Les églises des îles du Ponant VIII.
L'église de la Nativité de Notre-Dame en l'île d'Arz.
I. Présentation.
L'armateur ou le promoteur de voyages à thème qui déciderait —mais oui, pourquoi pas ? — d'organiser une croisière "A la découverte des églises des îles du Ponant" devrait se garder de sous-estimer la durée de l'escale à l'île d'Arz, dans le Golfe du Morbihan, car cette dernière étape est l'une des plus passionnantes.
L'église dédiée à la Nativité de Notre-Dame ( correspondant à la fête religieuse du 8 septembre) est en effet très ancienne (seconde moitié du XIIe siècle), et le carré du transept ainsi qu'une partie de la nef est du plus beau style roman. En 1396, 1412 et 1553, comme l'atteste des dates inscrites sur les sablières, le chœur a été entièrement refait. Au XVIIe siècle, on ajoute une chapelle au transept nord, puis en 1836 on reconstruit la sacristie et une partie de la nef.
Actuellement, on découvre l'église, lorsqu'on vient du port, par son chevet gothique à trois pignons.
L'une des surprises est de ne trouver, dans les statues, sculptures, inscriptions, maquettes, et verrières, aucune représentation du thème iconographique de la Nativité de la Vierge-Marie, auquel l'église est dédiée, thème pourtant bien représenté dans les Bibles imagées, Livres d'Heures et surtout dans les Légendes Dorées, où l'on voit sainte Anne, en présence de Joachim, et assister de sages-femmes, donner naissance à Marie.
La nef
II. Les maquettes de procession.
Il n'y a pas, à proprement parler, d'ex-voto.
1. La "Jeanne d'Arc".
h = 150 ; la = 180, datant de la 1ère moitié du 19e siècle
C'est une maquette de procession d'un navire de guerre — une frégate à deux batteries de dix canons de chaque coté gréé en trois-mâts barque —, réalisée très soigneusement, et très soigneusement restaurée, d'abord en 1961, puis en 2012 après 500 heures de travail par Jean-Yves Hilliquin d'Arradon. La coque n'est pas pleine, mais monté sur membrures en lattes de bois.
Son nom est inscrit à tribord et à bâbord avant et à la poupe, en lettres d'or. C'est un nom de dévotion, ne correspondant pas à un navire ayant navigué (? Une frégate de 52 canons a été construite à Brest en 1818, et mis à flot le 25 août 1820, elle est armée l'année suivante, à la station du Levant (elle est alors commandée par Delamare de Lamellerie), avant de devenir bâtiment amiral de la division navale des Antilles. En 1830, elle participe à l'expédition d'Alger, et ramène, après la prise de la ville, le Dey Hussein à Naples (CV Lettré). Rayée des listes de la flotte le 26 octobre 1833, elle est alors réutilisée comme bâtiment de servitude, avant d'être définitivement condamnée en 1834.)
Un manuscrit plié et ficelé dans un canon de poupe a permis d'apprendre que la maquette a été réalisée par Paul Le Fol, et qu'elle a été exposée dans l'église à partir du 14 mars 1839.
La coque est noire et blanche, la carène verte ; le pont est marron. Les mantelets des sabords sont rouge. Cinq baleinières sont en place, deux petites de part et d'autre du grand mât, deux plus grandes en arrière au niveau du mât d'artimon, et une grande suspendue derrière le château arrière. Elles sont peintes en blanc.
2. Goélette aurique des années 1930.
On ignore qui fit don de cette maquette, ou de quel voilier il s'agit ; tout-au-plus reconnaît-on le style des yachts de course des années 1900-1930.
La coque peinte en blanc est en bois plein, la quille est lestée de plomb, et le safran est manœuvrable. Onze hublots sont répartis sur le coté, laissant présumer un navire de (très) grande taille.
Les voiles d'avant sont divisées en foc volant (ou yankee), foc, petit foc et trinquette,. Un flèche est établi au dessus de la misaine.
La quille a une forme échancrée en ouvre-boite bien particulière, et, de même, l'étrave, brusquement tronquée au niveau de l'arc-boutant de beaupré, est caractéristique, ce qui devrait permettre de retrouver ce voilier.
On le comparera, afin d'imaginer ses dimensions et la surface de voilure de ce qui devient parfois une véritable cathédrale de toile, avec les goelettes auriques suivantes :
- Bluenose, J.W.Rose, 1921, 49mHT, 1036 m² de voilure,
- Hoshi, Nicholson, 1909, 22m (en restauration au chantier du Guip de Brest actuellement).
