Les vitraux de l'église de Moncontour (22). I. La baie 7 : la verrière de la vie de saint Yves (1537).
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Voir aussi sur les groupes de Saint Yves entre le Riche et le Pauvre :
La verrière de Saint Yves de la chapelle de Coligny, église des Iffs (35) Date de 1587.
Saint Yves entre le Riche et le Pauvre, bois polychrome du XVIe siècle de la cathédrale de Quimper.
La chapelle Saint-Adrien à Plougastel (3) Groupes : Saint Yves, saint Martin et saint Éloi.
L'église Sainte-Marie-Madeleine de Dinéault V : Le triptyque de saint Yves entre le Riche et le Pauvre. (XVIIe siècle)
L'enclos paroissial de Saint-Herbot à Plonévez-du-Faou II. La chapelle saint-Yves : ses Niches et son vitrail de saint Yves. (XVIIe siècle)
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Sur les vitraux de Moncontour, voir :
Le vitrail de l'Arbre de Jessé ou baie 6 de l'église de Moncontour, vers 1538.
Les vitraux de l'église de Moncontour. II. La baie 5 de la Vie de sainte Barbe (1538).
Les vitraux de Moncontour (22). III. La maîtresse-vitre (vers 1538) de l'Enfance du Christ.
Les vitraux de Moncontour. V. la verrière de la Vie de saint Mathurin ou baie 6 (vers 1500-1525).
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Sur les vitraux "du groupe rennais" du XVIe siècle, voir
- Les vitraux de l'église Saint-Ouen, Les Iffs (Ille-et-Vilaine). Première partie : la Passion de la maîtresse-vitre (vers 1530).
- Les vitraux de l'église de Saint-Ouen des Iffs : seconde partie, les chapelles (1535-1545)
- Les vitraux (1551) de l'église de La Ferrière (Côtes d'Armor) Michel Bayonne.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Beignon (Morbihan) vers 1540-1550. Michel Bayonne.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Moulins (Ille-et-Vilaine) vers 1560. Michel Bayonne.
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Sur les vitraux de Moncontour, voir :
Le vitrail de l'Arbre de Jessé ou baie 6 de l'église de Moncontour, vers 1538.
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"L'église Notre-Dame et Saint-Mathurin de Moncontour possède six vitraux anciens, qui forment l'un des les plus remarquables ensembles vitrés du XVIe siècle en Bretagne. Cet ensemble a été réalisé entre 1520 et 1540 environ en plusieurs temps et par plusieurs ateliers différents... Les trois verrières nord de l'église (baies 3, 5 et 7) se distinguent de toutes les autres par leur exceptionnelle qualité. Pour cette raison, et par leur caractère "très français", René Couffon comme Jean Lafond (*) proposent de les rattacher à la production rennaise contemporaine. D'eux d'entre elles sont datées, respectivement, de 1537 (baie 7, vie de saint Yves) et de 1538 (baie 5, vie de sainte Barbe) " (Gatouillat et Hérold 2005 p. 82).
(*) Dans Le vitrail français (1958, page 235), Jean Lafond souligne l'importance des peintres verriers de rennes, auxquels il attribue les "œuvres très françaises" des Iffs, de La Guerche, de La Ferrière et de Moncontour".)
"Peut-être les œuvres les plus séduisantes du XVIe siècle breton. Ces trois suites narratives, vies de saint Yves, de sainte Barbe et de saint Jean-Baptiste réalisées vers 1537, sont en effet d'une exceptionnelle richesse, d'une exécution et d'une ornementation brillante. Elles ont la qualité des verrières normandes du temps et pourraient puiser leur source dans la peinture flamande, anversoise peut-être. Antérieures à l'activité documentées de Michel Bayonne, elles ne doivent en aucun cas lui être attribuées, mais semblent être en mesure d'être reconnues comme une manifestation de la façon de rennes, dont seraient soulignées la diversité, aussi bien que les dénominateurs communs : le damas jaune des costumes de Moncontour ne se retrouve-t-il pas identique dans la verrière d'axe de Beignon ?".Gatouillat et Hérold 2005 ).
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"Il est remarquer que les architectures sont très trapues et même lourdes, telles que l'on en trouve dans certains vitraux d'Ille-et-Vilaine, d'ailleurs excellents, à la Baussaine, Champeaux, etc.
Nous croyons donc que c'est peut-être à un atelier de Rennes qu'il faut attribuer ce beau vitrail, sans toutefois en avoir la moindre certitude.
Ce vitrail a beaucoup d'analogie avec les vitraux voisins de sainte Barbe et de saint Jean, notamment dans la facture des décors des architectures renaissance, où le jaune d'argent est répandu à profusion. Les tons des verres sont également les mêmes, les fabriques des fonds également, peintes en bleu foncé avec touches de jaune d'argent. Il y a cependant, dans certaines parties, de grandes différences d'exécution, peut-être à cause des restaurations, peut-être aussi parce que le maître verrier n'avait dans le premier cas aucun carton et pour les deux autres des cartons flamands.
Par exemple, si l'on compare l'ange assistant saint Yves à sa mort et l'ange du baptême de sainte Barbe, l'on voit aux deux la même robe jaune tandis que la facture des figures et des chevelures diffère profondément." (Couffon)
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Ainsi, cette baie 7 offre-t-elle deux sources d'intérêt : l'une, iconographique, est de découvrir des scènes de la Vie de saint Yves complétant le très fréquent tableau d'Yves entre le Riche et le Pauvre. L'autre, stylistique, est d'étudier l'activité de cette production "rennaise" du deuxième quart du XVIe siècle.
