Le retable du don du Rosaire
et le lutrin
de l'église Saint-Pierre de Crozon.
En guise d'introduction.
J'ai déjà photographié le retable des Dix mille martyrs qui est situé, dans la même église de Crozon, symétriquement à celui-ci, dans l'aile sud du transept ; Le retable des dix mille martyrs, (2, avec les commentaires des panneaux), église Saint-Pierre de Crozon (29). L'intérêt exceptionnel de ce dernier ne devrait pas néanmoins nous empêcher d'exercer notre curiosité sur le retable du bras nord du transept, car il s'agit d'une très belle œuvre.
I. Le retable du Rosaire.
Les archives rapportées par la Notice sur Crozon du Bulletin Diocésain d'Histoire et Archéologie d'Abgrall et Peyron nous indiquent d'une part qu'une Confrérie du Rosaire existait à Crozon, et, d'autre part, selon un rapport de 1776, que "les chapelles du Rosaire et des Martyrs sont prohibitives à la charge des différents seigneurs à qui elles appartiennent".
On apprend par ailleurs que ce retable est daté de 1664 et est attribué à Maurice Le Roux. Ce sculpteur , le plus connu d'une lignée de maître-sculpteurs landernéens, est l'auteur, entre 1664 et 1669, d'un retable du Rosaire à l'église Saint-Ténénan de Landerneau, ou à celle de Brasparts, (effectivement très voisin de celui de Crozon), ou à Carantec, Locronan (1668) ou Bodilis (1669). L'église Saint-Thévenan de Plabennec réclame aussi la paternité de Maurice Le Roux pour son retable du Rosaire.
Dans le bras nord du transept, ce retable à quatre colonnes torses et entablement à fronton brisé surmonte l'autel. Le groupe en haut relief de la Vierge à l'Enfant, de saint Dominique et de sainte Catherine de Sienne, se détache sur la ronde des quinze médaillons des Mystères. Dans la brisure du fronton se place une statue de saint Joseph.
, au milieu duquel une niche abrite une statue de saint Joseph portant l'Enfant Jésus. ,
Vue d'ensemble.
Vue rapprochée :
On peut commencer par remarquer, entre les deux chérubins, la date de 1664 inscrite dans un cuir.
On peut aussi compter les médaillons. Eh là, il n'y en n'a que douze, et non quinze comme vous le prétendiez !
Mea culpa, on n'observe jamais assez et on ne vérifie jamais assez sa monnaie. Mais regardez les colonnes, ces entrelacements de pampre, ces oiseaux picorant les grains de raisin, ces escargots gravissant avec persévérance les rameaux eucharistiques, et ce malin serpent se fondant par mimétisme avec un cep : n'est-ce pas réussi ? N'est-ce pas à même d'inviter les âmes des membres de la confrérie à gravir, à leur tour, les circonvolutions de leurs progrès spirituels pour rejoindre, dans l'éther, les hautes sphères chérubiniques ?
A droite, c'est sainte Catherine de Sienne ; à gauche, Dominique de Guzman.
La Vierge, vêtue de bleu et de blanc et or, est couronnée. Elle remet le rosaire à saint Dominique.
Un détail m'intrigue ici, c'est la singulière tonsure de saint Dominique. Existe-t-il plusieurs sortes de tonsure ? Oui, répond Carolus Chardon dans son Theologiae Cursus Completus : ex tractatibus omnium prefectissimus ubique, 1ère partie, Chapitre III : la tonsure de Saint-Pierre (ou romaine), où tout le dessus du crâne est tondu, ne laissant qu'une couronne. La tonsure de Saint Paul, ou orientale, où tout le crâne est entièrement tondu ; et la tonsure des celtes, où toute la moitiè antérieure du crâne est tondue, et la moitiè postérieure est chevelue.
Saint Dominique, ou l'acteur qui joue ici son rôle, a transformé la couronne tonsurale pour inscrire un toupet presque circulaire au niveau du front. Est-ce par dévotion à saint Pierre, dont le toupet est l'un des attributs ? Est-ce en raison d'une mode en vigueur en 1664 ? Maurice Le Roux a-t-il gratifié tous les saint Dominique de ses retables de la même fantaisie capillaire ?
Il ne faudrait pas négligé l'examen des différents médaillons, chacun étant soigneusement sculpté. Je pensai y trouver des scènes de la vie de Marie illustrant les mystères glorieux, joyeux et douloureux, mais ceux-ci illustrent en réalité principalement des scènes de la vie de Jésus : ici, Visitation, Nativité, , puis Circoncision ?, Jésus parmi les Docteurs ; Jésus au mont des Oliviers ; (?). Plus loin, Flagellation ; Portement de Croix ; Crucifixion; Résurrection, Pentecôte, Assomption.
On voit que sainte Catherine ne reçoit pas le chapelet du rosaire, mais ce qui pourrait apparaître comme une image au bout d'une ficelle, et qui est le Scapulaire. Nous avons donc affaire, c'est là l'originalité de ce retable de Crozon, au Don du Rosaire à saint Dominique et au Don du Scapulaire à sainte Catherine. Voir Notre-Dame de Carmès à Neulliac et le scapulaire.
Une Confrérie du Scapulaire n'est pas attestée à Crozon, mais on peut penser que la confrérie du Rosaire a élargi le champ de ses compétences lorsque le culte du scapulaire comme protection contre le risque de mourir en état de péché s'est imposé largement dans les paroisses bretonnes.
On pourrait se demander si il s'agissait dès l'origine d'un scapulaire, ou si celui-ci est venu remplacer secondairement un chapelet. Si le scapulaire était premier, on pourrait alors aussi se demander s'il s'agit bien de sainte Catherine, et non, comme sur le tableau du Don du Scapulaire de Neuilliac, de Thérèse d'Avila, puisque le scapulaire (sous forme d'un vêtement) est spécifique des carmélites. Mais, alors, nous aurions la guimpe blanche et le voile noir, mais aussi un manteau blanc sur une robe noire, et non l'inverse comme ici. Quoiqu'il en soit le récipiendaire de ce Don fut Simon Stock, en 1251.
On conclue à la présence initiale d'un chapelet du Rosaire.
La statue de saint Joseph, en sommité du retable, est remarquable car la représentation de Joseph portant l'Enfant est assez rare en iconographie. Soit, à l'époque médiévale, Joseph apparaît isolé, mélancolique ou pour le moins méditatif dans les scènes de Nativité, ou conduisant l'âne lors de la Fuite en Égypte, soit au XIXe siècle il est représenté seul, tenant le lys de la pureté de sa conduite. Ici, c'est son rôle de père de famille et d'éducateur qui est mis en avant.
Sa statue est incluse dans un présentoir à quatre colonnettes torses.
Parmi les bas-reliefs polychromes de l'autel, on note un agneau pascal entouré de quatre chérubins....
...un moine (à tonsure romaine, et portant un scapulaire...) tenant une croix...
le Bon Pasteur sur la porte du tabernacle...
et sainte Marguerite issant du dragon.