La baie 116 (1228-1231) du transept sud de la cathédrale de Chartres : saints Christophore et Nicaise ; saint Denis remettant l'Oriflamme à Jean Clément du Mez.
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Voir aussi sur les vitraux de Chartres :
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
Les Mois, le Zodiaque et le Temps de la cathédrale de Chartres: sculpture et vitrail. .
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
La Baie n° 10 de Chartres : Grisaille du Miracle de saint Nicolas
La baie 40 ou Chapelle de Vendôme des vitraux de la cathédrale de Chartres. (vers1417)
Et aussi :
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PRÉSENTATION.
Voir Wikipédia
Les fenêtres hautes du transept.
L'ensemble de la vitrerie de la cathédrale montre une réelle unité formelle. Alors que les fenêtres basses qui ont conservé leurs vitraux d'origine sont toutes narratives et racontent les vies du Christ, de la Vierge et des saints dont les cycles comprennent de nombreuses scènes disposées suivant des compositions géométriques variées, les fenêtres hautes sont occupées par de grandes figures de saints présentés debout au-dessus d'un ou deux épisodes de leur vie, ou bien par trois ou quatre scènes hagiographiques superposées, d'une échelle assez ample pour être bien lisibles depuis le sol. Les représentations des corporations de métiers, surtout dans les fenêtres basses, et des seigneurs et ecclésiastiques, surtout dans les baies hautes, attestent des nombreuses donations dont la cathédrale a bénéficié. (Grodecki 1981, C. Lautier 2003)
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Plan annoté d'après la figure publiée par Lautier
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Un ensemble de 12 baies du transept datant de 1225-1235.
Voir culture.gouv.
Parmi les fenêtres hautes de la cathédrale, se remarque l'ensemble des 12 verrières figurées du transept (baies 115 à 120, 123 à 128) qui entourent les deux grandes roses des baies 121 et 122. L'ensemble des verrières est daté entre 1225 et 1235, sauf la baie 123 du dernier quart du 13e siècle.
Dans cet ensemble, les baies du coté nord, autour de la rose glorifiant la Vierge-Reine des Cieux et Sainte Anne, sont vouées à la Vie de la Vierge (à l'ouest) et aux Apôtres présentés deux par deux au dessus de prêtres donateurs.
Les fenêtres du coté sud du transept, tentent de répondre également à l'exigence de placer des couples de personnages, qui sont soit les apôtres Pierre et Paul, soit les prophètes (Osée et ?, Michée et Malachie), soit des saints associés car ils sont deux frères (Gervais et Protée, Côme et Damien, peut-être Crépin et Crépinien). Cette unité iconographique souffre d'exceptions, soit par notre incapacité à identifier les personnages, soit parce que d'autres principes s'appliquent, notamment la possession de reliques, et l'existence d'autels présents à proximité, comme l'a magistralement montré Claudine Lautier (figures 7 et 16).
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Les trois fenêtres hautes du coté oriental de la baie sud du transept : 116, 118 et 120.
Dans ce sous-ensemble du transept sud, découpons encore un groupe, dont l'unité vient de ce qu'il s'offre au regard du fidèle tourné vers le déambulatoire : les trois baies voisines 116, 118 et 120. Chaque baie renferme quatre grands personnages accouplés deux à deux, et deux donateurs plus petits.
La baie 116 montre, sous une rose où siège Jean-Baptiste, deux saints traditionnellement identifiés comme Christophe et Nicaise , ainsi que saint Denis remettant l'oriflamme à Jean Clément du Metz. Les donateurs sont le prêtre Geoffroy, et Jean Clément du Metz par ses armoiries.
La baie 118 montre sous une rose consacrée à la Vierge à l'Enfant les saints Gervais et Protais et Côme et Damien, le donateur étant encore un prêtre du nom proche de Geoffroi.
La baie 120 montre sous une rose consacrée à la Vierge à l'Enfant deux prophètes dont Osée, et le donateur Pierre Mauclerc.
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La baie 116.
C'est une verrière à 2 lancettes et une rose à 8 lobes et 16 ajours ; les lancettes mesurent 6,67 m de haut et 2,58 m de large, tandis que la rose mesure environ 4,50 m.
Réalisée en 1228-1231 (Grodecki) au moment même où le transept sud a été édifié, elle a été restaurée à la fin du 19e siècle, puis en 1920-1921 par Gaudin et enfin vers 2010 par l'atelier Peters à Paderborn (Allemagne).
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La lancette a (à gauche): deux saints et un donateur, le prêtre Geoffroy.
Bordure bleue, rouge et blanche de losanges et de rosettes. Fond des dais rouge.
" Deux grandes figures : 1° Saint Christophe, en robe jaune foncé et en manteau bleu, tient un livre ; une inscription semi-grecque porte : s. XPOFOR ; 2° Saint Nicaise, en robe verte et manteau bleu, avec un livre ; on lit : S : NICHASIVS. Dans le bas, on voit le donateur du vitrail, le prêtre Geoffroi, Gaufridus, ou comme le porte l'inscription : IEFROI ; il est debout et joint les mains devant un autel chargé d'une grande croix bleue ; ses vêtements sacrés sont l’amict vert, l’aube blanche, la dalmatique jaune et la chasuble bleue."
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La demi-lancette gauche. Un saint prêtre ou moine nommé Christophore.
Ce personnage nimbé tient un livre dans la main gauche et tend un index d'argumentation avec son voisin. Il est tonsuré, la calotte rasée étant entourée d'une couronne de cheveux bruns.
