La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : le calvaire ( 1541-1554, kersanton et Logonna, atelier Prigent).
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Iconographie des saints Côme et Damien : la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal.
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : le retable du chœur (vers 1710).
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La chapelle Saint-Sébastien : la cloche de 1902, et celle de 1599.
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : Les sculptures du clocher (vers 1694).
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : l'entrée monumentale (vers 1541-1567).
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PRÉSENTATION.
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Les façades orientales de la chapelle (celles du chevet et du transept) se prolongent, à leur gauche, par la porte monumentale autrefois fermée par une grille, puis par un calvaire dont le haut soubassement, parce qu'il s'encadre de deux échaliers, participe à fermer l'enclos. Ces échaliers, des plaques de pierre placées verticalement sur tranche, se laissent enjamber, mais s'opposent à la pénétration des vaches ou autres animaux.
Par cette situation, c'est donc un calvaire de seuil, comme ceux de Pencran, de La Roche-Maurice ou de Saint-Divy, alors que beaucoup d'autres sont placés au centre du placître, et du cimetière.
Ce soubassement est un massif rectangulaire en pierre de taille. Il reçoit un premier socle, dont la pierre blonde (microdiorite quartzite) d'une vingtaine de centimètres de haut est chanfreinée en partie haute. On y remarque immédiatement une série de masques en pleine lune, au nombre de quatre par faces.
Puis vient un deuxième socle, cubique, dont la teinte sombre révèle qu'il est fait de kersantite. Ses angles sont biaisés. Il reçoit déjà un premier personnage, un soldat allongé.
Le fût s'élève alors, cylindrique mais régulièrement marqué d'écots, pour rappeler que la croix est, symboliquement ou selon la légende de la Vraie Croix, un arbre née de la tombe d'Adam. Les bretons nomment ces fûts Kroaziou ar Vossen, "croix de la peste" en associant les branches coupées à des bubons ; et cette tradition trouve facilement écho ici, en la chapelle du principal saint invoqué contre la peste.
La hauteur totale du calvaire est de 7 mètres, autant que celui de Saint-Thégonnec : cela permet d'y étager deux croisillons.
Nous trouverons donc :
— Sur le socle : Sortie du Tombeau à l'est. Marie-Madeleine et un homme agenouillé à l'ouest.
— Croisillon inférieur : Déploration à 4 personnages à l'est. Deux cavaliers de la Passion à l'ouest. Armoiries des Kergoët.
— Croisillon supérieur : Saint Sébastien entre deux archers et armoiries des Kergoët. à l'est. Le Crucifié entre Marie et Jean et armoiries Kergoët/Kerpaen à l'ouest. (statues latérales géminées Jean/archer et Vierge/archer) .
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Matériau.
Kersantite ou "[pierre de] kersanton"
Microdiorite quartzite ou "pierre de Logonna".
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Datation : 1541-1567, ou 1541-1554.
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Elle est apportée par le blason des Kergoët, seigneurs prééminenciers (et fondateurs) de la chapelle, car ils possédaient un manoir à Lezaon en Saint-Ségal, terre toute proche d'ici. Sur la face ouest, ces armes sont associées à celle de Kerpaen. Jean de Kergoët, fils cadet de Pierre de Kergoët a épousé Perrine de Kerpaen en 1541. Son frère aîné n'a pas eu d'héritiers mâles (malgré le mariage en 1554 de sa fille Gilette avec Michel Du Bot), ce qui permit à Jean de Kergoët, tuteur de Gilette, de prétendre à la prééminence de la chapelle. Ce qui fut définitivement reconnu en 1567 lors du mariage de son fils Alain avec Julienne de Trégain. Cette date forme un terminus ante quem, car ce couple aurait placé là ses propres armes.
Les auteurs adoptent en général la date de 1550, sous le roi Henri II.
