Profanation d'inscription lapidaire de 1555 par un compteur électrique : l'église Saint-Herlé à Ploaré (Douarnenez).
Corpus épigraphique de l'église 1550-1684.
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Voir sur cette église :
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Voir aussi :
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Ploéven VII : les inscriptions lapidaires de la chapelle Saint-Nicodème.
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Les inscriptions lapidaires de l'église saint-Sauveur du Faou (29). (1544-1680)
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Eglise Saint-Thurien à Plogonnec: N rétrograde et mentions de construction.
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Visite de la chapelle de Rocamadour et de l'église Saint-Rémy à Camaret. Petite étude des inscriptions lapidaires des églises de Camaret sur Mer : tildes et N rétrograde (Inscription de fondation de 1527 ; 1610-1683)
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Le retable de la Déploration (1517) de l'église de Pencran (29). (inscription de 1517)
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La chapelle Saint-Trémeur à Plougastel. Inscription de fondation 1581
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La baie n° 1 de l'église de Brennilis. Inscription de fondation 1485.
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L'église de Goulven et sa maison du XVIe. II. Ses inscriptions lapidaires du XVIe siècle.
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Une inscription lapidaire d'un tailleur de pierre à Telgruc : H : GOVRMELEN : 1584.
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L'église Saint-Nicaise à Saint-Nic : inscriptions lapidaires, de datations et nominatives.
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Vierges allaitantes VI : Kerluan à Chateaulin, la chapelle, inscriptions.
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Foudre et clocher : Sainte Barbe invoquée en breton à Pleyber-Christ.
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Les crossettes et l'inscription gothique de l'église de Pont-Christ à La Roche-Maurice.
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Église de Rosnoën et ses inscriptions lapidaires : tilde, N rétrograde, et esperluettes!
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L'église Notre-Dame de Rumengol I. Les inscriptions lapidaires.
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Les crossettes et l'inscription gothique du moulin de Brezal (Plounéventer / Pont-Christ).
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L'inscription de fondation de l'hôpital Saint-Julien de Landerneau.
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Le chanoine Abgrall, inoubliable auteur de "En vélo autour de Quimper", doit s'en retourner dans sa tombe : lui qui, le premier, prit le soin de parcourir à bicyclette le Finistère pour relever les inscriptions gravées et sculptées des églises et monuments religieux du Finistère, et qui, lors de sa première visite à Saint-Herlé de Ploaré, en 1898, releva avec exactitude et intuition une seule inscription "sur la base de la tour, à l'intérieur de l'église, dans la tribune des orgues", serait bien peiné d'apprendre que cette inscription fondatrice de la tour (la partie la plus ancienne de l'église), a été masquée partiellement par la pose du compteur de l'église.
Certes, on trouvera que j'abuse en parlant ici de "profanation". Mais ce patrimoine épigraphique, véritable mémoire de la pierre, n'est-il pas sacré ?
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Jean-Marie Abgrall avait relevé : AN LAN 1555 . G GLEUBA . PROCIE : F
Elle s'interprète alors facilement ainsi : En l'an 1555, G. Gleuba étant procureur de la fabrique.
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Mais son relevé n'est pas suffisant, et laisse de coté un certain nombre d'éléments précieux, et la préservation de la pierre elle-même, sa documentation photographique et sa présentation au public s'imposent.
En effet, il faudrait pouvoir définir d'abord la nature de la pierre (un granite de Locronan comme pour le reste de l'édifice ?) et donner les dimensions du bloc de pierre (l'accès de la tribune des orgues est interdit au public).
Le texte est sculpté en réserve dans un cartouche qui se prolonge en bande dans les espaces vides. La ponctuation entre les mots utilise (une seule fois) le deux-points en losange propre à l'époque.
La première lettre, lue comme un A, est singulière, ressemblant à un EC. Le fût du premier L est perlé.
Le patronyme G : GLEUBA n'est pas attesté. Faut-il en modifier la lecture ? Ou bien respecter la leçon du chanoine mais y voir une variante locale d'un patronyme attesté, comme Le GLEUHER, LE GLEUHER, GLOUER ? On imagine alors la valeur de cet hapax.
La ligne PROCIEr F est également problématique, par l'absence de point entre les mots, et par la forme PROCIE, qui ne se laisse pas facilement pour "procureur".
La lecture de cette inscription doit continuer à faire débat en épigraphie (quoique ces débats furent inexistants depuis 1898 ...) et le respect de cette pierre s'impose.
