Ensemble de 7 verrières de Jacques Le Chevallier (74 m², composition non figurative, 1951, classement MH) de la chapelle Saint-Jean-Baptiste du château du Roi René d'Angers. Le vitrail du XVe siècle (v. 1457), René d'Anjou et Jeanne de Laval agenouillés devant la Vierge.
Je remercie l'équipe de l'accueil et les guides du château d'Angers, ainsi que Catherine Leroi cheffe du service culturel du Domaine national du château d'Angers.
Voir aussi :
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Les vitraux de Jacques Le Chevallier dans l'église de Sizun.
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Les vitraux (1957) de Jacques le Chevallier aux Archives municipales de Quimper.
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Les vitraux de Jacques Le Chevallier de l'église Notre-Dame du Cap Lihou de Granville.
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Vitrail de Jacques Le Chevallier : L'arbre de Jessé de l'église de Gouesnou .
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Ensemble des 16 verrières de Jacques Le Chevallier de l'église Notre-Dame de Neuville à Vire
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PRÉSENTATION.
Le château est composé de deux éléments : la forteresse construite par Saint-Louis en 1230 et le château-résidence des ducs d'Anjou. La forteresse comporte 17 tours hautes d'une trentaine de mètres et larges de 18 mètres. A partir de 1360, le château, devenu résidence ducale, est transformé : logis royal et chapelle édifiés au début du 15e siècle, châtelet construit en 1450. En 1373, le duc Louis 1er d'Anjou commande la série de tapisseries ayant pour thème l'Apocalypse, dont la série est probablement achevée en 1382.
La chapelle actuelle a été érigée de 1405 à 1412 par Louis II d'Anjou et Yolande d'Aragon, parents de René Ier d'Anjou, pour remplacer la chapelle du XIIe siècle enclose dans l'angle sud-ouest et jugée trop petite et trop délabrée par la reine Yolande.
Sa large nef unique est rythmée de trois travées couvertes de voûtes d'ogives bombées dites « à l'angevine » Les clefs de voûte portent les armes pleines de Louis II, puis mi-parti de Louis II et de Yolande d'Aragon, et la troisième une croix à double traverse honorant la relique de la Vraie Croix ramenée de Constantinople en 1241 et amenée au château d'Angers pendant la Guerre de Cent Ans.
La chapelle a été utilisée au XVIIIe siècle comme prison et 500 marins anglais y ont été détenus, certains y laissant des graffitis.
Le château abritant une base allemande, il a été victime d'un bombardement le 4 août 1944 faisant des dégâts considérables : les parties hautes hautes de la chapelle durent être restaurées.
Les vitraux.
L'édifice est éclairé par sept grandes baies dont les vitraux modernes de Jacques Le Chevallier ont été installés en 1951.
Dans la baie moderne 6, du côté ouest devant la porte d'entrée, a été enchâssée une verrière provenant de l'abbaye du Louroux à Vernantes (Maine-et-Loire), classée Monument Historique. Dans trois lancettes gothiques, René Ier d'Anjou, en donateur mais en tenue de chasse, et son épouse Jeanne de Laval (mariage en 1454) entourent la Vierge, au-dessus de leurs armes couronnées. Ce vitrail est attribué à André Robin, créateur des Rosaces de la cathédrale en 1452.
À propos de cette abbaye cistercienne du Louroux fondé en 1120, l'article Wikipédia précise en citant Jocelyn Mercier, Vernantes : Pages d'Histoire, images d'autrefois, Clichy-sous-Bois, Éditions du Vieux-Logis, 1989 : « Au départ des Anglais, une chapelle est construite dans le style gothique angevin, ornée de fresques représentant quatre anges portant les instruments de la Passion du Christ.[...]. Après la guerre, le Roi René fait de larges donations à l'abbaye ; en témoigne un vitrail qu'il fait installer dans l'église. Ce vitrail survit à l'abbaye, car transporté en 1812 dans l'église de Vernantes, puis de là en 1901 au musée Saint-Jean d'Angers. ». Mais ce vitrail avait été très remanié, avec des pièces de ré-emploi qui lui était étrangère, et son insertion dans une vitrerie moderne ne fut pas simple ; Jacques Le Chevallier a refait la tête du donateur en s'inspirant d'une médaille conservée à la Bibliothèque Nationale.
