Vierges allaitantes I :
Notre-Dame de Tréguron à Gouezec.
Itron Varia Treguron et Mamm al laez.
La chapelle de Trèguron, fondation seigneuriale aux XVI-XVIIème siècles des familles Poulmic, La Bouexière, Coetanezre et Kervern, se trouve à 3 Km au NO de Gouezec (Finistère). Bâtie au XVIéme siècle, reconstruite au XVIIème avec la construction en 1653 d'un chevet Beaumanoir (du nom d'architectes morlaisiens du début du XVIè), elle comprend une nef avec collatérale nord, un transept et une abside, et un clocher gothique. La sacristie octogonale, reliée à l'abside, est datée de 1758. La chapelle renferme la statue de Notre-Dame de Tréguron, mais, à une centaine de mètres en contrebas, une fontaine du XVIè abrite une statue de Vierge allaitante.
Cette chapelle était, encore au début du XXème siècle, "le centre d'une grande dévotion surtout de la part des mères de famille et des nourrices qui y demandent à la Sainte Vierge abondance de lait pour nourrir leurs enfants" ( Chanoines Peyron & Abgrall, 1901). Je pouvais penser qu'elles se rendaient à la fontaine pour baigner leur poitrine, comme cela se pratiquait aussi dans le culte des nourrices envers Sainte Agathe ou Sainte Brigitte, et j'en trouvais vite la confirmation dans la thèse de médecine soutenue en 1903 par H.Liégard sur Les saints guérisseurs de Bretagne. Il mentionne qu'à Gouezec, les femmes qui veulent avoir du lait se rendent à Tréguron et, après avoir déboutonné leur corsage, font trois fois le tour du sanctuaire, s'arrêtant à chaque tour à la fontaine pour y asperger leurs seins, avant de rentrer dans la chapelle y réciter cinq Pater et autant d'Ave et de verser leur obole à Notre-Dame dans le tronc. Cela paraît curieux, mais n'en faites pas des gorges chaudes.
I. La fontaine, et sa statue : vénérée par les "Marie-pisse-trois-gouttes" et autres nourrices mauvaises laitières.
La plupart des fontaines se sont établies sur d'anciens lieux de culte païens, et celle de Tréguron n'échapperait pas à cette règle : pour Pierre Audin, les traces des influences gauloises se détectent devant "une série d'hydronymes en -onna souvent utilisés comme qualificatif donné à la Vierge, surtout en Bretagne, tels que Crénénan (Guéméné), Béléan (Pléren), Ruellan (Plancoët), et dans le Finistère Roscudon (Pont-Croix), Nitron (Lanmeur), Nizon (Pont-Aven) et...Tréguron à Gouezec".(Pierre Audin, un exemple de survivance païenne, le culte des fontaines) Annales de Bretagne 1979, 86-1 : 94) :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1979_num_86_1_2969
Le même auteur pense que les toponymes en -mer, -mair vient du culte des matrae, du culte des mères et donc de la fécondité, dont il trouve des exemples à Gouezec avec la fontaine de la mère au lait à Gouezec, et la mystérieuse Sainte-Mammère qui protège cette source.
Culte païen des sources, culte mégalithique de la fécondité plaçant des pierres dressées près des sources, croyance celte en des fées des eaux, des Dames ou Bonnes Dames résidant près des sources, cultes gallo-romains rendus à Vénus invoquée pour la fertilité des femmes ou leur allaitement, rites de circumduction sacrée, le sujet est vaste, mais la réalité est là : en Bretagne, on ne compte plus les fontaines guérisseuses, et parmi celles-ci, nombreuses sont celles dont les eaux favorisent la fécondité, la maternité et l'allaitement des femmes. Ainsi sur le beau site http://martheknockaert.unblog.fr/2010/07/22/809/, je relève pour le Finistère les fontaines de Boissière (Plonéis), de Ste Brigitte à Guengat, de N.D.de Kernevot à Ergué-Gabéric, de Kerluan à Chateaulin, de Sainte-Brigitte à Brest, de Sainte-Marguerite à Logonna-Daoulas, de Sainte-Brigitte à Spezet, de la Roche à Saint-Thois. Dans chaque cas, les méres qui souhaitent obtenir du lait pour nourrir leurs enfants s'aspergent les seins, ou jettent des épingles dans la fontaine.
