Les vitraux de l'église Saint-Ouen,
Les Iffs (Ille-et-Vilaine).
La construction de l'église paroissiale des Iffs débute au XVe siècle sous l'impulsion des seigneurs de Laval, propriétaires du château de Montmuran, et se poursuit au XVIe siècle. C'est dans la première moitié du XVIe siècle que sont réalisés les neuf verrières de l'église qui éclairent le chœur et les quatre chapelles. Deux d'entre elles (la Passion et la Chaste Suzanne) sont attribuées au peintre-verrier de Rennes Michel Bayonne, très actif alors dans la région.
Les vitraux des chapelles seront étudiées dans une seconde partie Les vitraux de l'église des Iffs ( seconde partie : les chapelles).
Le vitrail de la Passion en Baie 0.
Il est composé de 4 lancettes trilobées où 5 registres se répartissent de haut en bas, et d'un tympan à 9 ajours. Hauteur 5,50m, largeur 2,60m. Il a été offert par Guy XVI de Laval, dont les armoiries figuraient à l'origine au bas des lancettes latérales.
Ce personnage appartient à la longue lignée des Guy de Laval qui débuta au XIe siècle, et plus précisément à la troisième branche de la maison de Laval, celle des Monfort-Laval qui avait succédé avec Guy XIII de Laval à celle des Laval-Montmorency.
Sous ce nom traditionnel de Guy XVI de Laval se cache Nicolas de Laval-Montfort (1476-1531), comte de Laval, baron de Vitré, vicomte de Rennes, mais aussi seigneur de Tinténiac et, par là, possesseur du manoir de Montmuran, aux Iffs. Il était chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, gouverneur et Lieutenant-général en Bretagne, amiral de Bretagne et capitaine de Rennes. Il portait d'or à la croix de gueules cantonnée de seize alérions d'azur ordonnés 2 et 2 et chargée de cinq coquilles d'argent. Son père avait toujours été fidèle à la cause bretonne, et Anne de Bretagne prit le fils en affection.
Le fils qu'il eut d'Anne de Montmorency, Guy XVII de Laval, ou Claude de Monfort-Laval décéda en 1547 : sa soeur Charlotte, héritière, porta la terre de Montmuran dans la maison de Châtillon en épousant l'amiral Gaspard de Coligny.
Cette verrière a été restaurée plusieurs fois au XVII et XVIIIe siècle, puis en 1852-1862 par l'atelier nantais Échappé, puis de 1910 à 1913 par l'atelier Tournel frères. Le dossier de l'Inventaire donne le schéma détaillé d'authenticité des verres, établis par Colette Dréan
Datée vers 1545, elle est attribuée par ses violets sombres, ses verts et ses rouges orangés à l'atelier de Michel Bayonne ou Baionne, de Rennes, sur des cartons d'inspiration flamande. Michel Bayonne est l'auteur des vitraux de La Ferrière, Saint-Gondran, La Baussaine, Moulins et Beignon.
Le tympan.
En sommité, le Christ en gloire dans les nuées. Puis le cortège des Élus, les saintes femmes à gauche derrière Marie, les saints à droite. En dessous, le Jugement Dernier. Les écoinçons sont occupés par des anges.
Tympan, ajour inférieur droit .
Les damnés enfourchés par les diables dans la gueule du Léviathan. Au centre, un ange buccinateur souffle dans la trompette du Jugement Dernier.
Jugement Dernier :
Saint Michel Archange procède à la pesée des âmes, celle des damnés étant emportées par le diable.
Les lancettes.
les quatre lancettes de 20 panneaux se décrivent, de gauche à droite et de bas en haut, en trois registres inférieur, moyen et supérieur de l'entrée à Jérusalem jusqu'à la Mise au tombeau.
I. Registre inférieur.
L'entrée à Jérusalem
Cette vitre illustre les textes synoptiques Matthieu 21, 1-8, Marc 11, 1-10, Luc 19, 28-40 On remarque un personnage grimpé dans un arbre ; cela relève d'une confusion avec un autre texte décrivant Zaché grimpé dans un sycomore pour mieux voir Jésus. Cette "confusion" est devenue une tradition iconographique, comme on peut le constater sur la fresque de Giotto en la chapelle des Scrovegni à Padoue (1304-1306) ou sur la frise du déambulatoire de Notre-Dame de Paris (XIVe).
Jésus chassant les marchands du temple.
Le repas chez Simon le Pharisien
Illustration de Luc 7, 36-50 : sous le regard indigné de Simon le Pharisien et de ses amis, Jésus laisse la prostituée Marie Madeleine l'approcher : Luc 7,38-39 :
"Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Ayant appris qu'il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Et se plaçant par derrière, à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser ses pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baiser, et les oignit de parfum.