Henri Enguehard, ( La chapelle du château d'Angers,1954) écrit à propos de la commande des nouveaux vitraux : « Dans le but d'exposer dans la chapelle des tapisseries de sujet religieux,les verrières neuves commandées à M. Le Chevallier ont été composées en choisissant des verres et des couleurs qui permettent d'éviter la détérioration des tapisseries par la lumière solaire. »
Jacques Le Chevallier avait réalisé dès 1949-1950 à Angers l'ensemble de vitraux figuratifs (7 baies, 28 m²) de la chapelle des Sœurs franciscaines de l’Esvière, sur le site d'un sanctuaire de Notre-Dame-sous-Terre créé en 1429 par Yolande d'Aragon.
Par la suite, en 1954-56, Jacques Le Chevallier créera 6 verrières pour la nef sud de la cathédrale d'Angers et des compléments pour les vitraux anciens (notamment la baie axiale de 1230), et 4 verrières pour la chapelle N-D-de Pitié de la cathédrale (74 m² au total). En 1954, il crée les deux fenêtres de l'oratoire du château de Baugé, le relais de chasse du Roi René. En 1958, il revient à la chapelle de l'Esvière pour créer des verrières composées pour le réfectoire et le chapitre (31 m²).
SITUATION ET NUMÉROTATION.
Numérotation selon les normes du Corpus vitrearum. La chapelle n'est pas orientée vers l'Est, mais vers le Sud-sud-est.
Aucune des verrières de la chapelle du château n'est signée (ou du moins aucune signature n'est visible depuis le sol). Pas de protection extérieure.
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DESCRIPTION.
Tableau de synthèse.
Baie |
situation |
taille |
lancette |
tympan |
description |
0 |
Baie d'axe pignon sud. |
Hauteur pleine.
|
5 lancettes lancéolées de 0,70 m de large |
9 quadrilobes et 7 quadrilobes tronqués. |
Composition colorée |
1 |
Haute nef (chœur) Est |
Hauteur pleine.
|
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée |
2 |
Haute nef (chœur) Ouest |
Demi-hauteur |
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée |
3 |
Nef Est |
Hauteur pleine |
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée |
4 |
Nef Ouest |
Demi-hauteur |
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée |
5 |
Nef Est au dessus de la porte |
Demi-hauteur ? 8,09 m² |
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée |
6 |
Nef Ouest |
Hauteur pleine. 12,32 m² dont 7,74 m² vitrail ancien restauré. |
3 lancettes lancéolées de 0,70 m de large à 6 panneaux. |
3 quadrilobes et 4 écoinçons |
Composition colorée JLC et verrières du 2ème moitie XVe siècle. |
Description détaillée.
Auteur : Jacques Le Chevallier (1896-1987) peintre-verrier, atelier de Fontenay-aux-Roses, pour la conception, le dessin des cartons, et la réalisation des verrières.
Ces verrières de Jacques Le Chevallier sont des compositions de pièces colorées en verre antique montés sur plomb, avec serrurerie habituelle par barlotières et vergettes.
La composition répond à un principe identique sur les sept verrières, celui d'éléments géométriques centraux dans un quadrillage rectangulaire plus clair lui-même encadré de bordures. La majorité des pièces sont rectangulaires. Les couleurs dominantes des motifs sont le bleu et le rouge, mais on retrouve aussi le vert, le jaune et l'orangé.
Dans les lancettes de la baie 0, 4 motifs en bandes ou en chevrons se répètent, pouvant évoquer un ensemble héraldique. Au tympan, 2 motifs se répètent également , identiques sauf par leurs couleurs, et privilégiant les losanges.
Dans la baie 1, se répètent des cercles et des losanges centrés par des croix. La baie 3 voisine s'en rapproche, mais introduit des cercles concentriques.
Les demi-baies 2 et 4 associent losanges et carrés.
Les baies 5 et 6, qui se font face, introduisent un nouveau motif, en lignes courbes entrelacées en tissage, un motif que Jacques Le Chevallier reprend aussi dans l'oratoire du château du Roi René de Baugé, dont il crée les deux verrières en 1954.
Photographies des six verrières.
Historique.
Je ne dispose d'aucune information sur la réalisation en maçonnerie des baies et de leur remplage : avaient-elles étaient entièrement détruites ? Ont-elles reproduit les fenestrages antérieurs ? Disposent-on de documents graphiques sur celles-ci avant 1944 ?
Archives.
Les documents des archives Jacques Le Chevallier (Archives départementales de l'Aube 213-J-000133 ) contiennent les pièces de deux marchés, soumissions, devis, métrages, mais aussi les dessins des baies/fenestrages, esquisses/recherches de compositions ornementales colorées sur papier calque, et mesures des baies.
