Les saints Côme et Damien dans les scènes de trépanation et d'exorcisme des sablières de Saint-Sébastien du Faouët, de Saint-Fiacre du Faouët et de Notre-Dame-de-Grâces ?
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Voir les articles précédents sur l'iconographie des saints Côme et Damien :
Saint Côme et saint Damien sur le cadran solaire de 1614 de l'église de Saint-Nic (Finistère).
Le portail intérieur du porche sud de l'église de Bodilis.(1570)
Le porche sud et la porte sud de l'église Saint-Houardon de Landerneau. (vers 1554-1570)
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Dans mon Iconographie de saints Côme et Damien en Bretagne, j'ai passé en revue les enluminures consacrées aux saints médecins (en dehors de leur martyre). Alors que la plupart montrent les saints, tenant leur attribut (pot à onguent ou urinal), et en habit de docteurs (bonnet carré ou rond, robe longue), deux d'entre elles les montrent dans un costume plutôt monastique, et penchés chacun vers un patient de taille inférieure à eux.
La première est contenue dans une traduction du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, le Bnf fr. 313 daté de 1396. L'un des saints tient par la main, et bénit, un homme agenouillé, en pagne, un poignard enfoncé dans la poitrine. L'autre fait face à un homme agenouillé, en robe longue, la tête ensanglantée.
— Bnf fr. 313 , fol. 221, Saints Cosme et Damien médecins Vincent de Beauvais, speculum historiale (trad. jean de vignay) , 1396, chap XLIII cy commence la glorieuse passion mon seigneur saint cosme et saint damien freres qui pour l'amour de nostre seigneur jhesu crist guerissoient de toutes diverses maladies.
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La deuxième provient d'une traduction de la Légende dorée de Jacques de Voragine, le Bnf fr.242 daté du début du XVe siècle (donc presque contemporain du premier). Le saint de gauche tient un trépan à manche en T, élevé au dessus de la tête du malade. Celui de droite pointe un instrument vers le crâne, comme pour s'apprêter à y faire une incision.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84557843/f447.item.zoom
— Bnf fr. 242 fol. 217v, s. cosme et damien médecins, jacobus de voragine, legenda aurea (trad. Jean de Vignay) , début XVe.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8426005j/f450.image
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Dans une troisième enluminure, celle des Heures de Jacques II de Chastillon BnF N.A.F. 3231 reproduit par P. Julien, la tenue vestimentaire est bien celle des docteurs en médecine, mais l'un des saints pointe une lancette (un instrument à manche folié et à lame effilée) vers le sommet du crâne d'un petit homme prosterné devant lui. L'enluminure daterait de 1480-1490.
BnF N.AF. 3231 Livre d'Heures de Jacques II de Chastillon, Amiens 1430 et 1480-1490.
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Par ailleurs, sur le même thème, deux ensembles de statues sont décrites sur la base Palissy, l'une à Maillebois (Eure-et-Loir), l'autre dans l'église de Brestot (Eure) .
Á Brestot , (Eure), les statues en pierre de 55 et 60 cm datent du XVIe siècle.
"Damien" (inscription peu fiable du socle) tient le pot à onguent dans la main gauche et tend de façon incisive l'index droit pointé vers le sommet du crâne d'un petit personnage qui l'implore debout. Le saint porte la robe écarlate recouverte d'un camail de fourrure blanche, et le bonnet écarlate.
"Côme", en robe blanche à camail noir, la tête encapuchonnée, domine un petit personnage agenouillé à sa droite.
https://sauvegardeartfrancais.fr/photos_realisations/Brestot.pdf
http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_6=REPR&VALUE_6=SAINT%20COME&NUMBER=45&GRP=0&REQ=%28%28SAINT%20COME%29%20%3aREPR%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=9&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=200&MAX3=200&DOM=Tous
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À Maillebois (Eure-et-Loir): deux statues de bois polychrome du XVIIe conservées dans un grenier de la mairie.
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http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_6=REPR&VALUE_6=SAINT%20COME&NUMBER=58&GRP=0&REQ=%28%28SAINT%20COME%29%20%3aREPR%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=9&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=200&MAX3=200&DOM=Tous
Les saints sont coiffés du bonnet rond et de la robe longue. L'un des saints, tenant peut-être jadis le pot à onguent, se penche vers un personnage de petite taille soutenu par deux béquilles, et pointe un instrument incisif vers le sommet de son crâne. L'autre porte l'urinal.
Le grand historien de la pharmacie Pierre Julien (1921-2007) a consacré une grande part de ses travaux à l'iconographie de Côme et Damien. Il rattache cette scène à "un groupe de représentations dit des « saints au(x) petit(s) malade(s) ». Ce thème est particulièrement répandu dans la sculpture religieuse normande (à Ambourville, à Beaumont-le-Roger, à Brestot, à Guerny, à Marville et ailleurs)."