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Haute de 7 mètres et large de 1,90 m, la baie 7 comporte 3 lancettes — celles de droite et de gauche cintrées) de 21 panneaux, divisés en trois registres, et un tympan à 5 ajours et 2 écoinçons. Elle a été restaurée et complétée en 1891-1893 par l'atelier parisien d'Albert Bonnot.
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"Ce vitrail, qui orne la dernière fenêtre de la longère nord, près du pignon ouest, est consacré aux oeuvres de miséricorde accomplies par saint Yves.
La fenêtre est divisée verticalement par deux meneaux en trois lancettes. Chacune des lancettes renferme six panneaux de verre peint, réunis deux à deux pour représenter un tableau. Chaque lancette comporte ainsi trois tableaux, séparés entre eux par de lourdes architectures renaissances sur lesquelles s'étale toute la grammaire décorative : arabesques, puttis, bustes de faunes, petits bustes de femmes, dauphins affrontés, coquilles, etc., etc. Des colonnes torses et cannelées supportent ces architectures.
Notons que, dans toutes les scènes à l'exception de la troisième, saint Yves porte le costume d'official, cotte et camail rouge, housse blanche parsemée d'hermines, chaussons violets, et qu'il est coiffé d'un béret rouge. " (Couffon)
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REGISTRE INFÉRIEUR. SAINT YVES ENTRE LE RICHE ET LE PAUVRE.
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Elle est disposée sous une travée d'architecture dont les supports portent chacun un cartouche avec la date de 1537.
"Toute la partie inférieure de ce tableau a été refaite.
Au centre, devant un damas vert bordé d'un galon d'or perlé et frangé de bleu et or, le saint tient à la main le rouleau du procès. A gauche, le pauvre, en souliers blancs, chausses trouées et rapiécées, manteau gris à ceinture rouge, et portant à la main son bonnet jaune.
A droite, le riche, en toque rouge à ornements jaunes, houppelande violette doublée de fourrure, tunique de damas or s'ouvrant sur une fine chemise, ceinture verte, bourse bleue, bas des manches et chausses rouges, fourreau d'épée violet.
A gauche et à droite des deux derniers personnages, fabriques analogues aux précédentes. Les deux colonnes portent chacune un cartouche avec la date de 1537.
L'on a voulu reconnaître dans les lointains des paysages des environs de Tréguier et faire honneur de ce vitrail aux verriers de cette école. Or, si l'on examine attentivement les fabriques, l'on voit qu'il n'en est rien et qu'elles sont semblables à celles des graveurs flamands, qui, comme l'on sait, les avaient eux-mêmes empruntées aux Lombards . D'autre part, les riches perlages des costumes, les angelots, les petits bustes des architectures, dénotent également une influence flamande très caractéristique, influence de Flamands imbus de la Renaissance italienne." (Couffon)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La scène se déroule sur une tribune de style Renaissance inspirée par les monuments romains. Une longue architrave de marbre blanc est ornée d'entrelacs contournés dorés, et porte un appareil où alternent les pots à feu, les putti, ou des candélabres. Une tenture verte y est suspendue, bordée d'orfrois à perles et gemmes, ourlée de franges, et frappée de décors damassés de grenades. Le sol est dallé de marbre bicolore bleu clair et gris. Le point de fuite de la perspective correspond à la tête du saint.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Mathurin Méheut, "Vive la Saint-Yves", crayon gouache, papier, 17 mai 1936. Musée Mathurin Méheut de Lamballe
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En 1537, l'artiste pouvait avoir accès à l'une des quatre éditions successives des Grandes Croniques de Bretaigne d'Alain Bouchart rédigées à la demande d'Anne de Bretagne et éditées pour la première fois en 1514 par Jehan de la Roche pour Galliot des Près. Le chapitre XX du quatrième livre est consacré à saint Yves, avec une gravure montrant Saint Yves et le Pauvre.
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Il pouvait y lire :
"Et neautmaintz qu'il feust official de Treguer, si fut il advocat des pouvres et miserables personnes, et s'emploioit bien voluntiers à pacifier les parties et à les mectre d'acord ; car par tout où il congnoissoit pouvres gens qui pleidoient, il prenoit la charge de leurs causes, et, s'il les congnoissoit desraisonnables, il les mectoit d'acord et ne les soustenoit en procès ; et où il veoit que les pouvres gens avoient bon droit et n'avoient de quoy poursuivir leurs procès, il conduisoit à ses dépens les appellations des sentences donnees es bons procès des pouvres jucques à Rennes et à Paris, tellement qu'il en venoit à bon chef, car il avoit tousjours Dieu avceques luy". (Grandes croniques, folio 147)
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Le Pauvre.
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Déguenillé comme il se doit, il tient respectueusement son chapeau de feutre à la main. Il est vêtu d'une chemise boutonnée sur le devant et serrée par une ceinture rouge, d'une veste bleue, de chausses rapiécetées, et de méchantes chaussures dont les pièces de cuir ne protègent pas les orteils.
Les deux genoux du Pauvre sont fléchis, ce qui contribue, comme le fait qu'il soit en marche vers la droite et représenté de profil, à s'opposer au Riche, campé de face, jambes écartés, parfaitement d'aplomb. Le pauvre homme est le plus petit des trois protagonistes. Il est voûté, ses cheveux sont blancs et mal peignés, ses lèvres crispées par l'amertume et la peur.
En arrière plan, une montagne domine une vallée où coule un fleuve.
Comparez avec Le Vagabond de Jérôme Bosch (entre 1490 et 1510)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Saint Yves.
La partie inférieure de la figure du saint refaite.
