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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 06:05

                  Vierges allaitantes VI

Chapelle Notre-Dame de Kerluan à Chateaulin:

                 Les Vierges de l'abbé Le Roy et Notre-Dame de Kerluan ressuscitée

 

I. L'ancien culte à Notre-Dame de Kerluan, et la Révolution.

   Dans la Notice du bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie consacrée à Chateaulin,link, Agrall et Peyron présentent la chapelle située "dans une des boucles formées par le cours sinueux de l'Aulne, presque en face du bourg de Saint-Coulitz" et rapporte la légende suivante : jadis, les habitants des hameaux de Kerluan et de Saint-Coulitz se livraient à un lutte féroce, chacun prenant partie pour la rive de l'Aulne où il se situait; mais les saincouliziens écrasaient régulièrement les kerluanais, car les premiers étaient de vrais géants et les seconds chétifs, fluets et souffreteux. Tant va la cruche à l'Aulne qu'à la fin elle se casse, et les kerluanois malingres allaient laisser dans cet Interville le peu de santé dont ils disposaient encore, lorsque la Vierge, qui intervient dans les luttes intestines entre petitboutiens et grandboutiens, Grandgousiens et Picrocholais avec autant de zèle que le faisaient Athéna durant la Guerre de Troie, s'émut du sort de cette minuscule trève, que dis-je, de cette frairie bas-bretonne peuplée d'irréductibles avortons et  leur promis, pour peu qu'ils aient quelques forces pour bâtir une chapelle en son honneur, un miracle : "que vos nourrices, leur dit-elle en breton, aillent boire l'eau de la fontaine et s'en frotter, sauf votre respect, les mamelles et vos enfants seront les plus vigoureux gaillards de la chatellenerie".

     Ainsi fut fait ; la chapelle de Kerluan à peine édifiée, on fit la queue autour de la fontaine de Stang-vihan, on y mena aussi les vaches, et jamais plus nourrice du pays n'eut besoin de fenugrec (Trigonella foenum-graecum) ou de chardon beni (Cnicus benedictus) pour provoquer la montée de lait. C'était merveille de voir le colostrum, cette gelée royale des humains, s'écouler en flux orangé des mamelons presqu'engorgés, merveille de voir les petits goulus prendre leur tétée avant d'aller administrer une raclée aux coulitzais, merveille que ce fleuve de lait qui battait de son flux impulsif les rythmes de la vie, tandis que, sur Kerluan, les ombres descendaient. Le soleil horizontal, passant entre les branches, éblouissait les yeux ; ça et là, tout autour d'eux, dans les feuilles ou par terre, des taches lumineuses tremblaient, comme si des colibris, en volant, eussent eu éparpillés leurs plumes. Le silence était partout. Les Kerluanais priaient Notre-Dame de Kerluan.

 

   Le culte de Notre-Dame de Kerluan.

   La Vierge de Kerluan fut bientôt réputée dans le canton, puis les mariniers de l'Aulne, qui voyaient du bord de leur gabarres les seins généreux des paysannes de Kerluan, en parlèrent tout le long du fleuve, et toutes les mères de Cornouaille vinrent vénérer Virgo Lactans, vocable sous lequel, selon l'abbé Abgrall, ils l'invoquaient.

   Un jour, un jeune malin  de Saint-Coulitz aussi mécréant qu''incrédule, voulut se moquer de toutes ces futures mamans et de ces nourrices d'appoint qui venaient se frotter la poitrine à la fontaine, et il alla s'y laver. Mal lui en pris, et le nigaud se retrouva vite encombré d'une généreuse paire de seins .

   Le conseil de fabrique réuni dans la sacristie faisait ses comptes : les offrandes affluaient, la vente d'ex-voto en cire marchait très fort, celle des cierges itou, et on décida d'offrir à Notre-Dame une statue à son éffigie. Allain Allanic prétentit peut-être que la Vierge lui était apparue, lui disant "Allan ne craignez rien, dites à votre recteur que ma statue représentera l'Enfant buvant le lait précieux" mais s'il ne fut pas cru, les marguilliers trouvèrent l'idée bonne, d'autant qu'à Trèguron ils en avaient une qui faisait des miracles. 

