La chapelle de La Houssaye à Pontivy (suite).
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I. Présentation.
Une pierre située dans le choeur porte une inscription découverte par le chanoine Guillon (curé de 1924 à 1926) : CESTE OPEUVRE FUT COMMANCEE LE XVIIE JOUR DE MAY LAN M CCCC XXX V AUX "cette oeuvre fut commencée le 17ème jour de mai 1435".
Note : Elle est citée le plus souvent comme "ceste opure fut commencée le XVIIe jour de May l'an MCCCC.XXX.VI", mais le mot "opure" n'existe pas en moyen français. Le mot réel comporte plus de lettres.
L'orthographe "commancée" est attestée en moyen français. Le dernier chiffre devrait être "VI" et je lis "V aux", "V an" ou quelque chose d'approchant.
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C'est donc en 1435 que fut bâtie cette chapelle sous le duc Jean V le Sage et sous la juridiction du vicomte Alain IX de Rohan le Grand dit le Batisseur (v1382-1462) et Marguerite de Bretagne, en même temps qu'il implantait la sidérurgie aux forges de Pontivy et qu'il construisait l'église de Kernascleden. Elle comporte une nef du XVIe siècle avec un seul bas-coté sud, un transept et un choeur à chevet plat. La nef et la croisée sont séparés par un chancel surmonté d'un Christ en croix de la fin du XVe.
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II. Inscription du clocher et N rétrograde.
Si le portail occidental date de 1730, le clocher porte la dete de 1779 inscrite sous la deuxième balustrade. On y lit, coté nord, l'inscription suivante :
O : LE GUENNECPTREETCHAPLIN
Dans cette inscription O. Le Guennec prêtre et chapelain, les trois N sont rétrogrades, avec la barre transversale inclinée en bas et à gauche.
L'inscription complète serait LLE ELLOUX TRESORIAE R.S. OLE GUENNEC PTRE ET CH PET 17 L. MLEBAR RECTEUR 1779...(?) Marie Bour (?) (Relevé des Monument historiques).
Je note que Louis-Marie Le Bare "bachelier en droit civil et canon" était recteur de Noyal-Pontivy de 1773 à 1791, et qu'un Le Guennec était en 1791 curé de Kerfourn, ancienne trève de Noyal-Pontivy.
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Le troisième étage de la tour abrite une cloche de 1934 due au fondeur de Villedieu-les-Poêles André Peeters. La flèche du clocher ne fut réalisée qu'au début du XIXe siècle.
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III. Vierge à l'Enfant
Façade occidentale .
Cette statue en bois de Vierge à l'Enfant est une fidèle copie de la statue qui occupait la niche avant d'être placée à l'intérieur pour la protéger : nous la retrouverons, à droite du retable. Elle a été réalisée en 1991 par Henri Fondeville, sculpteur à Bubry.
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Armoiries : placées à droite de la baie du chevet
Je vois douze billettes, au canton dextre chargé d'une main en pal , devise En Dieu ...
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IV. Vitraux
1. Baie du chevet, le tympan du XVe siècle .
Je l'étudierai de bas en haut : le "blasonnement" d'amateur n'est là qu'en note de mes efforts de déchiffrement.
Françoise Gatouillet et Michel Herold (Les Vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum, P.U. Rennes 2005) s'appuyant sur l'étude de la chapelle par André Mussat (Congrés archéologique 1983) situent sa réalisation sous le règne du duc François Ier de Bretagne et de son épouse Isabeau d'Ecosse, soit entre 1442 et 1445. La partie inférieure et principale de la baie, soit 5 lancettes trilobées, contient un vitrail de 1901 de Lux Fournier de Tours consacré à l'Assomption de la Vierge, scène offerte par l'abbé Le Beller, recteur de Noyal.
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a) en bas 5 trèfles ou trilobes contenant 8 écus sur fond de feuillage en grisaille et jaune d'argent.