Le saint porte le costume d'official, c'est à dire de Juge des affaires ecclésiastiques : la cotte et le camail rouge, le surplis blanc parsemée d'hermines, les chaussures violettes. Il est coiffé d'un bonnet rouge proche de la barrette. Il est tourné vers le Pauvre et il lit avec un sourire bienveillant sa défense (son placet), qui tient sur une feuille de parchemin.
« Les vitraux de Moncontour et ceux des Iffs présentent ainsi de nombreux points communs, sans que l’on puisse parler de copies : tunique rouge et surplis blanc orné d’hermines pour saint Yves, tenue et posture assez proches pour le riche.
Une autre grande qualité demandée aux prêtres est d’afficher un caractère calme et pacifique. Le visage d’Yves Hélori apparaît ici serein et accueillant, n’exprimant aucune passion mais seulement une certaine béatitude. Enfin, le bon prêtre doit posséder certaines vertus. Les deux premières grandes qualités, particulièrement mises en valeur dans l’iconographie du groupe, sont l’équité et l’incorruptibilité de l’homme de Dieu. Il faut rappeler que le clergé avait des compétences judiciaires et qu’Yves Hélori avait exercé la charge d’official ou juge ecclésiastique. Dans tous les groupes, des plus anciens aux plus récents, saint Yves refuse l’argent du riche ou repousse ses propositions indécentes d’un geste de la main. Le message ainsi illustré est le suivant : la justice divine, matérialisée parfois par la présence de la colombe, symbole du Saint-Esprit, n’est pas accessible à la corruption, par opposition à la justice humaine. Écartant le riche, saint Yves est souvent représenté penché ou simplement tourné vers le pauvre pour mieux l’écouter, pour prendre les éléments de son sac à procès voire pour le protéger des attaques du puissant plaideur. Sur le vitrail des Iffs, le saint tend la main pour prendre le placet du pauvre et sur celui de Moncontour, il lit les plaintes du malheureux. Les hommes sont donc égaux devant la justice divine, même si saint Yves semble s’intéresser prioritairement au pauvre. En fait, le saint homme rééquilibre l’inégalité entre les deux plaideurs et met en confiance le pauvre plus qu’il ne le favorise." (V. Montarou)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Le Riche.
Son portrait évoque celui de François Ier par Jean Clouet vers 1530, tel qu'il est décrypté par Anne Sophie Lambert (BnF). On y retrouve la posture de face au visage de trois-quart, la toque de velours rouge, ornée de médailles et barrettes d'or, et d'où émerge des plumes bleue et rouge, les cheveux non bouclés et couvrant l'oreille, la barbe taillée courte, la fine chemise blanche à bordure de dentelle, sans col. Nous admirons aussi la richesse du pourpoint de drap damassé d'or et dont deux boutons encadrent une fente médiane formant une taillade, et la jupe doublée d'hermine,qui doit être le prolongement d'une saie. Comme tout seigneur, notre Riche pose la main sur le pommeau de son épée, dont le fourreau est bleu.
Une autre parallèle peut être établi avec le portrait de Henri VIII par Hans Holbein le Jeune, peint en 1537. Nous y trouverons les bas rouges et les chaussures au bout élargies "en pattes d'ours" et à crevés. C'est aussi sur ce portrait que nous observerons la pelisse de drap bleu entièrement doublée de fourrure, aux manches larges et courtes fendues par des taillades aux bords brodés et à l'ouverture resserrée par un bouton. Par ces manches passent les bras d'une tunique rouge, là encore tailladée de crevés en soufflets et issant de dentelle aux poignets. De même, la taille de notre gentilhomme est entourée, un peu comme sur le portrait d'Henri VIII, d'une ceinture, de couleur verte, serrée par un nœud gansée.
L'élément important est la bourse de velours bleu, bien pleine, et dans laquelle le seigneur vient sans doute de prendre une pièce d'or qu'il tend au saint. Je ne distingue pas cette pièce, mais la position des doigts, et la proximité de la main et de la bourse me suffise pour me convaincre qu'elle est bien présente.
En somme, ce Riche n'est pas un nanti local, un marchand qui a réussi, c'est la figure des droits de la Noblesse et du Pouvoir Royal.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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REGISTRE MOYEN. YVES ET LES PAUVRES.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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"4ème tableau. Au premier plan, saint Yves verse avec une aiguière jaune de l'eau sur les mains d'un infirme, appuyé sur une béquille et vêtu de haillons bleus. Au fond, saint Yves recueille des pauvres à sa table. Le saint est assis à table avec cinq convives. A sa droite, l'un en jaune rouge, à sa gauche, un autre en bleu. Du troisième l'on ne voit que la tête ; un quatrième, de dos, est vêtu de vert, avec bras gauche et épaule nus. Enfin, à côté et de dos également, le cinquième vêtu de bleu. Un serviteur, en bonnet de feutre rouge et veste verte, apporte un plat." (Couffon)
"Dans la deuxième travée, la vie toute de charité du saint est figurée. Il lave lui-même les plaies d'un infirme. Puis il admet les mendiants à sa table. Ceux-ci, loin de s'en montrer reconnaissants, se comportent mal. L'un crache dans le plat qu'on lui présente. Un autre a accaparé un pichet qu'il cache derrière son dos, etc. Saint- Yves, qui n'attend pas sa récompense ici-bas, voit tout, ne s'en offense pas, offre à Dieu ces humiliations et garde un visage doux et aimable." (Lorin)
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"Saint Yves partage le repas des pauvres. au premier plan, il leur lave les mains, au second plan il est à table avec eux, l'un crache dans le plat qu'on lui présente, l'autre accapare un pichet et le cache derrière lui." (Gatouillat et Hérold).