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Inscription (granite, 1555) de la tribune de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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L'abbé Abgrall poursuivit ses prospections, et, en 1916, il présenta à la Société archéologique du Finistère cinq autres inscriptions (que je donne infra).
Mais d'abord, il modifia sa lecture de l'inscription précédente et il y lut :
AN . LAN . 1555 . G . CLEUBA . PROCIE : F
La différence porte sur le nom CLEUBA. Ce changement de lecture ne me semble pas fondé.
Henri Pérénnès, dans sa notice sur Ploaré de 1939, s'inspire sans doute de son collègue quand il lit (sans se soucier du respect de la ponctuation) :
AN : LAN. 1555. G. CLEUBA. PROCUE : F
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C'est le moment de se souvenir qu'en 1858, le Bulletin archéologique de l'Association bretonne publia le compte-rendu de l'excursion de l'Association à Ploaré, rédigé par Mr de Kerdrel. Et que déjà, les membres avaient prêté aux inscriptions lapidaires l'attention qu'elles méritaient. Ils lurent dans la tribune, à la chandelle peut-être, mais sans compteur électrique ni boite de dérivation, le texte : 155- G GLEUBA PROCR F.
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LES AUTRES INSCRIPTIONS.
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Auparavant, les membres de l'Association Bretonne de 1858 avaient déchiffré les deux inscriptions des murs de la tour (porche ouest) :
LAN M VCS L ANTHOINE LE BAHE ; PRO FABRICQUE
Sur la seconde, moins lisible, ils lurent "très clairement le millessime 1548".
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Revenons à la première de ces inscriptions relevée à son tour par Abgrall en 1916 (il s'abstient de lire la seconde) :
LAN : M : DCL (1550) ANTHOINE : LE BABE : PRD (président) FABRICQUE
Henri Pérénnès donne :
M : DLC3 ANTHOINE LE BAHÉ : PRO FABRICQUE
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Cette inscription carrée en kersanton marbrée par les lichens ne se lit bien que par soleil rasant. Elle est en réserve encadrée par un fin cartouche. Les caractères gothiques en minuscule (sauf l'initiale d'Anthoine) sont hauts et étroits, mais pleins de charme.
Je lis :
LAN : M : Vcc : L
ANTHOINE LE
BAHE PRO
FABRICQUE
"L'an 1550, Antohoine Le Bahé pro[cureur] de la fabrique".
Nous avons plus de chance avec le patronyme LE BAHE qu'avec celui de GLEUBA puisqu'il est attesté à Ploaré par les généalogistes. En effet José Chapalain a publié l'acte de naissance de Jeanne LE BAHE le 09/08/1630 à Ploaré (de Boarnej BAHE et Margareta FANNON) et son acte de mariage le 30/08/1660 à Ploaré avec Simon LE SAOUT.
http://jose.chapalain.free.fr/pageprin133.htm
Albert Deshayes cite la forme LE BAHEC, Quimper 1697.
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Inscriptions de l'élévation ouest de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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Inscription (kersanton, 1550) de la façade ouest de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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Inscription (kersanton, 1550) de la façade ouest de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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Plus basse, plus accessible mais beaucoup plus érodée car elle est en granite à gros grains, l'inscription où l'Association Bretonne avait lu le millésime 1548 est restée non déchiffrée. Pourtant, les techniques d'estompage des épigraphistes devraient, si la motivation était là, produire quelque résultats.
Je lis LAN MIL VC / LVIII
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Inscription (granite, 1558) de la façade ouest de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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Inscription (granite, 1558) de la façade ouest de l'église Saint-Herlé de Ploaré. Photographie lavieb-aile 16 juin 2019.
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LES INSCRIPTIONS DU PORCHE SUD.
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M : H : PAILLART : R : 1673.
I : IONCOURT : F
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Soit Messire H. Paillart, recteur 1673 et I. Joncourt fabricien.
Le recteur de Ploaré entre 1655 et 1675 est Jérôme ou Hierosme PAILLART, dont le nom apparaît aussi à la chapelle Saint-Michel de Douarnenez . Le recteur qui lui succéda de 1676 à 1716 fut Guillaume PAILLART.