La correspondance concerne Mr Pradillon, Architecte parisien, Mr Jacques Levron, Archiviste de la bibliothèque d’Angers, au sujet des armoiries de René d'Anjou et de son épouse, et surtout les deux maîtres d'ouvrage, Henri Enguehard, Architecte départemental des Monuments Historiques, et Bernard Vitry, Architecte en chef des Monuments Historiques.
Jacques Le Chevallier sollicite le 31 février 1952 Jacques Levron afin de compléter les armes de Jeanne de Laval (son correspondant répond en lui adressant le fac-similé des armes d'après un sceau conservé aux archives). Il déclare qu'il se voit obligé, pour ne pas rompre l'unité ancienne des panneaux par des compositions modernes, les inscriptions anciennes, bien que l'archiviste ait déclaré qu'elles n'avaient aucun intérêt, et, selon H. Enguehard, elles n'ont jamais appartenu à la verrière ancienne et n'ont aucun rapport avec elle : elles ont été introduites en réemploi lors des restaurations du XIXe ou XXe siècle. Dans le même courrier, il souligne combien cette restauration est délicate : « des éléments rapportés déséquilibrent la plupart des panneaux. J'ai réussi à redonner un peu de couleur aux fonds qui ont été patinés d'une manière très lourde »
Il ajoute : « La tête du roi René sera refaite en s'inspirant d'une très belle médaille « , médaille très connue et reproduite, conservée à la Bibliothèque Nationale (sans-doute celle de Pietro da Milano, représentant le couple de René et Jeanne de Laval et au revers, une scène qui se passe devant un palais Paris, BnF, cabinet des médailles, série 4011 bis1462). Pierre de Milan était un sculpteur d’origine dalmate qui, après avoir exercé son métier à Dubrovnik et à Naples, travailla à la cour aixoise de René au début des années 1460 et dans les années 1470.
Il existe une autre médaille du cabinet des médailles de la BnF n°A.V. 142 attribuée aussi à Pietro da Milano vers 1460 : on remarquera avec Laurent Hablot que René d'Anjou s'y fait représenter en roi souverain avec sa couronne, mais aussi en chevalier tournoyeur armé de joutes avec son heaume de parade au cimier au lys, et le renfort de plate sur l'épaule droite. Cela montre que, pour le Roi René, le pouvoir et le gouvernement ne l'emportait pas sur ses deux passions : les tournois (il est l'auteur du Traité de la forme et devis comme on peut faire les tournois) et la chasse.
...
Mais ce courrier de 1952 est tardif. C'est le 15 novembre 1949 que le peintre-verrier adresse une étude et exécution de vitreries ornementales de petite échelle avec motifs variés en verre antique de couleurs. » Le marché est approuvé le 6 juillet 1950. Une « 2ème situation de travaux » sera adressée pour la pose, en janvier 1951, des baies « E, A, A', B et B' » soit 58 m² pour un total de 806.891 Frs.
Un courrier du 20 novembre 1950 signale au peintre-verrier qu'il peut débuter « la vitrerie de la chapelle et de la sacristie ». S'agit-il de l'oratoire privé ?
Un deuxième marché le 25 novembre 50 concerne une « étude et exécution en vitreries ornementales [en verre antique] d'une baie C de 8,09 m² [baie 5 Corpus vitr.] et l'étude et exécution de vitreries ornementales d'une baie D [Baie 6] et transfert de la baie du Roi René provenant du musée de Saint-Jean soit 20, 41 m² au prix de 16000 frs le m² » . Le verrier se charge aussi de la dépose, de la remise en plombs et du transport depuis le musée Saint-Jean.
De nombreuses maquettes sont réalisées.
L'intégration du vitrail du XVe siècle.
Le vitrail ancien est relevé par Jacques Le Chevallier, avec sa baie ogivale, dans un dessin en couleur :
Un deuxième dessin montre le projet d'insertion de la vitre dans la verrière moderne, avec la mention « ne pas manquer (ou marquer?) l'ogive. »
Deux autres dessins montrent que l'intégration du vitrail ancien a également été envisagée en baie 2 (ou A) et en baie 5 (ou C) :
Échanges de courriers.
Le 17 septembre 1951, un courrier d'Henri Enguehard concerne ce vitrail ancien, déclarant comme on l'a vu que les inscriptions gothiques devaient disparaître, et ajoutant que la tête du Roi René, qui avait été refaite par les restaurateurs précédents, était, quoique pas mauvaise, insuffisamment ressemblante : il adressait au peintre-verrier « un dessin de Guegnard ».