   Une statue de pierre joliment peinte de Maria Lactans fut commandée et bientôt placée près de l'autel, du coté de l'évangile, et personne ne s'offusquait de voir le petit Jésus tendre sa petite main vers le sein si naturellement offert. 

   D'ailleurs, Notre-Dame avait ses habits de semaine, mais le dimanche on l'habillait de sa robe dominicale, qui dissimulait ses attributs.

  

II . La réforme de l'abbé  le Roy :

  Personne ne trouvait donc à redire, sauf l'abbé Le Roy, ancien aumônier du Carmel de Morlaix, qui, lorsqu'il prit possession le 20 février 1899 de son poste de curé archiprêtre de Châteaulin qui estima, soit qu'il était temps de renouveler l'art religieux et d'accompagner le renouveau du culte marial du XIXe siècle, soit que les progrés des moeurs et de la conscience morale n'autorisaient plus de laisser en nos sanctuaires des vierges dépoitraillées, soit que les deux idées allaient parfaitement ensemble.

 Auparavant, Notre-Dame de Kerluan avait souffert pendant la Révolution, où elle aurait été brisée en onze morceaux et mal restaurée  par la suite. Puis ce fut la vente de la chapelle à un particulier, et, en juin 1805, l'incendie qui ravagea l'édifice et barbouilla de suie la Vierge, laissant la chapelle en ruine jusqu'à son rachat par la fabrique de Chateaulin en 1809. Lorsqu' Alfred Le Roy la découvrit en 1899,  la statue était-elle si calcinée, si détériorée qu'une restauration lui soit apparue moins séduisante que l'acquisition d'une de ces belles statues de Notre-Dame de Lourdes, de Sainte-Thérèse pour lesquelles les soeurs du Carmel brodaient de précieuses bannières?  

   Car l'art saint-sulpicien qui avait pris son essor en 1850, n'avait pas alors la réputation d'art miévre et trop coloré qu'il acquis par la suite, et les statues de platre que produisait, par exemple, la manufacture de Vendeuvre-sur-Barse au rythme de 15 000 par an attiraient une clientèle de plus de 40 évêques et archévêques et les compliments de Mgr Justin Fèvre et de Pie IX. Il fallait être à la page, et participer au grand combat de réaction de l'Église face aux assauts laïcistes des républicains, assauts  qui allaient conduire en 1905 à la séparation de l'Église et de l'État.

  L'abbé le Roy (?- 1938) n'était pas, en matière d'art religieux, un béotien : vicaire à Loperec en 1874, aumonier du Carmel de Morlaix en 1886, curé-archiprêtre de Chateaulin en 1899, chanoine titulaire et directeur diocésain des oeuvres en 1911, il avait su se faire apprécier pour ses compétences théologiques et d'historien, rédigeant deux brochures sur le Tro Breiz puis en 1936 La Vie de Mgr Léséleuc, évêque d'Autun que l'Académie Française trouva bon de couronner. Il était membre de la Société Archéologique du Finistère. Mais il avait été oblat de Saint-Pierre de Solesme et restait très attaché à la vie monastique, admirant si bien les travaux des moines de Solesmes qu'il rédigea en 1923 un article pour la Revue Grégorienne, Etude rythmique à propos du Kirie fons bonitatis. Rien de ce qui concernait la vie liturgie et grégorienne de l'École de Solesmes ne le laissait indifférent. Il aurait collaboré à la revue mensuelle de Dom Besse, La Vie et les arts liturgiques (1913-1926).

