couvents ont été confisqués pour une utilisation publique : L'abbaye cistercienne de Kerlot à Quimper abritait avant la Révolution une dizaine de religieuses conduites par l'abbesse N. de Kergu ; en 1792, elles furent expulsées et l'abbaye devint une prison. Elle fut démolie en 1972.
_ note 2 : Landerneau : l'ancien couvent des Capucins servit de centre de détention. Mais les Ursulines furent expulsées également et leur couvent servit aussi de prison.
_ note 3 :"Dans ce secteur, il n'y eut que deux prêtres insermentés à exercer un culte, parfois public, la plupart du temps clandestin, c'était Nicolas Louboutin et Ignace Le Garrec" Maurice Dilasser, Locronan et sa région, 1979. En 1776, la présence de Le Garrec et Louboutin accompagnée de Bescond, prêtre de Kerfeuteun, est signalée à Briec.
2. Corentin l'Helgoualc'h, capucin sous le nom de Père Maximin de Locronan, né à Keradenn (Plonévez) ou à Kerdiouzet (Kerlaz). Maître des novices du couvent de Morlaix, il se retire à Plogastel où il est vicaire. Arrété au début de 1793, détenu à Kerlot, transféré à Landerneau, il décède en prison le 19 février 1794.
Lien avec Henri Le Floch : Corentin L'Helgoualc'h avait une soeur à Keriouzet mariée à Henri le Joncour, bisaïeul d'Henri Le Floch" (G. Horellou). " La grand-mère de H. Le Floch, Marie-Jeanne L'Helgouarc'h (sic) était de Kerdreun" selon la note nécrologique des spiritains.
3. Alain le Floch, né à Plonévez-Porzay le 1er novembre 1765, ordonné prêtre le 21 novembre 1790 à la veille de la Révolution et nommé prêtre habitué à Crozon, qui est desservi par onze autres prêtres, dont la plupart si ce n'est l'ensemble refusèrent de jurer. Le 24 septembre, le maire de Crozon signale que Sizun, Moreau et Le Floc'h, au lieu de se rendre à Brest comme l'ordonnait l'arrété du 1er juillet 1791, sont restés dans le pays et y ont même organisés un quête. Mais la Municipalité suivante protège les ci-devant prêtres, et reçoit une mise en garde des commissaires départementaux rappellant que "l'enlèvement des ecclesiastiques insermentés est très essentiel". Les Commissaires se livrent à des enquêtes, mais "perquisitions, menaces, promesses d'argent, rien n'a réussi" et les prêtres continuent à errer de village en village, "déguisés sous toutes fomes de costume, cachés, protégés par tous". Le curé institutionnel est critiqué, raillé, insulté, et deux prêtres réfractaires se mêlent un jour, déguisés en matelots, à une procession du curé "intrus" pour rire et se moquer et crier "Ar c'hure gant e vas treuz". Alain Le Floch se voit obligé de quitter la presqu'île en juillet 1792 pour aider Ignace le Garrec dans son travail clandestin au Porzay. Arrété au début 1793, à la même époque que les précédents, également détenu à Kerlot puis à Landerneau, il est déporté avec Le Garrec à Rochefort, se trouve sur le Washington avec lui, est libéré après le 4 avril 1793 et s'installe à Camaret. Il se rend à Elliant où il aide Jean Codu, vicaire réfractaire jusqu'à ce qu'ils doivent, le 3 octobre 1797, s'embarquer de Lorient vers l'Espagne. En résidence à Palencia, Alain le Floch décrivait dans une lettre son activité à Elliant : "Au Carème, nous passâmes quatorze nuits à confesser, nous couchant à 5h du matin. Nous avions apssé auparavant et passâmes bien d'autres nuits, mais pas autant de suite. dans les temps qui semblaient annoncer le calme, on était plus hardi, mais sans pour autant se fier; quelquefois alors, on allait de jour aux malades et on confessait les biens-portants, mais avec de telles précautions que les pauvres et autres qui venaient dans les villages ne pouvaient s'en apercevoir : on y venait à la dérobée et on se cachait quand on était arrivé. L'année dernière, (1797) nous fîmes, M. Codu et moi, le tour de la paroisse d'Elliant pendant six semaines, confessant de jour ceux qui voulaient. Tous furent prévenus." lire la suite ici :link, BDHA 1908 p. 219
A son retour, il poursuivit son activité clandestine puis est nommé desservant à Camaret en 1803, à Saint-Yvi en 1805. Nommé à Plogonnec le 1er novembre 1816, il devint curé-doyen de Briec le 4 janvier 1817 avant de démissionner le 9 février 1827. Il décède à Cast le 23 novembre 1831.
-4. Charles Le Gac né à Plonévez-Porzay le 1er mars 1758, ordonné prêtre le 18 septembre 1784, est professeur de cinquième au collège de Quimper en 1787. Seul à ne pas prêter serment, il est immédiatement destitué. Arrété le 1er décembre 1791, interné au château de Brest le 6, il est libéré le 1er mars 1792. Il se cache avant de s'exiler en Espagne, puis il revient à Plonévez-Porzay où il est arrêté le 7 janvier 1793 (date identique ou voisine de Le Garrec et Le Floch : arrestation commune ?). Il est enfermé au chateau du Taureau à Morlaix le 20 janvier puis déporté à Bréme avant de s'installer à Munich, d'où il ne revint qu'après le 18 juillet 1814. Il est alors chanoine titulaire de Quimper en 1817 et décède le 2 février 1842.
