La chapelle Saint-Adrien à Plougastel (1) : Présentation générales ; les boiseries du chœur .
Parmi les huit chapelles de la presqu'île de Plougastel, celle de Saint-Adrien,qui appartient à la kordennad de Larvor, est située près de la côte, à 5 km au sud-ouest du bourg au fond de l'anse de Lauberlac'h, sur la rive droite de la rivière, près de l'étang de St-Adrien. Elle dépend du 17ème Breuriez, qui inclut aussi les fermes et hameaux de Kerziuo, Talaouron, Kervern Talaouron, Lauberlac'h, Ti c'hap, Pennanero, Kerzivez, Ti Koz Talaouron, Kerdangui Talaouron, et Koz Forn. Remarquons le toponyme de Kerzivès, que nous allons retrouver.
Voir la carte ici.
Je voudrais mettre toute l'insistance de mon enthousiasme à parler ici des boiseries qui ornent le chœur ; mais je dois d'abord présenter les inscriptions qui accueillent le visiteur.
I. Inscriptions lapidaires et histoire.
Quatre inscriptions en précisent l'histoire. Elles datent de 1549, 1616-1619, 1712 et 1913. La date la plus précoce nous place, dans l'histoire de France, sous François II, dans cette période difficile des Guerres de religion et d'essor du protestantisme ; et, dans l'histoire de la Bretagne, juste après l'union de la Bretagne avec la France. C'est encore l'âge d'or de la la culture du lin et du chanvre et le commerce des toiles (en particulier des toiles fines dénommées "Plougastel blanches"), mais l'hiver 1544 a été si rigoureux que les plantes ont gelé jusqu'aux racines.
1. Inscription de 1549.
Celle qui surmonte la porte moulurée, en anse de panier de la façade sud est en lettres gothique et en breton. Elle nous apprend que " En l'an 1549 fut fondée cette chapelle le second dimanche de mai, au temps de maître Herry a Castel recteur de Plougastel et de Jehan Guergoz dit Monot, gouverneur de cette chapelle, en l'honneur de Dieu, de Notre-Dame de Confort et de saint Adrien".
En. bloaz. mil. pemp. cant/hanter. cant. nemet. unan. ez./voe. fontet. an. chapel. man. en eil/sul. e. mae. en. amser. maesti. Herry /a. castel rector.e. ploecastell. ha. / jahan. guergos dit. monot./govarner. en. chapel. ma(n). en./enor. da. doe. ha ytro(n). Maria. /a Co(n)fort. ha. sant. adrian.
a) la ligne a Confort ha a Sant Adrian semble avoir été ajoutée secondairement.
Notre-Dame de (ré)Confort est honoré à Confort-Meilars (29), ou à Berhet(22). J'ignore la raison de la mention de son culte ici.
b). Noms cités :
Il semble y avoir une fréquente confusion de lecture (Bull. Soc. arch. finist. 1916 : l'inscription ne mentionne pas Henry du Chastel, mais Herry a castell rector e ploecastell.
Je ne trouve que peu de noms de "recteurs" de Plougastel : Marion, Mazeas, Cornily, Le Maucaire. A l'époque, Plougastel était un prieuré de l'abbaye de Daoulas, et en 1542 ou 1549, l'abbé de Daoulas était Olivier du Chastel (1535-1550).
— On lit également couramment dans les transcriptions "Kergoz dit Monot" (Bull. Soc.arch. Finist. ;Patrimoine sacré de Y.P. Castel) : Il existe un manoir de Kergoz au Guilvinec, et aussi à Taulé. Mais c'est à tort qu'on lit Jean Kergoz là où est inscrit Jahan Guergoz : ce patronyme est attesté au XVIIe siècle à la Forest-Landerneau ; l'étude normative des lieux de Plougastel signale qu'il s'agit, comme toponyme, d'une forme ancienne de l'actuel toponyme Vergos : " Formes anciennes attestées : 1549 : Guergos ; 1588 : Guergoz ; 1589 : Le Vergoz; 1669 : Vergoz; 1671 : Le Vergoz; 1682 : Le Vergoz; 1706 : Vergos; 1815 : Le Vergoz; 1827 : Vergoz". Cette forme mutée et contractée signifie "vieille aulnaie".
