Les deux cheminées du Mans (Maison de la Cour Pôté, n°13 rue de la Grand-rue), fin XIVe/début XVe siècle, exposées au Musée du Moyen-Âge de Cluny. (numéros d'inventaire Cl. 19092 et 19093)
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Voir sur le musée du Moyen-Âge de Cluny :
- La chapelle construite avant 1500 par Jacques d'Amboise, abbé de Cluny, en son hôtel : Musée du Moyen-Âge de Cluny à Paris.
- Les stalles de Saint-Lucien de Beauvais exposées au Musée de Cluny.
Voir aussi :
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PRÉSENTATION.
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Vers 1853, l'ancienne maison de la cour Pôté au n° 13 de la Grand-Rue, au Mans (Sarthe), maison des Vasse et des Le Vayer (*), fut entièrement démolie et remplacée par une construction moderne. Les belles cheminées sculptées du XIVe siècle, démontées et reléguées dans un jardin, sont achetées en 1854 par le musée de Cluny, grâce à l'heureuse intervention de M. d'Espaulart et du peintre Denuelle.
(*)M° Jacques Le Vayer, maître des Requêtes de l'Hôtel de Sa Majesté, a conservé cette maison et ne l'a vendue qu'en 1723 à Mr Charles Emmanuel Posté, greffier de la maréchaussée. Ce dernier en cède une partie au sieur Louis Horeau, mais il garde pour lui jusqu'aux dernières années du XVIIIe siècle, la portion principale et la cour. De là vient évidemment à cette cour le nom de cour Pôté. (Roger Triger)
Le musée a fait, en 1856, l’acquisition de deux cheminées médiévales qui provenaient de cette maison du Mans et qui gisaient dans le jardin de l’hôtel de Ville. Ces deux cheminées, installées dans les salles 4 et 22, participaient du même mouvement de muséification de l’hôtel par adjonction d’éléments lapidaires détachés, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Mais c’est surtout pour ce qu’elle révèle du réseau de la Commission des Monuments historiques que l’acquisition de ces cheminées vaut d’être mentionnée. Le musée a acheté ces deux éléments à leur propriétaire légitime, M. d’Espaulart, mais par l’intermédiaire d’un certain Denuelle, peintre attitré de la Commission des Monuments historiques, qui les avait signalées .
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La cheminée à dix personnages, Cl. 19093 en salle 4, provenant de la salle basse de la maison dite de la cour Pôté au Mans.
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Cette cheminée avait été moulée par Adolphe Singher, directeur des Mutuelles du Mans pour le rez-de-chaussée de son musée de la Reine Bérangère, ouvert en 1924 au n°11 de la Grand'rue au Mans, juste à côté de la cour Pôté.
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/le-mans-72000/recit-musee-de-la-reine-berengere-au-mans-fin-de-l-histoire-37b41b76-6a57-11ec-9da5-9e0945e11e49
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Description générale.
Remarque : malgré sa célébrité, cette cheminée ne semble pas avoir été photographiée en détail. Elle mesure 2,25 mètres de large.
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" Tout à côté de la porte ogivale de la maison de la reine Bérengère (n°11) se trouve l'entrée d'une avant cour (cour Pôté) qui ne présente rien de remarquable. En face est une tour engagée à pans coupés, servant de cage d'escalier. Les fenêtres sont en arc surbaissé, et la porte d'entrée est une ogive, formée par un triple rang de nervures. Cette porte conduit dans une vaste salle basse, où nous avons remarqué une cheminée en pierre dont les montants sont couronnés de deux marmousets qui représentent un juge, et peut-être un huissier ou un sergent. Ces marmousets supportent eux-mêmes la traverse du manteau chargée de dix figures en relief, en costume et pose de la fin du XVe siècle : deux de ces figures sont placées de chaque côté du manteau, un homme et une femme un faucon sur le poing ; huit sont en face, distribuées en groupes : le groupe du milieu tient un écu dont nous n'avons pu parvenir à découvrir les armoiries." (abbé J. Lochet 1847)
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"Sous la hotte, à la base du manteau de la cheminée, un linteau pourvu de deux retours est orné d’une frise de dix personnages en relief formant cinq couples. Sous un arc en accolade, le couple central se tient de part et d’autre d’un écu accroché à un arbre ; les autres couples s’échangent des présents, fleurs et couronne, selon les codes de l’amour courtois. Les consoles qui surmontent les piédroits sont ornées chacune d’un personnage accroupi. Toutes ces figures sont vêtues de houppelandes à larges manches, à la mode des années 1400."
