À propos de G. Lamyon, sur l' inscription de 1557 des sablières de l'église Saint-Émilion de Loguivy-Plougras.
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Rappel.
1°) Une première inscription figure sous le fronton du porche de l'église et indique "CESTE . CHAPPELE. FVT . COMMENCEE . 1516. ET . LA . TOVR . 1566.". Pour Millet, Castel et Huon 1996, l'architecte responsable de la construction du clocher-tour est Jean Le Tallandier, bien qu'il n'ait pas signé ici son travail comme à Plougasnou et à Ploubezre. Ce sont les caractères stylistiques de la construction qui incitent les auteurs à attribuer le clocher et le porche ouest a cet architecte morlaisien. D'autres documents auxquels je n'ai pas eu accès attesteraient que Fiacre de la Haye a travaillé sur Saint-Émilion en 1601.
2°) Sur la sablière du transept sud figure l'inscription "LE XVI : IOUR : DAPRILL : LAN : MIL : [V]: CENTZ : CINCQUANTE : UNG : LE : BOIS : DE : CHAPELLE : A : ESTE : FAIT ." ("Le seizième jour d'avril de l'an mil [cinq] cent cinquante et un (1551) le bois de cette chapelle a été fait".). Cette inscription encadrée par les bustes d'un homme (portant un casque) et d'une femme voisine les armoiries des Poulgras seigneurs de Trogorre, c'est à dire, en cette année 1551, de Jeanne de Poulgras et de son époux Hervé Le Rouge (ou de son second époux Jean de Kermarquer vers 1560).
3°) Dans la partie occidentale de la nef, au nord, une sablière N4 indique : LE : BOIS : DU : BOUT :DA[N]BAS : DE : CEANS : FAICT / : / AUGTE : G : LAMY ON GOUARN RE : A : P[RESE]NT : L : M : VCZ : LVII ("Le bois du bout d'en bas de céans fait [par ] Augte G. Lamyon Gouverneur à présent l'an mil cinq cent cinquante sept (1557)"). Cette inscription est centrée par un médaillon Renaissance montrant un homme jeune, et est encadrée par deux hommes tenant un phylactère, celui de gauche portant des binocles. On en déduit que "G. Lamyon" (ou pour certains "Auguste G. Lamyon") était gouverneur de la fabrique de Saint-Émilion en 1557.
4°) René Couffon signale avoir lu "en dessous" de cette inscription celle-ci "fet J. Guille". La confiance en ce témoignage est altérée par la lecture défectueuse de Couffon pour le texte précédant où il donne "Auguste Glamyon" au lieu de G. Lamyon.
5°) La sablière nord suivante (N. 5) montre huit médaillons à personnages autour d'un médaillon portant le monogramme G.P autour d'une herminette, suggérant que ce sont là les initiales du maître-charpentier.
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En résumé, nous avons un édifice débuté en 1516, dont la construction a lieu principalement entre 1551 et 1566 mais s'est poursuivie en 1583, et en 1601. En 1757, une sacristie fut construite, mais elle sera supprimée lors d'une agrandissement du chevet entre 1885 et 1887.
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Plan des localisations des inscriptions datées.
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J'ai recherché des renseignements sur ce "G. Lamyon", qui se désigne comme gouverneur en 1157 et qui fut donc le maître d'œuvre de la pose de la charpente "du bout d'en bas" de la chapelle, ce que j'interprète comme "de l'extrémité de la partie basse — occidentale— de la chapelle".
Or, le patronyme "LAMYON" est rare. Il est donné comme disparu de nos jours. Une recherche sur le site FILAE donne neuf résultats, sur des départements divers mais éloignés de la Bretagne.
Il faudrait se livrer à des recherches d'état-civil sur la commune et le département, mais cela ne relève pas de mes compétences.
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1. Jehan Layon, relieur à Troyes en 1401-1402.
En ligne, une première mention est celle d'un relieur de livres de Troyes, messire Jehan Lamyon :
Les relieurs de livres à Troyes : Jean LAMYON (1400-1402). Messire Jean Lamyon, écrivain et relieur.
