Les fonts baptismaux de l'église Saint-Sauveur du Faou (29).
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La cuve baptismale de l'église Saint-Sauveur du Faou est, de l'avis général, d'un intérêt exceptionnel. Elle est classée par les Monuments historiques depuis le 10/11/1906 :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_5=LBASE&VALUE_5=PM29000246
Chrystel Douard, Inventaire général 1995 :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/palsri_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=IM29003537
Ces fonts baptismaux sont en pierre de kersanton, issue d'une carrière voisine en Rivière de Daoulas.
Kersantite : Louis Chauris distingue 4 faciès de cette roche remarquable par sa facilité initiale de taille, et sa dureté ultérieure: celui de Kersanton (Loperhet) de couleur noir verdâtre, c’est le plus tendre ; celui de Rosmorduc (Logonna-Daoulas) gris foncé, presque noir, grain très fin, très dur celui de la pointe du Château (Logonna-Daoulas) gris bleuté, grain fin, très dur ; et celui de Rhunvras (L’Hopital-Camfrout) gris bleu à gris vert, grain moyen et de bonne tenue à l’altération. C'est la pierre de prédilection des plus grands sculpteurs de calvaires et de statues de la région (Roland Doré et Julien Ozanne).
Ils sont installés depuis le XIXe siècle au centre d'un baldaquin en bois, au pavement octogonal, qui les mettent en évidence mais ne facilite pas leur examen. (C'est à quatre pattes dans l'étroit couloir que je terminerai ma visite). A contrario, une minuterie procure un éclairage efficace, et deux panonceaux explicatifs illustrés procurent les informations souhaitées. Elle résument les travaux d'un érudit local, Guy Leclerc, Frère de la Congrégation des Frères de l'Instruction chrétienne de Ploërmel. Professeur d'histoire à la retraite (en 2006), auteur d'ouvrages et d'articles dans le domaine du patrimoine religieux.
Cette " cuve baptismale aux serpents" polychrome est grossièrement ovalaire, avec deux faces principales (sud et nord), à couple de serpents, et deux faces plus étroites formant l'arrondi. Le décor de la face est (vers l'autel) a été martelée (armoiries ? on y relève encore des traces de polychromie et de dorure). Le coté opposé (vers le fond de l'église) est relié par un tuyau de plomb à un réservoir en granite qui sert de déversoir. Ces quatre faces sont centrées par de blonds et frisés chérubins. Des banderoles portent des inscriptions.
Vue de profil, elle est évasée de forme semi-ovoïde et est scellée à une base rapportée en granite, cylindrique. Ses dimensions sont les suivantes (Inventaire général 1995) : hauteur = 92cm ; largeur 90cm ; profondeur 67 cm ; dimension du petit bassin 52 cm de haut. Socle rapporté de 53 cm de haut.
En réalité, il s'avère qu'il s'agissait de l'ancienne vasque de fontaine datant de la seconde moitié du 16e siècle et qui fut transformée, depuis une date non déterminée, en fonts baptismaux. Selon Chrystel Douard, "Socle, cuve secondaire, parties en plomb et en bois pourraient être contemporains du baldaquin mis en place en 1881 ; l'inscription a été restaurée (ou mise en place ?) à la même époque. Le symbolisme des quatre fleuves et du paradis terrestre, pas nécessairement lié au baptême, pouvait déjà figurer sur ces vestiges de fontaine civile dont on ignore l'origine. Le léopard pourrait être une allusion héraldique à la famille du Faou dont les armoiries étaient d'azur au léopard d'or. Les quatre têtes d'angelots aux bouches percées (obstruées depuis l'usage en tant que fonts baptismaux) servaient à cracher l'eau."
Rappel :
Le terme fonts baptismaux est composé de deux mots : l’un emprunté au verbe grec baptizô signifiant "plonger, immerger", et l’autre au mot latin fons signifiant "source, fontaine", et donnant au pluriel fontes.