5. La mule du fonctionnaire.
La scène ne représente pas le refus de prêter serment des prêtres mais pourrait se passer au Tribunal de Quimper à l'instant de leur interrogatoire. C'est en 1791 qu'ils ont été sommés de prêter serment, et peut-être l'un d'entre eux a-t-il répondu (je reprends les réponses authentiques enregistrées à Irvillac par quatre autres réfractaires) :
_Ma conscience ne me permet pas de prononcer le serment dont est cas !
_ l'autre : Ma conscience ne me permet pas de prêter serment, ni aucun chrétien ne peut le faire sans renoncer à la foi catholique et apostolique et romaine et consentir à sa damnation éternelle !
_ le troisième : Je ne peux jurer serment sans approbation du Pape !
_ le dernier : Comme mes confrères. Plutôt être pendu !
Et le citoyen Maire, s'est tant offusqué de la fureur, de l'arrogance et de la fermeté de ces propos qu'il a signalé au directoire du Finistère combien son âme patriote avait été offusquée de ces déclarations incendiaires !
Mais, en janvier ou février 1793, c'est en l'an I de la République une et indivisible, devant le tribunal révolutionnaire de Quimper qu'ils sont interrogés. On a saisi des documents compromettant, des lettres, on dispose de dépositions, de plaintes, de dénonciations, et l'accusateur public questionne Ignace le Garrec sur ses surnoms, noms, age, profession, demeure,:
_Citoyen Garrec, as-tu prêté le serment éxigé par l'article 39 du décret du 24 juillet 1790 ?
_Répond n'avoir prété aucun serment relatif à la ci-devant Constitution Civile du clergé.
_ Dans quelle paroisse as-tu exercé la fonction de prêtre ?
_Répond dans la paroisse de Plonévez-Porzay, détaché à la trève de Kerlaz.
_ Connais-tu les nommés Louboutin et Le Floch ?
_Répond les connaître depuis longtemps.
_ As-tu dis des messes dans des maisons privés ?
_Répond qu'il en a célébré.
_As-tu pratiqué des baptèmes ? des noces? as-tu tenu des registres?
_Répond avoir donné les sacrements conformément à son sacerdoce.
_ Comment se nomment les citoyens qui te cachaient ?
_Répond qu'il ne donnera aucun nom.
_ Connais-tu Rénier, à Bonnescat ? La veuve Marie-Philippe, à Kerivoal ? La veuve Renée Le Berre, à Kerourédan ? La veuve Renée Le Hénaff à Kerervan ?
_ Répond qu'il refuse de répondre.
L'accusateur public déclare qu'Ignace Le Garrec est coupable d'avoir erré pendant trois ans autour de son ancienne paroisse en y vivant caché pour nuire à la chose publique, prêcher dans le secret les anciennes erreurs et des principes contre-révolutionnaires, d'avoir incité à la sédition et, n'ayant pas prêter serment, est dans le cas de la déportation lors de son arrestation.*
* cet interrogatoire est une fiction
Il est convaincu de la justesse de la cause qu'il défend, l'Accusateur : il applique à la lettre les décrets que l'Assemblée a voté, et il présente ces textes à l'accusé. Il applique la Loi. C'est un bon citoyen. C'est un bon fonctionnaire. Il méprise profondément ces prêtres qui font obstacle à la Révolution.
Il a déboutonné sa veste. Il se renverse sur sa chaise et balance négligemment la savate de son pied gauche. Il pense à cette phrase qu'un Commisaire lui a dite : " Quand la nation se trouve sous le canon des ennemis et sous le poignard des traîtres, l'indulgence est parricide".
Plus que son index vindicatif, c'est cette savate qui dit l'étendue de son ignominie.
La banalité du mal, sans état d'âme, en faisant très correctement son devoir. Exactement comme le duc de Chaulnes et son acolyte le marquis de Névet, très-aimé-des-siens, quand ils réprimaient les Bonnets Rouges.
Mais cette fois-ci, le Bonnet Rouge est du coté du Tribunal. Des deux bords, "les Dieux ont soif ".
VIII. La dernière messe de l'abbé le Garrec.
Inscription : "Ignace le Garrec prêtre-vicaire à Kerlas pendant la révolution célèbre une dernière messe paroissiale dans une grange au Caouët en janvier 1793".
Selon Paul Airiau, le manoir du Caouët, dont le nom est attesté en 1426 (La Cage), 1463 (Le Gaouêt), 1750 (Gaouët) est possédé par la famille maternelle d'Henri Le Floch sans-doute depuis le XVIe siècle après l'avoir acheté aux seigneurs de Guengat. (plus exactement selon G. Horellou du comte Jacques Yves Joseph Marie Quemper de Lanascol, seigneur de Guengat et de Lezarscoët, qui émigra en Angleterre à la Révolution et dont les biens furent vendus à cette occasion : l'achat date alors du début du XIXe, ce qui me paraît logique). Cette ancienne maison noble située à une centaine de mètres du bourg de Kerlaz était associée à une ferme ; au XIXe, seule celle-ci subsistait, avant qu'en 1912 Henri Le Floch fasse reconstruire la maison d'habitation, "une élégante gentilhommière adossée à la ferme, avec vue sur la baie de Douarnenez et les hauteurs de Pouldergat (Horellou, Kerlaz, p.233).