L'inscription désigne un gouverneur (qui dirige la fabrique de la chapelle ou de la paroisse) du nom de Guergoz ; il pouvait être "dit Monot", du nom de ses parents par exemple, l'anthroponyme Monot étant courant à Plougastel.
2. Inscription de 1616-1619.
Sous la fenêtre du chevet a été encastrée une inscription en trois pierres de kersanton, dont deux blocs ont été inversés par rapport au sens de lecture. Elle mentionne une dédicace à Sainte Anne, faisant suspecter qu'elle provienne d'un autre édifice, notamment peut-être d'un ossuaire dit "chapelle Sainte-Anne".
CESTE CHAPELLE FVST FONDEE / L /(AN) 1616 : LHONNEUR : DE / S .ANNE : P : LES : HABITANS ET BIENFACTEVRS DE PLOV(GASTEL) MI :MAZET : I K(ER)DRAON : FABRI / ET PARACHEVEE : L : 1619 M : IAC : DAVIT : CVRE : ET : H : ROLLANT : ET : F : CORR : ESTANT : GOVERNERS : S : ANNA / O(RA PRO NOBIS).
Nous disposons donc des noms de paroissiens suivants :
- Mi(chel) Mazet, fabricien (le patronyme Mazé est attesté à cette époque)
- I. Kerdraon, fabricien. (patronyme de Plougastel s'il en fut)
- M(essire) IAC Davit, curé.
- H. Rollant, gouverneur. Cette graphie est attesté sur la paroisse.
- F. Corre, gouverneur.
3. Le calvaire en pierre de kersanton et de Logonna est daté de 1594 et de 1712.
Ce calvaire est décrit ainsi dans l'Atlas des croix et calvaires du Finistère (n° 1913) :
"1913. Saint-Adrien, l. k. 5 m. 1594, 1712. Base à rebord de section octogonale, deux degrés, socle cubique, fût à pans: 1594, croisillon, statues géminées: Jean-personnage à la bêche (Fiacre?), Vierge-saint au livre, inscription: I: MARI IAC et G BOT FAB 1712. Croix, branches rondes, fleurons-boules, anges au calice sous le crucifix, Christ lié. ".
Nous trouvons donc la mention du fabricien de 1712, G. Bot, et peut-être d'un Jean-Marie Jac (ou Jacq). .
De ce coté : Christ crucifié entouré d'un apôtre (Jean ? Pierre?) et de la Vierge. Au centre, deux anges recueillent le sang du Sacrifice dans un calice.
De ce coté, le Christ aux liens est entouré de saint Jean et de saint Fiacre.
4. Plaque commémorative 1913.
Au dessus de la porte du pignon ouest se trouve une vilaine plaque de ciment (autres temps, autres mœurs) datant de 1913.
Er bloaz 1913
Ar Chapel-man zo het nevezet
Hirret eo het, he Zoun adsavet
En honor Sant-Adrien henniget
Fr. CARDINAL Person
Cl. GRIGNOUX Fabric dens Kergoat
G. BROUSTAIL Mestr-mansoner
- Le recteur François Cardinal (Guiclan 24 mars 1859-Plougastel 1er juin 1928) : il fut directeur de la revue Feiz ha Breizh en 1907 avant de laisser la direction en 1911 au fameux abbé Jean-Marie Perrot, recteur de Saint-Vougay.
- Cl(aude) Grignoux est fabricien, il habite à Kergoat un hameau sur la route de Kerneur à 1 km de Saint-Adrien.
- G. Broustail, maître-maçon.
II Les boiseries du chœur.
Je n'en n'ai trouvé la brève description que dans la monographie consacrée au patrimoine religieux de Plougastel , et elles ne semblent pas faire partie du mobilier classé Monuments historiques. Pourtant, elles ont suscité mon profond intérêt, et mon admiration enthousiaste, par l'effet d'ensemble qu'elles créent, par la diversité des motifs sculptés et leur témoignage d'un art encore très imprégné par les répertoires de la renaissance, et enfin par les inscriptions qu'y ont laissé les donateurs.