Nous trouvons de gauche à droite :
- Les armoiries mi-parties des Rohan de gueules à sept (ici six) macles d'or 3,3,1 et d'hermines, qui est de Bretagne ,
- de gueules à cinq besants d'or ; les armoiries de Malestroit sont de gueules à neuf besants d'or, 3, 3 et 3, mais sont retrouvées de gueules à cinq besants en sautoir (en croix, forcément d'ailleurs) écartelées avec celles de Chateaugiron.
- de gueules à neuf macles d'or, armes modernes de Rohan, adoptées par Henri Ier de Rohan entre 1552 et 1575.
- de gueules à cinq besants d'or, donc Malestroit.
- mi-parties Rohan/ ?
- mi-parties Rohan/ Clisson ( de gueules au lion d'argent armé, lampassé et couronné d'or)
- D'azur et trois coquilles? d'argent sur fond de gueules au chef... ?
- quartiers Rohan / ?: d'argent à cinq macles d'or et d'argent à trois croissants d'or ?
et, au sommet des trèfles, deux blasons associant sur fond de gueules dix billettes d'argent et, en canton, une sorte de navette de gueules et un besant d'or...
b) puis deux quatre-feuilles contenant un ange portant un phylactère qui reste à déchiffrer; celui de droite est inversé, tête en bas.
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c) puis six mouchettes : deux anges à gauche, deux armoiries, deux anges à droite.
- 1er ange :phylactère : surgite venite ....into (surgite vigilemus venite adoremus, quia nescimus horam quando veniet dominus : pièce grégorienne)
- 2eme ange : phylactère : ...
- armoiries de Bretagne : d'argent à hermines de sable. Il a été placé à l'envers, et les hermines sont tête en bas !
- armoiries : mi-parties Bretagne et Écosse: d'argent à neuf hermines de sable / d'or au lion rampant de gueules : cela est attribué à François Ier de Bretagne et son épouse Isabeau d'Écosse.
- 3eme ange : phylactère : ...
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d) deux mouchettes latérales aux anges musiciens.
anges buccinateurs soufflant dans les trompettes du Jugement Dernier.
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e) en haut, sous un quatre-feuille, un groupe central de trois mouchettes :
- Le quatre-feuille contient un ange tenant un phylactère : ...cus dominis :m
- à gauche, le Christ en gloire montrant ses plaies ; nimbe crucifère, manteau violet et même parme.
- à droite, la Vierge couronnée suivie de deux saintes : manteaux blancs aux orfrois d'or.
- au centre en position inférieure : ange portant un phylactère : ...laudamus Jésus..
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2. Baie 1, au nord :
Inscriptions:
-sur un pilier du pont à gauche : Lux Fournier, Tours, 1905
- en dessous ; CUNCTAS HARESES SOLO INTEREMISTI IN UNIVERSO MUNDO : antienne mariale de l'ancien rite du "missel extraordinaire" : Gaude, Maria Virgo, cunctas haereses tu sola intermisti in universo mundo", Réjouis-toi, Vierge Marie, qui as détruit à toi seule les hérésies du monde entier".
- à droite : MORT GLORIEUSE DU COMTE RENÉ DU DRESNAY SUR LE PONT DE LA HOUSSAYE.
- Sur le phylactère : qui perdiderit animam suam propter me, inveniet eam. : citation de Matthieu 10, 39 : [celui qui aura trouvé sa vie la perdra,] et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera. (Bible de Jérusalem)
-en haut et au centre, Armes de la Bretagne avec la devise Potius mori quam foedari, plutôt la mort que la souillure.
Il s'agit de la représentation dit de l'échauffourée tragique de Signan, le 21 avril 1594, pendant la guerre de la Ligue. Rappelons que la famille de Rohan a adopté la cause de l'église protestante, et que la forteresse de Pontivy est entre leurs mains. Or, Lézonnet, capitaine de la Ligue (le parti catholique dirigé par le duc de Mercoeur) a confié à du Dresnay seigneur de Kercourtois la tâche de conduire une délégation catholique qui se rend de Concarneau aux Etats de Lamballe.