On retrouve sur ce vitrail les mêmes costumes bretons que sur la verrière représentant la mission de 1658 du Père Maunoir et où figuraient les parents du Père Le Floch : tout me semble comme si l'enfant tenu ici par les deux hommes, le grand-père et le père, était le même que l'enfant qui était tenu par sa mère sur le vitrail de la mission de 1658, comme si cet enfant était la mémoire enfantine du commanditaire, cette mémoire à qui on avait raconté ces scènes légendaires de la famille. Dans les deux images, l'enfant est au premier plan avec ses parents. Ils le tiennent en lui disant _Regarde, regarde ce que nous avons vécu, et témoigne! La scène elle-même (l'abbé qui célèbre la messe, l'Élévation) est lointaine, distante comme un vieux souvenir.
IX . La condamnation.
Inscription : Le Tribunal révolutionnaire de Qumper condamne ces confesseurs de la foi suivie de l'éxil et de la déportation (1793-1795).
Maintenant, l'accusateur public est en rouge. Le gréffier ne balance plus sa savate, il ne s'ennuie plus, il dresse les comptes de la République une et indivisible.
Des soustractions.
Sources :
1. LA lecture qui s'impose : Histoire des prêtres réfractaires lors de la Révolution Française http://www.foi-et-contemplation.net/amis/pretres/pretres-deportes/Hist-Pretres-Refrac.php
2. H. Perennes, Documents et notes sur l'histoire religieuse du Finistère sous le Directoire : Bull. Dioc Hist. Arch.Bdha 1935-37 :
- BDHA 1935 p. 79 et 121 : http://catholique-quimper.cef.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=56
-BDHA 1936 : p. 17et :http://catholique-quimper.cef.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=57
-BDHA 1937 p. 11 et 135 :http://catholique-quimper.cef.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=58
Mais aussi les Notices des différentes paroisses du Porzay où Abgrall et Peyron donnent le contenu des Archives de l'Évêché, dans le même Bulletin Diocésain
3. Germain Horellou, Kerlaz, son histoire, ses légendes, ses familles nobles, Brest 1920.
4. , F. Uzureau, Les prêtres insermentés du Finistère Annales de Bretagne, 1919, vol.34, 34(3) pp 261-272 :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391x_1919_num_34_3_1527
LES ACTEURS : HENRI LE FLOCH, GABRIEL LEGLISE, ...
I. Henri le Floc'h 1862-1950.
I. Éléments biographiques .
On trouvera les meilleurs renseignements dans les articles de Paul Airiau :
1. Henri Le Floch, recteur du Séminaire Français (1904-1927) in 150 ans au coeur de Rome, link .
2. Du catholicisme breton au catholicisme romain : le cas d'Henri Le Floch (1862-1950), Bull. Société Archéologique du Finistère, tome 133, 2004, pp 407-429.
En tenant initialement compte des renseignements trouvés dans la monographie de G. Horellou, j'ai peut-être introduit quelques imprécisions.
Henri Le Floch est né le 6 juin 1862 à Kerlaz. Son père Mathurin exploite la ferme du Caouët, la famille Le Floch est propriétaire de terres agicoles depuis au moins le XVIe siècle et elle est honorablement connue. Sa mère, Marie Le Joncour (1838-1871) est la fille d'un des rares paysans léttrés du Porzay : Henri Le Joncour, grand-père mais aussi parrain du jeune Henri. Ce patriarche, très féru en droit, exerça, sans en avoir le titre, les fonctions de juge de paix et fut surnommé "Alvocat Kerlaz", l'avocat de Kerlaz. Madame le Joncour décéda à 33 ans, déjà mère de 8 enfants dont Henri serait l'un des ainés ou l'ainé des garçons. Des autres frères et soeurs, je ne peux indiquer que sa soeur Marie-Anne, qui deviendra Soeur Saint-François dans la Congrégation de Saint-Esprit, et qui reçut une Médaille d'honneur des épidémies par le Ministre de la Guerre (14-18) et une lettre autographe à cette occasion par S.S Benoît XV.
Après des études au Likes de Quimper de 1873 à 1875, il entre au petit séminaire de Pont-Croix puis au petit scolasticat spiritain de Langonnet. Sa vocation écclesiastique contrarie son père, qui envisageait que son ainé reprenne l'exploitation agricole, mais il finit par céder.
Il poursuit des études de théologie et philosophie au grand scolasticat de Chevilly, et rentre dans la Congrégation du Saint-Esprit dans l'espoir de devenir missionnaire. Mais ses brillantes études, et sa santé fragile incitent ses supérieurs à l'orienter vers l'enseignement. Il prépare le doctorat de philosophie à Louvain tout en devenant professeur de philosophie à l'Institut St-Joseph d'Épinal de 1889 à 1894.Il obtient son doctorat de théologie à la Grégorienne en juillet 1905. Il est ensuite nommé Supérieur du collège de Beauvais ou Institution du Saint-Esprit jusqu'en septembre 1900. Il est alors également Conseiller général de sa Congrégation . En 1904, il est nommé au poste prestigieux de Supérieur du Séminaire Français de Rome.