  Durant le Second Empire, l'Église avait pu espérer retrouver toute son influence, et avait sucité les grands sanctuaires dédiés à la Vierge et à Sainte-Anne ; le Pape avait encouragé les Couronnement de leur statues, l'organisation de pèlerinages, de pardons et de processions, tandis que les théoriciens de l'art religieux, considérant que cet art n'avait cessé de dégénéré depuis Michel-Ange, plaidaient pour le retour d'une iconographie ressourcée auprès de la pureté médièvale ou antique. Raoul-Roquette, le secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts,  déplorait la décadence de l'art catholique : le protestantisme avait affadit la croyance ; l'étude mal dirigée de l'antiquité occasionnait des méprises ; l'abandon des types primitifs était frappant ; et partout, la passion déréglée des idées nouvelles advenait de compromettre la destinée d'un art dont la marche avait été, jusqu'aux chefs-d'oeuvres de Raphaël et de Michel-Ange, si sage, si droite et si régulière. (Raoul-Roquette, Discours sur l'origine, le développement et le caractère des types imitatifs qui constituent l'art du christianisme, Paris 1834, 71 p)

   La vieille statue de la Vierge que l'abbé Le Roy, arrivant tout droit de l'Atelier d'Art Sacré de Morlaix, découvrait à Kerluan n'était ni sage, ni droite, ni régulière ; mais généreuse jusqu'à l'exubérance, sinueuse de forme, vulgaire avec cette chevelure libère à l'image de ces passions déréglées qu'il fallait combattre, usée et brisée, ancienne, et beaucoup trop lourde pour être portée en procession. Il la trouvait " absolument sans cachet ; la pruderie de notre époque la jugeait indécente, sculptée ainsi avec la poitrine absolument découverte. Ses mamelles paraissaient très protubérantes. Elle comprimait son sein et l'offrait au petit Jésus, mais l'enfant Dieu détournait la tête d'un air boudeur et dégouté". ( Citation détournée des Archives paroissiales, link )


  Comme pour le chant sacré, que les moines de Solesmes et Dom Gueranger, qu'on surnommait Guerroyer, parvenaient à restituer dans sa pureté originelle, il fallait lutter contre la décadence qui menait là où nous en étions (Les Prussiens dans Paris; Gambetta  déclarant "le cléricalisme, voilà l'ennemi !" ; les bénédictins de Solesmes expulsés depuis 1880 de leur abbaye). Le Pape, le Haut Clergé montrait l'exemple.

  Lors du premier Concile du Vatican à Rome, les évêques avaient été conviés par Pie IX à visiter l'Exposition Romaine, vaste présentation de la conception pontificale d'un art catholique régénéré : "les évêques et les prêtres venus de toutes les parties du monde pour livrer à l'erreur, sous la conduite de leur chefs, ces grandes batailles, trouveront à l'Exposition un sujet d'utiles et fécondes études ; des vases sacrés, des ornements saints, des sculptures, des peintures de tous les styles et de tous les prix". L' abbé C.L. de Cléves, ici cité, en avait fait paraître le catalogue link où il présentait l'école romaine, l'école allemande et les grandes maisons françaises comme Klem-frères, Poussiègues-Russand, Tissot à Lyon, Froc-Robert et l'Hermitte à Paris, ou la maison Durenne (plus de 600 ouvriers). Pour la statuaire, il écrit :

           MM Choyer (Paris), Cabuchot (Paris), les frères Zanazio, Froc-Robert (Paris), Champigneulle (Metz), et Raffl (Paris) sont les principaux représentants de l'école française. [...] Les statues de MM Froc-Robert et Raffl en carton-pierre * et bois sont bien travaillés, bien peintes, mais elles n'ont pas le sentiment religieux de l'école de Munich, ni le cachet artistique de l'école romaine. Il y a là de l'industrie plus que de l'art. Cependant nous devons de la reconnaissance à ces artistes et à ces industriels qui fournissent à nos églises de bonnes statues à des prix accessibles.

* le carton-pierre est un matériau fabriqué à partir de colle de peaux d'animaux et de craie, additionnée de pate à papier, utilisé pour réaliser les moulures de plafond. Interessant pour sa solidité et sa légereté, il fut remplacé par le carton romain puis le staff, spécialité de la maison Raffl.

  La Maison Froc-Robert, présente à l'Exposition Universelle de 1867, se situait 38 rue Bonaparte à Paris ; elle produisait des statues religieuses et disposait d'un atelier de décoration intérieure d'églises, employait 99 artistes peintres ou sculpteurs. En 1867, elle était recommandé par le Cours élémentaire d'Archéologie catholique à l'usage du clergé, abbé Gareiso, Nimes 1867.