Il ajoute :
« Au dessus du portrait du Roi René, il existe une figure qui n'a également, aucun rapport avec le vitrail.Voici ce que dit monsieur le chanoine URSEAU dans sa brochure de 1924 sur le musée Saint-Jean :
« Au cours des siècles, le vitrail de l'abbaye du Louroux a beaucoup souffert. La partie « supérieure a été rognée. Des morceaux brisés ont été remplacés au hasard par des débris « de verre peints appartenant à d'autres vitraux. Une tête d'époque plus récente a été « enchâssée dans le dais d'architecture, au dessus de la tête du roi. Un fragment d'inscription « a été placé en dessous de la Vierge.
« Ce vitrail est l'un des monuments les plus précieux de l'art angevin du XVe siècle. Il sort « probablement de l'atelier d'André Robin, peintre-verrier d'Angers à qui on doit la « magnifique rose du croisillon nord de la cathédrale et, en particulier, les délicieux « médaillons qui y figurent les douze mois de l'année. On trouve en effet dans ces petits « tableaux et dans notre vitrail des détails de facture qui décèlent la même époque et la « même main . »
L'accord pour la dépose et le remontage du vitrail ancien est signé en décembre 1950, et dans un courrier du 22 décembre 1950 de l'Architecte en chef des bâtiments de France Bernard Vitry, qui donne le feu vert des travaux, on apprend que la baie concernée était vitrée « par des verres blancs provenant de la cathédrale ».
LES VITRAUX DE L'ORATOIRE : JACQUES LE CHEVALLIER ?
L'oratoire privé de René d'Anjou, un local de 14 m² chauffé par sa cheminée et communiquant avec la chapelle par une porte en anse de panier et trois baies lancéolées (verre blanc) est éclairé vers l'extérieur par deux baies, dont les vitraux sont a priori de Jacques Le Chevallier.
Celle de gauche comporte deux baies lancéolées et un tympan à un quadrilobe, celle de droite une seule lancette ogivale. Les verrières sont des compositions colorées en verre antique, jaune et bleu pâle, aux motifs géométriques identiques faits de losanges et de croix.
Au milieu de cette baie de droite est suspendu une pièce ancienne (XVe ?) représentant la Trinité souffrante, c'est à dire Dieu le Père, en manteau rouge, assis dans une cathèdre et tenant le crucifix, dont le Christ a été restauré.
Description du vitrail du XVe siècle.
Ce vitrail représente René d'Anjou et Jeanne de Laval aux côtés de la Vierge. Il était jusqu'en 1951 dans la chapelle du Musée Saint-Jean dans la fenêtre du côté sud.
Henri Enguehard cite dans son ouvrage La chapelle du château d'Angers la description détaillée du chanoine Urseau:
« Ce très curieux vitrail du XVe siècle est sorti de l'abbaye du Loroux, sur le territoire de Vernantes en Anjou. Il fut transporté en 1812 à l'église de la paroisse ; puis il fut donné en 1901 au Musée d'Archéologie par M. le Comte de Maillé et remonté avec soin dans une des baies de l'ancien Hôpital Saint-Jean.
Trois lancettes le compose. Celle du milieu représente la Vierge, debout, appuyée sur une tige de lys, dont elle semble être la fleur mystérieuse ; sa main droite est ramenée sur la poitrine et sa main gauche légèrement tendue en avant. La lancette de droite montre le Roi René ; celle de gauche, Jeanne de Laval, sa seconde femme.
Le roi et la reine, à genoux, sont en prière tournés vers la mède des Miséricordes. Un dais d'architecture les abrite et leur blason est placé au-dessus [sic] d'eux ; à celui du roi est suspendu un croissant d'or, portant la devise de l'Ordre du Croissant : Los en croissant.
Le roi a la tête couverte d'un bonnet de feutre ou de grosse étoffe violette foncé. Sa tunique échancrée par le haut n'a pas de col et se boutonne sur la poitrine ; la partie inférieure dessine, au-dessous de la ceinture de longs fourreaux. Les manches sont évasés aux poignets. Les bottes se rabattent aux genoux en formant revers et sont munis d'éperons à molette. De gauche à droite, en sautoir, une courroie barre la poitrine du prince, soutenant un cor d'ivoire, cerclé d'or et de métal doré, un paquet de cordes et une trousse en bois, qui renferme deux couteaux dont on voit les manches. Sur l'épaule droite est appuyée la lance ou l'épieu. Sous le bras droit on distingue l'extrémité du croissant de l'ordre royal, avec les dernières lettres de la devise ...ANT, Los en croissant. Il est évident que le personnage a voulu être représenté en tenue de chasse. »
Jeanne de Laval agenouillée, les mains jointes, comme le roi, sur un prie-dieu recouvert d'une étoffe de brocard porte une robe violacée, cachée en partie sous un manteau de couleur brune. Une guimpe blanche lui entoure le cou. Une coiffe et un voile de la même couleur enveloppent la tête. À côté d'elle, un élégant lévrier, dont la silhouette se profile en blanc sur le costume un peu sombre de la reine, monte la garde au premier plan et veille à ce que personne ne vienne troubler la prière de sa pieuse maîtresse.