"La première pierre de Saint-Michel, bénite le 12 août 1663, l'année suivante, Hiérosme Paillard, le recteur de Ploaré, qui a juridiction sur le Port-Rhu comme sur l'agglomération de Douarnenez, fait graver son nom sur la porte ouest. En 1665, s'achève le clocher, le lambris de plafond est posé en 1667. Le sieur de Pratambars attendra 1675, pour s'attaquer aux peintures, Guillaume Paillard étant alors recteur de Ploaré." (Y-P. Castel)
http://patrimoine.du-finistere.org/art2/ypc_le_nobletz.html
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Les autres inscriptions relevées en 1916 par J.M. Abgrall.
— Angle sud-ouest : 1557.
— 2ème galerie sous le clocheton nord-ouest : N.O.M. LORANS. P. F. LAN . 1583
— Sur le clocheton sud-est : V : D : M : P : C : M (Vénérable et discret messire ...)
— 3ème galerie basse de la flèche, derrière le clocheton nord-est : H : LE : BELEC : D C : LAN : 1586.
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Autres inscriptions d'après René Couffon :
— 1585 (rebord de la ème galerie, côté sud),
— "NICOLA/S TRETOVT" et la date de "1603" (clocheton sud-est),
— "MATIEV BRNEOL" (ère galerie, côté sud),
— "M:G:P:/RECTEVR/1684" (flèche, pan sud-est).
— sur l'un des piliers du bas-côté nord la date de 1572 .
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CONCLUSION.
Lors de l'excursion du 16 juin dernier de la Société archéologique du Finistère à Saint-Herlé de Ploaré, les membres (autres temps, autres mœurs) ne se sont pas arrêtés devant ces inscriptions (sauf celles du porche), et n'en n'ont donc pas discutés les termes. Pourtant, à défaut d'archives (inexistantes pour la paroisse), les dates, les noms et les fonctions inscrites par les fondateurs de l'église ont une valeur patrimoniale exceptionnelle.
Il n'est pas de mon tempérament d'être ronchon, et je souhaite seulement que ces témoignages soient respectés à leur juste valeur. Le compteur électrique dissimule l'inscription la plus ancienne de l'église après celle de 1550.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie) 1898, Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments du Finistère, par M. l'abbé J.-M. Abgrall. Congrès archéologique de France : séances générales tenues à Morlaix et à Brest ... par la Société française pour la conservation des monuments historiques Société française d'archéologie. Derache (Paris), A. Hardel (Caen) page 141 .
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k356651/f208.image
— ABGRALL (Jean-Marie) 1916, Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments recueillies par M. le chanoine Abgrall (suite), Bulletin de la Société Archéologique du Finistère page 74.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077197/f135.item
— CASTEL (Yves-Pascal), 1978, Le clocher de Ploaré, amer sur la baie.L'Echo de Douarnenz-Ploaré, n° 223 ; avec une bonne photo de l'inscription de 1550.
"L'Eglise de Ploaré risque de n'attirer l'attention que par le profil étrange et déséquilibré au niveau des étages octogonaux de sa haute tour. Disparates au point de donner au visiteur une impression de malaise, les clochetons sont de hauteur inégale. Deux à l'Ouest semblent moignons mutilés. mal accordés, à la fine pyramide qui se marie pourtant parfaitement avec les deux aiguilles de la façade orientale. Mais il faut prendre les clochers comme les gens, sans vouloir les changer. C'est le meilleur moyen d'en améliorer l'image de marque.
LES NOMS DES COMMANDITAIRES.
Comme l'ensemble de l'église. le clocher de Ploaré est né de la volonté d' une grosse paroisse terrienne, plongeant dans l'eau ses bords, de se doter d'un abri pour ses cloches et d'un amer utile pour ses marins. Oeuvre séculaire de la communauté entière, il ne s'y distingue d'autre armoirie que le blason parlant d'un pêcheur aux prises avec un gros poisson, un goëland goulu, au-dessus de sa tête. Les fabriciens chargés de la collecte des fonds et de la gestion du chantier ont inscrit leurs noms que le soleil frisant permet de relever: Antoine Le Bahé, G. Gleuha, Hervé Le Friant, Y. Gourloen. M. Lorans, H. Le Belec, Jehan Le Mor. Ces noms sont suivis de la mention PRO(cureur) FAB(brique). L'un d'entre eux précise « premier fabrique ». Aux noms des fabriques s'ajoutent ceux de maîtres maçons ou maîtres charpentiers. Ceux-ci ne sont suivis d'aucune initiale. Ainsi sans doute, Nicolas Trétout et Maréchal. Vers la fin des travaux, au XIIè siècle, ce sont les recteurs qui réclament la paternité de l'ouvrage. Indication d'une emprise cléricale plus grande sur la construction. M(essire) H. Paillard fait suivre son nom du R. désignant la fonction. Son successeur est plus modeste. Il ne donne que des initiales G.P. mais ajoute, en toutes lettres, son titre: Recteur. En 1736, le dernier en date de ceux qui signalent leur intervention dans l 'édification de l'église. P. G. Huguet R(ecteur) se donne le curieux, mais habituel titre de V(énérable) et D(iscret) M(essire) ! ...
