Vierges allaitantes III:
Notre-Dame de Bonne-Nouvelle,
Chapelle de Quillidoaré à Cast.
1. Toponymie.
La chapelle Notre-Dame de Quillidoaré est située à la sortie de Cast en direction de Douarnenez. Le toponyme, orthographié Quilliodaré sur la carte de Cassini en 1750 et Quillidouaré sur la carte IGN vient selon le recteur de Cast en fonction en 1856, d'une contraction du breton "Kelou e Doaré", c'est à dire "Bonne Nouvelle" ; et la Bonne Nouvelle n'a pas à voir avec les Évangiles (du grec eu-vangelos, "bonne nouvelle"), mais avec l'annonce de l'attente d'un enfant, ou de la délivrance : Notre-Dame de Bonne-Nouvelle est la Vierge de la Maternité.
Kelou e Doaré, vous trouverez partout cette étymologie, recopiée de la plume des chanoines Abgrall et Peyron dans la Notice qu'ils ont consacré à Cast dans la parution de 1905 du Bulletin Diocésain d'Histoire et d'Archéologie. Mais faut-il les suivre sans réflexion? Car la racine Quilli- est plutôt considérée en toponymie et anthroponymie comme venant de Killy, "bocage, bosquet", par le moyen breton celli, cilli, correspondant au gallois celly et au cornique kelly, et il est à l'origine des noms comme Le Guilly, , Quillly, Quily, Quilliou, Quillivic, Quillien, Guillec, Quillivéré, ou Penguily. (Albert Deshayes, Dictionnaire des noms de famille, Ed Le Chasse-Marée-ArMen 1995 p. 424 et Albert Deshayes, Dictionnaire des noms de lieux bretons, p. 102). Quand à la racine doaré, "aspect, manière", elle est à l'origine du patronyme Le Doaré attesté à Quimper en 1681. Quillidoaré ne signifierait-il pas tout bonnement "le bosquet de Le Doaré" ?
Ce toponyme n'est pas retrouvé ailleurs.
2. Une chapelle vouée à la fécondité...et à l'allaitement.
Mais qu'importe au fond l'étymologie réelle ? Si non e vero, e ben trovato ! Fondée ou pas, la trouvaille de Jean-Guillaume Thalamot, recteur de Cast en 1856, montre que cette chapelle est toute entière dédièe à la Maternité et à la Nativité. En témoignent la statue de la Vierge gothique surmontant la porte, les têtes d'âne et de boeuf sculptées sur un des côtés de l'édifice, le choix des statues consacré à la Sainte Famille ( St Joachim et Ste Anne les grands parents, Joseph et Marie les parents), le panneau sculpté de l'autel représentant une Adoration des bergers, et, surtout, bien-sûr, la statue de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle en Vierge allaitante.
La chapelle date du début du XVIe siécle, (les experts datent les vitraux de 1510-1520, et la statue de Notre-dame du XVIe siécle) mais elle a été reconstruite au XVIIe avec adjonction d'un clocheton ; la sacristie date de 1871-72.
Le jour d'hiver 2011 où je la visitais, elle n'était plus qu'un vaste chantier, car la Mairie de Cast avait décidé d'entreprendre une restauration générale : le lambris de la voûte avait été déposé, les statues et mobiliers étaient bâchés, et on crut que si je venais ainsi par un sombre mardi de décembre, c'était pour répondre à un appel d'offre.
Mais heureusement Notre-Dame était encore visible, et j'ai pu admirer la statue de pierre polychrome grandeur nature (1,68m) et retrouver les différents caractères de ces vierges allaitantes de Cornouaille vraisemblablement issues d'un même atelier.
Ainsi sa longue chevelure ondulante, le bandeau particulier qui la retient derrière la tête (ici blanc et or), le front et les sourcils épilés, le manteau dont un pli est ramené vers la taille par un geste élégant de deux doigts de la main gauche, la taille fine serrée par un corselet qui s'ouvre en V sur la poitrine, tout cela reprenait les éléments que j'avais découvert à Tréguron, ou à Kergoat, ou à Kerlaz, ou à Lannelec, ou à Kerluan, ou encore à Saint-Venec. Virgo lactans ou miss Néné ? Les candidates du Finistère. Les Vierges allaitantes.
Ses particularités étaient le visage sévère ou inexpressif, la main qui présentait le sein mais sans faire sourdre la goutte de lait des autres statues, l'attitude de l'enfant qui se détourne pour regarder un fruit (une poire, dit-on) et son allure peu attendrissante, le pyjama blanc aux quatre-feuilles d'or dont il était vêtu, le bleu constellé d'or du manteau, les gemmes disposés le long du décolleté, la manière dont la robe se retrousse pour dévoiler une deuxième robe beige décoré de ronds et de pois...
Sa particularité était surtout l'inscription qui la nommait en lettres minuscules du XVIe siècle notre:dame : debone-nouve... sur le galon d'or de la robe.
A cette Vierge était associée une fontaine (voir ici :http://martheknockaert.unblog.fr/2010/03/08/) dont on peut parier qu'elle faisait l'objet de pratiques cultuelles semblables à celle de Tréguron.
Ce qui retenait aussi l'attention, c'est que le sein était faussement mais pudiquement peint d'un tissu factice, une sorte de sous-vêtement grège à col rond dont on comprend qu'il puisse rendre perpléxe le petit homme qui, placé ainsi devant une injonction paradoxale, en vienne à préférer une poire pour sa soif plutôt que le destin schizophrène auquel le destinerait selon Bateson ce double bind *.
