Les statues de la cour du palais épiscopal de Quimper.
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Voir l'article précédent, qui comporte tous les liens vers mes articles sur Quimper :
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PRÉSENTATION.
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Comme le rappelle le site du Musée départemental breton, ce dernier a été fondé en 1846 sous le nom de Musée archéologique du Finistère sous l'égide de la Société archéologique du Finistère fondée l'année précédente, la fameuse S.A.F si attentive à étudier et recenser le patrimoine du département. Devenu propriété de l'Etat en 1862, et installé dans le Palais épiscopal jouxtant la cathédrale, il devint le Musée archéologique départemental et musée des anciens costumes bretons de la ville de Quimper et ses collections s'enrichissent des découvertes archéologiques et de nombreux dons. Un catalogue des collections est dressé en 1885 puis en 1901. Mais il devient aussi le refuge, le conservatoire, d'œuvres provenant de chapelles ou églises en trop mauvais état.
C'est ainsi que la cour du palais épiscopal, devant l'entrée du Musée, présente au visiteur une croix et un fragment de calvaire passionnants, l'une provenant de la chapelle de Coat-Quéau à Scrignac, dont les ruines ont été mises en vente en 1925, tandis que l'autre provient de la paroisse de Gouesnac'h.
Il serait regrettable que le visiteur, trop pressé de découvrir les collections du Musée, passe trop rapidement devant ces témoins de l'art des sculpteurs sur pierre (kersanton du XVIe siècle, granite du XVe) de notre région.
D'autant qu'ici, ils ne sont pas défigurés par les lichens nitrophiles...
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I. Statue géminée Jean/Pierre, fragment d'un calvaire de Coat-Quéau à Scrignac. Kersanton, XVIe siècle. Atelier Prigent ?
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En 1925, la commune de Scrignac mit en vente publique les ruines de l'ancienne église de Coat-Quéau, devenue simple chapelle, longue de 30 mètres et large de 20 mètres, ainsi que le calvaire. La chapelle fut achetée par un industriel de Quimper, René Bolloré ; les pierres furent transportées à 40 kilomètres de là et réutilisées dans la construction d'une nouvelle chapelle à l'usine de Cascadec, en Scaër.
Une partie du mobilier est exposé au musée départemental breton de Quimper ; Statue de saint Trémeur enfant portant sa tête dans ses mains ; statue d'une sainte non identifiée ; statues de sainte Apolline et ses bourreaux ; Statue géminée de saint Jean l'Apôtre et de saint Pierre.
Ce don des statues de la chapelle de Coat-Quéau, par la commune de Scrignac, à ce qui est alors le Musée départemental d'Archéologie est signalé en 1922 dans le bulletin de la Société archéologique du Finistère page LVI.
file:///F:/DOCUMENTATION/bulletins%20saf/saf1922.pdf
Ce groupe géminé a été décrit par Yves-Pascal Castel dans l'Atlas des croix et calvaires du Finistère en 1980 ainsi :
2613. Quimper, Musée départemental, statue géminée, 0,90 m. XVIè s. Statue géminée: saint Quéau saint Jean. Provient du calvaire de Coat-Quéau (Scrignac). [YPC 1980]
Il faut corriger "saint Quéau" par "saint Pierre".
Yves-Pascal Castel en donne le croquis suivant :
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Malgré son intérêt, sa beauté, et son appartenance à un haut lieu du patrimoine breton, le Musée départemental, je n'ai pas trouvé d'autres descriptions.
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Louis Le Guennec donne un dessin de l'ancien calvaire de Coatquéau :
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1°) Saint Jean l'évangéliste.
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Il était probablement placé sur une crossette au pied du crucifix du coté gauche, avec la Vierge au calvaire du coté droit. En effet, le geste de la main droite, paume élevée et en pronation, est fréquemment rencontré sur les calvaires, comme une expression du chagrin ressenti. La tête est inclinée vers la gauche (autre signe de bouleversement émotionnel) et légèrement tournée vers le Christ en croix.
Ce sont évidemment les trois larmes qui s'écoulent sous chaque paupière qui témoignent le plus de l'intensité du ressenti intérieur, et il est presque sûr que la Vierge était également figurée en larmes, si on se base sur les nombreux calvaires du même type. Puisque ceux-ci sont, pour la plupart attribué à l'atelier de taille du kersanton des Prigent, installé à Landerneau de 1527 à 1577, il est licite de proposer cette attribution pour cette statue.