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Au total, dans les cinq documents datant de la fin du XIVe jusqu'au XVIIe siècle, les saints placent les mains, un index, ou un instrument pointu vers le sommet du crâne d'un personnage représenté en taille réduite, comme pour évoquer leur pouvoir de guérison d'affections "de la tête", maladies physiques ou mentales, céphalées, ou pathologies nécessitant un acte chirurgical d'incision ou de trépanation. Ce sont, à coté de la scène du "Miracle de la jambe noire", et de deux documents où l'un des saints pratiquent une saignée, les rares représentations instrumentales de l'activité chirurgicale pourtant parfaitement attestée dans les Suffrages où ils sont invoqués comme medicus et cyrurgicus.
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. Je propose de confronter ces cinq représentations avec trois sculptures sur bois dont le thème m'avait intrigué soit au Faouët (56), soit à Grâces à Guingamp (22). Les sablières et corniches de ces deux localités ont d'ailleurs de nombreux points communs.
Il s'agit dans l'ordre chronologique, de :
- La clôture de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët (Olivier Le Loergan 1480).
- Les sablières (1508) du bas-coté de l'église Notre-Dame de Grâces (22).
- Les sablières de la chapelle Saint-Sébastien du Faouët. (1600)
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1°) La clôture de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët (Olivier le Loergan, 1480).
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La scène a été interprétée comme le baptême d'un catéchumène par saint Martin à Ligugé. Je l'ai décrite ainsi :
On voit saint Martin (tonsuré, en tenue monastique avec la tête couverte par un scapulaire) poser la main sur le front du catéchumène qui est à genoux, en robe à ceinture, mains jointes. Saint Martin tient dans la main gauche un objet, qui doit être le flacon de saint-chrême. Il est curieusement adossé à une sorte de pupitre. Je propose de considérer que cet élément triangulaire appartient plutôt à la partie gauche de la scène, où un homme vêtu d'une cagoule rouge se redresse. On y a vu un moine de la communauté de Ligugé. Cela pourrait être aussi le « sponsor » du catéchumène, « celui qui pousse », qui fait office de parrain. Ou bien, le défunt qui, ressuscité, se redresse : le "pupitre" serait alors son cercueil.
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Je ne suis pas convaincu qu'il faille remettre en question cette interprétation, mais elle n'est néanmoins fondé sur aucune donnée irréfutable.
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2°) Les sablières (1508) du bas-coté de l'église Notre-Dame de Grâces (22). Troisième travée du bas-coté sud.
http://www.lavieb-aile.com/2018/02/les-sablieres-1506-1508-du-bas-cote-de-l-eglise-notre-dame-de-graces-22.html
Deux personnages en robe longue en soignent deux autres, et des grylles (monstres à plusieurs têtes et pattes) s'enfuient sur le coté.
À gauche, le médecin (pieds nus, cheveux longs, portant peut-être un bonnet) pointe un instrument à manche et T (un trépan ?) vers le crâne d'un énergumène dont l'agitation est contenue par une sorte de camisole.
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A droite, le thérapeute porte l'habit monastique (robe longue à capuchon) et pose les mains sur la tête d'un homme aux cheveux bouclés.
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J'y avais vu une scène de trépanation associée à un exorcisme, mais pourquoi ne pas évoquer la possibilité d'une représentation de saint Côme et de saint Damien ?
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3°) Les sablières (1600) de la chapelle Saint-Sébastien du Faouët,
http://www.lavieb-aile.com/2015/09/sablieres-inscriptions-et-pardon-de-la-chapelle-saint-sebastien-au-faouet-56.html
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A gauche, trois personnages à genoux. Le premier, à capuche et bure, présente un livre. Le second, également encapuchonné, pose sa main sur la tête nue du troisième, barbu, qui lui fait face. Cette scène est interprétée comme " saint Martin baptisant un catéchumène " ou comme "scène d'exorcisme".
Dans un cartouche, Inscription datée : "1600, le 26 de juin".
Un cerf (? deux oreilles et un bois ; sabots) se tourne gueule ouverte vers l'inscription.
Deux anges tiennent un cartouche et son inscription datée.
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Pourquoi ne pas attribuer cette imposition des mains sur la tête d'un homme agenouillé à saint Côme ou à saint Damien ?
L'un des principaux obstacles est que ce moine n'est pas accompagné en miroir d'un thérapeute semblable, cette dualité gémellaire étant un véritable attribut iconographique.
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Conclusion.
J'ai voulu mener cette réflexion née d'une intuition face aux enluminures des Bnf fr 313 et 242, mais elle s'achève sans aucune certitude. Seule la sablière de Grâces, qui réunit la dualité des deux médecins, et l'existence d'un instrument de chirurgie céphalique, peut remplir les conditions nécessaires à une identification des saints Côme et Damien.
Maigre récolte, mais n'est-ce pas en partageant ses propres tâtonnements que la recherche progresse ?
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