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19 mai 2014 1 19 /05 /mai /2014 08:19

    Le cri du cœur d'Enée et le papillon : Zoonymie du genre Hesperia Fabricius, 1793.

 

      Nota bene : cet article est désormais complété et modifié par :

Zoonymie de la Virgule Hesperia comma.

Hesperia

  Hesperia était le nom que les anciens donnaient à l'Italie (Hesperia proxima) et à l'Espagne (Hesperia ultima) "à cause de Hesper étoile qui est à l'Occident" (P. Danet).  "Hesperus signifie occiduus et on donnait ce nom à l'Etoile du soir , que nous nommons l'Etoile de Vénus". Mais le nom lorsqu'il apparaît dans l'Énéide de Virgile, prend une valeur très forte, celle, sans craindre l' anachronisme, d'une sorte de Terre Promise, d'un Far West (traduction presque littérale d'Hespérie), la terre qui va concrétiser tous les espoirs des Troyens en fuite de leur ville saccagée pour fonder un nouveau royaume. La première occurrence  arrive dans le Livre I vers 530 :

Est locus, Hesperiam Grai cognomine dicunt,

terra antiqua, potens armis atque ubere glaebae

Il existe un lieu que les Grecs nomment Hespérie,

terre antique, puissante par ses armes et la fécondité de son sol.

Bibliotheca Classica selecta donne en note

 

(1, 530-534). Hespérie, Oenotrie et Italie sont en fait des synonymes en poésie. Hespérie est la traduction française d'un mot grec (Hesperia), désignant « le Couchant » et donné par les Grecs aux régions occidentales (par rapport à eux). En poésie, le mot est également utilisé pour désigner l'Espagne, toujours « le Couchant », mais par rapport à l'Italie. Au sens strict, l'Oenotrie (cfr aussi en 7, 85) est une contrée située entre Paestum et Tarente, mais le terme est utilisé pour désigner l'Italie. Les Oenotriens, descendants d'Oenotrus, fils de Lycaon, roi d'Arcadie, seraient venus en Italie plusieurs siècles avant la guerre de Troie, et auraient occupé la Lucanie et le Bruttium, au sud de l'Italie, mais auraient finalement donné leur nom à l'ensemble de la péninsule. Quant à l'Italie, elle doit probablement son nom à une forme grécisée d'un mot italique Vitelia (= pays des veaux). Quoiqu'il en soit, il ne désignait à l'origine que l'extrémité sud du pays, puis s'étendit progressivement vers le nord. Pour expliquer le mot, certains Anciens lui trouvèrent un éponyme en la personne d'un certain Italus, dont on fit notamment un roi oenotrien, fils de Télégon et de Pénélope, et qui aurait ensuite donné son nom au pays.  

On le retrouve au Livre III v.503, au Livre VII vers 4, mais Hesperio et Hesperiam (III, 163 ; III, 185 ; VIII, 148 ; XII, 360) Il faut pouvoir entendre ce nom comme l'aurait fait tout lecteur de Virgile du temps de Fabricius, l'entendre sonner glorieusement comme le But, l' Etoile vers laquelle Enée et ses hommes tentent, après maints orages, maints détournements, de parvenir. Il faut le resituer au cœur de l'épopée latine pour en saisir toute la force.

  C'est pour l'Hespérie que Enée s'arrache aux bras de Didon, provoquant son suicide. C'est vers Hesperia qu'il fait voile à partir de Carthage, affrontant la colère de Neptune : 

Francesco de Murra, Le départ d'Enée, v.1740, Musée des beaux-arts de Brest.

expo-art-italien 3886ccc

 

  Il peut être utile d'écouter les lamentations de Didon délaissée dans Didon et Enée de Purcell (When I am laid, acte III) par Simone Kermes ici pour mesurer la puissance dramatique d'Hesperia, et pour que ce nom de papillon ne soit pas seulement imagé par le bras tendu de Enée, mais aussi sonorisé.   