René du Dresnay a la vigueur d'un chef de 25 ans qui s'est déjà illustré à la bataille de Craon. Il est à la tête d'une escorte de 150 cavaliers. Le soir du jeudi avant Pâques, la troupe arrive près de Pontivy, que la délégation préfère éviter pour passer la nuit à la Houssaye, près de la chapelle et du pont du même nom. Au matin, du Dresnay, conscient du danger, s'avance seul sur le pont et se retrouve face à Arradon de Camors avec 600 arquebusiers, qui veulent le passage. De Dresnay engage le combat, mais aucun de ses compagnons d'armes ne vient le soutenir, et c'est seul qu'il résiste contre tous sous le feu de l'arquebusarde pendant une heure durant. Mais, dans un dernier effort, son cheval trébuche sur le pont et tombe, exposant son maître aux coups. Du Dresnay meurt d'un coup d'épée au défaut de la cuirasse. Son sacrifice a permis à la délégation catholique de se réfugier à l'abri des troupes du roi et de Rohan.
Ce récit est bien mal résumé, et on aurait tort de ne pas se rendre illico sur le site infobretagne http://www.infobretagne.com/ligue-kercourtois.htm pour se régaler des détails qu'en donne le chanoine de Quimper Jean Moreau (1552-1617) dans ses Mémoires.
L'un de ces détails est que les cavaliers sont nommés du nom de leur casque, la "salade", casque rond prolongé à l'arrière par un couvre-nuque, et équipé à l'avant d'une simple fente pour les yeux, ou d'une visière articulée. Et je me souviens que, dans Don Quichotte chapitre XVII, Sancho Panza a utilisé cette salade comme récipient pour transporter le fromage, et que son maître, trop prompt à s'équiper pour l'un de ses combats imaginaires, place la salade sur sa tête et le fromage avec.
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3. Baie 2.
Composée de quatre lancettes trilobées de cinq panneaux, en verrerie autour d'un élément central consacré au Don du Rosaire : la Vierge entourée d'anges et d'un chérubin remet le chapelet du rosaire à saint Dominique tandis que l'Enfant-Jésus en confie un autre à sainte Catherine de Sienne, ou bien lui remet une couronne . En arrière-plan, un campanile couvert de tuile peut évoquer la campagne de Sienne.
Oeuvre signée Lux Fournier, de Tours, 1902-1903, restaurée en 1991-1993 par l'atelier de Jean-Pierre Le Bihan de Quimper.
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V. Les retables latéraux.
1. Notre-Dame de la Houssaye.
Rosenweig pensait qu'elle venait d'un atelier étranger du XVe. Je remarque le front et les sourcils épilés, le port hanché et le ventre projeté en avant selon la mode de l'époque.
Marie présente à son Fils le livre des Saintes Écritures, mais le Livre est tenu d'un coté par la Mére, de l'autre par Jésus : ce n'est pas un enseignement qui est donné à l'enfant, c'est un accord profond des deux êtres pour donner à leur existence l'axe de l'Accomplissement des Écritures. C'est ce livre de couleur rouge que nous retrouvons sur le retable du maître-autel présenté par un ange au Christ lors de son supplice.
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2. Saint Joseph.
Inscription : IVLIE IAN FABRIQV LAN 1742.
Il tenait dans la main droite le lys qui est, en statuaire, son attribut.
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VI Les statues.
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1. Vierge de Majesté.
Dans le guide édité par Les Amis de la Houssaye, il est expliqué qu'une première Vierge de majesté était en place dans l'embrasure droite de la verrière du chevet, mais qu'elle a disparu : elle a été remplacée, dans une niche inemployée à la droite du retable, par une statue du XVIIIe siècle qui se trouvait depuis 1730 dans une niche de la tour, exposée aux intempéries. Admirablement restaurée en 1985, elle offre aux fidèles la puissance de son port majestueux. La Mère et le Fils sont bien un peu joufflus, le regard un peu perdu vers de lointaines perspectives, mais l'ensemble est plein de noblesse. Les manches courtes fendues sont un intéressant détail vestimentaire.