https://www.musee-moyenage.fr/collection/oeuvre/cheminee-du-mans.html
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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1. Le couple central tenant un blason suspendu à un arbre.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'écu. Celui de la famille Le Vayer ?
Nous voyons encore sur cet écu, qui était peint à l'origine, une grande croix gravée.
Les armes des propriétaires de la maison de la cour Pôté, les Le Vayer, étaient De gueules à la croix d'argent chargée de cinq tourteaux de gueules.
https://man8rove.com/fr/blason/1khek75-ferriere-le-vayer
Aucun tourteau n'est apparent. Mais ils pouvaient être peints.
À l'étage de la maison, là où se trouvait la seconde cheminée, J. Lochet a relevé, sur la traverse, des armoiries écartelées (que nous ne voyons plus, ce qui est étrange) qui pourraient être, comme le suggère Roger Triger, celles des Vasse.
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LE VAYER, éc, Sgrs de Boutigny, du Tronchet, Laubrière, la Chevalerie, Vandoeuvre, la Davière, Courcemont, Faverolles, etc., au Maine, portaient les armes ci-dessus, alias d'argent à la croix de sable, chargée de cinq-miroirs ronds d'argent bordés d'or. Cette famille originaire du Maine a été maintenue en 1668 et a justifié la possession du titre de noblesse depuis 1525.
De gueules à une croix d'argent, chargée de cinq tourteaux de gueules [Le Vayer], écartelé : d'azur à une fasce d'or, chargée d'une aigle de sable, et accomp. de trois étoiles d'or, 2 en chef, 1 en pointe [Vasse] (1).
(1) VASSE, éc, Sgrs de Courtoeuvre, à Villaines-la-Juhel, la Pèlerinière, Sables, Chères, etc., au Maine. Vieille famille de magistrature et d'échevinage du Mans, qui fut rétablie dans sa noblesse par lettres-patentes de Louis XIV du 3 août 1651 (Le Paige. Dict. du Maine, art. Villaines-la-Juhel).
Malgré ces « lettres de relief de dérogeance et autres lettres de noblesse » qu'il avait obtenues, Hubert Vasse, conseiller du Roi au Présidial du Mans, convoqué à la Recherche de Noblesse de 1666, fut condamné.
Armorial de Charles d'Hozier, Revue historique du Maine 1932
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5613945b/texteBrut
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'homme tenant le blason.
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Il est coiffé du chaperon, mais celui-ci est fleuri au dessus du front (ou bien ce sont les bouillonnements des plis qui crée cet effet); il porte une houppelande remontant haut sur la gorge autour de laquelle elle frise, resserrée à la taille sans ceinture, et plissée. Les manches sont évasées, principalement en dessous du coude, et ornée d'un motif sinueux.
Son épée, portée du côté droit, et dont il empoigne la poignée, est soutenue par un large baudrier, tout comme son aumônière (plutôt un fourreau, non?).
Les cheveux sont frisés et taillés assez court, dégageant les oreilles et la nuque.
Il porte des poulaines. Leur mode perdure jusqu'en 1480, nous indique Wikiwand. Ici, elles sont fines et pointues certes, mais sans ces longueurs de pointe exubérantes qui étaient le privilège des nobles les plus haut placés de la cour royale.
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"La houppelande, robe de dessus portée par l’homme comme par la femme, avec ou sans ceinture, apparaît autour de 1400. Elle est éventuellement fourrée. Les manches qui s’évasent dévoilent les poignets ajustés de la chemise sous-jacente. Courte ou longue, la houppelande peut être taillée dans des tissus précieux et se faire manteau d’apparat. "
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La femme tenant le blason.