Il figure sur la liste des écrivains et copistes au service des Ducs de Bourgogne dans l'ouvrage de Léon de Laborde - 1852 - Les Ducs de Bourgogne: études sur les lettres, les arts ..., Volume 3
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2. Guillaume Lamyon, de Laval, maître-charpentier en 1567.
Ce personnage est cité dans Bibliothèque d'humanisme et renaissance, Volumes 7 à 8, 1945
https://fr.scribd.com/document/254726789/Bibliotheque-d-Humanisme-Et-Renaissance-Tome-Vii-1945
"Pour la période de 1567 à 1571, le même dossier C4986 contient de précieux renseignements sur un nouveau personnage ….Dès 1er février , les miseurs reçoivent l'ordre de payer l. t à un architecte « mandé et venu exprès pour le faict de navigaige et entreprise que l'on veult faire et entreprendre sur la rivière ». Le 3 février 1567, Pierre Guillot, ingénieur venu de Laval, défrayé de tous frais, parcourt la Vilaine en bateau et note les réparations les plus urgentes. Le 9 du même mois, les habitants, qui voudraient hâter les travaux, délibèrent :
"Il est ordonné et faict commandement à Jehan Cormeir et Guillaume Tual, à présent recepveurs et miseurs des deniers de cette ville de Rennes, bailler et delivrer content et sans delay à Pierre Guillot, sculteur, et Guillaume Lamyon, maistre charpentier, venuz et mandez exprès de la ville de Laval en ceste ville de Rennes pour veoir et visiter le cours de la ripviere de Villaigne y passante, puis ceste ville jusques aux pontz et port de Messac et en faire rapport, description et procès verbal pour entendre le moyen de la rendre navigable si estre peult. A quoy ilsz auront vacqué en compaignie de Jullien Hindre, l'un des bourgeois de ladicte ville, Me Olivier Auleon son homme, et Symon Hubert, batelier. Et de ce ont presentement faict rapport et procès verbal qui est es mains ducict Auleon pour en faire portraict. Scavoir, pour une part, cinquante livres tant pour le service que paines et vacations desdictz Guillot et Lamyon et pour s'en retourner audict Laval. Item, la somme de 20 livres t. pour frayer et desbourser pour leurs despences d'aultres susnommez de leur compaignie audict voyaige qu'ilz ont faict par six jours sur ladicte ripviere... tout la somme de 71 livres t... sauf à faire raison ausdicts Hindre, Auleon et son homme de leurs paines et vacations lorsque ledi et Auleon aura faict ledict pourtraict... "
La présence de ce Guillaume Lamyon à Rennes en 1567 pour inspecter le cours de la Vilaine jusqu'au port de Messac afin de le rendre navigable et de le réparer, et la mention de sa profession de maître-charpentier, incitent à s'interroger : s'agit-il du "G. Lamyon" mentionné à Loguivy-Plougras ?
On objectera que, sur la sablière, G. Lamyon est qualifié de "gouverneur", qualité qui, si on la comprend dans le sens de "fabricien", suppose qu'il s'agisse d'un membre de la paroisse, propriétaire terrien, agriculteur ou marchand mais non professionnel du bâtiment. Néanmoins, ce patronyme n'est pas attesté, pour ce que j'en sait, dans la paroisse. D'autre part, les travaux semblent avoir été commandités par Jeanne de Poulgras plutôt que par la fabrique. Peut-on envisager que "gouverneur", désigne ici "celui qui préside au bon fonctionnement de quelque chose", (CNRTL), "celui qui a en charge quelque chose" ?
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3. Une précision sur "GOUARNRE "
. Le substantif "gouarneur" n'est pas une forme de "gouverneur" en moyen français, comme je l'avais trop rapidement pensé, mais c'est le mot breton pour "gouverneur". Le dictionnaire françois-celtique (1732) de Grégoire de Rostrenen donne :
GOUVERNEUR. Gouarneur. р.,gouarnearyen, gouarner. p. gouarneryen. Vannetais gouranour, p. gouarneryon,, gouarnouryan.
Il est attesté en 1499 dans le Catholicon de Jehan Lagadec :
http://www.catholicon.net/telechargement/catholicon_r_f_le_men_1867-rennes.pdf
Il est composé sur le verbe breton gouarn (gouarnn, gouuarn) "gouverner", présent dans le Catholicon manuscrit de 1464.