Le saint porte accroché à la ceinture les accessoires de rédacteur de l'Évangile : le plumier et l'encrier. Il porte d'ailleurs le Livre serré entre le torse et le bras.
Il est vêtu d'une tunique plissée et d'un manteau plus court.
La chevelure est particulière, presque "au bol" mais plutôt "en demi-pamplemousse (épluché)" s'il faut faire des comparaisons, car elle est divisée en cotes radiées.
Malgré des différences, nous pouvons rapprocher cette sculpture du saint Jean au calvaire placé dans le cimetière de La Forest-Landerneau, et qui provient de l'atelier des Prigent. Dans l'article que je lui consacre, on trouvera tous les liens vers les sculptures "aux trois larmes" de l'atelier Prigent :
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Nous remarquerons aussi le grain érodé et presque poreux de ce kersanton, qui n'appartient pas au faciès à grain fin.
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2°) Saint Pierre.
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Il est identifié comme apôtre par les pieds nus, la barbe et le livre (des apôtres), et comme Simon Pierre par la clef tenus à droite.
Il est vêtu d'un manteau fermé sous le cou par une agrafe ronde et dont le saint retient un pan par la main gauche. Là encore, le manteau est plus court que la tunique, qui est plissée, serrée par une ceinture, et fermée par devant par une série de gros boutons ronds.
Saint Pierre, comme premier évêque et premier des apôtres, est l'un des saints les plus fréquemment représenté au dos de saint Jean au calvaire, de même que nous trouvons souvent Marie-Madeleine sur l'autre bras du croisillon, derrière la Vierge.
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II. "Calvaire" de Gouesnac'h montrant le Christ en croix, et la Vierge au revers. Granite, période médiévale ou XVe siècle.
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Yves-Pascal Castel en donne la description suivante :
2612. Quimper, Musée départemental, g. 2 m. Moyen Age (?). Socle élevé. Fût massif, motif à croix. Croix fleuronnée, crucifix, Vierge (Stany GAUTHIER, Croix et calvaires de Bretagne, p. 57). [YPC 1980]
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Comme l'indique Castel, Stany Gauthier donne sur la planche X fig. 123 de son remarquable ouvrage de 1944, planche intitulée "Représentations naïves du Christ", un croquis de la face principale. C'est cet auteur qui indique dans le titre de sa figure que ce calvaire provient de Gouesnac'h. Mais je n'ai pu trouver aucune information sur cette origine : le parvis de l'église ? La chapelle Saint-Cadou ? La chapelle Notre-Dame de Vrai-Secours ? La lecture de la notice de Couffon n'apprend rien. Les bulletins de la SAF ne signalent pas ce don. Le Catalogue du Musée archéologique, en 1901, comporte page 107 un paragraphe "Gros objets placés dans la cour du musée" qui ne décrit pas ce calvaire.
Il s'agit, si on respecte la définition donnée par Castel et reprise par Le Seac'h, d'une croix et non d'un calvaire, ce dernier comportant en plus du Christ en croix "au moins la Vierge et saint Jean", ou le gibet des deux larrons.
Alors que Castel date cette croix du Moyen-Âge, les photographes actuels donnent dans leur légende de clichés la date du XVe siècle. (Henri Moreau) (Wikiland).
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Description.
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L'ensemble est composé de trois blocs différents , un socle rectangulaire moderne, un fût vaguement en tronc de cône — stèle en réemploi??— et creusé à sa base d'une cupule surmonté d'une petite croix, et la croix proprement dite, monolithique.
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Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
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1°) La croix, face principale : le Christ en croix.
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Nous ne pouvons qu'être frappé par l'aspect inhabituel, ou primitif, de ce crucifix, monolithique. Le Christ, tête inclinée à droite, barbe indiquée par des traits radiants, est couronné d'un demi cercle tressé, qui ne correspond pas à sa chevelure (bien distincte) : une couronne d'épines ?
Les deux bras sont très courts, et s'arrêtent à la moitié des bras de la croix.
Les extrémités de la traverse sont fleuronnés en élégants godrons spiralés.