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La femme, qui est tête nue avec des mèches ébouriffées (non ; les cheveux sont retenus par un bandeau centré par une fleur), porte une robe à col arrondi, très ajustée sur le buste, à manches évasées, et s'élargissant en un long plissé sous la taille, qui est dépourvue de ceinture. La robe tombe sur l'extrémité de chaussures à la poulaine.
Cette robe est désignée par Jules Quiterat p. 258 comme "le surcot associé à la cotardie".
Sa pose est déhanchée, formant une ligne sinueuse, et le ventre est valorisé en le projetant en avant.
"Les femmes revêtent la cotte et le surcot. Ce dernier est souvent enrichi de parements de fourrure, écureuil, martre ou hermine. La coupe évolue : le surcot devient un vêtement d’apparat que l’on ne porte que pour les grandes occasions et les dames adoptent la cotte hardie qui présente un décolleté plus profond et dévoile parfois jusqu’à la naissance des épaules. Très ajustée, elle se boutonne souvent par-devant et parfois également sur le côté. Les manches peuvent être très longues et former des coudières à partir de l’avant-bras, comme sur la cheminée du Mans (Cl. 19093)." (Musée de Cluny).
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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2. Du côté droit : une femme présente une couronne à un homme.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'homme : l'amant ?
L'homme, main droite sur sa dague, fait de la main gauche un geste, index et pouce dressé, les trois autres doigts repliés, juste devant la couronne qui lui est tendue. Est-ce un signe d'acceptation, ou d'avertissement ? La mine n'est guère avenante.
Pourtant, c'est peut-être aussi l'avancée d'une main tentant une caresse, celle du menton.
Chaperon, houppelande remontant sur le cou, poulaines.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La femme tendant la couronne.
La couronne n'est qu'un anneau, mais qui évoque néanmoins la tradition de l'offrande d'une couronne fleurie, ou de la couronne tressée, par les amants dans l'amour courtois.
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—Voir ce thème iconographique au Louvre, à la seconde moitié du XIVe siècle.
" La jeune femme, qui porte une robe ajustée au décolleté carré et tient un faucon sur le poing gauche, remet une couronne de fleurs (« chapel de fleurs ») au jeune homme. Celui-ci, tourné vers la dame, est vêtu d’une tunique courte, ceinturée sur les hanches.
https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010096963
— Lire l'article dédié de Wikipedia, et les enluminures présentées :
"C'était aussi l'une des formes de « chapels » (chapeaux) très en vogue au Moyen Âge, faisant probablement suite à une tradition très ancienne de tressage de couronnes de végétaux (fleuris ou non, telle la couronne de laurier).
Des chapels ou « chapelets » de fleurs naturelles ou de verdure étaient fabriqués au Moyen Âge par des « herbiers » aussi appelés « chapeliers de fleurs », lesquels exerçaient un plein métier, cultivant dans des « courtils » (jardins) des fleurs qui à la belle saison, leur servaient à confectionner des coiffures délicates, appréciées tant par les hommes que par les femmes, selon les chroniqueurs médiévaux et les enluminures.Le métier de chapelier de fleurs bénéficiait de privilèges."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Couronne_de_fleurs.
— Voir Philippe Le Bas, 1841, Encyclopédie.
— Voir le texte et l'iconographie de l'article de Bruno ROY, 2003, "Archéologie de l'amour courtois ; Note sur les miroirs." Presses universitaires de Rennes. https://books.openedition.org/pur/31896?lang=fr
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La femme porte une coiffe à pans cassés , et une robe aux manches extrêmement larges, et des mitaines. On retrouve la posture sinueuse et la projection du ventre.
La main est posée sur le cœur (ou le sein) en signe d'affection sincère... ou de protection.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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3. De chaque côté de l'angle droit, un autre couple. L'homme tient un faucon.
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L'homme, coiffé du chaperon, chaussé de poulaines et vêtu d'une houppelande serrée par une ceinture, porte la main droite vers l'ouverture d'une aumônière, tandis qu'il tient dans la main un faucon (?) vers la femme qui, sur le côté, attend encore que je vienne la prendre en photo. Loupé.