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Un pauvre qui crache dans le plat ? À d'autres ! Je vois plutôt une allusion à la Cène — par la disposition des personnages — , mais aussi un affamé qui ronge un os, je vois une bourse pleine posée sur la table, je vois un démuni à l'épaule nue, "etc."
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"Jamais, dit Yves Catoïc, on ne l’a vu refuser l’aumône. Quand il n’avait plus d’argent, il distribuait le pain de sa maison, souvent la fournée tout entière. Lorsque le pain était distribué, il donnait ses vêtements, et plus d’une fois on l’a vu se dépouiller lui-même pour habiller les pauvres nécessiteux. Comme sa maison ne suffisait pas pour loger tous les malheureux qui s’y pressaient, il fit bâtir, tout auprès, un hôpital pour les recevoir, et là, dit Geffroy, son ancien vicaire, il leur donnait tout le bien qu’il avait reçu du bon Dieu. Avant de dîner lui-même, il distribuait, de ses propres mains, du pain aux pauvres qui se trouvaient à sa porte. S’il n’y en avait pas assez, il allait les chercher et en invitait même un certain nombre à manger avec lui. Il les faisait asseoir à sa table, partageait avec eux son morceau de pain d’orge, les légumes et les fèves de ses champs, et comme il n’y avait chez lui que de l’eau pour toute boisson, il en faisait boire à ses convives improvisés et buvait ensuite dans la même écuelle. Quand j’ai dit qu’il les faisait asseoir à sa table, c’est une manière de parler, car sa table, à lui, c’était la terre nue sur laquelle il s’asseyait avec ses amis, les pauvres, qu’il regardait aussi comme les amis du bon Dieu. Après le repas, il mettait discrètement dans le bissac de chacun un gros morceau de pain pour leur souper.
Si les hôtes de Kermartin étaient des malades ou des infirmes, le saint prêtre savait varier son menu : une soupe au lard, une écuellée de cidre, parfois un peu de vin et d’autres délicatesses, qu’il se refusait impitoyablement à lui-même. Quand la nuit était proche, il les retenait à coucher, leur lavait lui-même les mains, les seules fois sans doute où l’eau touchait à leur épiderme endurci, leur servait tout ce qu’il y avait de friandise dans sa pauvre demeure ; puis après avoir préparé, de ses propres mains, un lit pour les coucher, il leur aidait à s’y mettre. Pour lui, il prolongeait longuement dans la nuit son travail et ses prières, jusqu’à ce que la fatigue ne l’obligeât à s’étendre sur la terre humide, dans un coin quelconque de sa chambre. Un jour, lisons-nous dans son office, un pauvre arriva un peu tard à Kermartin, et de crainte d’importuner la maison, il se coucha sur une pierre qu’on montre encore non loin de la porte. Yves, en sortant le matin de bonne heure, heurta ce pauvre tout glacé et presque mort de faim et de misère. Aussitôt il le fait entrer, le couche dans son lit, le recouvre de ses propres vêtements, et pour se punir de cette faute bien involontaire pourtant, se met lui-même, la nuit suivante, à la place du pauvre et prend son sommeil sur cette pierre dure, sans aucune couverture, pendant un hiver très rigoureux." (Abbé France, 1893)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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"5ème tableau. Au premier plan, saint Yves fait l'aumône à deux pauvres. Le premier, en chemise et chausses violettes, porte à son côté une gourde ; l'autre, derrière lui, est vêtu de bleu. Dans le fond, sous un édifice à arcades carrelé en brun et blanc, un malade, le torse nu et la tête bandée, occupe un lit avec draps et couverture verte. A son chevet, banc et récipient jaune. Saint Yves est près de lui et le soigne. A côté, dans une scène coupée, le saint ensevelit un mort." (Couffon )
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"Dans le tableau suivant, saint Yves fait l'aumône à deux pauvres. Dans le fond, à gauche, il visite et soigne lui-même les malades, tandis qu'à droite il ensevelit et enterre les morts, avec l'aide d'un frère pénitent." (Lorin)
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"Au premier plan, Yves fait l'aumône à des estropiés. Au second plan, il est au chevet d'un malade" (Gatouillat et Hérold).
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La mort de saint Yves sur une claie, entre deux anges, et son apothéose où son âme est conduite au ciel par deux anges.
"6ème tableau. Mort de saint Yves. Le saint, nu-tête, est couché sur une claie bleue, posée sur un carrelage vert, et veillé par deux anges, l'un en robe jaune avec ailes violettes, l'autre en robe violacée avec ailes rouges. Dans le fond, fabriques en grisaille avec pointes de jaune d'argent. En haut du tableau, l'âme du saint, sous la forme d'un petit personnage nu, est portée au ciel par deux anges, vêtus comme les précédents. " (Couffon)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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TROISIÈME REGISTRE.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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"1er tableau. Saint Yves, au premier plan, écoute les leçons d'un cordelier de Rennes et prend des notes tandis que ses camarades paraissent s'ennuyer [Note : Témoignage 29 du Procès de canonisation de saint Yves : « J'allais au couvent des Frères Mineurs de Rennes entendre expliquer le quatrième livre des Sentences et la sainte Ecriture. Alors, sous l'influence des divines paroles, je me pris à mépriser le monde et à désirer ardemment les biens célestes »].