Le Séminaire Français de Rome
Le premier recteur en 1853 en fut un breton, L.M Barazer de Lannurien. Fondé à une époque où l' Église était encore marquée par le gallicanisme et se dégageait avec peine du douloureux épisode des persécutions du Directoire, la création du Séminaire Pontifical de Rome a été voulue par Pie IX pour renforcer les liens avec la papauté. Installé à Santa Chiara, ancien couvent de clarisses, il accueille encore actuellement un cinquantaine de séminaristes adréssés par leur évêque de tous les diocèses. Il est en relation avec l'Ambassade de France au Saint-Siège.
Pendant 150 ans, ce Pontificum Seminarium Gallicum de Urbe (couramment : le Gallicum) était tenu par les spiritains de la Congrégation du Saint-Esprit. Il formait les séminaristes à la "romanité" (le contraire du gallicanisme) ; le terme apparu dans cette acceptation au début du XXe siècle à la suite de celui d'ultramontanisme est difficile à définir puisqu'il désigne la connaissance et le respect des domes de l'église catholique : à l'apogée de la centralisation romaine (débutée avec le Concile de Trente), lorsqu'au XXe siècle la manière romaine de vivre le catholicisme était devenue la règle, la romanité ne pouvait désigner autre chose que l'excellence, l'absolu, la plénitude de la foi et de la conformité avec l'enseignement romain. Aussi les "séminaristes romains "issus du Séminaire de Rome représentent une élite censée donner "un exemple de doctrine profonde et sûre" (SS. Pie XII) dont sont issus de nombreux évêques. Ils reçoivent une formation dans les universités pontificales, notamment dans l'université grégorienne.
Les repères principaux de l'ultramontanisme furent, très ou trop schématiquement :
- la remise en cause de la papauté par les protestants et la réaction nommée Contre-Réforme : Concile de Trente, création de l'Ordre des Jésuites en 1540 , des Capucins, des Ursulines.
- fondation de la Compagnie de saint-Sulpice en 1645 par J.J Ollier, consacrée à la formation du clergé.
- lutte contre le jansénisme et le gallicanisme au XVIIIe siècle.
- réaction contre les décrets du Directoire lors de la Révolution aboutissant à la Constitution Civile du Clergé.
- lien au XIXe siècle avec le courant de la Restauration qui prend le contre-pied de la Révolution avec Joseph de Maistre et de Lammenais.
- fondation par François Libermann en 1841 de la Société du Saint-Coeur de Marie, qui fusionnera avec la Congrégation du Saint-Esprit pour rassembler ceux que l'on nomme les Spiritains.
- dogme de l'Immaculée Conception en 1854.
- fête du Sacré-Coeur de Jésus instituée en 1856
- renforcement de l'ultramontanisme après les mesures anticléricales de la IIIe République en 1880-1905.
- Concile Vatican I en 1870 qui consacre l'autorité absolue du Pape et affirme le dogme de l'infaillibilité du Pape.
La période des années de formation du Père Le Floch (1870-1900) et son origine familiale d'une part, les liens historiques entre l'ultramontanisme et la méfiance contre la République d'autre part, peuvent permettre de comprendre qu'Henri Le Floch soit présenté, dans l'article Wikipédia qui le concerne link comme "défenseur de positions antimodernistes, antilibérales et antidémocratiques qui se rallia aux idées de Charles Maurras et de l'Action Française".
Henri Le Floch dirigea le Séminaire de 1904 à 1927. Pendant ce temps, il occupa des responsabilités importantes qui accentua encore sa "romanisation" :
- 1907 : Consulteur de la S. Congrégation de la Propagande.
- 1908 : Consulteur de la S.C. Consistoriale.
- 1912 : Consulteur de la S.Commission cardinaliste
- 1913 : Consulteur de la Commission pour la révision des Conciles Provinciaux
- 1913 : Consulteur de la S.C des Séminaires et des Universités des études.
- 1918 : Consulteur de la S.C. du Saint-Office.
- 1927 : Consulteur de la S.C des églises Orientales
Il écrivit également plusieurs ouvrages et articles:
- 1904 : Vie de Claude François Poullart des Places.
- 1915 : L'acte d'union du vénérable Libermann et de ses disciples, Rome, Séminaire Françàis
- 1916 : Les Élites sociales et le sacerdoce. ( gallica ici :link )
- 1916 : Le rétablissement du culte dans les colonies françaises, Paris, P. Lethellieux.
- 1918 : Le Séminaire français pendant la guerre , 23 p.
- 1919 : La politique de Benoit XV, Paris.
- 1922 : Discours prononcé au pélerinage de la-Palud à l'occasion de la translation des reliques de Sainte-Anne le 27 août 1922, Tours, A. Mame et fils.
- 1937 : Cinquante ans de sacerdoce. Aix-en-Provence, Ed. Fourcine (autobiographie)
- 1947 : Soixante ans de sacerdoce
- 1948 : Le Cardinal Billot, lumière de la Théologie , Paris, Beauchêne et ses fils, 1947 : ouvrage non publié, mais diffusé en petit nombre. désormais en ligne sur catholicapedia.net ici :link, il contient en chapitre VI une critique du catholicisme liberal dénoncé comme une hérésie dérivée de la Révolution. Le cardinal Billot
En 1925, Edouard Herriot dénonce à la Tribune de la Chambre la politique hostile à la laïcité du Séminaire français.