La Maison Raffl, aussi nommée La Statue Religieuse, était au 64 de la même rue Bonaparte. Elle connut succesivement plusieurs propriétaires, Raffl en 1857, Froc-Robert en 1903, et Cachal-Froc en 1907 : on peut penser que ces trois industriels sont proches et que Raffl les a repris progressivement. De 1871 à décembre 1877, 62547 statues sortirent des ateliers Raffl.

La Maison Cachal-Froc se trouvait au 30 rue Vavin à Paris. J'ignore si elle succéda à Froc-Robert.

Le Bulletin diocesain de Quimper mentionne (Bdha 1909 p. 309) une Sainte-Anne, bas-relief par Cachal-Froc en 1886. Cachal-Froc eut une altercation sérieuse dans les colonnes de la Semaine Religieuse du Diocése du 23 janvier 1891 avec A. de La Borderie, qui avait maladroitement traité toutes les statues de St Yves qui ne répondait pas à sa propre conception de "mascarades".

  Le ministère de la Culture propose, en ligne, la consultation du catalogue de cette maison :

http://www.inventaire.culture.gouv.fr/referentiels/CACHALFROC.html

 

Fig. 24 - Couverture du catalogue de la maison Cachal-Froc, Paris, 1895. Finance, Laurence de © Inventaire général, 2006.

Image agrandie numéro 24


    C'est dans l'un de ces catalogues de Chaval-Froc  que l'abbé Le Roy trouva un modèle de Vierge conforme à ses souhaits et au désir d'unification iconographique émis par le Vatican. Il choisi une vierge à l'enfant, donnant certes le sein pour satisfaire les paroissiens attachés à l'ancienne idole, mais en se couvrant la poitrine afin que ce sein malencontreux ne fut visible de personne. Comme il avait lu le Cours élémentaire d'archéologie catholique ou quelqu'autre ouvrage d'art chrétien et qu'il était soucieux que son acquisition soit non seulement sage, droite et régulière, mais aussi placée dans la filiation avec les oeuvres italiennes précédant l'art décadent, l'agent commercial de Cachal-Froc lui assura que l'artiste s'était inspiré de la Madonna della Neve de Sienne ( mais apparemment ni de l'oeuvre de ce nom de Matteo di Bartolo à la Chiesa di santa Maria, ni du rétable de Sasetta actuellement au Palazzo Pitti de Florence), ou bien "du Halthez de Tours".

  Et comme les prix étaient très attractifs, le curé acheta aussi une petite statue en carton pierre du même modèle (il était disponible en stock dans toutes les tailles de 30cm à 3m), avec le brancard de procession. A en croire le catalogue, sans-doute paya-t-il le tout 250 francs.

  Si bien qu'il pu enfin écrire de sa belle plume les lignes suivantes (archives paroisse de Chateaulin):

                 "le samedi 7 juillet 1900, en présence de Jean l'Haridon, fabricien, de Messieurs jézégou, Mével et Caroff, vicaires de Chateaulin, au milieu d'un grand concours de fidéles, je soussigné curé archiprêtre de Châteaulin, ait béni solennellement, avec l'autorisation de monseigneur l'évêque*,la nouvelle statue de N.D. de Kerluan, représentant la Vierge Marie allaitant son Enfant Divin, qui remplace l'ancienne image brisée en 11 morceaux** pendant la Révolution, restaurée grossièrement ensuite, et elle-même reproduction grossièrement travaillée de l'image de N.D. de Kregoat en Quéméneven.

  L'ancienne statue a été enterrée en morceaux sous le nouveau piédestal en granite, don de M. et Mme Armand Gassis***.

  L'ancienne statue est en terre cuite, et sort des ateliers de M. Cachat Froc (sic) de Paris. Elle reproduit à peu près le tableau vénéré à Sienne soius le nom de Madonna delle neve, et l'image du Halthez**** de Tours.

  En même temps, j'ai béni une petite statue du même modèle, en carton pierre, destinée à être portée en procession."