A côté du saint, un vieillard à barbe blanche, en toque verte et vêtement jaune, puis un jeune homme coiffé d'un chapeau de feutre à fond plat violet et vêtu d'un habit rose violacé à col jaune ; enfin, à droite, un vieillard barbe blanche, en chapeau bleu, robe bleue, pourpoint rouge à bouffants jaunes et manches pendantes vertes. Le cordelier, en froc gris-brun, enseigne dans une chaire brune. Dans le fond de ce tableau, saint Yves sert la messe dans une église aux murailles violettes. L'officiant porte une chasuble bénédictine blanche et or et une aube à parement. L’autel, sans tabernacle, avec retable blanc et or, est surmonté d'un dais rouge. Dans ce panneau, l'emploi abondant du jaune d'argent est à remarquer, la tête de saint Yves et celle du cordelier ont été refaites à l'époque moderne." (Couffon)
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"Dans la perspective, saint Yves, enfant, répond la messe. Il porte déjà le costume qu'il ne quittera plus : la robe et le béret écarlate, fourrés d'hermine, avec le nimbe d'or. — Le saint devenu écolier assiste à un cours fait par un religieux. Assis au pied du maître, il écoute attentivement, prend des notes, tandis que ses condisciples rient, causent, dorment." (Lorin)
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"Au premier plan, saint Yves écoute l'enseignement d'un moine franciscain, au second plan, il sert la messe, images de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l'Évangéliste sur le retable de l'autel." (Gatouillat et Hérold)
Ces quelques citations illustrent la liberté imaginative des commentateurs, puisqu'il est évident que saint Yves tourne le dos au prédicateur, qu'il lit mais ne prend aucune note, et qu'il détourne à son profit l'attention d'un jeune garçon. L'homme âgé qui est devant lui porte un habit à franges rituelles. En réalité, je pense que l'artiste a illustré ce passage des Grandes croniques de Bretaigne d'Alain Bouchart :
"Après que le bon sainct Yves eut esté instruyt et parfait es sciences de grammoire, des ars, des droitz canon et civil, et aussi qu'il fut principié en la science de théologie, il se retyra en la ville de rennes et fut official de l'archidiacre de rennes par quelque temps. Et ce pendant qu'il estoit official, il frequentoit les lectures d'un religieulx théologien ou couvent des Freres mineurs de Rennes, soubz lequel il ouyt le quart livre de Sentences et grant partie de la Bible et aprint et retint moult de vertueuse doctrine, car le lecteur estoit sainct homme ; et oncques puis ne fut curieulx sainct Yves des plaisances mondaines ensuyvir." Bouchart Alain, Grandes croniques de Bretaigne, Paris, 1986, t. 2, ch. XX, p. 14.
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Saint Yves suit sur son livre le commentaire donné en chaire par le franciscain. J'accède ainsi à une meilleure compréhension du vitrail, ce qui m'amène à lire avec intérêt le passage suivant :
"Ce séjour rennais est également marqué par un événement personnel de grande importance. Yves profite de l'existence d'un studium franciscain dans la ville pour aller y écouter les leçons qu'on y donne. C'est en suivant cet enseignement, comme il le confiera plus tard avec réluctance au frère Guyomar Morel, qu'il commence à envisager de changer radicalement le cours de sa vie. « Il entendait expliquer le quatrième livre des Sentences (de Pierre Lombard) et la Bible, et les divines paroles qu'il écoutait le portèrent à mépriser les choses de ce monde et à désirer passionnément les biens du Ciel. Un studium assure la formation avancée des frères : ce n'est pas une simple école conventuelle à l'intention des novices, mais un centre d'études plus complet où l'on enseigne à la fois la philosophie, la théologie, le droit canon et les Saintes Écritures, éventuellement préparatoires à l'envoi à l'Université des esprits les plus brillants qui seront alors hébergés dans des couvents proches de ses murs et bien équipés . [..]L'enseignement dispensé demeure des plus classiques pour l'époque : les Sentences de Pierre Lombard (mort en 1164) tiennent lieu, pour les universitaires comme pour les professeurs de l'ordre des frères Mineurs, de manuel de base dans les études religieuses, car l'intégralité de la doctrine chrétienne s'y trouve exposée de façon accessible et canonique. Le quart livre des Sentences porte sur l'Église et les Fins dernières : il procure un commentaire ordonné du devenir de l'âme après la mort en étroite relation avec la sacramentaire ecclésiale. L'idée directrice était que c'est dans la mesure où l'homme vit en Jésus-Christ grâce aux sacrements offerts par l'Église qu'il parvient , avec la communauté des croyants, à l'éternelle béatitude. Nous ignorons l'esprit et la teneur exacte des commentaires faits sur cet ouvrage vénérable et sur les Écritures devant l'official Yves Hélori : ils le bouleversèrent en tout cas cette fois car il avait certainement entendu d'autres gloses sur le même livre à Paris. Peut-être est-il plus réceptif à l'argumentation sensible d'un maître franciscain qu'à la rigueur raisonnante d'un scolastique." Yves de Tréguier : un saint du XIIIe siècle. Jean-Christophe Cassard - 1992
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En arrière-plan, Yves est figuré tenant la chasuble d'un prêtre célébrant la messe, mais son costume et son nimbe s'accorde difficilement à l'hypothèse que cela se réfère à son enfance. Sur le retable, les deux saint Jean encadrent un saint évêque.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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"2ème tableau.
Saint Yves, assis dans la chaire de l'official de Tours, interroge une jeune fille du diocèse de Tréguier qui niait obstinément son mariage à tout autre qu'à saint Yves [Note : On a voulu voir dans ce tableau le procès de l'hôtesse de saint Yves à Tours où celui-ci prononça sa célèbre plaidoirie mais De La Borderie a fait très justement remarquer que dans ce procès il n'était qu'avocat tandis que dans l'autre affaire il était juge, comme représenté sur le vitrail].