" A cette vue, le Pharisien qui l'avait convié se dit en lui-même : "Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu'elle est : une pécheresse."
Judas et les trente deniers.
Matthieu 12, 14-15 : "Alors l'un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres et leur dit : "Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? " Ceux-ci lui versèrent trente pièces d'argent."
On retrouve les traits qui stigmatisent la traîtrise et l'appât de gain de Judas, et, par généralisation pour la société médiévale, des juifs : la couleur jaune, les cheveux roux. C'est Michel Pastoureau (Une histoire symbolique du Moyen-Âge, Seuil) qui attire l'attention sur l'apparition vers l'époque carolingienne de cette chevelure ou de cette barbe couleur du renard, du démon, couleur mélangée au lieu d'être franche, et qui incite à la suspicion. La sensibilité médiévale l'attribue aussi à d'autres traîtres ou personnages de mauvaise réputation comme Caïn, Saül, ou Ganelon.
Selon Michel Pastoureau, les attributs possibles de Judas sont nombreux: "petite taille, front bas, masque bestial ou convulsé, peau sombre, nez crochu, bouche épaisse, lèvres noires (à cause du baiser accusateur), nimbe absent ou bien également de couleur noire (chez Giotto, par exemple), robe jaune, gestualité désordonnée ou dissimulée, main tenant le poisson volé ou la bourse aux trente deniers, démon ou crapaud entrant dans sa bouche, chien placé à ses côtés. Comme le Christ, Judas ne peut pas ne pas être identifié avec certitude. L'un après l'autre, chaque siècle l'a pourvu de son cortège d'attributs, au sein desquels chaque artiste a été libre de sélectionner ceux qui s'accordaient le mieux avec ses préoccupations iconographiques, ses ambitions artistiques ou ses intentions symboliques. Un seul attribut, toutefois, est presque toujours présent à partir du milieu du XIIIe siècle : la chevelure rousse."..." être roux constitue un de leurs caractères iconographiques ou déictiques les plus remarquables, au point que peu à peu cette chevelure rousse s'étend à d'autres catégories d'exclus et de réprouvés : hérétiques, juifs, musulmans, bohémiens, cagots, lépreux, infirmes, suicidés, mendiants, vagabonds, pauvres et déclassés de toutes espèces. La rousseur dans l'image rejoint ici les marques et les insignes vestimentaires de couleur rouge ou jaune que ces mêmes catégories sociales ont réellement dû porter, à partir du XIIIe siècle, dans certaines villes ou régions d'Europe occidentale. Elle apparaît désormais comme le signe iconographique premier du rejet ou de l'infamie : la couleur de l'autre."
Il est difficile, sur un vitrail où le jaune d'argent est le cément principal, dont l'emploi est général pour rehausser ou orner un verre blanc, modifier la couleur d'un verre, rendre les chevelures, et où ce jaune s'associe à cette grisaille particulière nommée sanguine en raison de sa couleur roussâtre qui est utilisée pour rendre les carnations, d'attribuer une valeur sémiologique aux teintes jaunes ou rousses d'un panneau ; dans les clichés précédents, les cheveux traités en jaune sont ceux de Marie-Madeleine, la pécheresse, mais aussi, systématiquement, ceux de saint Jean. La robe ou tunique jaune, sous un manteau bleu, caractérise saint Pierre, alors que la même robe damassée jaune (ou or) est portée par la Vierge sous un manteau bleu.
Les grands prêtres sont présentés ici comme des notables vénérables, sans stigmatisation outrancière ; le trait qui semble constant pour caractériser les pharisiens ou, plus généralement, les juifs semble être ici la barbe longue.
Wikipédia link fait remarquer que 30 est, pour la Gématria, la valeur numérique du nom Jehudah. "Si on va par là", je constate que 30 est aussi la valeur numérique des mots hébreux signifiant "supercherie, mensonge", "trompeur", "Juda, Juifs, Judée".link
Le Lavement des pieds :
La Cène :
Où Judas est représenté roux comme de coutume, tenant la bourse de sa trahison ; Son manteau, jaune bien-sûr, prend par le jeu de ses plis la forme d'un visage grimaçant. On reconnaît Pierre à son front dégagé, Jean imberbe dormant aux cotés du Christ.
Jésus au Mont des Oliviers
avec, sur un rocher, la coupe eucharistique, allusion à Marc 14, 36 : "Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, écartes de moi cette coupe !" Il est accompagné de Pierre, de Jean et de Jacques ; l'épée au coté de Pierre rappelle Jean, 18, 11 : "Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donné à boire ?"