Au cours des premiers siècles, on baptisait dans les rivières, les fleuves. Plus tard, le baptême s'effectua dans des fonts placés dans les églises d'abord par immersion : c'est à dire en plongeant le catéchumène dans l'eau ; puis vers le XIIIe siècle par infusion (ou effusion) : en versant de l'eau sur la tête (le front) du néophyte. Nous avons ici des Fonts baptismaux par infusion. Les églises sont orientées d'ouest en est et les fonts baptismaux se trouvent, le plus souvent, à gauche de l'entrée principale, souvent protégés par une clôture en bois ou en fer. Les fonts baptismaux en pierre, en marbre, en cuivre, en fonte, en plomb, varièrent de forme et d'ornementation suivant les siècles.
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La vue de haut montre la vasque au bord habillée d'un couvercle en bois fixé par des tiges en fer, et ses deux couvercles de plomb correspondant à la grande cuve bipartite de plomb. L'un est destiné à conserver l'eau baptismale, et l'autre (qui se vide par le tuyau de plomb du coté ouest) permet l'évacuation de l'eau versée sur la tête du nouveau baptisé. Le couvercle oriental est lui-même doté d'un couvercle carré à anneau. La cuve est pourvue d'anneaux dont quatre ont disparu. La petite cuve liée aux fonts par un déversoir en plomb qui, lors de la pose, a abîmé la bouche de l'angelot.
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La lecture des phylactères débute par le coté droit de la face sud. Rédigée en lettres capitales, elle est disposée sur deux lignes interrompues par les replis de la banderole. On lit ainsi facilement :
PHISON CEST
LA : TERRE DE
Pour lire la suite, il faut, armé de son calepin, faire, accroupi comme un indien sur le chemin de la guerre, le tour de la cuve. Je me suis plié (au sens littéral) à ce rituel, pour constater que le chanoine Abgrall, qui m'y avait précédé en 1896, n'avait rien omis, si ce n'est la ponctuation. Nous avons donc chacun lu et remis dans l'ordre, et transcrit (ponctuation) ceci :
"Phison c'est celuy qui environne toute la terre de Hévila, là où croist l'or —
Gehon, c'est celui qui circuit toute la terre d'Ethiopie.
Tigris, c'est le troisième fleuve, va vers l'Assyrie.
Euphrates, c'est le quatrième fleuve."
Chrystel Douard a lu plus précisément : GEHON CEST CELUI QUI/ CIRCUIT PHISON CEST CELUY/QUI ENVIRONNE TOUTE/TOUTE LA TERRE D'ETHIOPIE LA/TERRE DE HEVILA LA OU/CROIST L'OR (face sud). EUPHRATES ET LE TIGRIS CESTUY/ VA VERS [LE] QUASTRIEME FLEUVE IHS/ASSURIE TROISIEME FLEUVE (face nord)
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Sur cette photo, nous voyons aussi à gauche une autre partie de l'inscription.
CELUI QUI / CIRCUIT :
D ETHIOPIE
Le chérubin a —comme ses trois collègues – la bouche ouverte, comme la gueule d'une fontaine, ce qui fait de lui l'allégorie d'un des quatre fleuves du Paradis mentionnés sur les banderoles.
Deux serpents, allégories des puissances du Malin auxquelles le catéchumène va échapper par le baptême, croisent leurs queues, et dardent leur langue vers le texte biblique.