1. Vue d'ensemble.
Les boiseries forment, jusqu'à hauteur d'homme, un parement continu du mur du pignon, et du mur qui, à droite, sépare la sacristie du chœur ; à gauche, elles se prolongent par un meuble composite, qui semble fait d'un coffre bas, et d'un dessus d'autel avec son tabernacle. Il s'y ajoute deux beaux tabourets et un devant d'autel. Les mentions chronographiques indiquent une datation de 1611 à 1739, contemporain de la période baroque mais évoquant au béotien que je suis la sculpture Renaissance.
On voudra bien tolérer les approximations et balourdises de mon vocabulaire, et formuler avec moi des vœux pour que des spécialistes de l'art nous donnent une description compétente.
Groupe à gauche de l'autel :
Groupe à droite de l'autel :
Je ferais ma visite de gauche à droite, ou, comme aurait dit le recteur, du coté de l'évangile vers celui de l'épître.
Le bahut à banc de gauche.
Son entablement centré par un masque comporte dans des médaillons ovales, une date, celle de 1611, et les initiales HN. Cette date de 1611 rejoint les dates de 1616 et 1619 de l'inscription qui plaçaient la chapelle sous la protection de sainte Anne.
Au dessous, sous une sobre frise, une porte munie d'une serrure est sculptée en bas-relief d'une Véronique présentant le voile portant le visage du Christ, entre deux pilastres moulurés soutenant un cintre. De part et d'autres, quatre panneaux verticaux permettent au sculpteur de puiser dans le répertoire des entrelacs.
Simple visiteur, je ne me suis pas livré à une expertise pour savoir s'il s'agit d'un seul meuble, ou de l'assemblage d'une sorte de buffet (ou d'un coffre destiné à recevoir l'Eucharistie) sur un coffre bas. Car, supportant l'ensemble précédent, nous trouvons, formant une banquette basse joliment recouverte de velours frangé de pompons rouges, verts et jaunes, un meuble disposant aussi d'une forte serrure, et où, entre deux montants rainurés qui se poursuivent plus haut, deux panneaux encadrent un visage.
Ce visage présenté sur un cuir, émacié, barbu, au front plissé, est-il celui de Dieu le Père, ou bien du Fils ? Les deux panneaux portent eux aussi des cuirs, à maillon de chaîne, rinceaux et médaillons portant les monogrammes du Christ et de la Vierge, IHS et MAR.
Les boiseries de gauche.
Elles portent en bas à gauche l'inscription KERVELLA. KERZIVÈS tracée au ciseau, sans cadre. J'ai fait remarquer en commençant que Kerzivès est un lieu-dit proche de Saint-Adrien et appartenant à son Beuriez ; nul doute que Kervella, patronyme très courant dans la Presqu'île, est, en 1952, le propriétaire et exploitant de Kervizès. Les généalogistes mentionnent un Joseph Kervella, né le 18 mai 1853 à Kerzivès izella. Les toponymistes signalent les formes anciennes attestées :1542 : Kerdiffez ;1600 : Kerdifes ;1662 : Kerdivez ; 1815 : Kerdives ; 1827 : Kersivez
Ce nom de lieu est formé de Kêr, village, lieu habité et d'un second élément dont les formes anciennes sont difez, difes. Selon L.M. Bodénès, p. 192, ce mot viendrait du vieux-breton difeith, moyen-breton difez, qui signifie inculte à propos d'un terrain.
Le village se répartit en Kerzivès Izelan en bas, Kerzivès kreis au milieu, et Kerzivès uhelan en haut.
Il comporte une bande verticale sculpté de rosaces entrelacées surmontées de la date de 1652 ; des bandes verticales identiques deux à deux l'encadrent , faisant se succéder des motifs de pointe de diamant, puis un parchemin plissé semé d'écailles, puis une variation du motif précédent.
Les boiseries murales de droite.
Elles comportent trois parties, portant chacune une inscription propre.
A la droite immédiate de l'autel :
Cet ensemble est signé en bas et à droite JÉZEQUEL KERZIVÈS : un donateur du même village a donc participé à la décoration de la chapelle.