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La qualité de mon cliché ne permet pas de dire si l'oiseau est lié, s'il est encapuchonné, mais la main du jeune homme ne semble pas gantée.
La chasse au faucon est un loisir très prisé par les nobles au Moyen-Âge, mais le faucon est aussi un symbole de l'amour courtois, et de la visée d'une proie du Désir montant très haut dans son exaltation :
Vers une amoureuse aventure
Et d’espérance non privé,
Vol si haut, si haut j’ai volé
Que de ma proie fis la capture. Jean de la Croix.
Voir la tapisserie Départ pour la chasse conservée au musée de Cluny.
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J'imagine que l'homme est en train de prendre de la nourriture dans son sac, afin de nourrir l'oiseau.
La présence affrontée du faucon, qui est à l'homme, et de la femme, résume tout le rapport encore débutant de la relation.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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4. Du côté gauche : un couple . L'homme tend une rose à son amante.
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L'homme tend l'index, dans ce geste d'élocution déjà noté à droite, tandis qu'il tend une rose, double et à cinq pétales. Cette rose est centrale dans l'amour courtois, et notamment dans le Roman de la Rose de Jean de Meung. La femme accepte le présent, sans ambiguïté et dans un geste rond et enveloppant.
La femme porte une robe, tandis que son manteau ou un long pan d'étoffe l'entoure, retenu par la main gauche dans un geste très codifié.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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De part et d'autre de l'angle gauche, un autre couple : une femme offrant un présent à un damoiseau.
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La femme tend un présent (une rose ?) vers l'amant, et conserve un autre objet dans la main gauche.
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Le jouvenceau, fringuant, porte un bonnet (ou un chaperon très ramassé), et un costume masculin très court et ajusté, un pourpoint à 14 boutons ronds, sur des chausses qui épousent la forme de ses jambes et se terminent par les fameuses poulaines qui allongent la silhouette. Les cheveux sont mi-longs, non bouclés, mais peignés pour dégager oreille et nuque.
Il garde la main droite à la ceinture, et n'est pas armé. La main gauche, enveloppée jusqu'à la paume par l'emmanchure, s'avance pour accepter l'offrande amoureuse.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La console de gauche. Un riche personnage accroupi.
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J. Lochet avait cru y voir un juge, peut-être à cause de la coiffure carrée, mais celle-ci s'orne d'un cabochon peu en accord avec cette fonction.
Cet homme d'âge mûr, mais ne portant pas la barbe (alors presque proscrite ou réservée aux vieillards) est vêtu de la houppelande, à fente boutonnée sur le devant de la poitrine, et à manches très larges couvrant la moitié de la main. Il saisit les gros grains de son collier, signe ostentatoire de son rang et de sa richesse.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La console de droite. Un deuxième riche personnage accroupi.
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Il est coiffé d'un bandeau ou turban à cabochon ; sa posture est plus alerte ; il porte sa main gauche sur sa poitrine et avance le genou droit dans la posture de chevalier servant.
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Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à dix personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La cheminée à huit personnages dite des Âges de la vie, Cl. 19092, en salle 22.
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Elle mesure 210 cm de large, 45 cm de profondeur et 323 cm de haut.
C'est Edmond du Sommerard qui a donné ce titre des Âges de la vie à la succession des quatre couples du manteau de cette cheminée. Pour ma part, j'y vois plutôt une variation sur les temps de l'amour courtois.
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"Le savant et regretté directeur de l'École des Chartes, M. J. Quicherat s'est beaucoup servi de la cheminée, dite des Âges de la Vie, au musée de Cluny, pour ses études sur le costume en France. Plusieurs des personnages lui ont révélé des détails nouveaux, et il les reproduit, à ce titre, dans son Histoire du Costume. A ses yeux, le jeune homme qui représente la Jeunesse est «un damoiseau à la mode de 1390», le groupe de l'Age mûr «un marchand et une dame en surcot de la même époque», le groupe de la Vieillesse «un homme de la campagne et une paysanne d'environ 1400». Dans ces dernières années les deux remarquables cheminées de l'ancienne maison de la cour Pôté, ont été reproduites maintes fois : elles sont classées au rang des objets les plus curieux du musée de Cluny, et considérées en quelque sorte comme des types classiques de cheminées du Moyen- Age" .