  Mais c'est la lecture des 12 livres de l'Eneïde qui permet réellement de voir ce nom revenir comme un leitmotiv, une hantise accompagnant, aspirant le héros et son peuple de Troie vers l'Italie.

  En même temps qu'il désigne pour Énée comme sous une forme cosmique ou astrale le sol sacré du pays à atteindre et qu'il le pare d'un nom idéal, il symbolise aussi, pour Virgile, l'Espérance qu'il formule pour Rome, celle de se dégager d'un siècle de guerres civiles et, sous la conduite d'Octave, de créer cet État paisible et prospère que chacun attend.

"Le poème [de l'Énéide] avait été conçu et commencé quelques onze ans plus tôt [que la mort de Virgile le 21 septembre de l'an 19 av. J.C], dans l'émerveillement et dans l'espoir de la paix revenue entre les Romains après un siècle de guerre civile. D'abord la victoire d'Actium et l'effacement d'Antoine[...] puis la modération d'Octave vainqueur, le rétablissement de la République." (Jacques Perret, Énéide, introduction, C.U.F; Les Belles Lettres : Paris, 1977).

Et ce poème s'ouvre ainsi :

...at nunc horrentia Martis

arma uirumque cano, Troiae qui primus ab oris

Italiam fato profugus Lauiniaque uenit

litora, multum ille et terris iactatus et alto

ui superum saeuae memorem Iuononis ob iram,

multa quoque et bello  passus dum conderet urbem,

inferretque deos Latio, genus unde Latinum,

Albanique patres, atque altae moenia Romae.

 

Je chante les combats du héros prédestiné qui  fuyant

les rivages de Troie aborda le premier en Italie, près de Lavinium ;

longtemps il fut malmené sur terre et sur mer

par les dieux puissants, à cause de la cruelle Junon, à la rancoeur tenace

il endura aussi bien des maux à la guerre, avant de fonder sa ville

et d'introduire ses dieux au Latium, le berceau de la race latine,

des Albains nos pères et de Rome au  aux altières murailles.(Trad. Boxus et Poucet).

 Cet horizon lointain et chéri qu'est l'Hesperia porte toutes les forces qu'évoquent ces premiers vers : la prédestination ; la lutte contre l'adversité ; l'exil ; l'endurance ; la fondation d'une Patrie ; la renaissance d'une terre natale.

 Curieusement, ce sens du mot Hesperia n'a pas été retenu par les auteurs qui se sont penchés sur ce qu'ils appellent "l'étymologie" du nom créé par Fabricius, et ils se sont tournés vers des personnages de la mythologie grecque, Hesperos, sa fille Hesperis, ses petites-filles les trois Hespérides :

Dans la mythologie grecque, Hespéros (en grec ancien Ἕσπερος / Hésperos), fils de Japet et de Clymène, frère d'Atlas, est un Titan.

Sa fille Hespéris est l'heure du soir, dans la mythologie grecque. Elle engendra les Hespérides avec Atlas.

Les Hespérides (en grec ancien Ἑσπερίδες / Hesperídes, « fille d’Hespéris, l’Occident, le Couchant personnifié ») sont les nymphes du Couchant, filles d'Atlas et d'Hespéris (ou de Nyx (la Nuit), ou de Phorcys et Céto selon les versions), ou même d'Hespéros.

On en compte traditionnellement trois,  Églé, Érythie et Hespérie). Elles résident dans un verger fabuleux, le jardin des Hespérides, situé à la limite occidentale du monde (probablement sur les rives océaniques de l'Espagne ou du Maroc).

Héra leur avait donné pour tâche de veiller sur les pommes d'or du jardin des Hespérides qu'elle leur avait confiées, et leur avait pour cela adjoint l'aide du dragon Ladon. (D'après Wikipédia).

Bien que Fabricius ait créé ce nom de genre en 1807, on le date de 1793, car il l'avait déjà utilisé comme nom d'espèce.

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Published by jean-yves cordier

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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