Au dessus de l'ange, un oiseau en vol (une colombe si on veut) s'oppose aux serpents, qui relèvent des forces chthoniennes (souterraines). Il symbolise les forces aériennes, célestes –ouraniennes – et la victoire de l'âme libérée. De son bec, la colombe tient l'extrémité du rouleau d'écriture, mais aussi la tige d'un rameau d'olivier, évoquant bien-sûr ce symbole de la Paix et de l'Espoir qu'est devenue la colombe de Noé, de retour vers l'Arche pour annoncer la fin du Déluge et la nouvelle Alliance de Dieu avec l'Humanité. Elle évoque aussi la colombe qui vint se poser au dessus du Christ lors de son baptême, et, par là, l'Esprit-Saint :
"voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux une voix disait: " Celui-ci est mon Fils bien-aimé : en Lui j'ai mis tout mon amour."" (Matthieu chap. 3 versets 13 à 17)
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Sur la vue est, nous retrouvons un deuxième chérubin (le front peut-être orné d'une broche), au dessus de fleurs, à coté d'un serpent enroulé sur lui-même, et, à gauche, les inscriptions suivantes :
CELUY QVI / ENVIRONNE TOVTE
HEVILA : LA OV /CROIST LOR:
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La vue nord montre d'abord la suite du serpent précédent, et l'inscription:
EUPHRATES / ET LE
E QVATRIESME / FLEVVE/
IHS
La langue du serpent est dardée vers le monogramme du Christ.
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La vue suivante montre le deuxième serpent de cette face, visant de la langue cette-fois l'aile de la colombe.
L'inscription est ici :
TIGRIS CEST V
ASSYRIE
L'angle de vue permet de constater que les fleurs et rinceaux déjà observés constituent en réalité un véritable arbre. Comment ne pas penser aux deux arbres de l'Eden, "l’arbre de vie au milieu du paradis, avec l’arbre de la science du bien et du mal."
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La vue ouest montre bien-sûr le quatrième chérubin, le tuyau d'évacuation du récipient d'eau bénite, le quatrième oiseau, et les inscriptions :
IESME FLEVVE // GEHON
TOVTE
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Puisque notre tour est (presque) achevé, il est temps de réfléchir au texte des quatre inscriptions. Il s'agit des versets 11, 13 et 14 du deuxième Chapitre de la Genèse relatant la Création du Monde et décrivant l'Eden. Le Géhon, le Phison, le Tigre, et l'Euphrate sont les noms des quatre fleuves du paradis. Tigre et Euphrate sont les fleuves de la Mésopotamie, et le Phison, et le Geon étaient identifiés au Moyen Âge comme le Nil et l'Indus. Ces verset suivent immédiatement ceux-ci : " L'Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l'arbre de la vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras."
Il s'agit de la traduction du texte latin :
nomen uni Phison ipse est qui circuit omnem terram Evilat ubi nascitur aurum [...] et nomen fluvio secundo Geon ipse est qui circuit omnem terram Aethiopiae nomen vero fluminis tertii Tigris ipse vadit contra Assyrios fluvius autem quartus ipse est Eufrates.
La relation entre ces quatre bras du fleuve primordial et l'immersion ou infusion du baptême est évidente. Au delà du Jourdain dans lequel le Christ fut baptisé, de la Mer Rouge dont la traversée fut fondatrice pour le peuple hébreu, du Jourdain que traverse l'Arche d'alliance sous la conduite de Josué, le Fleuve de l'Eden représente une référence fondamentale, d'autant que sa division en quatre fleuves ouvre la symbolique du nombre quatre : quatre horizons, quatre Évangiles, mais surtout les quatre temps du signe de croix par lequel le fidèle fait profession de foi chrétienne. Les quatre fleuves peuvent représenter l'ensemble de l'univers, comme dans la mosaïque de l'ancien palais épiscopal de Die (Drôme). Leur figuration peut alors faire des fonts baptismaux une délimitation d'un espace sacré cosmique au sein duquel le sacrement va se dérouler.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal
On trouve ces quatre fleuves mentionné dans le rituel du baptême de l'Ordo Romanum. Ils servent de base aux fonts baptismaux d'Hildesheim en bronze, de 1226 :
Ces fonts, larges d'environ un mètre pour deux mètres de hauteur, comprennent deux parties, la cuve et le couvercle. À la base de la cuve sont représentés les quatre fleuves du paradis, qui sont mis en relation avec les quatre vertus cardinales, les quatre grands prophètes, les quatre évangélistes. Quatre scènes figurent sur la cuve : Vierge à l'Enfant avec le donateur, passage de la mer Rouge sous la conduite de Moïse, baptême de Jésus par Jean, Josué et l'arche d'alliance passant le Jourdain pour entrer en la Terre promise. Sur le couvercle on a les quatre genres de baptême : l'eau, le martyre, la pénitence et les bonnes œuvres. Quatre vers expliquent l'iconographie de la cuve et quatre celle du couvercle. Aux quatre points cardinaux les personnifications des fleuves «irriguent le monde» avec leurs jarres renversées d'où l'eau s'écoule. Au-dessus de chaque fleuve est associée étroitement, dans un médaillon, une vertu cardinale, ces vertus qui à leur tour «baignent les cœurs libérés du péché». Phison est assimilé à la Prudence, Le Géon, ouverture de la terre, désigne la Tempérance, le Tigre rapide signifie la Force, et l'Euphrate fertile indique la Justice».