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2. Saint-Sébastien.
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4. Saint évêque.
Il présente l'intérêt d'être attribué au même atelier que le retable de la Passion et que le groupe de sainte Apolline, en pierre blanche. René Couffon avait remarqué la chape ornée d'une grande croix pectorale, motif qui le confirmait dans sa conviction qu'il s'agissait là d'un travail des sculpteurs d'Amiens.
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5. Vierge de Pitié.
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6. Saint Fiacre.
La facture du patron des jardiniers est assez naïve, ce qui lui confère un charme certain.
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7. Saint Mathurin.
Faisant face à saint Fiacre, le saint expert en exorcismes et "rabonnissement des mégères" Les vitraux de Jacques Simon en l'église saint-Vigor de Carolles (50) tient le crucifix dont il chasse les démons.
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8. Le martyre de sainte Apolline.
Voir aussi le même sujet à la chapelle Saint-Fiacre du Faouët, à la chapelle Saint-Jacques de Merléac, ou au Musée Départementale Breton de Quimper qui conserve un groupe daté vers 1560 venant de l'ancienne chapelle de Coat-Quéau à Scrignac:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Apolline_d%27Alexandrie#/media/File:Quimper_132_Sainte_Apolline_et_ses_bourreaux_Chapelle_de_Coatqu%C3%A9au_Scrignac_Mus%C3%A9e_d%C3%A9partemental_breton.JPG
Voir également l'enluminure par Jean Fouquet du Martyre de sainte Apolline dans les Heures d'Étienne Chevalier, conservées au Musée Condé, Chantilly, R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_d%27heures_d%27%C3%89tienne_Chevalier#/media/File:Sainte_Apolline.jpg
Le martyre de Sainte Apolline est relaté par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique, reprenant une lettre de l’évêque Denys d’Alexandrie à Fabien, évêque d’Antioche. Jacques de Voragine (1228 – 1288) reprit cette histoire dans le tome II de sa Légende Dorée.
"Or, il y avait; en ce temps-là, une vierge remarquable, d'un age fort avancé, nommée Apollonie, ornée des fleurs de la chasteté, de la sobriété et de la pureté, semblable à une colonne des plus solides, appuyée sur l’esprit même du Seigneur, elle offrait aux anges et aux hommes le spectacle admirable de bonnes oeuvres inspirées par la foi et par une vertu céleste. La multitude en fureur s'était donc ruée sur les maisons des serviteurs de Dieu, brisant tout avec un acharnement étrange ; on traîna d'abord au tribunal des méchants la bienheureuse Apollonie, innocente de simplicité, fort, de sa vertu, et n'ayant pour se défendre que la conscience d'un coeur intrépide, et la pureté d'une conscience sans tache; elle offrait avec grand dévouement son âme à Dieu et abandonnait à ses persécuteurs son corps tout chaste pour qu'il fût tourmenté. Lors donc que cette bienheureuse vierge fut entre leurs mains, ils eurent la cruauté de lui briser d'abord les dents; ensuite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand billot et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte n’eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se recueillant un instant, tout d'un coup, elle s'échappe des mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le brasier dont on la menaçait. De là l’effroi des païens cruels qui voyaient une femme plus pressée de recevoir la mort qu'eux de l’infliger. "
Ici, nous remarquerons d'abord les bas de chausse de couleur dépareillées "colorées mi-parti", du bourreau armé de la tenaille : cela indique son appartenance au groupe marginal des soldats et des bourreaux, comme cela a été largement illustré lors de l'examen du retable de La Houssaye. Nous remarquerons aussi l'extrémité effilé de ce chaussage, "à la poulaine" à la mode au XVe siècle et jusqu'en 1470 avant de céder la place aux chaussures élargies "en pied d'ours" sous Louis XII.
La sainte se fait remarquer par son front fort épilé, par son attitude hanchée, son corsage lacé.
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