Le vêtement de la jeune fille est fort riche. Sa coiffe de drap d’or est brodée de perles, ses manches sont de brocart d'or, sa tunique verte et sa robe rouge sont également garnies de larges rubans d'or à perlages.
Au premier plan, le greffier, vêtu de chausses violettes et d'une robe bleue foncée à col jaune et guimpe blanche, inscrit la déposition. Il est coiffé d'un béret violet. Dans le fond, sur un damas vert bordé d'un riche galon d'or perlé, se détachent deux témoins en robes et bérets respectivement bleus et violets." (Couffon)
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"Cette scène rappelle le miracle de Tours. Official, il siège sur son tribunal. La veuve tient en main la sacoche à elle confiée par deux marchands qui l'avaient assurée pleine d'or, alors qu'elle ne contenait que des pierres. Ils se réjouissent de leur supercherie, mais le saint, qui la reconnue, dicte à son greffier la sentence qui les déboute de leurs exigences." (Lorin)
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"Saint Yves, official, interroge une jeune femme qui tient en main la sacoche qui lui avait été confiée par deux marchands comme étant pleine d'or, alors qu'elle contenait seulement des pierres. (Gatouillat et Hérold).
N.B : la jeune femme ne tient pas "une sacoche", mais un sac à procès.
"Il s’est passé, vers le même temps, un fait extraordinaire dont a parlé Jean de Coëtfrec, et l’abbé de Bégard s’en est fait l’écho durant la procédure. Il s’agissait d’un jeune homme de Louannec qui avait épousé une fille de sa paroisse. Celle-ci se refusant à suivre son mari, en appela aux tribunaux pour faire invalider son mariage. Yves fut encore appelé pour plaider cette affaire et défendre le jeune homme. En sa présence, la fille de Louannec affirmait que réellement elle avait épousé ce jeune homme et qu’elle ne voulait pas d’autre mari que lui. Devant le tribunal, au contraire, elle le niait obstinément. La même scène s’étant répétée plusieurs fois, la cause fut portée jusqu’à Tours. L’official qui était chargé de la juger fut fortement étonné en présence d’un fait qui lui révélait la sainteté de l’avocat. Ne sachant comment en venir à bout, il descendit de son siège et chargea Yves de porter le jugement, ce qu’il fit pour le plus grand bien des deux contestants." (Abbé France)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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"3ème tableau. Miracle de la messe de saint Yves. Au premier plan, saint Yves, revêtu d'une riche chasuble bleue avec croix brodée d'or portant l'écu de Bretagne, célèbre la messe. Au moment de l'Elévation, la colombe blanche du Saint Esprit apparaît et remplit l'église d'une lueur éblouissante, figurée par des rayons d'or. Un assistant, vêtu de rouge, tient un cierge de la main gauche, et de la droite relève la chasuble . Au second plan l'on aperçoit les têtes de trois personnages.
Dans le fond, saint Yves distribue son blé aux pauvres. Le saint regarde un homme, en cotte bleue et chausses vertes, remplir avec une pelle un sac que lui tient un autre personnage vêtu de jaune. Un troisième emporte sur son dos un sac plein. La scène se passe dans un grenier aux murs violets avec oculus bleu." (Couffon)
" Il disoit, tous les jours, fort devotieusement son service & celebroit la Sainte Messe, avant que de se vétir des ornemens Sacerdotaux, il se mettoit à genoux devant ou à costé de l’Autel auquel il devoir dire la Messe, le visage couvert de son chapperon, les mains jointes, le coeur élevé en Dieu, se recolligeoit, &, après la Messe, en faisoit de mesme ; & une fois, en la grande Eglise de Treguer, pendant qu’il faisoit ses Actions de grâces après la Messe, une belle Colombe, environnée d’une grande clarté, s’estant reposée sur son chef, s’envola sur le grand Autel & y demeura quelque temps, puis disparut. " (Albert le Grand)
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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LE TYMPAN.
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Le tympan renferme cinq mouchettes.
Dans l'ajour sommital, Dieu le Père bénissant (presque entièrement refait).
En dessous, séraphins et chérubins, chœur d'anges dans les nuées, aux patrons retournés.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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DISCUSSION.
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Guidée par d'illustres auteurs, notre découverte de cette verrière s'est laissée happée par le sujet hagiographique, par la description des scènes figurées et par leur interprétation. Rien n'a été dit de la technique, et rien n'a été dit non plus du décor, et rien de l'intégration de cette verrière dans un programme général des vitraux de Moncontour.
Un programme général.
— La verrière d'axe a été réalisée vers 1520-1530, offerte par Claude de la Villeblanche, grand panetier de la reine Claude de France en 1522, et par Jacques de la Motte, seigneur du Vauclerc. Elle représente l'Enfance du Christ.
— Entre 1500 et 1525 la baie 6 a reçue la verrière de la Vie de saint Mathurin, patron de l'église, offerte par Jacques de la Motte.
— Vers 1530-1540 est posée la baie 4 ou verrière de l'Arbre de Jessé, thème dont on connait la valeur comme défense du dogme de l'Immaculée-Conception.
— Vers 1535-1540 a été vitrée la baie 3, ou Verrière de la vie de saint Jean-Baptiste, offerte par Jean Le Mintier et Marie Le Moine.
— En 1537 la baie 7 reçoit la vitre de la Vie de saint Yves.
— En 1538 la baie 5 reçoit celle de la Vie de sainte Barbe.
Nous constatons donc l'importance des représentants de la noblesse (et le lien avec la cour royale) comme commanditaire ou donateurs pour 3 des 6 vitraux, et l'importance du culte des saints pour 4 des 6 vitraux.