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Nota bene : il existe une marge d' imprécision. La date du mariage Kergoët/Le Bot est donnée en 1554 sur le site de l'Inventaire Général, en 1562 par Pol de Courcy, elle n'est pas précisée sur la généalogie de Jean-Claude Bourgeois. Elle est obligatoirement postérieure au décès du premier mari de Gilette de Kergoët, René de Saint-Alouarn le jour de Noël 1553. Elle est donnée comme 1554 sur la Monographie de Lothey. En 1558, Michel du Bot est encore dit seigneur du Guilly en Lothey lors d'un achat d'une partie du Parc au Duc de Châteaulin. ( Voir Monog. Lothey page 91). Il est présent à la Montre de l'Évêché faite à Quimper en mai 1562, parmi les nobles de Lothea, avec le titre de sieur du Guilly, où il paraît "en état d'arquebusier à cheval et a dit être exempt de servir, en raison de son office de procureur de Châteaulin. Il n'y est pas à titre personnel, mais en représentation de Gilette de Kergoët, dame du Guilly, qui fait défaut.
Ce couple n'avait pas renoncé à leurs droits dans la chapelle puisqu'il a placé ses armoiries sur le mur est du bras nord du transept, et sur la charpente à la croisée du transept. René Lisch 1957 les dataient "probablement du troisième quart du XVIe siècle" et "avant 1567".
Si on suppose que Gilette a commencé par laisser la prééminence à son tuteur Jean de Kergoët et son épouse après 1541, puis a repris ses droits à partir de son second mariage (au plus tôt en 1554), avant d' admettre son absence d'héritiers et de les céder à Alain de Kergoët en 1567, la datation déduite des armoiries Kergoët/Kerpaen devient : entre 1541 et (?) 1554.
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Attribution : Bastien et Henri Prigent.
J'attribue ce calvaire où prédomine le kersanton à l'atelier des frères Prigent (1527-1577) de Landerneau alors que Castel et Le Seac'h l'attribuent au Maître de Saint-Thégonnec, auteur du calvaire de cet enclos en 1610.
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Contexte : les calvaires à deux croisillons ( à un ou trois fûts).
Le calvaire de Saint-Sébastien est édifié au cœur de la période pendant laquelle on voit éclore, en Finistère, notamment dans les enclos paroissiaux, des calvaires à deux croisillons, dont la majorité répondent à la même organisation donnant place à deux statues géminées (avec la Vierge et Jean sur la face occidentale), les deux cavaliers de la Passion, une Pietà ou Déploration au centre et un Christ au lien sur l'autre face, et enfin Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix . Il y a donc reprises par les ateliers de sculptures d'un modèle, jamais copié mais toujours développé.
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Cléden-Poher (1575)
Guimiliau (1581-1588)
Locmélar (vers 1600), par le Maître de Plougastel
Lopérec (1552) par Fayet.
Pencran, (1521 ?)
Pleyben (1555) par Henri et Bastien Prigent.
Plomodiern, chapelle Sainte-Marie-du-Ménez-Hom (1544).
Plougastel (1602-1604) par le Maître de Plougastel.
Plougonven, (1554), Henri et Bastien Prigent.
Loqueffret (1576?)
Plounéventer (1578)
Saint-Thégonnec (1610)
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DESCRIPTION.
Je décrirai le soubassement, puis la face orientale du calvaire, puis sa face occidentale, comme cela se présente pour le visiteur qui vient de l'extérieur de l'enclos.
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Le soubassement :
les quatre faces du bloc de microdiorite quartzite sont ornés de masques circulaires lunaires ou solaires aux faces humaines grimaçantes ou souriantes.
Ce motif des "faces plates" , initié sur le bas de la tour commencée en 1548 de l'église Saint-Matthieu de Morlaix, se répète à la fin du XVIe siècle sur le chevet de l'église de Bodilis daté de 1564, à la chapelle Sainte-Anne du cimetière de Landivisiau, à la Maison des treize Lunes (5, place Saint-Thomas) de Landerneau (XVIe) et sur les piles d'entrée du portail du château du Chef-du-Bois de Pencran , qui sont en pierre de Logonna également.
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LA FACE ORIENTALE.
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Tout le calvaire est en kersantite au dessus du soubassement.
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LA SORTIE DU TOMBEAU.
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Elle est singulière car elle n'est pas faite de statues individuelles, mais sculptée dans le support cubique et dans le second bloc. Celui-ci forme le tombeau, qu'enjambe le Christ portant l'étendard (ici une croix) de sa victoire sur la Mort et vêtu de la cape glorieuse. Le fût de la croix est taillé dans le même bloc que le tombeau, et le Christ n'est pas sculpté en ronde-bosse, mais en haut-relief sur cette croix. La symbolique religieuse de cette unité de la Croix et de la Résurrection est forte.