"
D'après M. du Sommerard, les groupes de la face principale représentent les trois âges de la vie : la Jeunesse figurée par un chevalier vêtu d'un riche pourpoint et portant un faucon qu'il présente à sa dame ; l'Age mûr personnifié par deux autres figures dans la force de la vie ; la Vieillesse représentée par deux personnages plus simplement vêtus, portant une besace et s'appuyant sur des béquilles. Le manteau repose sur deux figures couchées formant consoles ( Du Sommerard. Catalogue et description des objets d'art exposés au Musée des Thermes et à l' hôtel de Cluny, Paris, 1881, in-8, p. 14.).Cette cheminée, large de plus de deux mètres, avait conservé des traces de peintures assez apparentes pour permettre une exacte restitution, qui a été effectuée par M. Denuelle, sous la direction de M. A Lenoir : on a placé au contre de la hotte l'écusson de la ville du Mans"
"Les sujets du bandeau exécutés en haut relief, comportent, sur la face, trois groupes de deux personnages chacun, et sur chaque joue un seul personnage, à droite un homme l'épée au côté, à gauche une femme tenant en main une pelote de laine, soit en tout huit personnages."
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"La salle du premier étage est en tout semblable à la salle inférieure. Néanmoins les groupes de la traverse de la cheminée n'affectent pas exactement la même pose, et les deux marmousets qui soutiennent le manteau, représentent à droite un juge, et à gauche une femme. L'écusson placé sur le milieu de la traverse nous a semblé difficile à comprendre ; cependant nous avons essayé de le blasonner de la manière suivante : « Parti, le » premier de.... chargé de trois ancres (?) au chef de.... » chargé de trois étoiles ou comètes ; le second de... chargé » de trois étoiles ou comètes, à la bande de.... chargée d'un » oiseau » Abbé Lochet, Le Palais de la Prévosté, Archives historiques de la Sarthe, p. 124.
https://archive.org/details/revuehistoriquee32soci/page/192/mode/2up
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Le couple de gauche. Un homme barbu et une femme joignant leurs mains.
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Le costume de l'homme est différent : ses épaules sont couvertes par un camail, au dessus d'une tunique boutonnée sur le devant, qui ne descend pas sous les genoux. Il porte à la ceinture une sacoche à fermoir, dont il contrôle le contenu de la main droite : est-ce un riche marchand, ou un financier?
La femme porte la coiffe à pans rigides, la robe (surcot, si vous préférez) et le pan d'étoffe déjà observés.
Les deux mains se rapprochent en un signe d'union scellée.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Le couple central : un vieillard (un mendiant, un pèlerin ou un paysan) s'appuyant sur une canne face à une femme (une servante ?).
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https://www.photo.rmn.fr/CS.aspx?VP3=SearchResult&VBID=2CMFCIXID1DMGW#/SearchResult&VBID=2CMFCIXID1DNVX&PN=1
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La tête nue, l'homme a les cheveux et la barbe longue, il porte à l'épaule un bissac (ou un pan d'étoffe voire un chaperon sur le dessin de Quicherat p.326). Il est vêtu d'un sarrau ou sorquenie recouvrant ses braies. Ses houseaux ou gamaches, guêtres en fourreaux de toile de cuir ou de feutre sont glissés dans de solides chaussures. Il s'appuie sur une canne en T.
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La femme s'en apparente, par la simplicité de sa mise, bien que les éléments du costume soient à peu près identiques : car elle n'a pas le déhanché, la poitrine avantageuse ou le ventre rebondi des femmes plus élégantes, et ses traits sont plus grossiers. Elle porte une coiffe structurée, "en forme de capeline" (Quicherat p. 329). Elle n'est pas chaussée de poulaines, et ses chaussures, semblables à celles du paysan, ont presque la forme de sabots.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Le couple de droite : l'offrande du faucon.
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L'homme tenant un faucon.