Dans le sommet ogival du dais est inscrit en lettres capitales romaines les mots :
S+ P~FOR'
La première lettre est l'abréviation de Saint ou de Sanctus.
L'abbé Bulteau a lu S XP(tildé)OFOR
Le tilde (la barre horizontale) placée au dessus du P et du O témoigne d'une ou de plusieurs lettres absentes.
L'apostrophe qui suit le R est très vraisemblablement l'abréviation de la terminaison latine -us.
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L'hypothèse de lire ici S. X[ist]poforus est judicieuse, car cette forme, y compris celle Xpoforus, est bien attestée en paléographie, et trouve toujours sa signification en Christophorus, "Christophe". L'inscription indique donc avec une quasi certitude SANCTUS CHRISTOPHORUS, "Saint Christophe".
C'est aussi la lecture d'APM Gilbert en 1824..
La difficulté vient du fait que le personnage ne correspond absolument pas à saint Christophe, dont l'iconographie a certes évolué, mais qui se caractérise par sa taille de géant, son bâton, et par l'enfant qu'il porte sur ses épaules.
Au contraire, le personnage est un saint (nimbe) moine (tonsure), et peut-être abbé fondateur d'un Ordre (livre, la Règle ?), bien que ce livre soit placé assez systématiquement entre les mains des saints des autres lancettes (saint Nicaise ou saint Denis ici, saints Côme et Damien, Gervais et Protais en baie 118).
Cette discordance a été remarquée par l'abbé Yves Delaporte dans Les Vitraux de la cathédrale de Chartres, 1926, page 442-443, cité par James Bugslag en note de sa page 492 :
"As with some of the other inscriped names accompanying saints and prophets in the transept clerestory glass, these do not unproblematically signal the identity of these figures. Delaporte has pointed out that the attributes and dress of the two saints are at variance with the inscribed names and suggested that the images might be composite. The problem has yet to be adressed systematically."
C. Lautier cite aussi l'avis de ces deux auteurs. Le site Wikipedia dédiée aux vitraux de la cathédrale indique "Gauche : 2 saints inconnus" dans sa description de la baie 116. Toutes les autres descriptions, y compris celle de Bulteau, celle de Grodecki, ou celle des Amis de la cathédrale (mécènes de la restauration de la baie) identifient le personnage avec saint Christophe.
Ce n'est pas moi qui donnerait, bien-sûr, la solution. J'ai tenté de voir si l'inscription pouvait être lue différemment, (Carpoforus), mais j'ai écarté cette hypothèse. J'ai envisagé qu'il puisse exister plusieurs saints Christophe, puisque le plus connu porte le nom de "saint Christophe de Lycie". C'est peut-être ma meilleure suggestion, puisqu'il existe effectivement six autres saints Christophe :
- Christophe d'Antioche (iiie siècle), martyr à Antioche ; célébré localement le 9 mai.
Christophe de Nicomédie, († 303), compagnon de saint Georges ; célébré les 20 et 24 avril.
Christophe de Palestine (vie siècle), ou Christophe le Romain, moine ; célébré le 30 août.
Christophe de Saint-Sabas († 797), moine au Monastère Mar Saba, martyr ; célébré le 14 avril.
Christophe de Cordoue († 852), avec Léovigild, si désireux de connaître le martyre qu'ils allèrent volontairement trouver leur juge Maure ; célébrés localement le 20 août
Christophe de Collesano (xe siècle), moine au mont Mercure en Lucanie ; célébré le 17 décembre.
Pour valider cette hypothèse, il faudrait que l'un d'entre eux figure à l'Ordinaire de Chartres, ou que son culte soit attesté dans le diocèse.
Saint Christophe de Romagnola présente l'intérêt d'avoir été franciscain ; il n'a pas le titre de saint, mais celui de bienheureux. Il mourut à Cahors où il avait été envoyé par saint François. Mais il est mort en 1272, après la date de réalisation du vitrail.
Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur la date de l'inscription. Elle occupe une place inhabituelle, puisque le nom des saint Nicaise, Côme et Damien figure en latin entre les pieds des grands personnages. A-t-elle été placée là à la suite d'une restauration, provient-elle d'une autre baie ?
Enfin, est-ce le personnage qui a été modifié ? Aucune modification minime ne pourrait transformé notre quidam en un gigantesque Christophe porteur du Christ. Néanmoins, la tête du moine aurait été modifiée.
Une information est donnée par l'atelier Peters, verrier qui a restauré la baie :
"La restauration de la fenêtre haute n° 116 de la cathédrale Notre-Dame de Chartres par les ateliers Peters à Paderborn La baie 116 a été datée de la première moitié du 13e siècle, entre 1228 et 1231. Il s’agit de deux baies géminées surmontées d’une rosace dans la claire-voie du transept sud. Chacune des deux baies représente deux personnages plus grands que nature, qui se font face. La rosace est composée d’un oculus central et de huit lobes entourés de douze quadrilobes plus petits. Dans la lancette A est représenté à gauche, un clerc tonsuré, et à droite, un personnage identifié comme saint Niçaise. Les deux personnages sont nimbés et portent un livre comme attribut. Au-dessus de la tête du clerc on peut lire l’inscription S.X[- IST]OFO- R[US], ce qui permet de l’identifier comme saint Christophore. Le lectionnaire de Chartres toutefois décrit ce personnage simplement comme un laïque barbu, de très grande taille, ce qui laisserait planer un doute."
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La demi-lancette droite. Saint Nicaise.