Si les bretonnants valident ma lecture, il faudrait comprendre l'usage d'un terme breton dans une inscription en français. Il faudrait souligner aussi la rareté d'un terme breton dans une inscription de sablières. D''autre part il faudrait envisager la possibilité que d'autre mots, comme le mystérieux AUGTE (ou AUNTE) , soit aussi issus du breton. Mais "Augte" et Aunte" n'ont aucune signification en breton.
En définitive, la graphie "GOUARNRE " me semble bien bretonne, mais cela ne me procure pas d'indice dans la compréhension de cette inscription, si ce n'est d'encourager l'idée que ce terme ne vienne pas renvoyer à la fonction de fabricien.
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4. Guillaume Lamyon et Pierre Guillot.
Dans le texte que j'ai extrait de la Bibliothèque d'Humanisme et de Renaissance, le maître-charpentier Guillaume Lamyon accompagne Pierre Guillot, "sculpteur", venant également de Laval. Les commentateurs estiment qu'il s'agit de Pierre Guillot, architecte à Laval où il construisit en 1575 la voûte à caissons du transept sud, puis le portail sud de la Trinité de Laval. plus tard, en 1575, Pierre Guillot se dit encore « maître maçon » dans le marché par lequel il s'engage à voûter la chapelle neuve de la Trinité. Il est le frère de Jean Guillot, architecte à Angers dès 1550, et qualifié en 1595 de "maître voyeur et visiteur des œuvres de maçonnerie en le duché d'Anjou". ( Isidore Boullier Recherches historiques sur l'église et la paroisse de la Trinité de Laval pages 141-142)
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Il paraît fort hasardeux de proposer de lire dans les deux lettres G.P qui entoure l'herminette dans le médaillon de la sablière N5 de Loguivy-Plougras les initiales (alors inversées) de Pierre Guillot. Certes.
Mais il est troublant de constater que René Couffon ait lu "Fet J. Guille" dans le voisinage de ces deux inscriptions de 1557.
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CONCLUSION.
Je souhaite donc proposer l'hypothèse que G. Lamyon, qui a pris en charge ("gouverner") la pose de la charpente de l'extrémité occidentale de la chapelle Saint-Émilion en 1557, peu avant la construction de la tour-clocher en 1561, soit identifié comme Guillaume Lamyon, maître-charpentier présent à Rennes auprès de Pierre Guillot, "sculpteur", en 1567 dans des travaux sur le cours de la Vilaine. La rareté du patronyme plaide en faveur de ce rapprochement.
La seconde hypothèse se plait à imaginer que ce Pierre Guillot qui deviendra ensuite maître-maçon et architecte de l'église de la Trinité à Laval en 1575 est celui qui a placé son monogramme G.P et son emblème professionnelle à coté de l'inscription préservant la mémoire du rôle de G. Lamyon.
Ces propositions sont lancées ici, comme des bouteilles à la mer, sur le flux de la Toile pour susciter les travaux complémentaires qu'elles méritent certainement aux yeux des passionnés du patrimoine de Loguivy-Plougras.
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SOURCES ET LIENS.
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— COUFFON (René) 1939, Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, extrait des Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc, Les presses bretonnes, 1939, p. 233-235.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6562108b/f29.image
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6562108b/f46.image
— DUHEM (Sophie) 1998, « Quant li goupil happe les jélines... », ou les représentations de Renart dans la sculpture sur bois bretonne du XVe au XVIIe siècle, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1998 105-1 pp. 53-69
http://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1998_num_105_1_3972
— DUHEM (Sophie) 1997, Sablières sculptées de Bretagne : images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérite bretonne (XVe-XVIIe s.). Thèse de doctorat en Histoire. Sous la direction de Alain Croix. Soutenue en 1997. à Rennes 2 .
— DUHEM (Sophie) 1998, Les Sablières sculptées de Bretagne, Presses Universitaires de Rennes, 390 pages. Pages 66-69-72-183-232-233-266-267-277-278 :
— MILLET (Christian), CASTEL (Yves-Pascal), HUON (Michel), 1996, Jean Le Taillandier, architecte de la Renaissance", Bulletin de la Société archéologique du Finistère page 199-215.
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