https://en.wikipedia.org/wiki/Baptismal_font_(Hildesheim)
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Fonts baptismaux 'Hildesheim (Basse-Saxe) in Favreau http://www.persee.fr/docAsPDF/ccmed_0007-9731_1995_num_38_150_2609.pdf
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Ce sont eux que les spécialistes reconnaissent généralement dans les quatre bustes anthropomorphes qui ponctuent les angles de nombreux fonts baptismaux, notamment ceux réalisés en pierre bleue de Tournai au XIIe siècle :
Ces fonts baptismaux peuvent être mis en relation avec une série d'œuvres similaires par la forme, le décor et l'utilisation de la pierre calcaire de Tournai dite pierre bleue et sont datables de la 2e moitié du 12e siècle ou du début du 13e siècle. De nombreuses églises en Thiérache conservent de semblables fonts, ainsi à Jeantes, Bancigny, Saint-Clément ou Martigny. Ces œuvres ont été exécutées dans le cadre des centres de production du Nord de la France et de la vallée mosane du 12e siècle. Elles sont parmi les créations les plus originales de la sculpture romane du 12e siècle. Le décor de têtes anthropomorphes sous un réseau d'arcatures, d'animaux fabuleux affrontés et de rinceaux a fait l'objet de plusieurs interprétations iconographiques et symboliques, le combat des deux animaux seraient ainsi une allusion à la lutte du Bien et du Mal. (Inventaire Général de Picardie)
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DATATION.
Le panonceau de l'église indique : "L'église est rebâtie entre 1544 et 1680. Classée en 1996 (? Erreur, le classement date de 1906) , cette cuve date probablement du début du XVIe siècle et se trouvait dans l'église précédente dont il reste quelques traces."
Cette datation n'est pas approuvée par Chrystel Douard, ingénieur d'études au ministère de la Culture et ensuite à la région Bretagne au service de l'inventaire du Patrimoine dans sa mission de 1995. Elle propose de dater la vasque de fontaine de la seconde moitié du XVIe siècle, soit 1550-1599, et sa transformation en fonts à une date non déterminée.
Si on considère que les inscriptions sont authentiques, je voudrais faire remarquer que leur texte procure des informations importantes.
En effet, ce texte est une traduction en français de la bible latine.
a) La première Bible imprimée fut celle de Lefèvre d'Étaples en 1530. J'y lis, pour les versets incriminés, ceci :
A ung est nommé Physon. Cest celuy qui environne toute la terre de Evilath la ou croist lor. Et le second fleuve est nommé Geon, cestuy est lequel environne toute la terre de l'Ethiope. Et le nom du troisième fleuve est Tigris : cestuy va contre les Assyriens." La Saincte Bible, Martin Lempereur, Anvers sur Gallica
b) En 1535 paraît La Bible qui est toute la saincte escriture en laquelle sont contenus, le Vieil Testament et le Nouveau, translatez en Francoys, par Olivétan. Au verso du titre se trouve une épître latine de Calvin (alors âgé de vingt-cinq ans) : À tous empereurs, rois, princes et peuples soumis à l'empire de Christ. Dans cette épître, Calvin revendique pour chacun le droit de lire l'Écriture.