Au cours des siècles, le vitrail du Loroux a beaucoup souffert. La partie supérieure a été rognée ; des morceaux brisés ont été remplacés au hasard par des débris de verre peint appartenant à d'autres vitraux ; une tête d'époque plus récente a été enchâssée dans le dais d'architecture, au-dessus de la tête du roi ; un fragment d'inscription a été placé au dessous de la Vierge . »
Discussion.
Malgré la qualité de cette description, nous pouvons la compléter ou la discuter.
Datation : vers 1457.
Le vitrail peut être daté par la date du mariage de René d'Anjou avec Jeanne de Laval le 10 septembre 1454 : il est postérieur aux roses de la cathédrale, dont le chantier est terminé en 1454 (K. Boulanger). On sait que René d'Anjou s'occupa de l'abbaye de Loroux à partir de janvier 1452. L'étude des armoiries par Christian de Mérindol permet d'affirmer que le vitrail est antérieur à 1466 (date à laquelle l'écusson d'Aragon s'introduit en surcharge dans les armes de René) mais dans cette fourchette 1453-1466, il estime que d'après les portraits de ce vitrail il est plus proche de la première que de la seconde, et il opte pour la date de 1457: "Le roi René se rendit à l'abbaye en 1455 et il aimait alors séjourner au château de Launay, peu éloigné de l'abbaye , pour y chasser. De 1458 à 1461 il se trouvait en Provence." (Mérindol 1981)
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Attribution.
Le vitrail est attribué généralement à l'angevin André Robin. Mais la posture de la Vierge m'a évoqué l'Annonciation de Jan Van Eyck, et j'ai pensé à une attribution possible à Barthélémy d'Eyck : j'ai eu le réconfort de lire que c'était aussi l'avis de François Avril qui a vu " dans les « pourtraistures de feu Berthelemy" que sa veuve Jeanne de La Forest offrait de remettre à René, justement des modèles ou cartons pour d'autres techniques que la peinture, comme la broderie, le vitrail, voire le sceau et les médailles. Selon lui, son dessin serait à l'origine du vitrail provenant de l'abbaye de Loroux et actuellement conservé dans la chapelle du château d'Angers." François Avril et Nicole Reynaud, "Les manuscrits à peintures en France, 1440-1520" page 225. Barthélémy d'Eyck est l'enlumineur des Heures de René d'Anjou Egerton 1070, des Heures de René d'Anjou BnF lat.17332, du Livre des tournois BnF fr.2695, , du Mortifiement de vaine plaisance de René d'Anjou Metz BM ms 1486, du Livre du coeur d'amour épris de René d'Anjou (Vienne), etc.
Les deux hypothèses ne sont pas incompatibles : le peintre Barthélémy d'Eyck a pu réaliser le carton, et le maître-verrier André Robin le vitrail.
État actuel.
Le vitrail est très altéré, et la restauration n'a pu ôter la « patine » qui rend opaque une grande partie de la tenture d'apparat servant de fond, ou la robe de la reine, et beaucoup de détails nous échappent ou ont été modifiés.
Le jaune d'argent est largement utilisé en rehaut des verres blancs aux dessins et ombres de grisaille.
Les deux personnages royaux sont placés sous des pavillons frangés d'or et d'argent. Tous les deux sont placés dans une architecture gothique avec socle rectangulaire, piédroits sans personnages et gables aigus à crochets. Ces « niches » architecturées sont d'un usage établi, à Paris, Évreux, Rouen ou Quimper par exemple, au début du XVe siècle. Au pie des socles son,t représentées (en enlevé sur grisaille) des fleurettes évoquant les tapisseries mille-fleurs.
La niche abritant la Vierge montre le réseau de nervure d'une voûte à clef pendante, et un drap d'honneur rouge damassé de motif à fleurs (rinceau à deux types de fleurs, l'une large à huit pétales, l'autre petite à quatre pétales et quatre fins sépales).
René d'Anjou.