- Eleonora, Herreshof, 1910, 49,40m HT, 1125 m²,
- Mariette, Herreshof, 1915, 42 m H.T, 750m²,
- Meteor IV, Max Oertz, 1909, 47,20m H.T, 1390m² !
- Orion, Nicholson, 1910, 986 m²,
- Sunshine, William F. Fife II Jr, 1901, 33,40 m H.T, 474 m²,
- Altaïr, William F. Fife III Jr, 1931, 39,21 m H.T, 634 m²
- Zaca, G. Rotch, 1930,
- Puritan, J. Alden, 1930, 36 m HT
- Lelantina, J. Alden, 1937, 25,56m HT
III. Les statues.
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=%20Ile-d%27Arz&DOM=Tous&REL_SPECIFIC=3
1. N.D d'Espérance.
Bois, seconde moitié XIXe siècle, h = 1,10m. Avec ses coloris pastels (lie-de-vin délicatement harmonisé au turquoise), son regard mystique, le réalisme de ses formes, la théâtralité de ses gestes, semblables à ceux que les actrices de l'époque (Sarah Bernard) maîtrisaient avec un art stéréotypé, cette statue est caractéristique de la production des ateliers semi-industriels d'Art Religieux comme Cachal-Froc, ou des ateliers plus locaux comme Le Brun à Lorient. C'est Notre-Dame de l'Espérance, dont l'ancre symbolise la vertu chrétienne de l'espérance en une vie meilleure, mais où les femmes de marins (l'île d'Ars surnommée l'île aux Capitaines, fournissait à la marine marchande une part de ses marins) pouvait trouver, dans une belle image nautique, espoir dans le retour de leurs maris. La plus grosse ancre d'un navire, celle qui n'est souvent pas à poste mais qu'on réserve aux situations désespérées, s'appelle "l'ancre de miséricorde", et sert de dernière chance, tout comme la promesse d'un ex-voto à l'église de la paroisse, en cas de perdition. C'est dire combien le lexique nautique et le vocabulaire religieux nouent des liens aussi étroits que ceux qui relient le destin d'un équipage et l'histoire d'une âme.
2. Sacré-Cœur de Marie.
Le culte du Sacré-Cœur s'est développé, après les révélations reçues par Sainte Marguerite-Marie Alacoque en 1675, à propos du Cœur du Christ, et son image montrant son cœur, comme on le voit ici dans le réseau de la maîtresse-vitre, est plus courante que celle-ci, qui montre la Vierge désignant, de la main gauche, l'irradiation chaleureuse de son amour. On pense d'abord à la Congrégation des Religieuses du Sacré-Cœur de Marie, qui a formé dans ses écoles "du Sacré-Cœur" tant de filles aux vertus chrétiennes.
Ce culte du Sacré-Cœur de Marie a suivi les révélations faites en 1646 à Marie des Vallées, née à Coutance. Il fut encore encouragé par les apparitions de la Vierge aux enfants de Fatima en 1917, recommandant la dévotion au "Cœur immaculé de Marie".
Le catalogue Cachal-Froc 1895 propose plusieurs modèles de "Sacré-Cœur de Marie".
IV. Les vitraux
Ornant les ouvertures du chevet, ils sont l'œuvre d'ateliers différents.
1. Baies 0, 1, 2 : Vitrail d'E. Laumonnier.
a) Baie 0 : Vierge de l'Immaculée-Conception secourant un navire en perdition.
La Baie 0 est à trois lancettes avec réseaux. Son vitrail porte la signature E. Laumonnier, Vannes, 1903.
Il s'agit d'Ernest-Victor Laumonnier, (1851 à Parthenay-1920) actif de 1881 à 1914 à Vannes.
Inscription à l'Inventaire régional
Le vitrail représente la Vierge de l'Immaculée-Conception (Vierge à l'Enfant couronnée, portant le sceptre-lys, les pieds posés sur le globe, foulant le serpent, au centre du croissant de l'apocalypse). Elle apparaît, dans les nuées, entourée de quatre anges et de six chérubins, à un matelot de la Marine qui lui offre en ex-voto une maquette de trois-mâts carré ; une femme en costume breton présente son enfant à la Vierge. Au centre, la scène de naufrage qui motive cet ex-voto montre un trois-mâts carré identique au modèle réduit, en perdition par gros temps, mais qui a conservé toute sa voilure, y compris. Il est au portant, mais la houle vient de travers.