En 1926, Charles Maurras et son quotidien nationaliste Action Française sont condamnés par le pape Pie XI. Malgré cette condamnation, des témoignages ayant monté que le Père le Floch restait fidéle au maurrassisme, il sera contraint par le Pape de démissionner de son poste de Supérieur du Séminaire de Rome en 1927.
En septembre 1927, il est affécté à la Procure des Missions Spiritaines à Fribourg, puis il est en résidence au Noviciat d'Orly en 1928, à la Procure de Marseille en 1930.
En 1939, il obtient une audience auprès de Pie XII. Pendant la guerre il séjourne au château de Barbegal près d'Aix-en-Provence, chez le chanoine du Roure jusqu'à son déces en 1950.
II. L'action du T.R.P. Le Floch à Kerlaz et dans le Porhay.
Henri Le Floch a fait bénéficier sa paroisse à la fois de l'héritage qu'il a reçu au déces de son père en 1916, et à la fois de sa position influente à Rome, à quatre reprises :
1. En 1917-1918 en offrant avec sa soeur la réfection de l'ensemble des vitraux de l'église de Kerlaz..
2. En offrant à Kerlaz un calvaire en 1935.
Ce calvaire se situe au Caouët, la propriété familiale. Il est décrit sous le n° Kerlaz 646 Gaouët dans l'Atlas des croix et calvaires du Finistère de Pascal-Yves Castel de la façon suivante : granit, 4 mètres. 1935. Trois degrés. Socle composite, plaque gravée à gauche : HENRICUS LE FLOCH OLIM PER XXIII ANNOS SEM.GALL. DE URBE RECTOR PRECLARISSI MUS ANNO RE. MCMXXXV EREXIT. O CRUX AVE. Fût circulaire, noeud. Croix, branches rondes, fleurons et crucifix.
Je traduis l'inscription ainsi : Henri Le Floch autrefois pendant 23 ans supérieur du célèbrissime Seminaire Français [preclarissimus : superlatif de l'adverbe praeclarus qui signifie déjà très illustre, très renommé, très glorieux, fameux] érigea (cette croix) en l'année 1935. Salut, Ô Croix !
3. En favorisant l'obtention pour le sanctuaire de Sainte-Anne-la-Palud, appartenant à la paroisse de Plonevez-Porzay, du privilège dit du Couronnement célébré le 26 août 1913 lors du pardon devant 30 000 personnes . Cela nécessite un rappel :
Au XIXe siécle, le renouveau du culte marial et la survenue d'apparitions à La Salette, Lourdes ou Pontmain ainsi que l'institution du dogme de l'Immaculée Conception conduisirent les autorités écclesiastiques à solliciter l'octroi par le pape Pie IX d' une couronne pour cetaines statues, signe de leur vénérabilité. La première Vierge de Bretagne à être couronnée fut Notre-Dame -de-Bon-Secours à Guingamp en 1857, puis ce fut Notre-Dame-de-Rumengol en 1858. La fête du Couronnement attirait une foule considérable (100 000 personnes à Rumengol) et était suivie par une renommée et un accroissement de la renommée et de la fréquentation du sanctuaire. En 1865, Notre-Dame-d'Espérance à Saint-Brieuc obtient la couronne d'or. En 1868, Notre-Dame-du-Roncier. En 1888, le couronnement de la Vierge du Folgoët attira 60 000 pélerins. En 1868, cet honneur que le pape réservait à la vierge est accordé à sa mère, Sainte Anne, pour son pardon à Auray, premier lieu de pélerinage en Bretagne. Dans le jeu de benoîte concurrence (disons plutôt : de sainte émulation) que les pardons, les pélerinages ou les statues se font pour augmenter leur audience et faire profiter d'avantage de fidèles des bénéfices des indulgences, Sainte-Anne-la-Palud ne pouvait être en reste vis à vis de sa soeur du Morbihan, mais il fallait être introduit auprès de la Curie romaine et de ses dicastères (eh eh, à vos dictionnaires ! ou, ici :link, mais je suis trop bon), notamment la Congrégation de la Cause des Saints où beaucoup d'autres paroisses faisaient antichambre. C'est alors que la position du T.R.P. Le Floch fut décisive, lui qui appartenait à trois Congrégations Romaines. Une supplique avait été adréssée par le recteur de Plonevez-Porzay en 1911, mais comme l'écrivent les deux abbés historiens de Ste-Anne-la-Palud, Boussous et Thomas, " Dans les bureaux de la Chancellerie romaine, on ne se rendit sans-doute pas bien compte de l'importance du pélerinage de Sainte Anne, et la lettre sollicitant la faveur du couronnement risquait d'être oubliée si la paroisse de Plonévez-Porzay n'avait eu l'heureuse chance d'avoir à Rome, en la personne du T.R.P. Le Floch, Supérieur du Séminaire français, un excellent agent d'affaires". (Bossus H. et Thomas J. Sainte-Anne -la-Palud, Brest, 1935).