Les mains de René sont jointes au dessus d'un coussin qui porte peut-être un livre, coussin en drap damassé d'or et d'argent à motif végétal. La même étoffe se retrouve sur le coussin où le roi est agenouillé.
Le manche de l'épieu (ce n'est pas une lance, mais un épieu de chasseur) est doré, et muni d'un lacet noué (à hauteur de l'aisselle). Les chasseurs nobles, qui montaient à cheval, laissaient plutôt l'usage de l'épieu à leur veneur, ce qui rend ce détail insolite, mais ce n'est pas le seul.
Le vêtement boutonné est une veste de chasse.
Le croissant.
L'élément le plus remarquable est le croissant d'armes, cette pièce de harnois protégeant l'aisselle droite des chevaliers lors des tournois ou combats, et qui est fixée par un lacet bien visible. Il figure sur le livre des comptes dûs à son armurier Jacques Merveihes en 1514 par Jacques de la Place, écuyer argentier du duc de Valois ( "Pour ung harnoiz complet à double croysant") ou dans l'inventaire après décès de 1468 de Jean, bâtard d'Orléans («Idem une salade, ung harnois de jambes, ung croissant tenant à un méchant pourpoint, et deux paires de hauberjeon avecques une vieille espée d'armes.) ».
Cette pièce en croissant n'est pas sans rappeler le sac rempli de paille qui, placé dans un hourt (un cadre de baguettes lacées), protégeait la poitrine des chevaux lors des tournois (René d'Anjou, Livre des tournois folio 23v).
Mais ce croissant de rembourrage axillaire devint, pour les membres de l'Ordre du Croissant créé en 1448 par René d'Anjou (et dont la chapelle se trouvait dans le transept sud de la cathédrale d'Angers), un ornement de distinction, qui était "en or pour les chevaliers et en argent pour les écuyers" (Espitre pour... célébrer la feste du Thoisun d'or, par Ol. de la Marche).
Les statuts de l’ordre prévoient que chaque membre se fasse faire un « carreau » (coussin carré) de velours ou de satin cramoisi, de près de 50 cm de côté, pour y broder ses armoiries et marquer sa place à la cathédrale d’Angers.
Lors d'une réunion de l'Ordre sous la statue de saint Maurice son patron, les chevaliers portent un large chapeau noir, le manteau en velours de couleur rouge doublé de satin blanc sur une robe noire, et, sous l'aisselle droite, le croissant d’or cousu avec le mot Loz en Croissant gravé dessus.
L'enluminure f.38v du Passio Mauritii est plus précise encore, montrant le croissant d'or faisant entièrement le tour de l'aisselle, avec ses lacets cousus sur le manteau rouge, et les lettres [CROI]SSANT. Il ressemble tant à celui du vitrail qu'on pourrait penser qu'il a servi de modèle.
On voit aussi que le croissant est poli dans sa partie supérieure, et hachuré de rangs de lignes curvilignes dans la partie inférieure. Or, ce détail se retrouve aussi sur le vitrail.
Dans le même ouvrage, saint Maurice est également représenté portant cet insigne.
"L’adoption de la devise et du mot de l’ordre confirment cette exaltation de l’idéal chevaleresque : une pièce du harnois, le croissant d’armes protégeant l’aisselle, et une sentence los en croissant allusive à la renommée, véritable investissement moteur de l’action chevaleresque et dont le prince est garant par la voix de ses hérauts d’armes. Promoteur de l’ordre, René d’Anjou se transpose, aux yeux de sa noblesse, en défenseur d’un idéal en péril." (Laurent Hablot)
La trompe de chasse est suspendue par une courroie, selon un mode bien représenté dans le Livre de chasse de Gaston Phoebus.
Les bottes à trois rangs de sangles à boucles dorées prolongent des cuissardes. (Livre de la chasse f.77r)
Le détail de l'étui à couteau de chasse confirme que René d'Anjou est armé "jusqu'aux dents" pour sa passion de la chasse.
On voit ce type d'étui, à la ceinture d'un sergent d'armes, au folio 6r de son Traité des tournois BnF fr 2693. Son voisin porte les cuissardes à revers et les chaussures à la poulaine aux éperons à molettes.
Le chanoine Urseau n'a pas remarqué le chien (plutôt un épagneul qu'un Saint-Hubert) qui attend son maître avec impatience.
Enfin le sol est un dallage bicolore à triangle blanc et noir.