A lung est nom Phison. Cest cestuy qui environne toute la terre de Hevilach làou croist lor. Let le nom du second fleuve est Gehon : cestuy est qui circuit toute la terre de Ethiope. Et le nom du troysiesme fleuve est Hidekel : cestuy va vers Assyrie. Et le quatriesme fleuve est Euphrates
c) En 1550, nous disposons de la "Bible louvaniste" :La Saincte Bible nouvellement translatée de latin en françois, selon l'édition latine, dernièrement imprimée à Louvain, reveue, corrigée & approuvée par gens sçavants, à ce députez : à chascun chapitre sont adjouxtez les sommaires, contenants la matière du dict chapitre, les concordances, & aucunes apostilles aux marges par Bartholomy de Grave (Louvain) Anthoine Marie Bergagne (Louvain) et Jehan de Uvaen (Louvain) 1550
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k53708d/f17.item.zoom
Le texte n'est pas non plus celui du Faou :
A ung est nom Phison. C'est celuy qui environne toute la terre de Hevilath, là où croist l'or.Et le nom du second fleuve est Gehon. C'estuy est, lequel environne toute la terre d'Ethiopie. Et le nom de troisiesme fleuve est Tigris. Cestuy va contre les Assyriens
d) La Bible de Jean de Tournes de 1561 doit être écartée également. Certes on trouve: "qui circuit toute la terre d'Ethiopie" Mais aussi "Et le nom du troisiesme fleuve est Hiddecel".
e) Par contre La Bible publiée par Jean de Tournes à Lyon en 1557 est très proche de notre texte faouiste (je voulais le placer) :
L'un est nommé Phison : c'est c'il qui environne la terre d'Hevilach, là où croist l'or. Le nom du second fleuve est Gehon : c'est celui qui circuit toute la terre d'Ethiopie. Le nom du troisieme fleuve est Tigris : cestui va vers Assyrie. Et le quatrième fleuve est Euphrates
Je le confronte au texte des banderoles :
"Phison c'est celuy qui environne toute la terre de Hévila, là où croist l'or —
Gehon, c'est celui qui circuit toute la terre d'Ethiopie.
Tigris, c'est le troisième fleuve, va vers Assyrie.
Euphrates, c'est le quatrième fleuve."
Il n'y a pas identité, mais la plupart des caractéristiques sont réunies.
f) Par contre il faut écarter La bible qui est toute la sainte escripture. etc. (Les pseaumes mis en rime francoise par Clement Marot et Theodore de Beze.)- Geneve, Sebast. Honorati parue en 1570 et qui parle d'"Hidekel"
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L'un est nommé Phison : c'est celuy qui environne toute la terre d'Hevilath, là où croist l'or . Et le nom du second fleuve est Gehon : c'est celuy qui circuit toute la terre d'Ethiopie. Et le nom du troisième fleuve est Hidekel : c'estuy-la va vers l'Orient d'Assyrie. Et le quatrième fleuve est Euphrates.
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En conclusion, il me parait possible d'affirmer que les inscriptions sont celles de la vasque d'origine, et qu'elles ont trouvé leur source dans une bible en français traduite vers 1557 ; et peut-être même adaptée de la Bible de Jean de Tournes parue à Lyon en 1557. Une date plus tardive est moins probable, puisque les traductions abandonnent les formes troisiesme, quatriesme, cestuy, etc et introduisent les c et l apostrophes .
Cette démarche abonde dans le sens de Chrystel Douard et propose une fourchette plus resserrée entre 1555 et 1570.
Mais surtout, cela fait apparaître un élément essentiel : les inscriptions de la vasque se réfèrent au mouvement de traduction du latin en français qui est celui des humanistes (le catholique Jacques Lefèvre d'Étaples, 1450-1537) puis de la Réforme (Olivétan, 1506-1538, cousin de Jean Calvin). L'imprimeur lyonnais Jean II de Tournes (1539-1615) , Imprimeur du Roi, était un protestant huguenot dot les presses furent saccagées en 1564 lors des Guerres de Religion tandis qu'il était emprisonné durant deux mois. Il fut emprisonné à nouveau en 1572, mais échappa à la Saint-Barthélémy. En 1585, il s'installa à Genève.
