Formidable ! Marie-Suzanne de Ponthaud et Jean-Pierre Breton sous les voûtes : les nouveaux blochets de l'église de Sizun (29).
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Voir aussi :
- Les sablières et blochets de la charpente de l'église de Sizun (29) après leur restauration par l'atelier Le Ber en 2012.
- Les sculptures extérieures de l'église de Sizun.
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En novembre 2011, j'avais découvert les blochets de l'église de Plouedern (Finistère), et, après une patiente enquête, j'y avais identifié toute l'équipe chargée de la "restauration" (ou reconstruction) de l'église totalement détruite par un incendie. Il s'y trouvait Gérard Caillau, Architecte des Bâtiments de France, Gérard Jamain, patron du bureau d'étude de restauration, le peintre Paul Mériguet, le sculpteur Vincent Fancelli, le maire Hervé Ropars, le recteur Malléjac, le maître-verrier Hubert de Sainte-Marie, le sculpteur Mourad-Horch, au total 15 personnes représentées comme des marionnettes sur chaque blochet de la charpente.
Voir ici :
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, visitant l'église Saint-Suliau de Sizun après la restauration de la charpente menée par l'entreprise Le Ber (Kerféos, Sizun) en 2012, une fois encore, levant les yeux, je découvrais deux personnages sculptés dans les blochets, et qui, manifestement, n'étaient pas perchés là depuis la Renaissance.
Il s'agissait de les identifier dare-dare.
On les trouvera dans l'extrémité occidentale du bas-coté sud de la nef, un espace exigu situé immédiatement à gauche de la porte d'entrée.
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Cette fois-ci, je ne perdais pas de temps et je les identifiais en deux ou trois clics. Je trouvais d'abord un article en ligne du Télégramme de Brest du 9 décembre 2012 sous le titre Sizun Rénovation de l'église. Une visite des élus :
"Mardi après-midi, Jean-Pierre Breton, maire, et Nicole Crenn, adjointe à la culture et au tourisme, ont réceptionné les travaux de rénovation de l'église paroissiale. Étaient présents: Mme De Ponthaud, architecte en chef des Monuments historiques, Mme Godet, son adjointe, M.Masson, conservateur régional des monuments historiques à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) de Rennes, M.Lemesle, ingénieur monuments historiques, M.Sénéchal, architecte des Bâtiments de France à Brest ainsi que les représentants des entreprises ayant participé au chantier: entreprises Le Ber Sizun, charpente, Goavec Pitrey, Brasparts maçonnerie, Davy, Saint-Brieuc, couverture, Molinier, polychromie.
Près de 1.650.000EUR de travaux
Débuté en septembre 2009, le chantier s'est achevé en octobre cette année. Les paroissiens ont ainsi pu assister aux offices de la Toussaint dans une église resplendissante. Le coût de la rénovation s'élève aux environs de 1.650.000EUR, subventionnés par l'État (Drac), la Région et le Département."
© Le Télégramme http://www.letelegramme.fr/local/finistere-nord/morlaix/sizun/sizun/renovation-de-l-eglise-une-visite-des-elus-09-12-2012-1936080.php#QWOv7df7LwkBeiuI.99
Je trouvais ensuite sur le site de l'entreprise de menuiserie Le Ber ces lignes :
"Restauration de charpente de l'église St Suliau à Sizun. Edifice classé Monuments Historiques en 1943. Durée des travaux de 26 mois, en trois tranches. Maître d'oeuvre: Madame De Ponthaud Architecte en Chef des Monuments Historiques."
www.ateliersleber.fr/realisations/charpente/restauration-de.../eglise-st-suliau-sizun
Il s'agissait de trouver en ligne une photographie de Madame l'Architecte en chef, afin de confirmer l'hypothèse. Le site copainsdavant.linternaute.com me fournit celle-ci, dans laquelle je retrouvais de manière assez convaincante les traits sculptés dans le bois :
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Je trouvais aussi une confirmation sur le site
http://www.une-vie-de-setter.com/article-en-cette-periode-de-l-avent-113635370.html
...et avec ce lien :
http://www.saintpoldeleon.fr/IMG/pdf/2016-01-14_itw_mme_de_ponthaud_-_bm_no80.pdf
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Madame Marie-Suzanne de Ponthaud, blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
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Madame de Ponthaud, reconnaissable à sa mêche et à ses yeux bleus, est représentée tenant un crayon et un mètre pliant dans la main gauche, une bourse et ses cordons dans la main droite et des rouleaux de plans sous le bras. De sa poche sort une montre, ou mieux, un chronomètre qui illustre son souci du respect des délais fixés.