Dans le réseau, le Christ du Sacré-Cœur est au sommet, et des anges présentent la fameuse inscription "Voilà ce cœur qui a tant aimé les hommes."
Les verrières 1 et 2, non photographiées, sont consacrées aux quatre saints évangélistes.
2. Chapelle latérale : Sainte-Thérèse-de-Lisieux
Sainte Thérèse-de-l'Enfant-Jésus, parvenue au Ciel, reçoit des roses des mains de la Vierge et de l'Enfant-Jésus et les répand sur l'humanité, en l'occurrence sur la Place Saint-Pierre de Rome représentée dans la partie inférieure.
3) Étoile de la mer, Priez pour nous.
Vitrail signé de "H. Uzureau Maître-verrier" Nantes, 1944.
Henri Uzureau appartient à la "Maison Uzureau" déjà active depuis 1883 (Vitrail d'Art, 3 rue d'Erlon, Nantes) :
Le vitrail représente Maris Stella ,l'Étoile de la mer, une invocation quasi constante dans toutes les églises et chapelles des îles du Ponant. La corde que tient la Vierge est celle de l'ancre de l'Espérance. Saint Donatien et Saint Rogatien sont deux jeunes martyrs de Nantes sous Dioclétien : ils tiennent donc, ici, la palme du martyre, et se placent sous la protection mariale. Le lien avec la ville de Nantes est donc clair, et dans le contexte, évoqué par les dates inscrites, de la seconde Guerre Mondiale, c'est une allégorie de Nantes se plaçant sous la protection de Marie.
"3 juillet 1940" : sur le plan historique, c'est la date de Mers-el-Kébir (la flotte anglaise coule une escadre française).
4) Vitrail de L. Léglise.
Il est signé L. Léglise Paris 1935. J'ai découvert les vitraux de Gabriel Léglise (peintre-verrier à Paris) à Kerlaz (29), mais cet atelier a été actif dans les années 1915-1918. Il existe aussi un A. LEGLISE, peintre verrier, boulevard Roquelaure, à Auch, (père du précédent ?)
Le vitrail représente, dans sa partie supérieure, Sainte Anne éducatrice, c'est-à-dire apprenant à lire à Marie. Dans la partie inférieure, deux jeunes dont l'un, les mains jointes, prient face à une statue de Sainte-Anne éducatrice, tandis que l'autre peut-être, creuse avec une pelle et découvre cette statue : est-ce une allusion à Nicolasic et la statue de Sainte-Anne d'Auray ?
V. Autres éléments remarquables :
1. Les chapiteaux romans :
Le massif carré du transept aux arcatures en cintre brisé repose sur des piles d'angle à colonnes engagées. Ses chapiteaux tous différents sont sculptés de motifs végétaux associés à des figures mi-animales, mi-humaines où on hésite à reconnaître des béliers ou des ovins. Leurs cornes très visibles en font des représentations diaboliques de la partie pécamineuse de l'être humain.
2. Les sablières et la charpente :
De 1396 à 1412, la charpente de la nef fut entièrement refaite par Jehan Pierre, charpentier de l'Ile d'Arz : "L'an mil IIIcc IIIIxx XVI fut ceste yglise par Johan Pierrs, charpent. d'Art, lan mil CCCC et XII Iohan piers charpenter, fut ceste yglèse clocsée".
En 1553, on refit la charpente du choeur : l'unscription indique L. M. Vcc L. III. le VIe jour de apvril fu commence le bouais de ce (coeur) d'Ars, miseur P. de Venetis. (on peut peut-être lire aussi " L.M. Vcc L. III le Ve iour de Aprpril fu co(m)mecé le bouah ce ce (cœur) d'ars IIII ps de Vontis"): illustrations ci-dessous :
3. "Descente de Croix".
Huile, h = 3,50m, l = 2,10m . Inscrite MH 01/02/1983. C'est un tableau de Jean-Vincent L'hermitais (1700-1758), peintre de Vannes . Cette toile destinée initialement au maître-autel date de 1754, elle est selon le site de la mairie la copie inversée d'une toile de 1679 de Charles le Brun exposée au Musée des Beaux-Arts de Rennes, et selon l'Inventaire régional, la copie inversée d'une toile de Rubens.
Source :