Lire :Les statues de Notre-dame couronnées dans le diocèse de Quimper et de Léon, Congrès marial breton Le Folgoët 1913, p. 426-454. Textes de M. Y.-M. Le Pape, recteur de Rumengol (couronnement en 1858), du chanoine Corre sur Notre-Dame du Folgoat (1888), du chanoine Michel Péron sur Notre-Dame des Portes, Châteauneuf-du-Faou (1894), et de Louis Le Guennec et Laurent-Marie Goret sur Notre-Dame de Kernitroun en Lanmeur (1909).
http://catholique-quimper.cef.fr/opac/doc_num.php?explnum_id=29
4. En obtenant en 1922 pour Sainte-Anne-la-Palud les reliques de St-Paul-hors-les-Murs et de l'église d'Apt, tour de force qui supposait beaucoup d'entregent.
III. Henri Le Floch, homme de conviction, admiré et contesté.
_ L'engagement du Père Le Floch pour la propagation de la Foi, pour les missions, pour la formation d'élites dans le clergé, pour le rayonnement du catholicisme en France et dans sa paroisse, pour le maintien des traditions liturgiques est incontestable, et beaucoup de ses anciens élèves de collège ou de séminaires, particulièrement impressionnés par sa pensée, ont exprimés leur admiration. Parmi eux, citons Mgr Marcel Lefebvre,qui fut Supérieur Général de la Congrégation du Saint-Esprit de 1962 à 1968 avant de fonder la Fraternité Saint Pie X, puis d'être excommunié pour avoir sacré quatre évêques traditionnaliste sans l'aval de Rome. On trouve sur le site de la fraternité St Pie X : "Mgr lefebvre gardera toujours une grande estime pour le directeur du Séminaire français Henri Le Floch qui lui fit aimer et révérer l'enseignement des papes".
Dans ce cas, comme dans le cas d'Henri le Floch, la romanisation semble finir par achopper par l'exces même de la fidélité à la tradition romaine , et le Père Le Floch citait le cardinal Billot s'écriant : Etiamsi Magnus Turca diceret, ego non ! (Quand bien même le Grand Turc l'affirmerait, je ne l'accepte pas !).
_ J'ai dit que les séminaristes du Gallicum bénéficiaient de l'enseignement de la "Grégorienne", cette université fondée et dirigée par les Jésuites. Le cardinal Louis Billot y enseigna la théologie dogmatique à partir de 1885, et Henri Le Floch fut son élève puisqu'il prépara son doctorat de théologie à la grégorienne. Ses convictions contre le liberalisme et le modernisme, contre l'influence des "pseudophilosophes" du XVIIIe et de la Révolution le conduisirent à s'opposer à la conduite du pape Pie X contre l'Action Française, mais lorsque le pape le convoqua en septembre 1927 , il se contenta, en signe de soumission et de sacrifice, de déposer sa calotte et ses insignes sur le bureau et de sortir. L'intransigeance des idées s'accompagnait ici de l'allégance complète vis à vis du Souverain Pontife.
La pensée d'Henri Le Floch est souvent critiquée, taxée de catholicisme d'extrème droite, de catholicisme intégral, d'intransigeance dogmatique dans un militantisme qualifiée de"croisade antisubversive" On signale son apocalyptisme antirépublicain, sa théologie fixiste et immobiliste, sa politique du pire, on parle de" maurassisme écclesiastique".
Paul Airiau apparaît comme le meilleur connaisseur de la personnalité et de l'oeuvre de Henri Le Floch. J'ai déjà cité deux de ses références, et on trouvera en ligne la revue Histoire et Missions chrétiennes de juin 2009 où, sous le titre du dossier de Action Française, décolonisation, Mgr Lefebvre, les Spiritains et quelques crises du XXe siècle, donne en tant qu'historien une analyse de la complexité des appréciations sur le Supérieur du Séminaire français : ici :link et illustre son document de photographies du recteur de Santa Chiara (p. 49 et 79). Paul Airiau est agrégé d'histoire (1994) et a réalisé sa thèse d'histoire (IEP Paris 203) sur le Séminaire français de Rome du P. Le Floch) : résumé de sa thèse ici :link.
C'est aussi cet historien qui qualifie la pensée de H. Le Floch d' apocalyptisme catholique, sujet auquel il a consacré un ouvrage, l'Église et l'Apocalypse.(résumé ici : link) Qu'entend-on par "apocalyptisme catholique" ? L'attente d'une Parousie proche, l'idée que l'Histoire est à décrypter comme le Récit de la lutte entre Dieu et Satan, la conviction que Dieu intervient dans l'Histoire et que les miracles sont des manifestations d'un combat spirituel ou que les déboires sont les chatiments qui doivent frapper le monde, une conception polémologique de la religion qui trouve dans les Croisades une manifestation exemplaire et qui applique cette combativité de Croisés aux différents ennemis qui sont succesivement dénoncés selon le goût du jour, ou encore une théorie du complot exigeant une vigilance extrême pour déceler les ennemis cachés. A la détermination combattive ou sacrificielle, à l'idée que la Fin justifie tous les moyens sont opposés la négociation, l'adaptation, l'intégration, l'appaisement des conflits considérés comme trahison de la Cause. Outre les pensées millenaristes, la Contre-Réforme, le militantisme de l'Ordre des Jésuites, des missions, les Congrégations fondées après la révolution pourraient participer de cet apocalyptisme.
