La baie n°12 de 1546 de l'église de Conches-en-Ouche : la Cène, et le donateur en transi.
Voir sur le thème du donateur en transi (cadavre) :
Voir sur les vitraux de Conches :
PRÉSENTATION.
Le chœur et la nef de l'église Sai,nte-Foy de Conches-en-Ouches ont été édifiés entre 1530 et 1550, et la plupart de ses 24 vitraux datent des années 1540-1555. Seules les baies 19 et 20 (cf. lien supra) datent de 1500-1510 et témoignent de la Première Renaissance Rouennaise, par Arnoult de Nimègue (baie 19) et par le Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste (baie 20).
Les baies du chœur 0 à 6 sont attribuées à Romain Buron de Gisors, dans les suites des Le Prince de Beauvais, vers 1540, ainsi que les baies 7, 98 et 11, mais les baies 8, 10, 12, et les baies plus tardives 13 à 17 réalisées dans les années 1550-1553 témoignent de la Seconde Renaissance et serait selon Jean Lafond de l'école parisienne.
Pourtant, la baie n°12, datée de 1546, reprend un motif, celui du donateur en transi (son cadavre nu allongé sur un tombeau sous les scènes religieuses) apparu à l'église Saint-Vincent de Rouen en 1520-1530, puis à l'église Saint-Patrice de Rouen en 1540, ainsi qu'à l'église Saint-Médard de Saint-Mards en 1531, et qui sera repris en 1551 à Buchy, toutes localités situées en Seinte-Maritime.
DESCRIPTION
Cette baie de 4,50 m de haut et 2,30 m de large comporte 3 lancettes trilobées et un tympan à 3 ajours.
En bonne état de conservation, elle a été restaurée en 1857-1858 par Maréchal.
LE TYMPAN.
Je débute la description de la Cène par le tympan, car il montre le couronnement de l'architecture du Cénacle, la pièce où Jésus réunit ses disciples pour le repas célébrant la paque la veille de sa mort. C'est une architecture grandiose, à arcs et colonnes Renaissance, qui ne figure pas dans la gravure ayant servie de modèle. Le point de fuite de la perspective coincide avec le blason de la tête de lancette.
Ce blason de gueules aux trois martels d'or porte les armes parlantes du donateur, de la famille Martel. Elles ont été restaurées.
LA CÈNE.
Elle trouve son origine dans une gravure de Marc-Antoine Raimondi , catalogue Bartsch 26 réalisée vers 1515-1516.
Le point de fuite est placé au sommet de la tête du Christ. Celui-ci, encadré par une fenêtre à paysage rural, est entouré de Jean à sa gauche et d'un autre apôtre à sa droite. Il écarte les bras vers les mets placés sur la table, et notamment sa main droite touche le plat de viande. La main gauche est restaurée.
Sous ses pieds, un dogue à collier hérissé de pointes dévore un os qu'on ne voit pas.
Les différents apôtres témoignent par leurs gestes et postures de leur stupeur, car Jésus vient d'annoncer que l'un d'eux va le trahir.
Judas, en robe verte et manteau violet, se lève de son tabouret : sa main droite est posée sur sa bourse, orange.
LE SOUBASSEMENT : LE DONATEUR EN TRANSI, ET SA VEUVE.
Le cadavre du donateur, clairement identifié comme tel par une inscription, est allongé sur le liceul sur la dalle de son tombeau, presque nu (seul un pagne couvre son bassin), les genoux fléchis sur un coussin et la tête cambrée et tournée vers la droite comme par un spasme. Il est maigre, sa tête brune et grimaçante me semble restaurée, les cheveux sont bruns.
Ce n'est pas l'inscription d'origine, laquelle est conservée à Champs-sur-Marne, mais le restaurateur a suivi fidèlement le modèle.