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"Saint Nicaise, en robe verte et manteau bleu, avec un livre ; on lit : S : NICHASIVS." (Bulteau"
"Le personnage à droite est identifié par l’inscription S.NICHASIVS sous ses pieds. Les deux personnages se caractérisent par un corps étiré plus grand que nature ainsi que par leur attitude figée et peu naturelle. La partie inférieure de la baie est consacrée au prétendu donateur, un religieux, debout, qui lève ses deux mains jointes dans un geste de prière. En face de lui, une croix et un tissu blanc avec des franges dorées, identifié, semble-t-il, comme drap de naissance du Christ." (Peters)
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Bien que les auteurs prennent, à la suite du chanoine Yves Delaporte, l'identification de saint Nicaise avec des pincettes et des points d'interrogation, sa présence dans les vitraux de la cathédrale peut s'appuyer sur trois ordres de fait, d'ailleurs reliés : je cite ici Claudine Lautier.
a) La possession de reliques.
"Le reliquaire dit « des Maries », haut de onze pouces, était composé d'un « petit donjon antique, d'orfèvrerie à jour », portant un cylindre de cristal empli de trois groupes de reliques. Dans le premier paquet, l'authentique désignait le lait de la Vierge, le bois de la croix de saint Pierre, les os de saint Paul et de saint Barthélémy, ceux de saint Luc et de saint Marc, et une relique de sainte Marguerite. Si la plupart d'entre elles pouvaient être d'origine byzantine, toutes coïncident avec des saints représentés dans les vitraux. Dans le second paquet étaient les reliques de sainte Cécile et des saints Vincent, Nicaise, Germain de Paris, Eloi évêque de Noyon, Euverte évêque.
Parmi les reliques contenues dans le second paquet conservé dans le reliquaire des Trois Maries, seules celle de saint Vincent et celle de saint Nicaise peuvent être mises en rapport avec des saints figurés dans les vitraux. Le côté hétéroclite du rassemblement de ces reliques, sans doute issues de plusieurs reliquaires disparus à une époque indéterminée, ne permet aucune supposition sur leur provenance pas plus que sur la date de leur arrivée respective dans le trésor.
Le cas de saint Nicaise est plus troublant. Dans la lancette gauche de la baie 116, il est aux côtés de saint Christophe, du moins c'est ainsi que les inscriptions nomment les deux saints. Le chanoine Delaporte conteste l'identification des deux personnages, car il refuse de reconnaître en Christophe la figure du jeune homme tonsuré et imberbe désigné par l'inscription, et en Nicaise le personnage qui ne porte aucun attribut pontifical . Mais peut-être faut-il reconnaître en saint Nicaise non pas l'illustre évêque rémois, mais l'évangélisateur du Vexin et du pays de Meulan au IVe siècle, dont le prieuré Saint-Nicaise de l'île-de-Meulan, du diocèse de Chartres, conservait le corps . Les deux saints, curieusement associés dans une même lancette, ne bénéficient pas d'un culte très important d'après les ordinaires; une chapelle de la crypte était cependant dédiée à saint Christophe."
b) les textes liturgiques.
"Le premier ordinaire, bien connu, a sans doute été rédigé vers 1225- 1235, c'est-à-dire peu après que les chanoines eurent pris possession de leurs stalles dans le chœur, à un moment où les cérémonies pouvaient prendre toute leur ampleur dans une église pratiquement achevée. Le texte liturgique est bien structuré, car le temporal et le sanctoral sont séparés, et le parcours et l'organisation des processions sont clairement décrits. Il permet donc d'analyser la solennité que l'on donnait aux fêtes de l'année liturgique ou à celles des saints du calendrier chartrain. L'importance relative de ces dernières est révélée par le nombre de « leçons » lues le jour de la fête du saint, racontant sa vie et ses mérites : une simple mémoire, trois leçons ou neuf leçons. L'autre texte est aussi un ordinaire rédigé entre 1152 et 1173, analysé par Delaporte dans la publication de l'ordinaire du XIIIe siècle, et dont il tire de son incipit le nom de Veridicus.
Saint Nicaise bénéficiait de trois leçons au jour de sa fête le 11 octobre, tandis que saint Christophe n'avait droit qu'à une simple mémoire le 25 juillet."
c) les possessions et dépendances.
"Aux nombreux établissements du diocèse de Chartres dédiés à la Vierge ou à la Trinité s'ajoutaient des fondations dont les vocables trouvent en quelque sorte un relais dans le décor monumental de la cathédrale, en particulier dans les vitraux.
Parmi les prieurés bénédictins importants figurait Saint-Nicaise sur l'île de Meulan, qui dépendait du diocèse de Chartres, alors que la ville était du diocèse de Rouen. Donné en 1095-1098 à l'abbaye normande du Bec, le prieuré conservait le corps de Nicaise, évangélisateur du Vexin et du pays de Meulan. Il était favorisé par les évêques de Chartres, et c'est son saint patron qui est représenté dans la baie 116 du transept de la cathédrale . L'abbaye Saint-Denis de Nogent-le-Rotrou, fondée vers 1028- 103 par Geoffroy III, vicomte de Châteaudun, devint prieuré clunisien en 1090 et richement dotée, ce qui lui permit de fonder par la suite de nouveaux prieurés. Saint Denis, dont le trésor conservait une relique, était représenté plus d'une fois dans la vitrerie de la cathédrale." (C. Lautier)
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Nous aurions donc ici la représentation de saint Nicaise, apôtre et martyr du Vexin avec ses compagnons Quirin et Scuvicule, mais placé ensuite à la tête de la liste des évêques de Rouen et inscrit à ce titre dans tous les martyrologes et calendriers liturgiques normands. Notons qu'il est présenté dans la Passio Nigasii comme un compagnon de saint Denis (Louis Violette).