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Il est vêtu d'un pourpoint court boutonné par devant, de chausses ou collants, et coiffé d'un bandeau centré par une escarboucle. Sa ceinture glisse bas sur le bassin. Bref, c'est l'homologue du damoiseau de la première cheminée.
"L'habillement des hommes , sous Charles VI, fut à la fois court et long : court, parce que l'on conserva les justaucorps du règne précédent ; long , parce qu'on reconnut qu'il était bon parfois d'avoir le bas du corps à l'abri du vent, et (qu'à cette fin on adopta comme pardessus , sous le nom de houppelande, la plus disgracieuse et la plus incommode des robes qui eût été jamais portée.
Les jaquettes, après 1590, se distinguent par des manches larges comme les manches d'une simarre, par la ceinture qu'on a ramenée du bas des hanches à la taille, par un col étroit, festonné ou fraisé sur ses bords, qui monte jusqu'aux oreilles. Ce col est surtout remarquable. La tête sortant de là, ressemblait au bouchon posé sur le goulot d'une carafe. Après 1400, les manches, sans rien perdre de leur ampleur, furent le plus souvent fermées aux poignets. .
La jaquette eut plusieurs équivalents, distingués par les noms de haiselin, huque et robe, ce dernier terme perdant alors, pour s'appliquer à une façon particulière d'habit, le sens étendu qu'il avait eu jusque-là." (Quicherat p.250)
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Seuls sept rapaces diurnes sont utilisés pour la chasse au vol : l'autour, l'épervier et les faucons gerfaut, sacre, pèlerin, lanier et émerillon; accessoirement, on a recours au faucon hobereau et à l'aigle. Les faucons percutent la proie après un vol piqué, tandis que les autours et éperviers, de la famille des accipitridés, « lient » ou agrippent la proie après un vol direct et flexible.
Les faucons ou les éperviers n'étaient pas réservés aux hommes, ou à une action de chasse, et une offrande d'un oiseau de proie est tout à fait concevable, et bien attestée dans l'iconographie courtoise, au même titre que le cadeau d'un faucon par un vassal à son seigneur, avec la même idée d'hommage. Quicherat montre, p. 256 et 257, deux documents où une femme tient un tel oiseau. À la page 253 il montre un grand seigneur donnant à manger à son faucon.
Les oiseaux de proie sont souvent attachés par des jets, courtes lanières en cuir, auxquelles vient se fixer la longe, courroie plus longue, et portent des vervelles, anneaux plats au nom du propriétaire, et des sonnettes. Leur tête est souvent recouverte d'un chaperon. Le propriétaire se protège de leur bec et de leurs serres par un gant de cuir.
Documentation :
— http://expositions.bnf.fr/bestiaire/arret/faucon/01.htm
—Aurell Martin. Baudouin Van den Abeele. — La fauconnerie au moyen âge. Connaissance, affaitage et médecine des oiseaux de chasse d'après les traités latins. Paris, Klincksieck, 1994.. In: Cahiers de civilisation médiévale, 39e année (n°155), Juillet septembre 1996. pp. 295-297; https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1996_num_39_155_2656_t1_0295_0000_4
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8454671t/f88.item
https://www.moyenagepassion.com/index.php/2022/08/19/manuscrit-de-bayeux-un-epervier-pour-un-loyal-amant/
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La femme porte, au dessus de la robe ou surcot, plissé sous la taille, un manteau long et large, "une chape close de beaucoup d'ampleur" (Quicherat p. 259), fermé sous le menton, remontant haut et couvrant la gorge, et une coiffe en auvent à pans cassés.
Elle tient un chapelet à gros grain (qui a été buché) en signe de piété et de vertu et pose sa main gauche sur la poitrine, dans un geste où chacun verra à son gré soit de la surprise voire de l'offuscation ("oh, malotru !"), soit un remerciement pour l'oiseau offert ("ah, c'est trop gentil !") soit une bouffée d'émotion amoureuse.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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Un homme tendant la main.
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Dans l'angle de la cheminée, on voit également ce personnage qualifié par Jules Quicherat d' officier de grande tenue .