Le baiser de Judas.
Où on voit Pierre tenant le glaive, et Malchus, à terre, tenant son oreille droite : Jean 18, 10 : " Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite. Ce serviteur s'appelait Malchus."
Malchus vient du grec Malchos et de l'hébreu Mélek, "roi".
Le "souverain sacrificateur" ou chef sacrificateur est celui qui, choisi parmi les membres de la tribu d'Aaron, doit une fois par an le jour de l'expiation, entrer dans le Saint des Saints afin d'y offrir des sacrifices pour ses péchés et ceux du peuple. C'est lui qui préside le Sanhédrin ou conseil suprême. La fonction, héréditaire, est reçue à vie.
Le Christ fut appelé Souverain sacrificateur par Paul dans l'épître aux Hébreux.
Judas tient fermement la bourse qui témoigne de sa trahison : l'avarice et l'appât du gain sont les principaux traits qui s'attachent à sa personne.
Quatre scènes se détachent sur un fond rouge soulignant l'aspect dramatique de la Passion ; la tunique violet-pourpre du Christ y a été systématiquement restaurée, sans-doute en raison d'une dégradation importante du coloris.
Les couleurs prédominantes des huit scènes de la Passion sont le rouge et du bleu, le pourpre-violet (restauré) étant réservé au Christ, le vert aux éléments et personnages accessoires, et le jaune aux bourreaux, ou aux prêtres et à Pilate.
Dans l'ensemble de la verrière, trois catégories de personnages sont distingués, catégories qui sont aussi présentes dans le texte lui-même, et que les mises en scène des Passions médiévales ont du encore caractériser d'avantage : Jésus, ses apôtres et disciples, d'une part. Les "pharisiens", les juifs qui sont choqués par les propos et la conduite du Christ ou qui redoutent le messianisme qu'il suscite, d'autre part. Et les hommes de paille, les soldats romains, la foule devenue hostile, les "bourreaux".
Ceux du premier groupe sont vêtus de robes et de manteaux, portent une barbe courte et ont la tête non couverte, et les pieds nus.
Les membres du second groupe sont vêtus plus richement, avec camail d'hermine, ou accessoire d'or, et, presque systématiquement, portent la barbe longue et un couvre-chef.
Ces deux groupes ont des vêtements amples et flottants, à l'opposé du groupe suivant.
Dans le troisième groupe, on porte des bas, des hauts-de-chausses aux braguettes avantageuses, un pourpoint très ajustée, comme les lansquenets de la Renaissance.
Comparution devant Anne.
Sur ces panneaux, Jésus comparaît devant quatre personnages différents, et je pense que c'est seulement en se basant sur les Évangiles que les commentateurs (C. Dréan et R. Barré sur le site de l'Inventaire) les nomment successivement Anne, Caïphe, Hérode et Pilate.
Cela pourrait conduire à des longs développements. D'une part en raison des Évangiles eux-mêmes : les textes synoptiques disent que Jésus fut conduit d'abord devant "le souverain scarificateur" (nommé, dans Matthieu 26,3, Caïphe) chez qui les anciens le Sanhédrin et les scribes s'étaient rassemblé, puis devant Pilate, puis Hérode Antipas, puis "au prétoire" (palais d'Hérode ?) puis devant Pilate. Jean (JN 18, 13) écrit pour sa part que "Ils l'emmenèrent d'abord chez Anne, car il était le beau-père de Caïphe, qui était souverain sacrificateur cette année-là", puis Jn 18,24 "Anne l'envoya lié à Caïphe, le souverain sacrificateur".
Donc :
soit Caïphe —> Pilate —> Hérode —> prétoire —> Pilate.
soit Anne —> Caïphe —> prétoire Pilate —>flagellation soldats épine, pourpre —>Pilate.
Le personnage qui est représenté ici porte une tiare ornée d'un croissant : peu importe que cette tiare corresponde historiquement au turban de lin (Mitznefet) et à la plaque d'or portant les mots "consacré à l'Eternel" : le personnage représenté est le grand-prêtre, le souverain sacrificateur en fonction, et donc il s'agit de Caïphe. Anne, son beau-père, est peut-être celui qui est représenté à l'arrière en robe blanche et or comme une "éminence grise" influente.
Comparution devant Caïphe (?).
Les attributs de ce notable sont la longue barbe, la main de justice, le chapeau conique portant une chaîne d'or. Le manteau et la robe sont comparables à celle du panneau précédent.