J'hésite à interpréter les liens qui se déploient devant la trompe de chasse comme les lanières d'un fouet. Il pourrait s'agir d'un emblème, celui du toupin de cordier, tel qu'il apparait dans ses Heures Paris, BnF, ms. lat. 17332, fo 18 vo ou 31v, 1459-1460. "Le toupin des cordiers associé au mot EN UN " (L. Hablot). Cette devise du toupin, reprise au revers d'une médaille à l'effigie du roi et due à Pietro da Milano, pourrait se référer aux États de René, dispersés et néanmoins réunis en sa personne, comme sous l'action du toupin les brins séparés viennent former un cordage.
Conclusion.
René d'Anjou n'adopte vraiment pas un costume adapté à une cérémonie religieuse de dévotion à la Vierge, mais semble plutôt équipé pour partir sur le champ se livrer à son passe-temps favori. On sait qu'il fit construire à Baugé un château en guise de relais de chasse, qui sera achevé en 1465, près des forêts
Dès lors, la levrette qui accompagne Jeanne de Laval peut également entrer dans ce contexte cynégétique.
Au total, nous avons ici un exemple unique d'un donateur (et même d'un couple de donateurs, bien que Jeanne de Laval soit moins facile à observer) d'une scène de dévotion, en tenue de chasse devant la Vierge. Alors que les donateurs nobles se font représenter partout ailleurs en chevalier, en armure et tabard à leurs armes, estimait-il que la chasse dépassait, dans son échelle des vertus, les capacités militaires ? Mais le croissant axillaire nous oblige à dépasser ce point de vue, car il n'a pas sa place dans un costume de chasse. Le croissant affirme l'appartenance à un ordre de chevalerie rassemblé sous l'égide de saint Maurice, l'officier romain donnant sa vie pour sa Foi. Nous n'avons pas ici un portrait, mais une effigie, la proclamation de valeurs, de systèmes de croyances et d'appartenances, faites d'emblèmes et de devises.
René d'Anjou a-t-il voulu se représenter dans le rôle le plus valeureux à ses yeux, le plus digne de louange pour son courage et sa vaillance face à Notre-Dame, en rassemblant un bouquet d'emblèmes ?
Pour souligner le caractère totalement atypique de cette présentation, il suffit de la comparer à celle de René sur le vitrail (v. 1454-1460) de la chapelle des Bernardins de l'église des Cordeliers d'Angers, chapelle qu'il a fondée en 1453 : ce vitrail est perdu mais son relevé par Gaignières est conservé. Il y figure précédé de Jean II et de Jeanne de Laval et suivit par Isabelle de Lorraine, Yolande d'Anjou et Marguerite d'Anjou. René et Jeanne sont les deux personnages alors vivants. René est en position d'orant, revêtu d'un manteau royal de pourpre doublé d'hermine dissimulant ses autres vêtements à l'exception d'une cotte verte qui dépasse des amples manches. René est coiffé d'une couronne royale . Le cadre architectural gothique, la tenture et l'étoffe des coussins sont proches de ceux de notre vitrail.
Jeanne de Laval.
Jeanne de Laval est née à Auray le 10 novembre 1433. Elle est la fille d'Isabelle de Bretagne et de Guy XIV de Laval. Son mariage avec le roi René fut célébré à Angers le 10 septembre 1454, elle avait alors 20 ans tandis que son époux avait 44 ans.
Elle porte un voile transparent couvrant tout le front et descendant assez bas dans le dos. Son jeune visage finement dessiné est proche de celui de la Vierge, qu'elle regarde d'un regard direct. Elle porte un manteau de couleur désormais indistincte, un surcot d'hermines, un collier tressé à pendentif, et deux bagues sur l'annulaire gauche.
Son coussin est de drap damassé d'or.
La levrette (ou pour C. de Mérindol un "limier") porte un collier à fleurettes et boucle de fixation.
Là encore, la comparaison est intéressante avec le vitrail de la chapelle des Cordeliers d'Angers. On retrouve le même surcot et le même collier à pendentif (un restaurateur du vitrail de Loroux ne s'est-il pas inspiré de celui des Cordeliers ?), mais Jeanne y porte la couronne ducale, et, bien-sûr, aucun chien ne l'accompagne dans cette présentation de dévotion et de prestige. (On notera aussi que les armoiries de René y comporte l'écusson d'Aragon brochant sur le tout, introduit en 1466).
La Vierge est également singulière, car on s'attendrait ici à une Vierge à l'Enfant, alors que la posture des mains est celle du Fiat de l'Annonciation. Marie est nimbée, ses cheveux blonds et longs tombent sur les épaules (mais sont retenus derrière la nuque par un voile doré), son manteau ou chape est bleu à galons brodés d'or et à revers pourpre, sur un surcot d'argent et d'or damassé du même motif que la tenture, et une chemise formant un V sur la gorge. Sous les mains, vers la ceinture, deux pièces de verre rouge correspondent aux pans du manteau, retenus par la ceinture.