Voir les corrections des mots biffés en fin d'article !.
Madame Marie-Suzanne de Ponthaud, blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
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Portrait.
Un portrait faisant la synthèse des données disponibles en ligne montre que l'Architecte en chef mérite largement sa place dans cet Olympe, dans ce bosquet sacré planté de blochet de chêne où les grands noms de la Restauration Patrimoniale accèderaient à l'immortalité par leur métamorphose.
Elle est la seule femme parmi les 34 Architectes en chef des Monuments Historiques (ACMH) pour la France. Sélectionnés par la voie d’un concours d’État, les ACMH sont des architectes libéraux recrutés par le ministère de la Culture pour lui apporter leur concours dans l’accomplissement des missions de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine architectural. Ils remplissent des missions d’avis, de conseil et d’assistance auprès des services du ministère pour les bâtiments classés et inscrits au titre de monuments historiques. Ils exercent également le rôle de maître d’œuvres, en particulier sur les édifices classés appartenant à l’État dans les circonscriptions qui leur sont attribuées.
Elle dirige l'Agence de Ponthaud à Boulogne-Billancourt et l'Agence De Ponthaud-Bretagne à Crozon.
Diplômée de l'Institut de Construction industrialisé en 1988, de l’École Spéciale d’Architecture en 1989 et titulaire d’un master de l’École nationale des ponts et chaussées, elle a commencé par travailler dans l’agence d’un ACMH avant de suivre le cursus de l’école de Chaillot. Elle a ensuite passé le concours ACMH et ouvert son agence en 1997. Depuis elle travaille à la réfection de nombreux monuments historiques dans les départements dont elle a la charge : le Morbihan, le Finistère et l'Eure-et-Loire. Parmi la liste d'innombrables chantiers, figurent la cathédrale de Chartres et le musée d’Orsay à Paris, la maison Pénanault à Morlaix, les églises de Locquénolé, de Saint Thégonnec et de Saint Jean du Doigt, les châteaux de Kerjean, de Maillé, le château du Taureau en baie de Morlaix, la tour Vauban à Camaret, l’abbaye Saint Mathieu à Plougonvelin ou le phare du Stiff à Ouessant, et la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon en 2016.
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Madame Marie-Suzanne de Ponthaud, blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
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La photographie accompagnant l'article du Télégramme (9 / 12/ 2012) m'a permis d'identifier tout aussi rapidement le second heureux élu de cette montée sur les planches, car j'ai facilement reconnu Jean-Pierre Breton, maire de Sizun depuis 1989.
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J'emprunte la photo suivante à Ouest-France du 6 août 2016 : le maire y est photographié devant l'arc de triomphe de l'enclos paroissial de Sizun, réalisé en coquillage.
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Monsieur Jean-Pierre Breton, maire de Sizun , blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
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Monsieur le maire est représenté par le ciseau du sculpteur tenant entre les bras la maquette de son église paroissiale entourée des toits de son village, réputé pour ses ardoises.
Monsieur Jean-Pierre Breton, maire de Sizun , blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
Monsieur Jean-Pierre Breton, maire de Sizun , blochet de l'église Saint-Suliau de Sizun, photographie lavieb-aile.
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DISCUSSION.
Je tenais les quinze blochets de Plouedern comme un phénomène unique expliqué par un contexte particulier. La découverte d'un autre exemple à Sizun remet en cause ces présupposés et entraine les questions suivantes :
L'exemple de Plouedern a-t-il joué un rôle déterminant pour la réalisation des blochets de Sizun ?
Qui a commandité ces blochets ? Le maître d'œuvre ? La mairie ? Est-ce une initiative du sculpteur ?
Cette pratique va-t-elle (ou bien a-t-elle déjà ) susciter une émulation d'imitation ?
CONCLUSION.