Or, il est intéressant de noter que les vicomtes du Faou appartenaient à la famille du Quélennec. La seigneurie du Fou est une très ancienne vicomté en l’évêché de Cornouaille en Basse-Bretagne, les seigneurs d’icelle portaient le nom de leur terre et en armes d’azur au léopard d’or. Quels sont les seigneurs vers 1550-1600 ?
a) Jean V du Quélennec (né vers 1520), seigneur du Quélennec, baron du Pont, et de Rostrenen, vicomte du Faou et de Coëtmeur, mariée en 1538 à Jeanne de Maure. Or, cette dernière était protestante : "et habite son manoir de la Clarté avec ses enfants. Elle vient parfois en l'église de Cornillé assister au prêche. Elle le fait faire par un ministre qu'elle amène avec elle et fait monter en chaire, usant du droit que lui donne la qualité de son fief d'y faire exercer son culte." (Wikipédia)
b) Charles II du Quélennec, dit de Soubise (1548 † Assassiné le 24 août 1572 - Paris, pendant les Massacres de la Saint-Barthélémy peu après l'Amiral de Coligny), seigneur du Quélennec, vicomte du Faou, baron du Pont, et de Rostrenen. Il embrasse la religion réformée, chasse les chapelains de la chapelle de Saint-Tudy en son château du Pont, et fait faire des prédications par le pasteur protestant Claude Charretier. Il prend le nom de Soubise après son mariage avec l'héritière des Parthenay, mais il est fait prisonnier à Jarnac. Il s'évade et reprend le combat sous les ordres de René de Rohan, mais il est accusé d'impuissance par son épouse ; menacé d'un procès, il l'enferme dans son château de pont avant de trouver la mort au Louvre après avoir combattu vaillamment en étant défenestré. Marié le 20 juin 1568 (Château du Parc - Mouchamps) à Catherine de Parthenay-L'Archevêque (22 mars 1554 - Parc en Poitou † 26 octobre 1631 - Parc en Poitou), dame de Soubis e. Veuve à 18 ans, celle-ci se remarie en 1575 avec René II de Rohan, élevé dans le culte réformé , et aménage les principales résidences des Rohan (Blain, Pontivy et Josselin) tout en y développant des églises protestantes.
c) Jane du Quélennec, héritière de son frère Charles, épousa Jacques de Beaumanoir, vicomte du Besso.
Pendant les guerres de la Ligue (1562-1598), Le Faou fut pillée et soumise à rançon par Anne de Sanzay, comte de la Magnane, notamment en novembre 1593.
La vasque de kersanton fut donc sculptée dans la seconde moitié du XVIe siècle, alors que les versets de la Genèse qui y furent gravés en français étaient copiés de Bible issues de la Réforme, et au moment même où les vicomtes du Faou étaient protestants. Leur blason d'azur au léopard d'or figurait peut-être sur la vasque, là où la pierre a été martelée.
Qu'en conclure ? Je l'ignore... mais ce léopard d'or me fait me souvenir qu'un lion figure, selon les commentateurs, sur ces fonts, et que je n'y ai pas prêté garde. Mais, j' y pense, ne parlaient-ils pas aussi d'un chien ? Et d'un cerf ?
Vite, j'y retourne.
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OÙ JE ME LANCE À QUATRE PATTES SUR LA PISTE D'UN LION, D'UN CHIEN ET D'UN CERF.