Chaque verrière de Kerlaz, avec les Croisés, les missions du père Maunoir, les troupes de René de Névet, le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud, les sacrifices des Confesseurs de la Foi peuvent dés lors être rassemblès sous cette bannière de l'Apocalyptisme, qui trouverait son summum dans la scène où, in extremis, Saint Corentin arrache Gradlon qui risque de se damner par ses attermoiements et sa tendresse paternelle.
Bien-sûr, bien-sûr... mais comme je répugne à diaboliser ma lecture de ces beaux vitraux, je vais aller me balader du coté de la litterature :
IV. Henri le Floch entre romanisation et esprit romanesque.
Après le sérieux des thèmes évoqués, dont les enjeux théologiques ou politiques me dépassent , je voudrais jouer avec les mots : Dans la Revue d'histoire de l'Église de France,1935, Gabriel Le Bras, en donnant une étude de bibliographie du livre Les Missions bretonnes, histoire de leurs origines mystiques par l'abbé Kerbiriou, 1933, écrit ceci :
" Michel le Nobletz vit tous les maux du siècle avec les yeux d'un saint romanesque . Autant que par le spectacle de l'irreligion, il me paraît évident que sa glorieuse carrière fut suscitée par la lecture des romans de chevalerie. Sa mèthode révèle qu'il fut séduit, comme sainte Thérèse d'Avila et saint Ignace, par les conteurs d'aventure."
Si j'ignore quel roman de chevalerie a été lu par Henri Le Floch, il nous a tout dit des "conteurs d'aventure" qui ont nourri et exalté son imaginaire : sa mère, lorsqu'elle le menait au pardon de Sainte-Anne-la-Palud, son grand-pére (maternel), et tous les conteurs de veillées, tous les colporteurs de gwerziou, tous les chanteurs de canticou spirituels, les oncles et tantes qui racontaient les ruses et les tours des grand-oncles échappant aux gendarmes pour dire la messe, et toutes les images, les grandes images peintes sur le plafond de la chapelle Saint-Michel de Douarnenez avec l'ange qui tient Satan enchaîné et celui qui le combat de son glaive, les vitraux et les calvaires. S'il ne lut pas de roman de chevalerie, les châteaux des seigneurs de Quelen et de Nevet parlaient de Croisés donnant leurs vies pour les reliques et des lieux saints, de Marquis servant le roi, alors que l'endroit où il était né avait été acquis des derniers seigneurs de Guengat. Si cela ne suffisait pas à fournir à un jeune esprit des modèles d'identification, la forêt de Névez et le pays de Locronan regorgeaient de monts et de merveilles où jadis les fées, puis les saints avaient vécu, et où Ronan, Corentin, Hervé, Théleau, réalisaient leurs miracles.
Tous ces héros pouvaient l'inciter à prendre lui même les armes pour participer à l'épopée des Valeureux contre les Lâches, des Fidèles contre les Infidèles, et peut-être ressemblait-il au personnage de Cervantes qui "avait à toute heure et à chaque instant l'imagination remplie des combats, des défis, des enchantements, des aventures, des amours, bref, de ces absurdités que l'on trouve dans les romans de chevalerie, et tout ce qu'il disait, pensait ou faisait n'avait d'autre but que de s'y conformer " ( Don Quichotte, ch XVIII, p. 187).
Oui, peut-être ressemblait-il à Don Quichotte. A Madame Bovary. Ou à Flaubert. Ou à moi, voire même à vous.
II. Gabriel Léglise, maître-verrier.
Le maître-verrier Gabriel Léglise appartient à une famille de verrier installés à Auch, Bd Roquelaure, parmi lesquels on compte Louis et Antonin. Lui-même eut son atelier à Paris. On lui doit, dans le désordre, les verrières de la chapelle Sainte-Thérèse à Fougère, de l'église de Jugon les lacs, de celle de Plévin ou de Verneuil le Grand dans la Meuse, de l'église Saint-Pierre de Plestan, ou "charles de Blois fait prisonnier par les anglais, église sainte-Catherine à La Roche-Derrien.
L'interrogation d'un moteur de recherche avec un patronyme Léglise s'avère bien difficile.
Il existe une rue Gabriel Léglise à Bordeaux.
Je note deux réalisations dont le thème se rapproche des vitraux de kerlaz:
- église Notre-dame à Plévin (22) : 3 verrières consacrées au Père Maunoir.
- La Chapelle Saint-Florent (Maine-et-Loire) : Mort de Bonchamp, sur un carton de René-Victor Livache, dans le cadre des vitraux consacrés à la guerre de Vendée
III. Les auteurs des cartons
Le blog de Jean-Pierre Le Bihan, qui a restauré la verrière, indique : "Cartons de Evalche, prix de Rome, d'après croquis de Melle Hersart de la Villemarqué et de Melle Krebs".