D'un style bien différent de l'ensemble de gauche, celui-ci est centré par un saint Jean-Baptiste naïvement dessiné, et aux jambes curieusement croisées en Z comme si, tenant sa croix comme un violon, il esquissait un entrechat. Son oriflamme ne porte pas l'inscription Ecce agnus dei qui tollis peccata mundi, mais un simple X. La date de 1644 évoque, sous Louis XIV, le commerce encore prospère des toiles de lin à Plougastel ; ou bien, la mission que Julien Maunoir prêcha dans la paroisse, provoquant moult miracles, moult confessions et conversions.
De part et d'autre du saint précurseur de son cousin, c'est une exubérance baroque de motifs floraux sur le thème des rinceaux, des treilles où des oiseaux picorent, comme sur les colonnes des retables, les grains de gras raisins, des ribambelles de feuilles, des acanthes qui n'atteignent pas encore les frénésies profuses de Jean Le Pautre et n'incluent ni anges ni animaux.
Les boiseries adossées au mur de la sacristie.
Celles-ci sont signées LE GALL.PEN .AN. HEACH. Z8 LI. Elles sont beaucoup plus tardives, datées de 1739 : nous sommes sous Louis XV, la révolte des Bonnets Rouges contre l'absolutisme a eu lieu (1675) et a été écrasée, le commerce des toiles a périclité par perte des débouchés anglais.
Pen an neach Rozegad est un hameau qui dépend de la chapelle de Saint-Guénolé toute voisine, de l'autre coté du bras de mer : carte.
L'élément central que le riche exploitant Le Galla a commandé au sculpteur (est-ce la même lignée de sculpteur local depuis le premier panneau de 1611 ?) représente un oiseau au sommet d'un arbre. Cet oiseau est stylisé, hiératique, et sa présence au sommet des branches fleuries qui sortent d'un vase a une force d'évocation qui en fait, avant tout, un symbole ; symbole de vie et de renouveau bien-sûr, dominant un Arbre de vie qui renvoie à celui de l'Apocalypse 22,2. (voir la bannière de Lannelec à Pleyben : Vierges allaitantes VII : Chapelle de Lannelec à Pleyben, la Vierge. Le vase est un symbole féminin ou marial. Le tout évoque la fécondité, le rayonnement glorieux.
Les panneaux verticaux qui l'encadrent sont occupés par des rosaces-soleil et des rosaces-chrysanthèmes.
Panneau à droite de la porte de la sacristie.
Celui-ci porte (cachés par une statue de Vierge à l'enfant signée Y. Floch. M.ANTONI.1940,) les noms de PIRIOU.KERZIVÈS . GRIGNOUX. KERGOAT.
Il s'agit donc de la troisième mention du village de Kerzivès, ici associé au patronyme Piriou. Quand au sieur Grignoux de Kergoat, c'est ce fabricien mentionné sur l'inscription de 1913 (si ce n'est lui, c'est donc son frère, ou bien quelqu'un des siens). Serait-ce la mention d'une restauration du début du XIXe siècle, sur un morceau de bois encore respecté par les vers ? Je n'ai pas trouvé de date (une fois encore, je n'ai effectué qu'une visite de fin de journée profitant des Journées du Patrimoine, ce n'est pas un inventaire qualifié). D'autres ont vu une signature de KERVELLA KERDONCUFF DE GODIBIN datée de 1638, qui m'a échappée.
Au dessus, c'est un nouveau catalogue des motifs de sculpture bretonne qui semble trouver plaisir à épuiser mon vocabulaire de frises de rosettes à huit pétales ronds ou bifides , croisillons, macarons, tous inclus dans des entrelacs et spirales et des fonds martelés au poinçon.
Sources et liens :
HUCHET (Albert), " La chapelle de Saint-Adrien", in Plougastel-Daoulas, Patrimoine archietctural et statuaire, Les amis du Patrimoine de Plougastel, imp. Cloître, Landerneau 1987, pp. 86-97.
Société archéologique du Finistère - 1916 vol. 43 p. 82.