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Un programme théologique ?
Les thèses de Luther ont été placardées sur la porte de l'église de Wittemberg en 1517. Elles condamnent le recours aux Indulgences pour financer la construction de la Basilique Saint-Pierre de Rome.
Entre 1520 et 1538, dates de la réalisation des vitraux de Moncontour, la présence du protestantisme n'est pas attestée en Haute-Bretagne avant les années 1530, puis sera extrêmement discrète jusque en 1550 où un noyau calviniste se forme à Rennes. Mais les thèses calvinistes sont influentes à la cour auprès de François Ier, de Marguerite de Navarre et de Renée de France, sœur de la reine Claude de France.
La place donnée au culte des saints, et la défense de l'Immaculée-Conception, témoignent-elles pourtant déjà d'un soutien aux idées réformistes ?
En particulier, dans la verrière de la Vie de saint Yves, le miracle de la Messe de saint Yves, véritable équivalent de la Messe de saint Grégoire, défend sans doute le dogme de la Présence Réelle du Christ dans l'Eucharistie.
A contrario, l'insistance sur la valeur de la pauvreté, reprenant les valeurs évangéliques défendues par saint François et par les Franciscains ne témoigne-t-elle pas d'une remise en cause des richesses de l'Église ?
En premier lieu, le triptyque d'Yves entre le Riche et le Pauvre n'est-elle pas une dénonciation des abus du Pouvoir, et de l'injustice fondée sur le pouvoir de l'argent ?
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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre : un thème récent et d'influence italienne.
Le groupe à trois personnages d'Yves entre le Riche et le Pauvre est représenté 89 fois en Bretagne, d'après l'inventaire de Virginie Montarou. Mais aucuns sont antérieurs au XVe siècle, seuls 2 d'entre eux datent du XVe siècle, et 33 datent du XVIe siècle.
Parmi les 13 vitraux de ce Groupe, seuls 6 sont datés et 3 datent du XVIe siècle. Celui de Moncontour est le plus ancien. Celui de Saint-Herbot date de 1556, et celui des Iffs est daté vers 1587 par les auteurs du Corpus.
[Le Fonds Saint-Yves dénombre en Finistère et Côtes d'Armor 7 vitraux dédiés à saint Yves, dont trois seulement du XV et XVIe siècle : Boquého (22) Chapelle N-D de la Pitié, fragment, 1460 ; Moncontour, (22), église N-D et Saint-Mathurin, 1537 ; Saint-Herbot , 1556 ; et Tréméven (29), église Saint-Méen, 1550. Mais seuls ceux de Moncontour et de Saint-Herbot sont des groupes de saint-Yves. J'ajoute à cette liste, pour le Morbihan, le vitrail des Iffs, église Saint-Ouen, de 1587. ]
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"Le groupe de saint Yves semble apparaître à la fin du XVe siècle ou au début du xvie siècle dans l’art religieux breton. Ainsi, les vitraux de Moncontour sont datés de 1537 d’après une inscription dans un cartouche. Malheureusement, peu de groupes sont datés avec certitude : on peut s’appuyer alors sur l’étude du costume qui peut donner quelques indices, ainsi que sur les datations stylistiques proposées par les spécialistes de la DRAC. L’examen des œuvres les plus anciennes laisse supposer que la création du groupe a été progressive. Il est intéressant de remarquer que des enluminures de la fin du Moyen Âge et du xvie siècle représentent saint Yves accompagné d’un malheureux, mais sans le riche : ainsi des gravures extraites des Chroniques d’Alain Bouchart datant de 1514 ou encore de l’incunable de la bibliothèque de Solesmes . Le groupe n’est sans doute pas apparu en Bretagne. Les œuvres les plus anciennes semblent être originaires d’Italie. Le thème de saint Yves entre le riche et le pauvre est en effet présent sur des tableaux italiens comme celui qui figurait au centre du retable de Saint-Yves conservé désormais au musée de la cathédrale de Florence (seconde moitié du XVe siècle) ou encore la fresque du Sodoma à l’entrée du palais communal de San Gimignano (1507). Cette présence à l’étranger peut paraître surprenante : une influence franciscaine peut être suggérée. En effet, dans la seconde moitié du XVe siècle, saint Yves se trouva lié aux Franciscains car il incarnait une image du saint prêtre ami des pauvres et zélateur de la justice. De plus, les Franciscains semblent être à l’origine de l’exportation du culte de saint Yves, entre autres au Mexique par le biais de l’évangélisation.
Malgré la reprise d’un certain nombre de stéréotypes, les images du groupe étaient loin d’être anodines aux yeux des fidèles et du clergé. Deux thèmes principaux peuvent être repris : d’un côté celui de l’influence du concile de Trente, de l’autre celui des différences sociales.
Les XVIe et XVIIe siècles sont marqués par le concile de Trente. Le groupe porte la trace de cette grande mutation, au service de laquelle l’iconographie est mobilisée. Les personnages du groupe, surtout saint Yves, sont en adéquation avec le message de la Réforme catholique : ce dernier entend de plus en plus montrer l’image du bon prêtre." (V. Montarou)
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Une nouvelle disposition spatiale des vitraux, assez timide.
Alors que les verrières médiévales sont divisées en panneaux recevant chacun un médaillon, puis que ces panneaux abandonnant les médaillons restent consacrés à un sujet iconographique distinct, le XVIe siècle inaugure l'usage de grands sujets répartis sur un registre entier, voire sur la verrière entière. C'est ici le cas avec le registre inférieur, alors que les autres registres restent cloisonnés dans des unités de temps et de lieux différents.
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Un nouveau décor.