Je ne retrouve pas Evalche, mais René-Victor Livache (1831-1909) et son fils Victor-René (1872-1944) peintres d'Angers à qui on doit des cartons de vitraux. Victor-René Livache fut directeur de l'école régionale des beaux-Arts de Rennes de 1921 à 1935. Ce qui est troublant, c'est de trouver le même récit de nomination à L'école régionale des Beaux-Arts d'Angers, qu'il dirigea jusqu'à sa mort en 1944... Je copie ce commantaire :" Le 22 octobre, Victor Livache sort vainqueur des différentes épreuves. Né en 1872, fils de peintre, élevé dès son enfance dans les arts, le salon des Artistes avait accueilli en 1910 son tableau le Jeu de la rose, vaste composition de 2 m sur 2,50 m. Son oeuvre était déjà importante, tant en restauration de tableaux anciens, qu'en création, spécialement dans le domaine des maquettes de vitraux : brasserie de la gare Saint-Lazare à Paris, verrière de l'escalier de l'hôtel Bordeaux-Montrieux et vitraux de l'église Notre-Dame à Angers. Son projet pour une salle à manger angevine évoquait le festin de Gargantua, dans des couleurs lie-de-vin. Il sera directeur de l'École des Beaux-Arts jusqu'à sa mort, en 1944, communiquant aux élèves toute son expérience."
Concernant les croquis, je ne peux que constater la filiation suivante :
- Théodore Hersart de la Villemarqué l'auteur du Barzaz Breiz,
- Pierre son fils, avocat : 1854-1933 épouse Alix de Kergariou, d'où :
- Valérie Hersart de la Villemarqué, petite-fille du barde, épouse en 1920 Arthur Krebs, d'où 5 enfants, Alix, etc...
Conclusion.
J'ai déjà cité les travaux de Marcel Jousse Le vitrail de la Vie de Jésus à Confort-Meilars basée sur une anthopologie du geste étroitement lièe à la mémoire orale, mémoire dont il avait mesuré l'étendue dans la Sarthe rurale où il était né en 1886. Il insistait sur l'ancrage corporel et rythmique de cette mémoire qui n'est jamais énoncée, mais toujours rythmo-mélodiée lorsqu'elle est transmise, à l'enfant sous forme de comptines, de berceuses, de devinettes ou de proverbes ou de contes aux formulettes répétitives, à l'adulte sous forme de chants et de récits traditionnels en cantilènes, voire de lectures sacrées psalmodièes au lutrin.
Passant par Kerlaz pour photographier la statue de Vierge allaitante, j'ai découvert progressivement les vitraux de l'église, puis leur commanditaire, puis les personnages qui apparaissaient liés à la conception de ces verrières: chaque rédaction de notice pour commenter mes photos m'ont ouvert des perspectives, alors que ma naïveté et mon ignorance initiales étaient complètes. Ce n'est qu'une fois que ces notices sont terminées que je constate que le point commun de ces vitraux n'est point, comme je l'ai cru, d'exprimer les convictions théologiques ou politiques d'un milieu clérical et conservateur, mais plutôt de témoigner de la force de la mémoire orale acquise durant les années de formation d'un breton de Cornouaille.
Car quels sont les individus que j'ai rencontré lors de cette exploration ?
- Julien Maunoir, auteur de canticou spirituels destinés à faire mémoriser aux paroissiens les dogmes, le crédo, le cathéchisme et les prières catholiques.
- Théodore Hersart de La Villemarqué, collecteur de l'oralité bretonne et dont trois chants du Barzaz Breiz sont repris comme sujets des vitraux : L'Enfer (qui reprend lui-même le canticou du père Maunoir), Élégie de monsieur de Névet, Submersion de la ville d'Is. (sans compter Ar beleg forbannet ou le prêtre éxilé).
- Germain Horellou (5-02-1864/06-05-1923), élève du petit séminaire st-Vincent de Pont-Croix, vicaire de Plourin en 1888 puis de Ploudalmézeau en 1894, ami d'enfance d'Henri Le Floch, mais dont je découvre que sous le surnom de Bleiz Neved, il était aussi "poète latin, français et breton", "auteur de cantiques, de chansons et de poèsies de circonstance
Mieux, je constate que Germain Horellou était très proche de le famille La Villemarqué et de l'oeuvre de l'écrivain puisqu'il fut l'un des rares, et le dernier avant 1964, à consulter les fameux carnets de transcription du "barde" en son manoir de Keransquer où il était reçu. C'est Laurent Donatien qui, p. 31 d' Aux sources du Barzaz Breiz, Ar Men 1989, signale qu'Horellou ayant accordé peut-être trop de confiance à l'une des pièces du Barzaz Breiz, il fut pris à partie par Louis Guennec et que, pour se défendre, il utilisa les archives de Keransquer auxquels Pierre de La Villemarqué lui donna accés.
Le menhir christianisé lui-même, qui culmine au tympan de la maîtresse-vitre, est une figure qui vient de La Villemarqué : "Le menhir est toujours debout, mais la croix le domine". (Barzaz Breiz, 1939, Introduction X, lxxij)
Henri Le Floch se situe donc au coeur d'un réseau ou d'une chaîne de transmission auriculaire à la fois familiale (récits des haut-faits des grand-oncles, des saints bretons et des seigneurs locaux, chants des Pardons de Kerlaz et de Sainte-Anne-la-Palud...) et amicale et culturelle ( Canticou spirituels et feuilles volantes des jésuites / Gwerziou traditionnels / La Villemarqué/ berceuses et cantiques d'Horellou ) d'une mémoire orale. C'est cette oralité qui est mis en image sur les vitraux de Kerlaz, plutôt que la pensée conservatrice et la tradition catholique acquise chez les spiritains au séminaire et dont il fut, pourtant, l'un des farouches gardiens.