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Le registre inférieur : le donateur.
À droite, le donateur le prêtre Geoffroy.
La partie inférieure de la baie est consacrée au donateur, un prêtre, debout, qui lève ses deux mains jointes dans un geste de prière. La description de Bulteau est très précise : "Dans le bas, on voit le donateur du vitrail, le prêtre Geoffroi, Gaufridus, ou comme le porte l'inscription : IEFROI ; il est debout et joint les mains devant un autel chargé d'une grande croix bleue ; ses vêtements sacrés sont l’amict vert, l’aube blanche, la dalmatique jaune et la chasuble bleue." Ajoutons que ce prêtre en habit de célébrant est tonsuré.
Bulteau assimile IEFR / OI à Gaufridus, un père de famille qui apparaît en donateur avec son épouse et ses enfants sur la baie 101 de l'abside du chœur, portant peut-être la besace des pèlerins de Compostelle. Il s'agit du chevalier (miles) Geoffroy de Dillonvilliers de Gallardon, Eremburge, sa femme, et Raoul, leur fils aîné, qui apparaissent dans le capitulaire chartrain en 1210 et 1212 : Le cartulaire de Notre-Dame-de-Chartres de mars 1210 mentionne Gaufridus de Galardone :
Geoffroy de Gallardon, Eremburge, sa femme, et Raoul, leur fils aîné, vendirent au Chapitre, pour 140 livres chartraines, tout ce qu'ils possédaient de cens et de surcens dans la Banlieue de Chartres. . ( cf. concernant le nom, l'abbaye de Bonneval à Gallardon, non loin de Chartres).
On trouve aussi cette famille, portant les coquilles de pèlerinage, comme donatrice de la baie 136 sous saint Jacques.
Néanmoins, Gaufridus est ici le prénom du donateur, et non un nom de famille.
Le manuscrit Chartres ms 330 de le 2ème moitié du XIIIe siècle provenant du chapitre de la cathédrale, mentionne Gaufridus de Trano, auteur de Summa super titulis Decretalium.
Cette assimilation ou ce rapprochement du prêtre [G]IEFROI avec le donateur Gaufridus des baies 101 et 136 n'est donc pas licite. Ce clerc ne peut être identifié. Mais c'est très vraisemblablement le donateur de la baie 118, très similaire et accompagné de l'inscription tronquée IEF / OI.
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En face de lui, un autel recouvert d'un drap blanc frangé supporte une croix bleue pattée. Des médaillons à quatrefeuilles sont accrochés aux branches de la croix.
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La restauration par l'atelier Peters de Paderborn (Allemagne).
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La lancette b (à droite): saint Denis et Jean Clément du Mez et un donateur, le prêtre Geoffroy.
Comme la précédente, et les lancettes de la baie 118, elle est divisée en deux registres, le plus grand accueillant deux personnages plus grands que nature, dans des dais, et, au dessous, le plus petit destiné à témoigner d'une donation. Mais ici, les deux personnages ne sont pas séparés mais participent à une action commune : la remise d'un oriflamme. L'un des deux, seul à être nimbé, domine légèrement l'autre. De plus, le fond n'est pas homogène, mais bleu à gauche et rouge à droite : ils n'appartiennent pas au même espace coloré.
" Deux grandes figures: 1° Saint Denis, en habits pontificaux, donne l’oriflamme à Henry Clément, dit le Petit-Maréchal ; 2° Henry Clément est vêtu d’une cotte de mailles d’or et d’un surtout bleu blasonné. Dans le bas, se voient les armoiries de Henry Clément entre deux chandeliers." (Bulteau)
"La lancette B montre deux personnages debout également, à gauche, saint Denis qui donne l’oriflamme à Jean Clément. L’inscription S. DIONISIVS ainsi que la mitre qu’il porte, le nimbe et le livre dans la main gauche permettent son identification. Le personnage à droite porte un vêtement militaire avec, sur la poitrine, le blason de la famille Clément. Cette figure héraldique est représentée de nouveau dans la partie inférieure de la lancette. Cette lancette se distingue par rapport à la lancette A en particulier par un léger déhanchement des personnages, ainsi que par une bordure à rinceaux floraux et une composition harmonieuse." (Peters)
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Roger de Gaignières avait fait relever le dessin de cette baie, ce qui en atteste la véracité au fil du temps :
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Hémi-lancette à gauche : saint Denis remettant l'oriflamme.
Saint Denis, — identifié par l'inscription S. DIONISIVS ainsi que par la mitre qu’il porte, le nimbe et le livre dans la main gauche — , tient la hampe d'une lance où est fixé par trois rubans verts un drapeau. Celui-ci est rouge, à cinq bandes se terminant en pointes, et garnies de houppes blanches à forme d'olive : c'est l'Oriflamme de l'abbaye de Saint-Denis. Les pièces blanches figurent peut-être l'or de cet étendard (oriflamme = aureo flamma, flamme d'or). Ce vitrail donne la (l''une des) plus ancienne illustration de l'Oriflamme.
Or, cet Oriflamme, Vexillum beati Dionysii, conservé à Saint-Denis était, au Moyen-Âge, l'étendard du roi de France en temps de guerre. Louis VII s'en était saisi en 1147 pour la Deuxième Croisade, et Philippe-Auguste en 1190 pour la Troisième Croisade et en 1214 à Bouvines. On le nommait l'oriflamme du roi, l'oriflamme de France, et il témoignait de la protection divine dont bénéficiait le royaume.