Jacques E. Merceron, professeur de civilisation française à Indiana University ( USA) a consacré une étude approfondie aux différentes formes que prend en Bretagne la dévotion aux Vierges allaitantes sous le nom de "Notre-Dame du Bon-Lait" dans l'Ouest, Notre-Dame de Crée-Lait en Loire-Atlantique, Notre-Dame du lait dans l'Est et le Sud, Notre-Dame du Sein à Gestel pour désigner Notre-Dame de Kergornet :http://www.culture.gouv.fr/mpe/recherche/pdf/R_478.pdf
Il y décrit longuement un ensemble de pratiques dévotionnelles qu'il qualifie de "mélange inextricable d'éléments strictement chrétiens" (cierges, prières, messes, processions et pardons,) " et de pratiques non orthodoxes à peine christianisées" ( circumambulations en nombre impair, ingestion de "reliques du lait de Marie", calcaire de la grotte de l'allaitement à Béthléem ou concrétions calcaires de différentes fontaines, délayées et vénérées s'i elles sont conservées en fiole sacrée, ou avalées, ou mêlées aux biberons).
A Tréguron, la fontaine est tapie dans le creux d'une prairie, sous quelques arbres chenues, et l'eau qui s'en écoule se rassemble dans un bassin de dévotion avant d'alimenter un lavoir.
Ce sanctuaire sans prétention, caché, mal indiqué, préfère la verdure des mousses, le gargouillement humide d'un filet d'eau à travers les feuilles mortes et l'arc simple d'une voûte de granit aux ornementations gothiques et aux dorures. S'il est religieux, c'est d'une foi toute franciscaine, humble, silencieuse, à l'écoute de l'âme des choses et de l'âme du monde. C'est le sanctuaire des randonneurs et des poètes, et sa source qui vient des profondeurs ne s'élève guère, mais elle serpente en chuchotant, ne forçant rien, faisant son chemin selon une humeur déclive, dolente, douce et docile. Elle est l'amie des gens simples, des fredonneurs, des cueilleurs de mures ou de champignons, ou des batifoleurs. Les pieds dans l'eau, elle apprécie ceux qui ont les pieds sur terre.
Mais la niche au toit vert cache une étrange pensionnaire.
Cette fontaine réunit par ses formes le cercle, avec un C comme Cosmos, le chiffre trois de son fronton triangulaire, et le chiffre quatre, lié à la Terre, de ses blocs de pierre.
Elle est basse, et il faut se pencher pour voir, au fond la statue pâle aux reflets verts de Mamm al Laez, la Mére au lait.
Elle a beau être couronnée et voilée, ses yeux en amande, son visage rude et rond, ses traits et ses lèvres fermées n'en font pas une Vierge Marie douce et aimante, une de ces Vierges à l'Enfant de nos églises, maternellement penchée vers le Fils ou tendrement disponible aux prières des fidèles, mais une déesse primitive ou paysanne, née ou façonnée par le terroir breton, aussi énigmatique que l'enfant bourru qui actionne les mamelles (quel autre nom ?) comme deux robinets magiques sur lesquels il règne.
Trois gouttes, comme trois cerises, viennent ainsi fleurir chaque téton d'une moucheture d'hermine.
Un rejointoiement récent masque mal les ruissellements d'eau verte, le suintement du salpêtre et le développement de mousses dans laquelle la divinité soigne son teint de céruse et de cire et sa peau défraîchie que seule colore une lumière feinte. La coupole damasquinée de moisissures et de lichens est son seul firmament, et c'est par cette flore insalubre, sordide et froide qu'elle repose son regard d'insomniaque.