L'inscription, son épitaphe, est un huitain :
Si devant gist loys pierre martel
Lequel avant que passer le morstel
de dure mort ensuyvant son feu père
par testament donna cette verrière
puis trespassa le iour vingt et cinq
du moys juillet mille quarante et six
Avec cinq cens de luy il vous souvienne
Pries à dieu qui luy doint paradis
Louis-Pierre Martel a donc donné cette verrière par son testament, précédent sa mort survenue le 26 juillet 1546. L'abbé Bouillet indique qu'il est question d'un Pierre Martel, probablement petit-fils de ce dernier, dans un manuscrit du siècle dernier, relatif à l'histoire de l'abbaye de Saint-Pierre et Saint-Paul de Conches. On y lit à son sujet « En 1630, Pierre Martel, de Rouen, fut le dernier gouverneur du château de Conches, eut soin de réparer le pont qui y conduisait il y avait une chambre où il logeait quelquefois il mourut en 1672, et est inhume devant l'autel Saint- Michel. »
Mais Wikipédia consacre un long article sur cette famille Martel, et à leurs armes d'or à trois marteaux de sable ou de gueules. Mais les armes des premiers Martel étaient bien de gueules à trois marteaux d'or :
"Il semble que les familles qui portent actuellement le nom de Martel descendent toutes par filiation agnatique (masculine) du mercenaire Baldric le Teuton, arrivé en Normandie en 1013.
Baldric aurait eu plusieurs filles et six fils avec une fille de Godefroi de Brionne bâtard du duc de Normandie ; parmi ceux-ci, l'aîné, Nicolas Ier de Bacqueville, et Richard de Courcy dont les descendants ont joué un rôle important dans l’histoire de l’Angleterre. Plusieurs d’entre eux participent à la conquête de l’Angleterre en 1066 et en sont récompensés par l’attribution de grands fiefs des deux côtés de la Manche ; pour sa part, Nicolas reçoit à titre principal la seigneurie de Bacqueville-en-Caux, à une quinzaine de kilomètres au sud de Dieppe.
Geoffroy Ier, fils aîné de Nicolas, est le premier à prendre le nom de Martel de Bacqueville, probablement en référence à son fief principal et aux marteaux de combat qui figuraient sur le bouclier de Baldric. Les armoiries des Martel, qui portaient au départ trois marteaux d’or sur fond de gueules, ont par la suite connu de nombreuses déclinaisons au fur et à mesure de la diversification des branches de la famille."
Les fleurs qui poussent devant le tombeau atténuent ou démentent le côté macabre de la mise en scène. Il s'agit de jonquilles, d'iris, et de tulipes rouges. Plusieurs sont des pièces en chef d'œuvre.
Concernant cette figure de transi, qui tire son modèle d'un vitrail de l'église Saint-Vincent de Rouen (1520-1530) et qu'on retrouve à Saint-Patrice de Rouen, Buchy et Saint-Mards, je renvoie à mon commentaire sur la baie 12 de l'église Jeanne d'Arc de Rouen, où les vitraux de Saint-Vincent ont été reposés.
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Sa veuve est agenouillée devant le tombeau, lisant son livre de prière sur un prie-dieu, et tenant un long chapelet (rosaire). Sa tête est couverte d'un voile noir, elle porte une robe grise sur une chemise blanche avec des manches plissées en fraise aux poignets. Le visage et les mains me semblent restaurées, mais ce n'est pas indiqué dans la notice de Callias Bey.
SOURCES ET LIENS.
— CALLIAS-BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD ( Michel) 2001, Les vitraux de Haute-Normandie, Corpus Vitrearum -p. 399-411, Monum, Éditions du patrimoine, Paris, 2001 (ISBN 2-85822-314-9) ; p. 406-407.
— RIVIALE (Laurence), 2007, Le vitrail en Normandie, entre Renaissance et Réforme (1517-1596), Presses universitaires de Rennes, coll. Corpus Vitrearum
— SALET (Francis), 1943 Romain Buron et les vitraux de Conches [compte-rendu] Bulletin Monumental Année 1943 102-2 pp. 272-273
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1943_num_102_2_9415_t1_0272_0000_2
—Van Moé Émile-Aurèle Jean Lafond. Romain Buron et les vitraux de Conches. П énigme de l'inscription «Aldegrevers ». Bayeux, impr. Colas (1942). (Extrait de l'Annuaire normand, 1940, 1941.) [compte-rendu] Bibliothèque de l'École des chartes Année 1942 103 pp. 271-272
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1942_num_103_1_460361_t1_0271_0000_2
— BOUILLET (Abbé A.)1888 L'église de Conches et ses vitraux Bulletin monumental page 282
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k310700/f321.item