1) Les historiens de l'art se heurtent souvent au manque de documents dans l'étude des monuments anciens et peinent souvent à retrouver le nom des artisans, à interpréter une inscription, à identifier un personnage et sa fonction, à préciser le rôle d'un commanditaire, etc.. Il me paraît désormais important, dans le cadre de l'éthique présidant à toute rénovation et toute restauration, d'anticiper les interrogations futures et de laisser une documentation pérenne et accessible du travail entrepris.
2) Si j'ai pu ici faire partager mon admiration pour le talent du sculpteur, et de l'entreprise Le Ber, ou mon enthousiasme face à la détermination de la Mairie et les compétences de l'Architecte en chef, et inciter les visiteurs à lever la tête vers la charpente, j'aurai réussi le but fixé.
3) Je sais ce qu'il me reste à faire : éditer un nouvel article sur les sablières et blochets anciens qui viennent d'être restaurés à Sizun : à suivre.
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LA SUITE...
La suite ? Elle ne se fit pas attendre, car j'ai rapidement reçu, en réponse à mes interrogations, un couriel d'Ewan Le Ber, l'un des deux frères de l'Atelier Le Ber "Menuiserie & Charpente". Comme le montre sa photo, que j'emprunte à leur site, Ewan, c'est le menuisier, alors que Steven est le charpentier ; ils sont à la tête d'une équipe d'une vingtaine de personnes.
http://www.ateliersleber.fr/entreprise/equipe/anciens
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La réponse d'Ewan Le Ber, la voilà :
"Pour répondre à vos interrogations : Le chantier a été suivi par Steven Le Ber, mon frère (et réalisé par une équipe de l'entreprise évidemment), et les sculptures réalisées par moi même. La polychromie a été réalisée par Véronique Le Moine de St Urbain.
L'exemple de Plouedern a-t-il joué un rôle déterminant pour la réalisation des blochets de Sizun ? Oui, je connais bien l'église de Plouedern et j'ai toujours trouvé intéressant de marquer l'époque d'une restauration par un clin d’œil, ce qui se fait par ailleurs régulièrement. En complément, je vous signale qu'il y a deux autres blochets dans l'église qui caricature Mr et Mme De Rohan, dans le transept Nord côté Ouest. Ces deux blochet encadrent une ancienne porte appelée la porte des Rohans, et c'est pour cela qu'ils sont tournés l'un vers l'autre alors qu'ils devraient normalement être perpendiculaires au mur comme des blochets "normaux". J'ai juste caricaturé les visages (et je ne crois pas que grand monde le sache), leurs attributs étant deux de ceux qui manquaient dans les instruments de la passion du Christ présents dans l'église. Il y a également un punk caché dans les personnages des sablières de ce même transept, la tête d'origine était vermoulue et nous en avions un à l'atelier à cette époque! A vous de le trouver...!
Qui a commandité ces blochets ? Le maître d'œuvre ? La mairie ? Est-ce une initiative du sculpteur ? C'est une initiative de l'entreprise. Aucune demande n'a été faite au préalable si ce n'est un accord de principe à la personne de l'agence De Ponthaud qui suivait le chantier pour savoir comment elle percevrait cela. Elle l'a également découvert en fin de chantier. Petites corrections cependant dans votre article: Madame de Ponthaud, reconnaissable à sa mêche et à ses yeux bleus, est représentée tenant un crayon et un mètre pliant dans la main gauche, (une bourse et ses cordons) un fil à plomb dans la main droite et des rouleaux de plans sous le bras. De sa poche sort une montre, ou mieux, un chronomètre qui illustre son souci du respect des délais fixés (avec une montre arrêtée sur 12H05 pour marquer que tout ne s'est pas fait exactement dans les temps!)
Pour Jean Pierre Breton, nous lui avons gardé la surprise jusqu'au jour de l'inauguration où il l'a découvert. Le village dans ses bras est clairement une idée reprise de Plouedern, j'avais trouvé cela vraiment symbolique et pertinent.
Cette pratique va-t-elle (ou bien a-t-elle déjà ) susciter une émulation d'imitation ? Je ne sais pas, en tout cas nous le faisons régulièrement que cela soit sur des édifices religieux ou particuliers (par exemple l'architecte avec son chien et sa jambe en bois dans un château). Il faut pour cela que nous "sentions" la chose et que cela soit naturel, et fait avec envie."
Passionnant et drôlement sympa, non ? Et en cadeau, il m'a joint la photo suivante :
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