Prenons maintenant le temps de revenir sur le décor peint au jaune d'argent sur verre blanc, décor qui reprend le vocabulaire inspiré de l'Antiquité classique et de la Renaissance italienne : rinceaux habités de chimères, mascarons de satyres grimaçants, arabesques, longues tiges d'acanthe ou de vigne à l'enroulement infini abritant une faune inattendue, masques, putti, pots à feu, pilastres. Ce vitrail est fortement influencée par le répertoire de l’école de Fontainebleau élaboré par le Primatice et ses disciples pour les décors en stuc du château de Fontainebleau, et dont les estampes (Étienne Delaune), les travaux d'orfèvrerie, les armures décorées par les ornemanistes du XVIe siècle ou les volumes de Philibert Delorme assurèrent une large diffusion de l’art raffiné maniériste dans toute l’Europe .
rinceaux habités, à échelle variable
Comment ne pas évoquer la citation de Vasari sur l'art grotesque né de la Domus Aurea, palais de Néron à Rome :
"Les grotesques sont une catégorie de peinture libre et cocasse inventée dans l'Antiquité pour orner des surfaces murales où seules des formes en suspension dans l'air pouvaient trouver place. Les artistes y représentaient des difformités monstrueuses créées du caprice de la nature ou de la fantaisie extravagante d'artiste : ils inventaient ces formes en dehors de toute règle, suspendaient à un fil très fin un poids qu'il ne pouvait supporter, transformaient les pattes d'un cheval en feuillage, les jambes d'un homme en pattes de grue et peignaient ainsi une foule d'espiègleries et d'extravagances. Celui qui avait l'imagination la plus folle passait pour le plus doué "
Giorgio VASARI, De la peinture, Introduction technique, chapitre XIV, vers 1550
Comment ne pas évoquer aussi le charme léger des Loges Vaticanes peintes par Raphaël !. Ou un peu plus tard la folie des structures molles d'un Cornelis Floris (1514-1575) à Anvers !
Et comment ne pas retrouver ici les principes de la grottesque, la négation de l'espace, l'apesanteur des formes et la prolifération des hybrides ?
« D'abord un monde vertical entièrement défini par le jeu graphique, sans épaisseur ni poids, mélange de rigueur et d'inconsistance qui faisait penser au rêve. Dans ce vide linéaire merveilleusement articulé, des formes mi-végétales, mi-animales, des « figures sans nom » surgissent et se confondent selon le mouvement gracieux ou tourmenté de l'ornement. [...] Un produit pur de l'imaginaire où se condensent les fantaisies, d'une vitalité à la fois trouble et fuyante, nettement érotisée dans le détail » Chastel, André. La Grottesque. Paris : Le Promeneur/Quai Voltaire, 1988.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Baie 7 ou verrière de saint Yves (1537), église de Moncontour. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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SOURCES ET LIENS.
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— ALBERT LE GRAND La vie des saints de la Bretagne Armorique 1901 (pp. 163-191).
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Vie_de_saint_Yves
— CASSARD (Jean-Christophe), 1992, Yves de Tréguier : un saint du XIIIe siècle. Edition Beauchesne, 150 pages, page 58.
https://books.google.fr/books/about/Saint_Yves_de_Tr%C3%A9guier.html?id=oIBsqkM1EbUC&redir_esc=y
— COUFFON (René), [1935] Contribution à l'étude des verrières anciennes du département des Côtes-du-Nord, Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord. T. 67 1935, pages 167-171
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441314t/f192.item
— FONDS SAINT-YVES. (attribution erronée à Michel Bayonne)
http://fonds-saintyves.fr/Vitrail-de-saint-Yves-eglise-de
— FONDS SAINT-YVES Les représentations de saint Yves.
http://fonds-saintyves.fr/Les-representations-de-saint-Yves
— FRANCE (Abbé), 1893, Saint Yves, ed. René Prud'homme, (pp. 34-352).
https://fr.wikisource.org/wiki/Saint_Yves/II
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum vol. VII, Presses Universitaires de Rennes.
— HAMON ( Thierry), 2003, "Saint Yves et les Juristes" Revue « Armorik », Editions Anagrammes, Perros-Guirec, 2003, n° 1, pp. 120-139.
http://partages.univ-rennes1.fr/files/partages/Recherche/Recherche%20Droit/Laboratoires/CHD/Membres/Hamon/Saint%20Yves%20et%20les%20Juristes.pdf
— LE GUILLOU (J-P.) 1989, "Saint Yves : ceux qui l'ont connu témoignent, ceux qu'il a guéris racontent (enquête de canonisation)", Henry, Pédernec, 1989
http://fonds-saintyves.fr/IMG/pdf/enquete_canonisation_avec_illust.pdf
— LORIN (F. ), 1908, La légende de saint Yves et les peintres verriers. Mémoires de la Société archéologique de Rambouillet, T. XX pages 425-440, 3 planches.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4541886/f430.image
— SITE DE L'OFFICE DU TOURISME DE MONCONTOUR.
http://www.tourisme-moncontour.com/Vitrail-saint-yves_fiche_1796.html
— MONTAROU (Virginie), Saint Yves entre le Riche et le Pauvre, in Saint Yves et les Bretons, Culte, image et mémoire (1203-2003).pages 215-228.
http://books.openedition.org/pur/22412?lang=fr
— INFOBRETAGNE, Les vitraux de l'église de Moncontour..
http://www.infobretagne.com/moncontour-eglise-vitraux.htm
— Thierry Hamon. L’adjuration à ”Saint Yves de Vérité” : persistance tardive d’une ordalie populaire bretonne. Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2008, 86, pp.41 - 88.
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00853408/document.