L'étendard de Saint-Denis fait son apparition dans l'histoire en 1124. En juillet de cette année, l'empereur Henri V décide de faire la guerre au roi de France Louis VI. Celui-ci lève en hâte une armée. Rassemblée à Reims, l'armée française fait une telle impression qu'à la mi-août les troupes germaniques rebroussent chemin sans livrer bataille.
C'est à ce moment, d'après Suger, que Louis VI apprend que « saint Denis est le patron spécial et, après Dieu, le protecteur sans pareil du royaume ». Le roi se rend donc à l'abbaye et prend sur l'autel l'étendard (vexillium), « appartenant au comté de Vexin, au titre duquel il se trouve feudataire de l'église ; il le prend conformément à son vœu comme de la main de son seigneur », puis part vers le point de ralliement de l'armée. Le nouvel étendard vient comme en remplacement de celui que Louis VI avait perdu, en même temps que son cheval, le 20 août 1119, lors de la défaite de Brémule infligée par les Normands.
C'est en tant que comte de Vexin que le roi lève l'étendard de Saint-Denis. Le roi possède ce comté depuis 1077, quand le dernier titulaire, Simon, pour se faire moine, l'a remis à son suzerain. (D'après Wikipédia)
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Hémi-lancette de droite : Jean Clément du Mez.
Ce chevalier est identifié par les armoiries de son tabard : d'azur à la croix recercelée (ancrée avec étirement des extrémités) d'argent, à la cotice de gueules brochant en bande.
Ce sont les armes de la branche cadette de la famille Clément, seigneur du Mez (Dordives, Loiret) et d'Argentan (Orne). Cette famille obtint le titre de maréchal de France durant le XII et le XIIIe siècle.
James Bugslag identifie ce personnage comme étant Jean III Clément du Mez.
-Jean Clément III , seigneur du Mez et d’Argentan, croisé avec Louis IX et fait prisonnier avec lui en 1249, Maréchal de France à 17 ans, dès 1225, décéda le 17/03/1261
-Son père, Henri Ier Clément (1170-1214), avait été élevé au rang de maréchal vers 1204 par le roi Philippe-Auguste pour sa participation à la conquête de la Normandie, de l’Anjou, de la Touraine ; pour ses exploits militaires Henri Clément reçoit en récompense le château d’Argentan en 1207 (château royal des Plantagenets en France) puis le château de Parthenay en 1208.
Celui-ci, le "Petit Maréchal", s'était illustré à la bataille de Bouvines.
-Son grand-père Robert III Clément + 1181/82 seigneur du Mez (77, Gâtinais), succède à son frère Aubri, désigné par Louis VII comme conseiller et Gouverneur du Prince Royal Philippe (futur Philippe II «Auguste» (~1168), quasi Régent pendant la jeunesse du Roi, conseiller et ministre.
-Son frère Eudes Clément du Mez mort le 05/05/1248 fut Abbé de Saint-Denis (1228) puis Archevêque de Rouen . Il reconstruit la vieille abbatiale de Suger dès 1231.
- Son troisième fils Jean Clément devint chanoine de Chartres.
L'identification du personnage comme étant Jean, et non Henri comme le propose Bulteau, est cohérente avec la présence de saint Jean-Baptiste dans l'oculus.
Jean du Mez ou ses ancêtres, ont-ils rempli la fonction de porte-oriflamme ? La bannière de Saint-Denis était présente à Bouvines, avec l'avant-garde qui avait franchi le pont de Bouvines le 27 juillet. Et on sait aussi de Henri Ier s'illustra dans cette bataille : "Henri Clément bloque l’armée du roi d’Angleterre à la Roche aux Moines avec le prince Louis, futur Louis VIII."
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Bugslag souligne que ce vitrail est le seul exemple du début du XIIIe siècle où un chevalier est peint dans le registre principal, au même niveau qu'un saint, et non dans le registre des donateurs. Les exemples de représentation de saint remettant une bannière à un chef militaire sont rares dans l'art médiéval. Un dessin conservé au Vatican a recopié des mosaïques où saint Pierr remet la bannière de Rome à Charlemagne et son étole au pape Léon III. Un ducat d'or du doge Andreas Dandolo (1343-1354) montre saint Marc remettant son drapeau au doge.
Grodecki a remarqué la ressemblance entre cette figure de Jean Clément de Mez et un chevalier sculpté sur le portail de gauche du porche du transept sud : ce dernier est vêtu d'un surcot sur une armure alors démodée, il porte une lance où un étendard est enroulé, il avance la jambe gauche.
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On remarquera aussi que le toit du dais est remplacé par un bâtiment, qui pourrait correspondre à l'abbaye de Saint-Denis.
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Enfin, puisque l'oriflamme est lié à l'origine aux comtes du Vexin, on se rappellera que, dans la baie a, saint Nicaise était évangélisateur du Véxin.
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En définitive, qu'il s'agisse ici de Henri Ier Clément ou de son fils Jean III, le vitrail montre la remise de l'oriflamme par Saint Denis au Maréchal du roi de France et rappelle le rôle illustre de Henri Ier à Bouvines. Il honore, de manière exceptionnelle, cette famille Clément du Mez, mais à travers elle, c'est sans-doute le pouvoir royal qui affirme son autorité et son élection divine, soit l'alliance de la monarchie et de la religion.
Si on accepte la datation proposée par Grodecki (1228-1231), elle correspond au règne de Saint Louis, couronné à 12 ans en 1226, et à la régence de Blanche de Castille jusqu'en 1235.
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La restauration par l'atelier Peters de Paderborn.
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La rose sommitale à 8 lobes et 16 ajours.
