L'église Saint-Gilles de Malestroit.
Verrière de la Vie de saint Gilles et de la Vie de saint Nicolas (Premier quart du XVe siècle).
voir aussi : Le vitrail de l'arbre de Jessé de l'église de Malestroit.
Baie 1 : Verrière des vies de saint Gilles et de saint Nicolas.
Elle date du 1er quart du XVe siècle (1401-1425), mais elle a été restaurée en 1906 par l'atelier Hucher du Mans. C'est la plus ancienne des verrières de Malestroit, et l'une des plus anciennes également en Bretagne, donnant un exemple des caractéristiques du gothique flamboyant : large emploi du jaune d'argent (découvert au XIVe), présence de la perspective (carrelage), fonds damassés, encadrement par des éléments architecturaux peints.
Mesurant 6 mètres de haut et 2,40 m de large, elle comporte 4 lancettes trilobées et un tympan à 2 quadrilobes, 2 mouchettes, 1 soufflet et 4 écoinçons. Classé MH 1912, elle a été découverte dans la seconde moitié du XIXe sous des parpaings.
On la divise dans sa lecture en deux registres superposées de scènes, inscrites dans de très importants encadrements architecturaux. Le registre inférieur raconte en quatre scènes la vie légendaire de Saint Gilles l'ermite (VIIe siècle), et le registre supérieur celle de saint Nicolas de Myre (IVe siècle).
1. Registre inférieur : quatre scènes de la vie de saint Gilles.
Scène 1. Le saint en prière, accompagné de la biche qui le nourrissait de son lait.
(entièrement refait);
Scène 2 : Le saint exorcise un épileptique.
Cette maladie était considérée comme la conséquence de la possession par un démon, que l'on voit s'enfuir au dessus de la tête du malheureux.
Un élément précieux sur le plan documentaire repose sur les menottes imposées au malade : un bracelet métallique entoure chaque poignet, et une solide clavette les solidarise ; une goupille en permet l'ablation. Est-ce destiné à "protéger" la personne lors d'une de ses crises, ou bien à protéger l'entourage d'un acte dément, dans une confusion fréquente entre comitialité et aliénation ? On sait que, dans les asiles étaient employés les camisoles, les moufles, les chaînes, les chaises d'immobilisation et autres entraves.
Fond damassé bleu. inscription gothique : Ægidii Perte.ccior. Saint Gilles est représenté en Abbé, tenant une crosse de style gothique particulièrement ouvragée, au nœud octogonal en or et en argent et au crosseron largement découpé par des feuilles. L'embout à l'extrémité de la hampe est pointu. Carrelage en perspective, bicolore gris strié et jaune pâle. Buste du malade restauré
Scène 3 : Confession de Charlemagne.
(entièrement moderne): Charlemagne n'osant pas avouer ses péchés, ceux-ci s'inscrivent sur un phylactère : Superbia (Orgueil) ; Avaritia (Avarice) ; Luxuria (Luxure) Invidia (Envie) Gula (Gourmandise) Ira (Colère) Acedia (Paresse) selon l'acronyme mnémotechnique SALIGIA. Le roi implore le saint et obtient l'absolution de ses fautes. Cet épisode (qui ne correspond pas à la légende médiévale) est relié à celui de la scène suivante.
Scène 4. Messe de saint Gilles.
Grisaille et jaune d'argent, fond damassé bleu, un verre rouge. Sanguine sur les piliers architecturaux.
Un roi assiste à une messe célébrée par saint Gilles et, lors de l'élévation, un ange apparaît portant un phylactère avec l' inscription Ægidii m~to Karoli P~er.areunt. Si on se réfère à l'inscription figurant sur le tableau du Maître de Saint-Gilles, qui est Egidi merito remisa sunt peccata Karolo, on peut déduire qu'il est écrit ici Ægidii merito Karoli Peccata rem.sunt, traduisible par "Par le mérite de Gilles les péchés de Charles sont remis (ou pardonnés)".
L'épisode est célèbre et il est déjà représenté à Chartres dans le Vitrail de Charlemagne ou sur un pliler nord. La légende (Vita Sancti Aegidii et Vie de saint Gilles de Guillaume de Berneville, XIIe siècle) veut qu'un roi nommé Charles se confesse au saint, à l'exception d'un péché si horrible qu'il ne peut l'énoncer. Malgré les exhortations de Gilles, le roi Charles conserve son secret.