* en anglais dans le texte.
Mais on revient de loin, et c'est presque un secret de famille qui s'est développé au siècle précédent où le sein malencontreux s'est vu voilé, dénié, confiné à l'état de fantôme, muré dans une cuirasse cryptique où son absence était criante, la cuirasse du costume breton.
C'est Annick Le Doucet qui a levé le lièvre, et révélé photo à l'appui que cette statue avait été revètue d'un costume traditionnel qui masquait sa fonction allaitante, même si on pouvait le suspecter lorsqu'en 1914 Octave Dossot écrivait à propos du calvaire de Plougastel où les personnages de la Passion sont vêtus de costumes bretons " à Ploudalmézeau, la vierge est représentée avec une coiffe bretonne, et à Cast, dans la chapelle de Quillidoaré, vêtue à la mode du pays, c'est-à-dire légèrement décolletée". Ou bien lorsqu'en 1905 Abgrall et Peyron la décrivait " habillée d'étoffes et de rubans". C'était suffisamment dit pour donner bonne conscience au rédacteur, et suffisamment tu pour laisser la réalité traumatique à l'abri sous l'habit dont elle était revê-tue.
Je rappelle que ce travail d'Annick Le Douget Chapelle Notre-Dame de Clohars-Fouesnant : la tradition de l'habillement de la Vierge du Drennec ,sd:
http://www.cc-paysfouesnantais.fr/var/cc_paysfouesnantais/storage/original/application/phpkPxYwd.pdf nous révèle que la statue de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle de Quillidoaré à Cast était habillée, ainsi que son enfant, d'un costume breton. Mais comme le bras droit qui présente le sein sur la statue ne s'intégrait pas à la nouvelle posture de sage paysanne endimanchée, un bras postiche avait été ajouté. A la page 7, on en voit la photographie parue en 1939 dans La Bretagne d' Octave-Louis Aubert; et j'ai même l'impression que ce sont les deux bras qui sont factices, afin de les croiser pieusement sur le ventre.
Je me permets de reproduire ici ce document, d'accès libre en ligne :
Avant de me rendre à Quillidoaré, j'avais commencé par aller admirer, à l'église paroissiale où elle est conservée, la bannière de procession dédièe à la bonne Vierge, Itroun Varia Quillidoaré : la voici : c'est, on s'en doute, une version très "habillée".
Il est difficile de déterminer quelle est la cause de cet habillement. Une réaction de pudeur, venant plutôt du clergé, datant du XIXe siècle comme à Kerluan? Un acte de ferveur populaire s'exerçant au contraire des consignes du concile de Trente et cherchant à s'approprier la divinité en la parant du costume local? Une tradition beaucoup plus ancienne, comme celle qui s'est exercée à Dijon depuis des siècles sur la statue du XI-XIIe siècle de Notre-Dame du Bon-Espoir ?
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Notre-Dame_Dijon_Vierge_noire.JPG
La Vierge de Dijon sans sa parure laisse voir des formes qui, tout en étant habillée, sont peut-être trop évocatrices:
http://www.univ-montp3.fr/pictura/GenerateurNotice.php?numnotice=A0570
La pratique d'habiller les statues de saints et de divinités remonte probablement au début du christianisme ou à la période pré-chrétienne. Elle a été étudiée à Perpignan, à l'occasion de la découverte de la garde-robe d'une vierge-mannequin du XVIIIe à la cathédrale Saint-Jean-Baptiste ; on assure que tous les sanctuaires du diocées de Perpignan possèdent une telle statue mannequin, qui n'était habillée que lors des processions. Elles étaient parées des plus beaux atours, empruntées ou offertes par les personnes les plus fortunées. Cela incite à penser qu'à Quillidoaré, les paroissiens auraient pu vouloir honorer leur Vierge en la revêtant du plus beau parmi leurs costumes de cérémonies. Ou bien qu'une paroissienne ait formulé le voeu de lui offrir son plus précieux costume en remerciement d'une grâce obtenue.
On retrouve facilement de très nombreux exemples de cette pratique, mais le plus souvent ce sont des mannequins, alors qu'à Quillidoaré et à Dijon ce sont des statues en pied, déjà habillées mais dont les formes féminines sont (trop) soulignées qui sont vêtues de pied en cap.
Nostra Senyora de la Sagristia de Perpignan : http://www.mediterranees.net/vagabondages/divers/habit_vierge.html
Quoiqu'il en soit, si j'évoque plaisamment combien ce sein nourricier caché, ainsi que toute séduction féminine, sous le lourd carénage d'un costume breton me fait penser aux problématiques d'un secret de famille, c'est que cette chapelle raconte les difficultés d'une transmission transgénérationnelle d'une histoire , celle des exactions légendaires d'un Seigneur de Pontlez, de l' expiation qui finira par s'imposer à Marie-Gabrielle, une lointaine descendante, et de la douloureuse problématique à laquelle sera confrontée chacun des membres de cette longue chaîne de transmission : avoir un enfant, avoir un fils à qui confier les fiefs et les titres, les armoiries, les droits seigneuriaux, les prééminences, le nom, mais aussi la patate chaude du secret.
Cette histoire, inscrite sur les vitraux ou dans les registres de Quillidoaré et de Cast, vous interesse ? Je la raconte bientôt dans l'article suivant : Les Vierges allaitantes III, la légende et les Seigneurs de Pontlez. Vierges allaitantes III : Quillidoaré, la légende du Marquis de Pontlez et l'histoire.