C'est un seigneur, portant à senestre l'épée, et vêtu d'une tunique aux manches modestes, descendant à mi-jambe, sur une paire de poulaines des plus acérées. Sa ceinture lui est un baudrier. Tout en avançant la jambe droite, dont il fléchit imperceptiblement le genou, il tend l'index, avec cette répétition qui devient ici un leitmotiv, des trois doigts repliés dans la paume : désigne-t-il l'objet de son désir, ou tend-il la main à son destin ? Il lui sourit, mais d'une lèvre hésitante. Et qu'a-t-il fait, ce chef, de son couvre-chef ?
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J'ai omis, lors de ma visite, de photographier la "femme tenant une pelote de laine (Sommerard p.14)", le huitième personnage sur le retour d'angle opposé. . Afin qu'il y ait, pour chaque cheminée, un quidam sacrifié.
Mais je le regrette : j'aurai bien voulu vérifier l'existence de cette insolite pelote de laine. Et Quicherat l'a exclue de son ouvrage.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La console de gauche : une femme richement vêtue .
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C'est une femme tenant le collier à grosses perles dans une posture identique à l'homme (son mari ??) servant de console de gauche pour la première cheminée.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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La console de droite. Un homme à barbiche, portant son chaperon, main posée sur la poitrine.
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Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
Cheminée à huit personnages du Mans, conservée au musée du Moyen-Âge de Cluny. Photographie lavieb-aile 2023.
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SOURCES ET LIENS.
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—HUYNH ( Michel), 2013. Quelques éléments sur l’évolution de l’hôtel de Cluny au cours des 2e et 3e quarts du XIXe siècle. In: Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 2013, 2015. pp. 199-209; doi : https://doi.org/10.3406/bsnaf.2015.12150 https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_2015_num_2013_1_12150
https://www.academia.edu/48871965/Quelques_%C3%A9l%C3%A9ments_sur_l_%C3%A9volution_de_l_h%C3%B4tel_de_Cluny_au_cours_des_2e_et_3e_quarts_du_XIXe_si%C3%A8cle
— LOCHET (abbé Jacques.) 1840, Le palais de la Prévosté, Archives historiques de la Sarthe.
https://books.google.fr/books?id=cV0yAQAAMAAJ&pg=PA121&lpg=PA121&dq=Abb%C3%A9+Lochet,+Le+Palais+de+la+Pr%C3%A9vost%C3%A9,+Archives+historiques+de+la+Sarthe&source=bl&ots=sDk2HNd3l2&sig=ACfU3U2XZVk_Y5RUVJloHaKTKpp0BJUh1w&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiH-bOm2Yr9AhWCUaQEHTFcCHIQ6AF6BAgdEAM#v=onepage&q=Abb%C3%A9%20Lochet%2C%20Le%20Palais%20de%20la%20Pr%C3%A9vost%C3%A9%2C%20Archives%20historiques%20de%20la%20Sarthe&f=false
—QUICHERAT (Jules), 1875, Histoire du Costume en France, Paris, Hachette, 1875, p. 250, 251, 258, 250, 329.
https://archive.org/details/histoireducostum00quic
— TRIGER (Roger),1876, La Maison dite de la reine Bérengère au Mans, Revue historique et archéologique du Maine,
https://archive.org/details/revuehistoriquee32soci/page/n135/mode/2up
— VIOLLET-LE-DUC Dict. d'arc/i. III. p. 2ln. _
—Musée de Cluny et RMN
https://www.musee-moyenage.fr/collection/oeuvre/cheminee-du-mans.html
Cheminée à huit personnages
https://www.photo.rmn.fr/archive/65-001051-2C6NU0A4EE44Y.html
https://www.photo.rmn.fr/CS.aspx?VP3=SearchResult&VBID=2CMFCIXIS9Q3FO#/SearchResult&VBID=2CMFCIXIS9XO5R
— Wikipedia : cliché Jean-Pol GRANDMONT
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:0_Linteau_de_la_chemin%C3%A9e_du_Mans_-_Mus%C3%A9e_de_Cluny_%C3%A0_Paris_1.JPG