Un élément en boule est sculpté sur la poitrine, en son centre. Comment l'interpréter ? Le cœur ?
Là où est sculpté habituellement le pagne, une arceau ceinture le bassin en s'appuyant sur les deux cotés de la croix.
Le pied gauche est cloué sur le pied droit, par une torsion à 90° de la jambe dans une position non naturelle.
Ce Christ n'est-il pas plus ancien que le XVe siècle ? De ce siècle, E. Le Seac'h mentionne essentiellement les réalisations du Chantier ducal du Folgoët (1423-1509) et du Maître de Tronoën (1470), mais cette croix montre qu'une prospection des croix médiévales associée à une iconographie comparative serait la bienvenue, tout comme une recension des stèles de la protohistoire, christianisée (atlas Gouesnach n°557).
Si je consulte l'Atlas pour Quimper, je trouve sur 26 œuvres les croix n°2591 et 2593 de Kerfeunteun, "Moyen Âge", n° 2602 de Penhars (une croix pattée, Moyen Âge) et 2603.
À Plogonnec, la croix de Croas-Bléon est datée de 1305 et cette croix trilobée en granite porte un crucifix et une Vierge à l'Enfant. C'est, avec la croix de Plozévet de 1306, la croix datée la plus ancienne du Finistère, si les lectures des dates sont fiables.
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Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
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2°) Au revers de la croix : la Vierge.
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Si le Christ était singulier pour nos yeux habitués aux calvaires du XVIe siècle, que dire de cette Vierge, que l'on identifie avec peine comme telle ?
Encadré par le voile qui lui forme une arche, le visage est un œuf sur lequel les yeux, le nez et la bouche sont tracés de façon très sommaire.
Quelques indentations d'une couronne se remarquent au dessus du voile.
Deux bras prolongent l'arcade du voile, comme si ce dernier était devenu un manteau, et les deux mains se croisent devant la poitrine.
Le manteau et les bras forment ainsi un ovale autour de la tête. Au dessous, un ensemble de plis presque tous horizontaux forment une robe stylisée, et celle-ci retombe sur deux petits pieds, sans doute chaussés. Ou peut-être la Vierge est-elle agenouillée ?
L'ensemble est troublant mais très touchant, et évoque une Mère dévastée par la mort de son fils, au visage décomposé, visage halluciné enfermé par le chagrin dans l'enceinte désertée du Soi pour y crier silencieusement l'intolérable perte.
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Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2021.
Croix de Gouesnac'h (granite, période médiévale ou XVe siècle), cour du palais épiscopal de Quimper. Photographie lavieb-aile juin 2019.
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ANNEXE : les planches IX et X de Joseph-Stany Gauthier, 1944.
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SOURCES ET LIENS.
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— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère , commune de Quimper, n°2612 et 2613.
https://societe-archeologique.du-finistere.org/croix/quimper.html
— CATALOGUE du Musée archéologique breton, 1885 et 1901
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6527276z
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/98cc2b227bfa406e0aebff23984f81a7.pdf
— GAUTHIER (Joseph-Stany), 1944, Croix et calvaires de Bretagne, Plon, Paris, p. 57.
— GRANDTERRIER.NET
http://grandterrier.net/wiki/index.php?title=La_vente_du_calvaire_de_Coat-Qu%C3%A9au_et_son_transport_%C3%A0_Odet%2C_Ouest-Eclair_Illustration_1925
— DOUARD Christel
http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/les-croix-monumentales-et-calvaires-de-la-commune-de-scrignac/a426a384-8813-46ad-a121-f44af8eadeec
— LE GUENNEC, Louis. 1979 Le Finistère monumental. Morlaix et sa région. Quimper, 1979. p. 195-196
— POP : ma recherche est restée vaine.
https://www.pop.culture.gouv.fr/search/list?resPage=26&listResPage=26&base=%5B%22Collections%20des%20mus%C3%A9es%20de%20France%20%28Joconde%29%22%5D&mainSearch=%22%C2%AB%20Mus%C3%A9e%20d%C3%A9partemental%20breton%20%C2%BB%22
— WIKIPEDIA.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_de_Koat-Keo
Photo de la croix de Gouesnach par Henri Moreau:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouesnach#/media/Fichier:Quimper_28_Calvaire_Gouesnac'h_XVe.jpg
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