* Mgr Dubillard.

** " Le 2 février 1901, deux ouvriers allèrent de bon matin à la chapelle. Ils descendirent la vieille statue et l’enfouirent sous le trône de la nouvelle. Ils constatèrent alors que l’antique image avait eu à subir plus que le supplice du feu. Elle était en neuf morceaux collés avec du plâtre. Le tout avait  été recouvert d’une couche de peinture…. Les archives de Châteaulin ne mentionnent pas ce massacre barbare et sacrilège. Mais on peut supposer qu’après l’incendie de la chapelle de Kerluan, un homme exalté et rendu fou par les théories révolutionnaires aurait pris son marteau pour détruire la statue qu’on y vénérait."arch. parois. Châteaulin.

*** Ie piédestal est en pierre de Locronan ; Armand Gassis (1839-1915) originaire de Châteaulin et fils d'entrereneur de travaux publics, était architecte. Entré à l'École des Arts et Métires d'Angers en 1856, il intègre l'année suivante l'entreprise paternelle et devient architecte, tout en menant une carrière politique comme conseiller municipal de Châteaulin à partir de 1884, puis comme maire en 1896 et enfin comme sénateur de 1903 à 1912. Il réalisa, comme architecte et comme entrepreneur, 9 édifices religieux dans le Finistère, 5 néo-gothiques et 4 néo-romans.

**** Je n'ai pas pu retrouver cette oeuvre.

 

   L'abbé Le Roy s'était démené pour rendre à la chapelle son faste d'autrefois, pour y ramener les fidèles et raffermir le culte marial : après avoir fait abattre et fait vendre au profit de la fabrique les arbres du placître qui menaçaient la toiture, après avoir fait maçonner le mur d'enceinte du coté nord, rétabli le lambris de la voûte, 


chateaulin--kerluan 8832c

 

      La version en carton pierre sur son brancard de procession : 

  Le jour du pardon inaugural de juillet 1900, ce fut 2000 personnes venues de Châteaulin, de Saint-Coulitz ou de Lothey qui accompagnèrent la procession, musique du patronage de Châteaulin en tête, et comme l'abbé le Roy qui pensait à tout, avait fait imprimer 600 feuilles volantes du cantique que  l'abbé Brignou, le recteur de Lanneufret avait composé spécialement en l'honneur de Kerluan, personne n'entendit les fidéles de Kerluan faire du mauvais esprit, regretter leur ancienne patronne et dire que c'était pas auprès de celle-là que les nourrices allaient obtenir du lait. Et lorsque mamm coz Mari-Jeanne s'emporta à prédire que le jour où on allait mettre la vraie Dame-au-Lait dans son trou sous le piédestal, la foudre allait s'abattre sur les profanateurs pour les réduire en cendre, la fanfare joua plus fort, et la belle affaire !

chateaulin--kerluan 8801c

 

 Ce mauvais esprit était hélas partagé en 1895 par Karl Joris Huysmanns, dont le héros Durtal devient, dans le roman L'Oblat, oblat à Solesmes, et qui écrivit :

   "L'hagiographie était une branche maintenant perdue de l'art ; il en était ainsi d'elle que de la sculpture sur bois et des miniatures des vieux missels. Elle n'était plus aujourd'hui traitée que par des marguilliers et des prêtres, par des commissaires de style qui semblent toujours, lorsqu'ils écrivent, charger leur fétu d'idées sur des camions ; et elle était, entre leur mains, devenus un de ces lieux communs de la bondieuserie, une transposition dans le livre des statuettes des Froc-Robert, des images en chromo des Bouasse". En Route, 1895.

  Mais aujourd'hui, un esthétisme du kitsch religieux et du "sublime du laid" amène à classer aux Monuments Historiques ces produits industriels, comme  l'église Sainte-Marie-Madeleine de Rennes-le-Château classée à l'inventaire pour "son mobilier saint-sulpicien". Nous apprenons enfin à apprécier l'art dont l'Église, Pie IX le rappelait aux évêques de Vatican I, fut toujours "l'amie et l'inspiratrice".