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"Dans la rose, saint Jean-Baptiste, en tunique de peau verte et en manteau bistré, tient l’Agneau divin, et dit : Ecce Agnus Dei. Un pétale contient les armes de Henry Clément, d’azur à la croix ancrée d’argent et à la bande de gueules brochant sur le tout." (Bulteau)
"La rosace est composée d’un oculus central et de huit lobes entourés de douze quadrilobes plus petits.
"La rosace, placée au-dessus des deux lancettes au milieu de leur amortissement, montre un Jean-Baptiste barbu, nimbé de rouge, vêtu d’une peau de chameau et portant sur son bras gauche l’Agneau de Dieu. Il est entouré de différents éléments floraux, et dans le lobe inférieur, du blason de la famille Clément. Les motifs d‘ornementation utilisés dans cette partie de la baie se distinguent de nouveau par rapport aux deux lancettes, et semblent conçus comme le lien entre les deux. En particulier, on y retrouve les rinceaux de vigne, les fleurs quadrilobées et les hachures en croix, motifs déjà rencontrés dans les deux lancettes. On relève des parallélismes dans la représentation figurative des personnages, p.ex. en ce qui concerne les plis des vêtements, et les premières tentatives d’une individualisation des personnages. Au total, cette baie comporte 117 panneaux de dimensions les plus variées." (Peters)
Par ses armoiries, elle appartient au même programme que la lancette b.
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CONCLUSIONS.
Les satisfactions esthétiques et intellectuelles suscitées par l'étude de cette baie sont multiples, non sans réserver un bon nombre d'énigmes excitantes.
Etude de la technique de la peinture sur verre au XIIIe siècle : choix des couleurs, découpe, peinture à la grisaille.
Étude des techniques de restauration.
Réflexion sur le rôle des donateurs : simples payeurs, ou participant au choix du sujet ?
Identité des donateurs : ici, le prêtre Geoffroi (un chanoine de Chartres ?) et un chevalier.
Etude de l'héraldique dans la cathédrale.
Présence de l'influence des Croisades.
Affirmation des pouvoirs religieux dans le choix iconographie. Saint Nicaise témoigne du pouvoir du chapitre cathédrale, possesseur de reliques et du prieuré de Saint-Nicaise dans le Véxin.
Affirmation du pouvoir politique et royal par la représentation de saint Denis remettant l'Oriflamme au Maréchal de France, alors Jean Clément du Mez.
Etc..
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SOURCES ET LIENS.
https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/cathedrale-notre-dame-chartres-verriere-haute-du-transept-sud-baie-116-lancette-droite_vitrail-technique
https://www.vitraux-chartres.fr/verrieres_hautes/vh_118/lg_00.htm
https://archive.org/stream/MonographieDeLaCathedraleDeChartresV3#page/n243
http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=PM28000813
— BUGSLAG (James), 1998, « Ideology and Iconography in Chartres Cathedral Jean Clément and the Oriflamme », Zeitschrifi fur Kunstgeschichte, 61/4, 1998, p. 491-508.
https://www.jstor.org/stable/1482940
— BULTEAU (abbé Marcel Joseph) 1887 Monographie de la cathédrale de Chartres. Par l'abbé Bulteau ... Deuxième édition, revue et augmentée. Tome 3 par Société Archéologique d'Eure-et-Loir (Chartres) page 236
https://archive.org/stream/MonographieDeLaCathedraleDeChartresV3#page/n243
— GRODECKI (Louis), PERROT (Françoise), 1981, , Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Corpus Vitrearum, II ed. du CNRS, page 39.
— GRODECKI (Louis), 1958, Chronologie de la cathédrale de Chartres ,Bulletin Monumental Année 1958 116-2 pp. 91-119
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1958_num_116_2_3831
— KURMANN-SCHWARZ (Brigitte), 1996, Récits, programme, commanditaires, concepteurs, donateurs : publications récentes sur l'iconographie des vitraux de la cathédrale de Chartres Bulletin Monumental Année 1996 154-1 pp. 55-71
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1996_num_154_1_4515
— LAUTIER (Claudine), 2003, . Les vitraux de la cathédrale de Chartres. Reliques et images. In: Bulletin Monumental, tome 161, n°1, année 2003. Les vitraux de la cathédrale de Chartres. Reliques et images. pp. 3-1; doi : https://doi.org/10.3406/bulmo.2003.1180 https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2003_num_161_1_1180
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2003_num_161_1
— LAUTIER (Claudine ), 2011, Restaurations récentes à la cathédrale de Chartres et nouvelles recherches , Bulletin Monumental Année 2011 169-1 pp. 3-11 Fait partie d'un numéro thématique : La cathédrale de Chartres. Restaurations récentes et nouvelles recherches.
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_2011_num_169_1_7891
La campagne de restaurations 2006-2010 La restauration récente a été répartie entre six ateliers, travaillant parfois en collaboration.
Atelier Vitrail-France (Le Mans) : baie 100, avec l’atelier I. Baudoin-Louw (2006) ; baies 103 et 105 (2008) ; baie 106 (2009-2010) ; baie 122, rose sud et 5 lancettes (2008-2009). Atelier Petit-Babet (Chenonville) : baie 101 (2006) ; baie 108 (2010) ; baies 111, 113 et 114, avec l’atelier Lorin (Chartres) (2009-2010). Atelier Lorin (Chartres) : baie 102 (2006). Atelier Pinto (Tusson) : baie 107 (2007- 2008), baie 109 (2009). Atelier Debitus (Tours), avec les ateliers Geronazzo (Paris) et Leliepvre (Domfronten-Champagne) : baies 110 et 112 (2009-2010).
