Lors de mon reportage de 2013 sur le Cimetière de bateaux (langoustiers mauritaniens) du port de Camaret, j'avais décrit un à un les huit navires qui s'y trouvaient.
Depuis, les deux premiers navires, les plus beaux à mes yeux, "La Salle" et le "Rosier Fleuri" ont dû être évacués et détruits.
Le spectacle de ces navires était poignant, puis qu'il parlait d'un passé maritime glorieux et florissant pour le port de pêche. Aujourd'hui, l'émotion est plus grande encore devant cette peau de chagrin, qui reflète tout autant la diminution des ressources halieutiques que celle de la flottille bretonne. Plus largement, ces coques échouées sur la surface minérale de la grève gardent comme la prescience de l'avenir de notre société.
Je tente d'en rendre compte, en présentant des cliches dont j'ai accentué la dramatisation. Je pense à tous les marins qui ont vécu cette grande aventure. Ou je pense aux larmes qui sont retenues dans beaucoup d'objets qui, dès lors, acquiert le statut de sujet car ils sont les interlocuteurs de nos interrogations.
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Sunt lacrymae rerum et mentem mortalia tangunt. "Il y a des larmes dans les choses mêmes, et ce qui est périssable frappe l’esprit" (VIRGILE, Énéide, liv. I, v. 462). Énée, fugitif, a été poussé par la tempête sur les côtes d’Afrique, aux lieux mêmes où s’élève Carthage. Dans un temple que Didon a consacré à la reine des dieux, un spectacle inattendu frappe les regards du héros : il voit représentés, dans l’ordre des temps, les combats d’Ilion et les événements de ces guerres que la renommée a déjà publiés dans tout l’univers. Il reconnaît le fils d’Avrée, le vieux Priam et le terrible Achille. Il s’arrête et ne pouvant retenir ses larmes : « Achate, dit-il, quel lieu n’a retenti, quelle contrée de la terre n’est pleine du bruit de nos malheurs ! Jusque dans ces déserts, le courage trouve sa récompense. Il y a des larmes dans les choses mêmes et ce qui est périssable frappe l’esprit. »
Ces objets chargés de larmes ont été d'abord pour moi, en marchant sur la grève, les vieilles pièces de bois rongées, pénétrés de pointes rouillées, qui sont les seuls dépouilles des deux coques disparues.
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