 

chateaulin--kerluan 8802c

 

III. La réforme touche aussi la fontaine :

  Elle fut déplacée pour permettre  la construction de la voie express Brest-Quimper qui tranche désormais  de ses quatre-voies le sentier qui reliait la chapelle avec sa fontaine.  L'accés est désormais réservé aux initiés, et on trouvera un plan ici : link .

  Elle abrite un doublon du XXe siècle du chef d'oeuvre de Cachal-Froc, mais n'attire plus aucune poitrine. Les saincoulitzaises se frottent les mains.

  Ou se trouve la statue vénérée auparavant ? sous le bitume de la quatre-voie ?

 

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chateaulin--kerluan 9660c

 

 

IV. Grace aux vandales, la Vierge retrouvée ressuscite à Kerlouan :

      L'histoire est la suivante : en 2006, la veille de la Toussaint, des voleurs pénètrent dans la chapelle et emportent un vase en céramique et quatre statues : "Notre-Dame de Lourdes (?), Saint jean, Saint Lucas et sainte Marie" (Bulletin Chateaulin 2006). Le Bulletin ajoute : "pour récupérer des pièces (angelots) du baldaquin en bois peint et sculpté par l'artiste quimpérois Autrou, ils n'ont pas hésité à briser la statue de la Vierge allaitante vénérée par tant de générations. [...alors que l'association de bénévole a réalisé] la réstauration de la toiture en 1987, du calvaire en 1991, l'achat de bancs, le changement des portes latérales et l'achat d'un vitrail en 1999".

   Jean Andro, curé de l'ensemble paroissial, fut alors amené à rechercher les documents d'archive et à y découvrir, dans le registre des installations du presbytère, le compte-rendu de la cérémonie de bénédiction rédigé de la main d'Alfred le Roy, tel que je l'ai cité ci-dessus, et où il mentionne que la Vierge allaitante déprèciée avait =été placée sous le nouveau piédestal offert par Armand Gassis. 

  Cette information n'était plus connue depuis longtemps et les bénévoles se demandaient où ils pourraient découvrir l'ancienne Notre-Dame.

  Le huit février 2007, devant Yolande Boyer, maire et sénatrice de Châteaulin, devant les caméras de TF1 et les photographes des quotidiens régionaux, de Guy le Dréau, responsable des bâtiments de la ville et d'Isabelle Garguadennec, conservateur des antiquités et oeuvres d'art du Conseil Général, les ouvriers municipaux déplacèrent le piédestal et creusèrent le sous-sol.

   Et voilà qu'après un sommeil de 107 ans, la Belle au bois dormant apparut :

 


 

 

les deux très émouvantes  images suivantes viennent du site officiel de la ville de Châteaulin : http://www.chateaulin.fr/pages.php?id_ref=4&id_ref1=145&p=1&num_page=1414537

 Chacun put découvrir alors une statue de Kersantite de 1,45m, conservant des traces de polychromie ancienne, et dont la couleur rougeâtre attestait qu'elle avait fortement souffert de l'incendie de 1807. On estima même que ce devait être lors de cet incendie qu'elle avait du tomber et se fracasser en morceaux. Peut-être avait-elle échappé au marteau révolutionnaire, qui aurait plutôt frappé la, tête. Il fallait rendre cette justice à l'abbé Le Roy qu'on avait peut-être accusé trop rapidement comme père-la-morale d'avoir, nouveau Moïse, détruit les anciennes idoles qu'idolatrait un peuple de bas-breton rendu aux erreurs du paganisme : vraiment, la pauvre Notre-Dame de Kerluan était dans un état qui ne permettait pas qu'une restauration lui rende son faste. Mieux, en l'enterrant et en indiquant par écrit son geste, il montrait le respect que l'on doit aux statues vénérées, même lorsqu'elles sont brisées.

 

 

 

 Notre-dame de Kerluan : ma visite en janvier 2012 :

 

J'admirais d'abord la finesse des traits de son visage ; puis je m'assurais qu'elle portait, comme toutes les autres, la longue chevelure seulement retenue par ce bandeau très particullier. Je retrouvais le geste maternel de présentation du mamelon entre index et majeur, et le corsage ouvert en V, la taille très cintrée, la main gauche qui retient par le petit doigt le pli de la robe : tous les détails qui la situait dans le groupe des Vierges allaitantes de Cornouaille.