Je trouve le lion assez facilement. Il m'attendait, dressé sur ses pattes de derrière, à la gauche de la face sud. Il est rampant et non passant, c'est à dire qu'en terme héraldique il n'est nullement léopardé et n'a rien à voir avec le meuble du blason des vicomtes du Faou. Par sa langue et par sa queue au pinceau de poil particulièrement touffue, il semble se défendre contre l'attaque du serpent. Par contre, ces pattes avant tiennent un phylactère qui devait être plus lisible avant l'adjonction d'un déversoir. On y lirait alors JESUS / MARIA / ANNA, la banderole étant tenue de l'autre coté par une main coupée.
Le panonceau de l'église suggère que l'inscription devait être différente jadis.
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Émile Mâle a écrit de belles choses sur le Lion, symbole de résurrection, en raison de la croyance commune dans les Bestiares du Moyen Âge que la lionne mettait bas des petits qui semblaient morts-nés. Pendant trois jours, les lionceaux ne donnaient aucun signe de vie, mais le troisième jour, le lion venait et les ranimait de son souffle puissant. Ainsi, la mort apparente du lionceau s'apparentait au séjour du Christ dans son tombeau, avant sa Résurrection tertia die. Voir Sancti Epiphani ad Physiologus, Christophe Plantin, Anvers 1588
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Pour voir le chien, il faut repérer sa queue en crochet rougeâtre sous la patte avant du lion. Lorsque vous la tenez, ne la lâchez plus et accroupissez-vous dans la poussière. Vous comprenez que ce que vous preniez pour la tête d'un bouquetin sont les pattes arrières en pleine course d'un chien de chasse.
Ce n'est pas le moment de faiblir.
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Coincé dans un minuscule espace entre la balustrade du dais, la cuve, et le déversoir, vous allez devoir maintenant passer de l'autre coté du tuyau, où il est devenu évident que vous allez découvrir le cerf. Mais l'éclairage de la minuterie laisse cette partie dans l'ombre, et l'affaire se transforme en une équipée spéléologique dans des grottes rupestres . De fantastiques images se dévoilent en ocre sur la paroi de calcite et vous admirez comment, voici des millénaires, l'artiste a su profiter des reliefs naturels de la cuve pour faire frémir le flanc de l'animal qui, haletant, vous jette un regard complice (oxyde de manganèse et charbon de bois ?).
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Vue depuis le point vernal des fonts baptismaux de l'église Saint-Sauveur du Faou. Photographie lavieb-aile.
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Vue depuis le point nemo des fonts baptismaux de l'église Saint-Sauveur du Faou. Photographie lavieb-aile.
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A bout de souffle, vous tentez l'impossible pour obtenir sur le même cliché le chien et le cerf. Vous installez votre appareil entre le tuyau de plomb et la cuve et tentez d'accéder au commutateur. Clic.
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Longtemps, les aboiements de la meute ont retenti à ses oreilles (c'est le sens du grec katêkhéô, « faire retentir aux oreilles» , qui a donné catéchumène). Le cerf a traversé à la nage le fleuve Géhon dont le nom signifie en hébreu "l'impétueux". Il est sauvé. Il devient un magnifique symbole de la renaissance et de la libération spirituelle. Pour d'autres, Géhon ou Gi'hôn vient du sumérien GIEN qui signifie "Les grands Ancêtres". Ce passage initiatique à travers les eaux lustrales, primitives et ancestrales font de lui un Éveillé.
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SOURCES ET LIENS.
Sur les fonts de l'église du Faou :
— Topic-topos.
http://fr.topic-topos.com/cuve-baptismale-le-faou
— ABGRALL (Jean-Marie), 1898, "Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments du Finistère recueillies par M. l'Abbé J-M. Abgrall, Chanoine honoraire". In Congrès archéologique de France; LXIIIe séssion. Séances générales du tenues à Morlaix et à Brest en 1896 par la Société française d'archéologie Paris, Caen 1898, page 123
https://archive.org/stream/seancesgenerales1896cong#page/122/mode/2up/search/phison
— COUFFON (René) & LE BRAS (Alfred), 1988, Diocèse de Quimper et de Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, Association diocésaine, 1988, 551 p.