La tradition médiévale voyait dans ce péché une relation incestueuse entre Charlemagne et sa sœur Gisèle ayant conduit à la naissance de Roland : l'Histoire poétique de Charlemagne (1865) par Gaston Paris donne deux sources à cette légende :
Source n° 1 : Karlamagnus-Saga (irlandais, fin XIIIe) I ; 36 :
Charlemagne eut à Aix un commerce illégitime avec sa sœur Gille [Gisèle ou Gisle]. Plus tard, il confessa à l'abbé Egidius tous ses péchés, mais il omit celui-là, le plus grave. L'abbé Egidius chantait la messe, quand l'ange Gabriel descendit des cieux et déposa une lettre près de la patène. Egidius l'ouvrit ; il y lut le péché du roi, et l'ordre que Dieu lui donnait de marier sa sœur à Milon d'Angers. Le fils qu'elle enfantera dans sept mois, ajoutait la lettre divine, est de l'empereur, et il devra en prendre soin. Egidius prit la lettre, l'apporta au roi, et la lui lit. Le roi s'agenouille, avoue son crime, et accomplit les ordres d'en haut : il donne sa sœur à Milon et le fait duc de Bretagne.
Source n° 2 : Légende latine ou Egidius de Provence (Boll. AA.SS Sept.I, 299-314) dans sa traduction du XIIIe siècle ne spécifie pas la faute commise par le roi :
Entre ces coses prisa moult li rois le saint home qu'il daignast prier à nostre Seigneur pour lui : car il avoit fait I moult lait pechié que il n'avoit oncques à nului dit, ne au saint home ne l'osoit dire. Quant vint le diemence, et il cantoit le messe, il pria nostre Seigneur por le roi là où il estoit el canon. Lors s'apparut li angeles nostre Seigneur à lui, qui mist seur l'autel une chartre en qoi li peskiés le roi estoit escris tout comme il l'avoit fait, et pardonés li estoit par la prière saint Gille se il se repentoit tant seulement et le deguerpissoit... Et quand li prodrom vit le cartre, il rendist grâces à notre Seigneur ; si conta au roi ceste cose et le pechié qu'il ne li osoit dire. Li rois reconnut son pekié qu'il avoit fait, si li caï as piés, et si li pria qu'il li aidast envers nostre Seigneur par ses prieres, et li sains hom commanda que il plus ne le fesist.
On fit remarquer que saint Gilles vivait longtemps après Charlemagne, et qu'il devait s'agir du roi Charles le Chauve, son petit-fils.
En 1563, le Concile de Trente prit la décision de censurer le "péché inavoué de Charlemagne"
N.B : la pupille des yeux est rehaussée de jaune d'argent.
Comparer avec La messe de saint Gilles, v.1500 par le Maître de saint Gilles, N.G. Londres :
En conclusion de ce cycle, on remarque que saint Gilles est celui qui dispose du pouvoir de pardonner une faute qui n'a pas été confessée , pourvu que le pêcheur en éprouve une réelle contrition : en un mot, il est le recours contre une faute inavouable.
Or, nous allons découvrir que le culte de saint Nicolas est, lui aussi, lié à la culpabilité et au pardon de fautes graves.
2. Registre supérieur : quatre scènes de la vie de saint Nicolas.
Les différents épisodes sont aussi représentés à la cathédrale de Chartres dans deux verrières à médaillons du XIIIe siècle ; la scène du miracle du saloir y est représenté par trois panneaux du début du XVe siècle.
1. Nicolas est intronisé évêque de Myre.
Nicolas, assis, reçoit l'ordination épiscopale par deux évêques : l'un le bénit alors que l'autre le coiffe de la mitre.
"Après cela, l’évêque de le ville de Myre étant mort, tous les évêques de la région se réunirent afin de pourvoir à son remplacement. Il y avait parmi eux un certain évêque de grande autorité, de l’avis duquel dépendait l’opinion de tous ses collègues. Et cet évêque, les ayant tous exhortés à jeûner et à prier, entendit dans la nuit une voix qui lui disait de se poster le matin à la porte de l’église, et de consacrer comme évêque le premier homme qu’il verrait y entrer. Aussitôt il révéla cet avertissement aux autres évêques, et s’en alla devant la porte de l’église. Or, par miracle, Nicolas, envoyé de Dieu, se dirigea vers l’église avant l’aube, et y entra le premier. L’évêque, s’approchant de lui, lui demanda son nom. Et lui, qui était plein de la simplicité de la colombe, répondit en baissant la tête : « Nicolas, serviteur de Votre Sainteté. » Alors les évêques, l’ayant revêtu de brillants ornements, l’installèrent dans le siège épiscopal."