LA CONDUITE DES TRAVAUX On a ainsi le nom des hommes qui ont présidé à l'œuvre: fabriciens, recteurs et maîtres. L'observation des dates permet d'établir. grosso modo, le calendrier d'un chantier qui, continu pendant un demi siècle, connut par la suite une longue interruption: 1548, 1550, 1551.1555,1558,1559.1560. Dix années de travaux jusqu'à la 43è assise de pierre, à raison donc de trois à quatre assises par années, c'est à-dire un mètre de hauteur environ. Ce n'est pas rapide, mais en accord avec la sagesse du temps. Le chantier est financé en dehors de tout système de crédit, ne pouvant fonctionner que sur les rentrées annuelles. La charge de six ou sept ouvriers environ n • était pas pour grever inconsidérément le budget de la paroisse. Les charrois de pierre étant effectués par les paroissiens eux-mêmes, ces ouvriers taillent la pierre, prenant Je temps de sculpter ornements, inscriptions. et motifs en relief. Us sont payés fort vraisemblablement à la quinzaine. Le fait que l'on ait fait figurer sur la façade occidentale pêcheur, goëlands et poissons affirme le rôle joué par l'économie d'un port dans les destinées d'une église paroissiale au double visage: maritime et rural. De 1560 à 1570, monte le carré de la tour. Jusqu'à la première galerie. L'on y compte 33 assises. Sentirait-on un fléchissement dans l'activité du chantier par rapport à la décennie précédente ? Ce n 'est pas impossible .
En 1572, alors que l'on poursuit le travail au niveau des étages octogonaux. on pose les fondations de la future église. Des murs extérieurs viennent ceinturer l'église bas. se encore debout. Le procédé de 1 'enveloppement était courant qui permettait l'utilisation de l'ancienne église. On comprend ainsi que pendant 20 ans le clocher n'ait gagné qu'une dizaine de mètres, trente assises, jusqu'au moment où en 1593. les troubles de la Ligue viennent stopper le chantier après une activité de presque 50 ans ... A peine commencée. l'érection de la pyramide est arrêtée. Elle ne reprendra que 90 ans plus tard. En effet, il faut attendre le dernier quart du XVlle siècle pour voir les recteurs prendre la relève des fabriciens. Le recteur Paillard fait voûter le porche (L673). Le recteur G.P. continue la pyramide (1684). Nicolas Trétout entreprend la charpente (1693). Ainsi. vers les dernières années du XVIIè siècle, l'église de Ploaré offre l'allure définitive qu'on lui connaît maintenant. moins les clochetons hauts (1736) et la sacristie."
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/71107299c5b07ac24c3b33e18198e841.pdf
— COUFFON (René), 1988, Notices
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/DOUARNEN.pdf
Le clocher de conception encore toute gothique est inspiré de Quimper et de l'atelier de Saint-Herbot ( 55 mètres). Le mur ouest porte en lettres gothiques : "LAN MIL VcXLVIII", et au-dessus, l'inscription : "LAN. M. Vcs L. ANTHOINE. LE BAHE. PRO FABRICQVE.". On lit ensuite, d'après H. Pérennès, à l'intérieur de ce clocher : "AN. LAN. 1555. G. GLEVBA (ou GLEVVA). PROCVE F." -- Inscriptions relevées sur la tour : "Y:GOVRLOEN.1581" (rebord de la ème galerie, côté sud), "R:TALOV F. LA 1585" (rebord de la ème galerie, côté sud), "NICOLA/S TRETOVT" et la date de "1603" (clocheton sud-est), "MATIEV BRNEOL" (ère galerie, côté sud), enfin "M:G:P:/RECTEVR/1684" (flèche, pan sud-est).
— PÉRÉNNÈS (HENRI), 1939, Notice de Ploaré, BDHA page 225
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/8c56d47066d5bc94bb64f58549386360.pdf