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/FAOURUME.pdf
— http://pormenaz.free.fr/Le-faou.php
Sur les fonds baptismaux :
— Dossier pdf "Cuves baptismales et fonts baptismaux : évolution formelle avant le XVIe siècle"
http://www.culture.gouv.fr/documentation/memoire/CATALOGUES/fontsbapt/fontsbapt_histav16e/html/fontsbapt_histav16e.html
— Dossier pdf "Cuves baptismales et fonts baptismaux : environnement des fonts"
http://www.culture.gouv.fr/documentation/memoire/CATALOGUES/fontsbapt/fontsbapt_envir/html/fontsbapt_envir_image_1.html
— https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonts_baptismaux
— Les Fonts baptismaux d'Hildesheim (Ier tiers XIIIe) :
La bande la plus basse montre quatre figures humaines, qui soutiennent toute la cuve. Ce sont des personnifications des quatre fleuves du jardin d'Eden ( Genèse 2: 10-14 ). Chacun d'eux se déverse sur l'eau de la vie: Les quatre figures sont clairement distinctes par les vêtements, la posture, et la coiffure et symbolisent les différentes classes et phases de la vie. Dans une petite zone au- dessus de leurs têtes, ils sont identifiés par les vertus cardinales : la modération, le courage, la justice et la sagesse.
https://en.wikipedia.org/wiki/Baptismal_font_(Hildesheim)
— Les fonts de Saint-Clément (Aisne) :
https://inventaire.picardie.fr/dossier/fonts-baptismaux-cuve-baptismale-a-infusion/395d3f40-a71e-4372-88ef-07dc9b844074
— A_Twelfth_Century_Baptismal_Font_from_Wellen_The_Metropolitan_Museum_Journal_v_44_2009 (1).pdf
Baptismal font. Wellen, Limburg, Belgium, 1155–70. Bluestone . The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection
In the Ordo romanus, the ritual of blessing the baptismal water alludes to the four rivers of Paradise—the Gehon, the Phison, the Tigris, and the Euphrates—that “water all of the earth,” like the waters of holy baptism. Patrologia Latina, vol. 78, “Romani Ordines,” 21, cols. 1015–16, and 42, col. 956. In early Christian iconography, the rivers of Paradise, associated with the Evangelists in the prayers of Saint Cyprian (ca. 200–258) and by Saint Augustine in the City of God,( Ibid., vol. 3, col. 1110, and vol. 31, col. 395) issue from human or lions’ heads. The four human heads on the Cloisters font are homogeneous enough in design to permit an interpretation of them as personifications of the rivers of Paradise, but the diversity among the heads on a number of other fonts prevents any such generalization. Despite their rather reassuring features, the heads may also have served an apotropaic function.
— FAVREAU (Robert), 1995, Les inscriptions des fonts baptismaux d'Hildesheim, Baptême et quaternité Cahiers de civilisation médiévale Année 1995 Volume 38 Numéro 150 pp. 116-140
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— MÂLE ( Émile), 1922 L'art religieux du XIIe siècle en France : étude sur les origines de l'iconographie du moyen age
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— MÂLE ( Émile), L'art religieux du XIIIe siècle en France: étude sur l'iconographie du Moyen ... 1898
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page 55 Honorius d'Autin :https://archive.org/stream/lartreligieuxdu00mlgoog#page/n79/mode/2up/search/lion
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—MÂLE ( Émile), 1922, L'art religieux de la fin du Moyen Age en France : étude sur l'iconographie du Moyen Age et sur ses sources d'inspiration, 1922,
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— BOGAERT (P-M.) J.-Fr. Gilmont La première Bible française de Louvain (1550) Revue théologique de Louvain Année 1980 Volume 11 Numéro 3 pp. 275-309
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—REUSENS, (Edmond Henri Joseph),1885, Éléments d'archéologie chrétienne :
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— Fonts baptismaux de la Somme :
http://www.richesses-en-somme.com/patrimoine-des-%C3%A9glises/fonts-baptismaux/fonts-bapt-du-10e-au-13e-si%C3%A8cle/