."Ils ont effectué les nettoyages, la suppression des produits de corrosion, celle d’un certain nombre de plombs de casse et leur remplacement tantôt par des collages et tantôt par de fins rubans de cuivre (dits « Tiffany »), la consolidation des soudures, mais aussi la remise en plombs partielle de nombreux panneaux des lancettes sous la rose sud. Dans certaines baies, l’entourage des panneaux a été consolidé par de minces cadres en laiton soudés aux plombs d’entourage, ce qui limitera d’éventuelles déformations. Tous les vitraux ont également été protégés par des verrières de doublage. Celles-ci, réalisées selon un procédé de thermoformage de plaques de verres sur empreinte des panneaux anciens 22, ont été montées sur des armatures neuves posées à quelques centimètres à l’arrière des armatures anciennes portant les panneaux de vitraux. De minces aérations ont été ménagées pour permettre la circulation d’air, par l’intérieur du monument, entre le vitrail ancien et la verrière de doublage. L’efficacité de ces protections a été prouvée par maintes études menées dans le cadre de programmes européens auxquels a participé le Laboratoire de recherche des monuments .historiques. Elles isolent les vitraux anciens des pluies chargées de substances corrosives et empêchent la condensation sur la face interne. Or cette dernière fragilise la peinture à la grisaille et la rend pulvérulente ou lacunaire. Ainsi protégés, les vitraux conserveront longtemps leur luminosité et leur lisibilité, et leur peinture à la grisaille sera sauvegardée."
— PETERS (Atelier Peters à Paderborn, Allemagne) : La restauration de la fenêtre haute n° 116 de la cathédrale Notre-Dame de Chartres par les ateliers Peters à Paderborn
" La baie 116 a été datée de la première moitié du 13e siècle, entre 1228 et 1231. Il s’agit de deux baies géminées surmontées d’une rosace dans la claire-voie du transept sud. Chacune des deux baies représente deux personnages plus grands que nature, qui se font face. La rosace est composée d’un oculus central et de huit lobes entourés de douze quadrilobes plus petits. Dans la lancette A est représenté à gauche, un clerc tonsuré, et à droite, un personnage identifié comme saint Niçaise. Les deux personnages sont nimbés et portent un livre comme attribut. Au-dessus de la tête du clerc on peut lire l’inscription S.X[- IST]OFO- R[US], ce qui permet de l’identifier comme saint Christophore. Le lectionnaire de Chartres toutefois décrit ce personnage simplement comme un laïque barbu, de très grande taille, ce qui laisserait planer un doute. Le personnage à droite est identifié par l’inscription S.NICHASIVS sous ses pieds. Les deux personnages se caractérisent par un corps étiré plus grand que nature ainsi que par leur attitude figée et peu naturelle. La partie inférieure de la baie est consacrée au prétendu donateur, un religieux, debout, qui lève ses deux mains jointes dans un geste de prière. En face de lui, une croix et un tissu blanc avec des franges dorées, identifié, semble-t-il, comme drap de naissance du Christ.
La lancette B montre deux personnages debout également, à gauche, saint Denis qui donne l’oriflamme à Jean Clément. L’inscription S. DIONISIVS ainsi que la mitre qu’il porte, le nimbe et le livre dans la main gauche permettent son identification. Le personnage à droite porte un vêtement militaire avec, sur la poitrine, le blason de la famille Clément. Cette figure héraldique est représentée de nouveau dans la partie inférieure de la lancette. Cette lancette se distingue par rapport à la lancette A en particulier par un léger déhanchement des personnages, ainsi que par une bordure à rinceaux floraux et une composition harmonieuse.
La rosace, placée au-dessus des deux lancettes au milieu de leur amortissement, montre un Jean-Baptiste barbu, nimbé de rouge, vêtu d’une peau de chameau et portant sur son bras gauche l’Agneau de Dieu. Il est entouré de différents éléments floraux, et dans le lobe inférieur, du blason de la famille Clément. Les motifs d‘ornementation utilisés dans cette partie de la baie se distinguent de nouveau par rapport aux deux lancettes, et semblent conçus comme le lien entre les deux. En particulier, on y retrouve les rinceaux de vigne, les fleurs quadrilobées et les hachures en croix, motifs déjà rencontrés dans les deux lancettes. On relève des parallélismes dans la représentation figurative des personnages, p.ex. en ce qui concerne les plis des vêtements, et les premières tentatives d’une individualisation des personnages. Au total, cette baie comporte 117 panneaux de dimensions les plus variées.