   Je regrettais le désatre qui  était survenu, l'imaginant intacte, ornée de ses couleurs, l'or et le rouge, le bleu qu'on devinait encore, dignement placée dans une niche ou encore, comme à Kergoat, sous un dais.

  J'entendais au loin un cheval hennir, et des corneilles crier. Et, encore plus loin, des cloches résonnaient.

   Je rêvais à un moulage de cette Madonna del latte, qui vienne en donner une copie restituant la splendeur d'origine.

  Mais aussi, comme face à ces vedutisti qui surent rendre dans leur peinture la beauté des ruines romaines, je me laissais saisir par l'esthétisme  des ruines, cette musique douloureuse qui parle de la fragilité des roses, je révais de chapelles gothiques abandonnées, de l'infortune des reines, des ruines dans les bois, des migrations d'oiseaux dans les nuages, des grèves désertes, des lacs, des océans, des mausolées illustres cachés sous la verdure et des tombes au clair de lune, silencieuses sous les lierres. 

   J'avais voyagé par les champs et par les grèves, j'avais connu la mélancolie des autos, les froids réveils dans l'attente, l'étourdissement des paysages et des villes, l'amertume des poésies interrompues. 

  Le bruit des cloches revint.

  J'eus d'autres pensées encore, et d'autres regards vers la madone. Mais la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Des minutes passèrent en contemplation pure, où je dégustais le désoeuvrement de mon intelligence et l'inertie de mon coeur.

 

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V. Les autres Vierges de la chapelle :

Notre-Dame de Kerluan

Statue de granite, taille directe, peinte, revers partiellement évidé, h :110cm ; inscription sur socle en bois N.D de Kerluan datation : 17e (?)

  Première question : Je suis  un peu surpris de l'intérêt que porte l'enfant pour le livre qu'il tient ouvert ; je note les longs cheveux dénoués. A-t-on remanié la statue ?

  Deuxième question: Si cette statue est vraiment une N.D. de Kerluan, pourquoi l'abbé Le Roy crut-il nécessaire de faire réaliser une nouvelle Vierge ? Celle-ci, en l'état, était bien assez prude pour qu'il l'agrée.  Et son ancienneté la rendait vénérable. Donc,

Troisième question : le socle et son titre  correspondent-ils à cette Vierge à l'enfant?

  L'abbé Yves-Pascal Castel  mentionne une  "Vierge à la figue" qui figure parmi les oeuvres dérobées lors du vol de 2006, et une Vierge à l'enfant honorée par quarante ex-votos dont l'un indique : "Merci/à N.D. de Kerluan/ dans la nuit/ du 18 sept. 1937". 

  Effectivement, la Vierge tient un fruit ovale qui peut être une poire, ou, si on en aime le symbole féminin déguisé, une figue.

  Bien qu'elle ne soit pas dépourvue de valeur, il suffit de la comparer une seconde à la Virgo Lactans pour constater l'extraordinaire vitalité, la supériorité d'inspiration de cette dernière, et de mesurer l'exception que ce groupe des vierges allaitantes de Cornouaille   constitue  dans l'art statuaire de nos chapelles.

 

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Vierge à l'enfant du 18e.

Notice M.H : statue de chataîgnier (?) taillé, peinte, 18e, h : 132 cm, mauvais état, vermoulure, fente, main de l'enfant mutilée.

  On remarque que la Vierge va pieds nus, ce qu'un artiste médiéval ou Renaissance ne se serait pas permis.

chateaulin--kerluan 8829c

 

 

Merci aux membres de l'Association de sauvegarde de Kerluan, qui m'ont accueilli pour m'ouvrir la porte et me présenter leur chapelle ; leur travail bénévole est admirable.

 

 

Source :  http://www.chateaulin.fr/pages.php?id_ref=4&id_ref1=145&p=1&num_page=1414537 

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Published by jean-yves cordier

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