Insomniaque ? Car la nuit, imbibée des percolations lithiques , de molles tisanes émeraudes et d'exhalaisons méphitiques, du suc puissant des racines du lierre ou des venaisons faisandés des salamandres et des tritons qui succombent à ses pieds, Mamm al Laez concocte les épicés breuvages qui montent comme une lymphe et dégorgent en cette galactorrhée visqueuse que distribue le dieu lactogène aux nounous qui le prient.
II. La statue de Notre-Dame de Tréguron.
Notre-Dame de Tréguron :
Il s'agit d'une statue en pierre grandeur nature placée dans une niche en bois à volets (absents) d'ornementation gothique. Elle est datée du XVIIème siècle et placée sur un socle portant l'inscription : L.1654 : H : KPRAT , nom du fabricien commanditaire.
C'est le double solaire, radieuse, rubiconde et florissante de la divinité lunaire, anémique et confinée que nous venons de quitter. Elle est présentée par l'inscription AVE MARIA PLENNE DE GRACE.
Elle est l'archétype des Vierges allaitantes de Cornouaille, dont plusieurs portent son nom de Notre-dame de Tréguron, mais elle est la seule à montrer ses deux seins.
Dans le gloire de sa maternité, couronnée par deux anges, elle soutient le lourd sein droit de sa paume alors que du mamelon sourd trois gouttes de ce lait qui est la nourriture de l'enfant-dieu. et celui-ci, indifférent au destin qui l'attend, tête goulûment le sein gauche tout en le maintenant en un geste charmant de la main. Et on constate que ce Jèsus est coiffé d'une auréole-bonnet en or. Il est nu, zizi à l'air afin que chacun puisse discuter pour savoir si l'artiste n'a pas oublié que, selon les Évangiles, il a été circoncis.(si). Il tient debout comme un grand et on lui donne un an ou plus, ce qui n'a rien d'étonnant puisque chez les peuples latins de ce temps de l'année 0001 ou 0002, les mères allaitent les enfants jusqu'à trois ou quatre ans.
A la différence des autres Vierges, mais comme toutes les Vierges allaitantes, sa chevelure est apparente, et elle ruisselle comme une rivière de lait blond sur ses épaules, juste rassemblé par un bandeau blanc aux rayures vertes et or.
Royalement assise sur un siége aux allures de cathèdre, elle trône dans son vaste manteau d'or doublé de satin bleu dont le pan gauche recouvre ses genoux. Sa robe rouge trés cintrée (c'est, sans-doute, le bénéfice du post-partum d'un enfant divinement conçu de ne pas prendre de ventre du-tout) s'ouvre par un large décolleté en V sur une chemise qui a été descendue sous la poitrine. Ce costume ne me semble pas correspondre au costume féminin de 1654 ( régne de Louis XIV) mais semble reprendre celui des peintures de Jean Fouquet (1452) ou de Joos van Cleve (début XVe siècle) que j'ai présenté ici : Virgo lactans ou miss Néné ? Les candidates du Finistère. Les Vierges allaitantes.
On peut encore s'attarder sur les manches pendantes. Ou s'interroger sur le blason qui surmonte la sculpture, de gueule aux trois fasces d'or accompagné d'une fleur d'or, que je n'ai pu déterminer.
Mais ces descriptions s'écartent de l'essentiel: la beauté de cette mère au clair et fier regard bleu, qui fait de cette statue une grande réussite artistique.
La niche se fermait par deux volets qui ont disparu. Était-elle fermée lors du Carème ? Ou bien en permanence sauf lors des fêtes et pardons? La statue était-elle habillée ? Cela permettrait de comprendre cette tradition rapportée par certains auteurs qui signalent que les femmes en difficulté d'allaitement venait planter des épingles dans le bas de la robe.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle était pudiquement drapée jusqu'aux années 1950 (Annick Le Douget, La chapelle de Clohars-Fouesnant, la tradition de l'habillement de la Vierge, en ligne)