La main de justice me semble devoir être attribuée à un personnage qui détient un pouvoir exécutif, essentiellement Pilate, éventuellement Hérode, mais non Caïphe ou Anne.
La tunique blanche du Christ est différente de celle des autres panneaux : elle est plus courte, avec in col en V, un boutonnage médian, et porte un galon d'or en partie inférieure.
Comparution devant Hérode.
Dérision du Christ.
La même incertitude que précédemment (Anne ? Caïphe ? Pilate ? Hérode?) persiste pour l'identité des commanditaires de la peine subie, qui portent tous les deux une riche coiffure et des habits doublés de fourrures : je penche pour Pilate, en raison de la Main de justice, puisque le grand-prêtre, les pharisiens ou les membres du Sanhédrin n'ont pas de pouvoir exécutif. On les retrouve sur les images suivantes.
La Flagellation
On voit l'opposition entre les trois groupes que je viens de décrire : le Christ au centre porte la barbe et les cheveux longs, il est lié par les poignets et le cou à la colonne de supplice.. Le soldat romain porte un casque et une cuirasse semblable à celle d'un chevalier médiéval, alors que le flagellateur, à la posture de fier-à-bras de foire, porte des vêtements très ajustés et la braguette qui était à la mode au XVIe siècle jusqu'en 1580. Cette coque, adoptée par les soldats pour protéger leurs génitoires, était devenue un faire-valoir à usage de poche pour ranger son mouchoir ou sa bourse.
Les postures sont bien différentes : passivité résolue du Christ, passivité complice des notables, déploiement d'une dynamique agonistique pour les bourreaux.
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Le couronnement d'épine
C'est le moment pour moi de comprendre cette image, que l'on retrouve dans toutes les Passions des vitraux bretons et sur tant de gravures du Moyen-Âge.
Sur toutes ces images, deux ou quatre soldats appliquent la couronne en la forçant sous l'effet de presse de roseaux ou de tiges flexibles, qui, immanquablement, forment une croix spectaculaire au dessus de la tête de la victime. Cet exercice de force transforme la scène en une démonstration sportive, une exercice d'athlète où des diagonales sont autant de lignes de force et les corps des soldats autant d'instantanés des tractions exercées, s'opposant à l'immobile résistance du corps du Christ. Autrement dit, une interprétation symbolique s'impose pour décrypter le sens de ces contraintes rayonnantes et dynamiques pesant de toutes leurs forces viriles contre la sérénité souriante, patiente et déterminée du premier apôtre de la non-violence.
Je remarque aussi le large emploi des "crevés" sur les hauts-de-chausses, l'encollure, les manches ou les tuniques, par extravagance et non-conformité arrogante inspirée des modes vestimentaires des lansquenets.
surhttp://peintures.murales.free.fr/fresques/France/PACA/Hautes%20Alpes/Plampinet/stsebastien.htm vers 1550
- Vitrail église Sainte-Madeleine de Troyes, début XVIe, voir l'article de Jacky Provence et sa réflexion parallèle à la mienne sur les couleurs utilisées ici :link
- Martin Schongauer,(Shestak n° 12) 4ème quart XVe link
- Jan Baegert link
- Titien, Le Couronnement d'épine, Louvre, 1542.link
- Le Caravage, Le Couronnement d'épine, Vienne, 1603, link
Comparution devant Pilate
Il n'y a pas d'hésitation : celui-ci est bien Pilate, puisqu'il se lave les mains.
Portement de la Croix.
registre supérieur :
Sous des arcs en anse de panier surmontés de petits dais Renaissance, dans un encadrement teinté de jaune d'argent. Dans les têtes de lancettes, des niches abritent des statues ou des vases au creux d'une coquille encadrée de puttis; l'une des statues représente une sainte martyre, l'autre un saint chevalier tenant un oriflamme avec la lettre A (saint Adrien ?).
La crucifixion
Un centurion romain et un prêtre ou notable juif assistent à l'exécution de la sentence, alors que les murailles de Jérusalem se voient en arrière-plan.
Le Christ en croix.
entre la Vierge et saint Jean. Au pied de la croix, un crâne rappelle que l'histoire de la Sainte Croix débute par le tombeau d'Adam.
La Déposition de croix
On remarquera le N rétrograde du titulus.
La Vierge en pamoison, saint Jean, Nicodème et Joseph d'Arimathie.
La Mise au tombeau.
La Vierge, saint Jean (en rouge), les trois saintes femmes (dont Marie Madeleine), Nicodème portant les pieds et Joseph d'Arimathie soutenant la tête. Au fond, les trois croix du Golgotha.