Légende dorée de Jacques de Voragine.
Comparer avec :
Speculum historiale de Vincent de Beauvais traduit par Jean de Vignay, vers 1335, Bnf, Arsenal 5080 f. 307
2. Résurrection des trois enfant mis au saloir.
Nicolas ressuscite les morts, et pardonne à l'aubergiste (ou au boucher) criminel.
Comparer avec : Speculum historiale de Vincent de Beauvais traduit par Jean de Vignay. Sur cette enluminure, ce sont trois clercs, tonsurés, qui sont figurés, comme dans le texte du trouvère Wace.
Mais un examen attentif du vitrail de Malestroit montre, malgré la barlotière, qu'il s'agit ici aussi peut-être aussi de clercs, car on voit une couronne de cheveux à l'arrière, alors que la partie avant du crâne est rasée, ou, du moins, dépourvue de cheveux. On comprend que de telles images aient favorisé le glissement d'un récit de trois clercs ressuscités à celui de trois petits enfants.
Peinture sur velin. Feuillet 023, recto, du manuscrit messin "Les Heures de Jean de Vy et Perrette Baudoche Metz", vers 1435-1447. La encore, malgré leur petite taille, les trois garçons nus sont tonsurés, et correspondent à des clercs.
Scène 3 : Le saint bénit et ressuscite un pèlerin mort et remet en place le mât d'un navire (vitrail entièrement refait).
Scène 4 : Saint Nicolas est invoqué par des marins en perdition.
Cinq marins se trouvent en perdition, leur mât rompu,dans un navire très creux, doté d'un château-avant défendu comme une tour, et, à l'arrière, d'un gouvernail d'étambot : il peut être défini comme un cogue que Wikipédia définit ainsi :
"Il s'agit d'un voilier de commerce qui fut utilisé puis armé contre la piraterie pour les échanges entre les ports de la Hanse ; on pouvait l'armer de canons. Il possédait un mât et une voile carrée. Il y avait une nacelle de vigie juste sous la pointe du mât. Les cogues présentaient dès l'origine un château à l'étambot ; au cours du xive siècle, on leur adjoignit un château à l'avant du pont, ou gaillard d'avant.
La nacelle de vigie est bien présente mais le château-arrière n'est pas représenté. On devine une construction à clin. L'étai vient se fixer sur une pièce de bois oblique établie dans le gaillard d'avant, et que l'on retrouve sur le sceau de la ville de Stralsund :
D'autres détails sont retrouvés, comme l'oriflamme à l'extrémité du mât, ou encore les lais verticaux de la voile.
Saint Nicolas, dont seul le buste émerge de nuées, trace une bénédiction : il porte un anneau d'or au médius.
Dais :
Au dessus de la scène précédente, deux personnages —peut-être des donateurs— sont agenouillés face au Christ Sauveur du Monde (avec le globus crucifer). Au dessus de la scène du saloir, deux anges portent des phylactères .
On remarquera aussi l'alternance de couleurs des voûtes des niches, bleus et verts, au dessus des éléments rouge lie-de-vin centrés par une boule jaune.
3. Tympan.
Sur un fond rouge constellé d'astres d'or, qui reprend les armoiries de gueules à neuf besants d'or des Malestroit, , le Christ du Jugement Dernier, dans le soufflet supérieur reçoit les louanges de quatre anges porteurs de phylactères :
GLORIA IN EXCELSIS DEO / ET IN TERRA PAX
HOMINIBUS BONAE VOLUNTATIS
Voir le vitrail consacré à Saint Gilles à Troyes
Sources et liens :
GATOUILLAT (Françoise), HEROLD (Michel), 2005, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum VII, Presses Universitaires de Rennes, 367 p. 375 ill.
Topic-topos :
http://fr.topic-topos.com/saint-nicolas-de-myre-et-saint-gilles-du-gard-malestroit