Après leur démontage et leur transport à Paderborn, les différents panneaux de la baie furent photographiés dans le studio des Ateliers Peters, en vue de leur documentation détaillée. Ces photographies servirent ensuite de base pour la cartographie digitale relevant les désordres constatés dans la plombure, dans la substance des verres et la peinture. Les Ateliers Peters utilisent des programmes d’ordinateurs spécifiques pour réaliser cette cartographie, afin d’assurer une précision maximale et afin de permettre une diffusion et une démultiplication de l’information sans perte de qualité. Sur un panneau fut réalisé, à titre de documentation, un scannage 3D à lumière blanche. C’est en coopération avec l’université de Bamberg que cet appareil a été testé pour réaliser des analyses topographiques des surfaces des verres, dans le but d’obtenir des informations détaillées concernant l’enlèvement des couches de salissures et de corrosion, et afin de rendre de nouveau visibles le cas échéant, des traces de peintures perdues. Lors du nettoyage des panneaux, le L.R.M.H. (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques) a accompagné l’analyse des différentes couches de corrosion et leur composition. A la suite des ces analyses, fut déterminée et soumise au propriétaire et à l’architecte en chef des Monuments historiques, une méthodologie de restauration. La surface intérieure fut traitée dans un premier temps par une aspersion partielle d’un mélange de 70% d’éthanol et d’eau. Cette aspersion fut répétée par deux fois, pour éliminer des micro-organismes encore actifs, ainsi que des spores qui pourraient le redevenir. Ensuite fut procédé à un nettoyage contrôlé au pinceau sous microscope. En parallèle, il importait de refixer des couches de peintures fragilisées au moyen d’un acrylate.Des couches de peintures qui se soulevaient furent légèrement chauffées et refixées au moyen d’une spatule thermique. Afin de traiter la surface extérieure très fortement corrodée et obscurcie par des produits de corrosion, les Ateliers Peters ont utilisé un procédé différent de ceux plus classiques et légèrement agressifs. C’est en raison de la composition des produits de corrosion que ce procédé de l’utilisation d’un échangeur d’ions CO2 fut rendu possible: il permet de transformer les couches de corrosion en un produit facilement soluble que l’on peut ensuite éliminer simplement avec des spatules en plastique. L’avantage de cette méthode réside dans le fait que l’échangeur d’ions ne laisse sur le verre historique aucune trace de produit agressif pour le verre et que le processus d’échange d’ions est stoppé directement après élimination des couches de salissures. Il s’agit d’une résine qui est appliquée sur la surface dans l’état solide et qui est ensuite activée par de l’eau distillée, ce qui permet un contrôle précis de l’opération, contrairement aux autres produits, comme l’E.D.T.A. dont l’utilisation peut laisser des traces sur le verre qui peuvent ensuite être réactivées par l’eau de condensation et devenir sources de nouveaux désordres. Ce procédé d’échange d’ions utilisé par les Ateliers Peters est dépourvu de tout risque et en ce sens offre les meilleures garanties dans le cadre des monuments historiques. Cette méthode s’est avérée au cours des tests comme la plus fiables entre toutes, et une dernière fine couche de corrosion, servant de protection, fut laissée sur le verre afin de ne pas attaquer la couche inférieure de gel. La réinstallation de la baie 116 a été réalisée entre le 19 et le 25 janvier 2013, en l’absence de masticage des panneaux, car le vitrail sera désormais placé devant un vitrage de protection extérieure, assurant l’étanchéité, avec prise d’air par l’intérieur de l’édifice, dans des conditions quasi identiques à une conservation en musée." Traduction : Félicité Schuler-Lagier
Glasmalerei Peters GmbH Am Hilligenbusch 23 - 27 D - 33098 Paderborn
— SAMZUN (Philippe), 2016, Tours protège les vitraux de Chartres, La Nouvelle République, article du
24 janvier 2016.
https://www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/tours-protege-les-vitraux-de-chartres
"Tours, rue de la Bourde. Sur la table de travail de l'atelier Debitus, une belle tête de clerc, reconnaissable à sa tonsure. Une tête « récente » car elle date vraisemblablement du XVI esiècle alors que le reste du vitrail remonte au XIII e.
Ce vitrail, il provient de la cathédrale de Chartres et se trouve depuis des mois entre les mains expertes de Laurence Cuzange et Nicolas Babouin.
L'un et l'autre ont repris, il y a deux ans, l'atelier d'Hervé Debitus. Un maître d'art qui – pour protéger les vitraux de la cathédrale de Tours – a mis au point un dispositif de protection des verrières particulièrement innovant.
Une protection ad vitam aeternam
« Un vitrail se salit de l'intérieur parce qu'autrefois, les cierges dégageaient beaucoup de suie. Il s'altère aussi de l'extérieur à cause des pluies acides et autres formes de pollution »,explique Laurence Cuzange.
En Angleterre, c'est dès la fin du XIX esiècle qu'on a pensé à mettre en place une structure métallique vitrée pour protéger ces fragiles livres d'histoire et de foi que sont les vitraux « mais ça se voyait, ça brillait, ça n'était pas esthétique ».
Le brevet déposé par Hervé Debitus s'appuie sur une technique différente : « Il s'agit d'une sorte de double vitrage qui n'adhère pas au vitrail pour permettre un flux d'air et éviter la condensation. Sur cette nouvelle surface vitrée, on reconstitue les dessins délimités par les plombs ainsi que les grandes tendances colorées.
« La cuisson donne une patine à ce verre neuf. Cela permet de disposer de " légères vibrations colorées ". La lumière continue de passer mais le vitrail est protégé. »
Actuellement, la protection des vitraux constitue le gros de l'activité de l'atelier Debitus « mais la technique n'est mise en œuvre qu'au moment où le vitrail est dans l'atelier afin d'y être restauré ».
Une œuvre de longue haleine. Restaurer un vitrail, c'est un an de travail pour deux artisans : « On est à pied d'œuvre depuis deux ans sur la baie 116 de la cathédrale de Chartres. Auparavant, on a restauré la 110 mais nous sommes également intervenus sur Bourges, la Sainte-Chapelle et, actuellement, Reims. »
Un vitrail du XIII esiècle, c'est 45 m 2de verre coloré : « Il s'agit toujours de commandes d'État qui portent sur de grosses opérations réparties en lots. Ainsi, pour la commande actuelle, on partage le travail avec un atelier de la Sarthe. Au total, huit ont été mobilisés pour restaurer huit fenêtres »… avec la satisfaction de savoir qu'une fois la protection inventée par Hervé Debitus mise en place, l'œuvre sera éternellement protégée.
Philippe Samzun, La Nouvelle République, Indre-et-Loire, Publié le 24/01/2016 à 05:45
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