Le visage, au front et aux sourcils épilés, au nez droit au dessus d'une bouche fine et boudeuse et d'un menton marqué, est tourné vers la droite et vers le bas, dans une attitude songeuse.
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Comparez avec la Vierge à l'Enfant (très restaurée) de la rose sud de la cathédrale d'Angers (André Robin 1452) :
Comparez avec l'Annonciation de Jan Van Eyck :
Héraldique.
1. Armes de René d'Anjou.
Le complexe héraldique associe le blason sous la couronne ducale, et le croissant d'or de l'Ordre du Croissant avec la devise LOS EN CROISSANT.
Les armes sont une composition à partir des armes de la Hongrie fascé d'argent et de gueules , d'Anjou-Naples d'azur semé de lys d'or et au lambel de gueules , de Jérusalem d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes du même , des Anjou-Valois d'azur semé de lys d'or et à la bordure de gueules , du duché de Bar d'azur semé de croisettes d'or et aux deux bar d'or (d'après Wikipédia), mais il manque les armes d'Aragon d'or aux quatre pals de gueules brochant sur le tout. Cela signifie que ce blason (et donc le vitrail) est antérieur à 1466, date de l'introduction des armes d'Aragon (Mérindol 1982) dans le blason de René d'Anjou.
Même si on doit d'abord admirer la maîtrise des verriers (l'artiste initial et les restaurateurs) pour réaliser sur des verres de petite taille des montages remarquables (avec pièces montées en chef-d'œuvre) ; mais on peut remarquer que les fleurs de lys d'or sur fond d'azur (bleu) sont stylisés sous la forme de losanges. Les armes de Jérusalem (restaurées) sont seulement tracées en grisaille sur un verre blanc rehaussé au jaune d'argent.
2. Armes de Jeanne de Laval.
Sous la couronne ducale se trouve le blason, qui est losangique puisque ce sont des armes féminines.
Les armes mi-parti associent celles de René d'Anjou à notre gauche [au 1 en chef, tiercé de Hongrie, Anjou ancien et Jérusalem, en pointe, parti d'Anjou moderne et Bar] et celles de Jeanne à notre droite [au 2, coupé de Bretagne et de Montmorency-Laval, soit coupé d'hermine plain et d'or à la croix de gueules chargée de cinq coquilles d'argent, cantonnée de seize alérions d'azur] qui sont les armes de ses parents, Isabelle de Bretagne et Guy XIV de Laval.
Christian de Mérindol signale que "Ces armoiries sont représentéesaussi sur la voûte lambrissée de la chapelle du manoir de la Ménitré exécutés vers 1460 . On trouve également à senestre écartelé, aux 1 et 4 de Montmorency-Laval, aux 2 et 3 de Bretagne, dans la marge inférieure du premier feuillet d'un manuscrit du Mortifiement de Vaine Plaisance rapproché à juste titre de la commande en 1457 au copiste Jehan Merlin d'un exemplaire pour Jeanne de Laval et sur un sceau utilisé en 1462. De 1466 à 1480 les armoiries de René sont modifiées par la présence de l'écusson d'Aragon en surcharge."
Là encore, on remarquera la prouesse technique de réalisation des verres anciens avec pièces en chef-d'œuvre (malgré des plombs de casse). Les parties restaurées par Jacques Le Chevallier sont sans-doute celles en haut à droite, soit les armes de Jérusalem et le semé d' hermines.
SOURCES ET LIENS.
—HABLOT (Laurent) 2011, "L’emblématique du roi René : outil de pouvoir et de gouvernement", in René d'Anjou (1409-1480). Pouvoir et gouvernement sous la direction de Jean-Michel Matz. Presses universitaires de Rennes
https://books.openedition.org/pur/124779?lang=fr
—MÉRINDOL (Christian de), 1981, "Le roi René (1409-1480): décoration de ses chapelles et demeures", Musée national des monuments français (Paris, France), Éditions de la Réunion des musées nationaux, 56 pages
—MÉRINDOL (Christian de) 1982, « Recherches sur les armoiries de René d'Anjou et de Jeanne de Laval »Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France Année 1982 1980-1981 pp. 235-251
https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1982_num_1980_1_8823
—MÉRINDOL (Christian de) 2000, L’ordre du Croissant. Mises au point et perspectives, Publications de l'École Française de Rome Année 2000 275 pp. 499-509
https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_2000_act_275_1_6387