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Les soldats endormis pendant leur veille sont seulement deux : l'un est allongé, taillé dans le support, et l' autre est assis à gauche. Ils portent l'armure complète, le casque et son gorgerin. Il y avait, selon Le Seac'h, un troisième soldat, qui a été volé : c'est fort probable.
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L'atelier Prigent a réalisé une Sortie du Tombeau pour les deux calvaires monumentaux de Pleyben et de Plougonven (tous les deux restaurés). La cuirasse des soldats est à deux facettes formant un angle sternal, comme pour le soldat assis de Saint-Sébastien.
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Voici maintenant la Sortie du Tombeau du calvaire de Saint-Thégonnec : le Christ est très proche de celui de Saint-Sébastien.
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LE CROISILLON INFÉRIEUR : LA DÉPLORATION.
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Une Déploration à quatre personnages (nommée aussi "pietà" par Castel) occupe la face de ce croisillon. La Vierge portant sur ses genoux le corps du Christ est entourée de Jean et de Marie-Madeleine.
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La Vierge.
Mains jointes, tête à peine fléchie et inclinée, elle porte un manteau attaché par une languette à deux boutons, et un voile formant un pli en Z sur le front. Elle ne maintient donc pas le corps de son Fils, qui repose à la fois sur son genou droit et sur les genoux de Jean. Le bras droit du Christ pend en diagonal, montrant la plaie de la paume.
Le visage de la Vierge est carré, au dessus d'un petit menton pointu. La bouche, fermée, est triste, la lèvre supérieure charnue en léger surplomb sur la lèvre inférieure. Le nez est droit, aux narines pleines, entre des joues rondes.
Les yeux ont la forme d'amandes en saillie, dessinés par deux traits pour tracer les paupières. L'orbite est un arc convexe en auvent.
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Saint Jean.
Sa main droite soutient la tête de son Maître sur un coussin ou un linge plié, tandis que la main gauche est placée sur la poitrine. Son visage incliné vers la gauche est levé vers le ciel. La chevelure bouclée forme une couronne de boules.
Son visage a les mêmes caractéristiques que celui de la Vierge, notamment le menton très court.
Il porte un manteau serré sous le cou.
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Marie-Madeleine.
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Elle tient de la main gauche le flacon d'aromates, tandis que sa main droite se pose sur sa poitrine, dans une symétrie avec saint Jean dont elle adopte la même posture, tête levée.
Ses cheveux qui forment deux nattes devant les épaules sont regroupées derrière la nuque par le fameux bandeau occipital, déjà noté sur la Vierge à la démone du bras nord du transept, et qui est assez spécifique de la deuxième moitié du XVIe siècle. Il est présent sur la chevelure de Marie-Madeleine de la Déploration du calvaire de Pleyben (Prigent 1555), et de la Déploration du calvaire de Plougonven (Prigent 1554), de la Déploration du calvaire de Saint-Ségal, du pied de la croix du calvaire de Saint-Ségal, ou sur la Vierge de l'Annonciation de Pleyben.
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Les masques du croisillon.
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LE CROISILLON SUPÉRIEUR. LE MARTYRE DE SAINT-SÉBASTIEN.
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Saint Sébastien.
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L'Athleta Christi est beau comme un Apollon, bien musclé, à peine couvert par un pagne. Ses cheveux bouclés font, comme le saint Jean de la Déploration, une couronne de boules.
Il importe que les trous des flèches soient bien visibles.
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COMPARAISON.
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L'archer de droite .
Beaucoup plus fruste d'allure que son collègue, il a les traits typiques du bourreau, grimaçant et tirant la langue hors d'une bouche mal dentée, et inclinant la tête. Il porte barbe et moustache et est coiffé d'un morion. Il est vêtu d'une tunique boutonnée, aux manches bouffantes et à taillades, des hauts-de-chausse extrêmement plissés, et des bottes à revers. Un couteau pend à son coté. On n'oublie pas, bien-sûr, la braguette hypertrophiée car rembourrée : elle resta à la mode jusqu'en 1580.
Il tient la flèche empennelée entre index et majeur au dessus de la corde, tandis que les deux autres doigts passent derrière.
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L'archer de gauche.
Il a la noblesse d'un officier ;
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Le blason.
De ce coté-ci, il ne porte que les cinq fusées et les quatre roses des Kergoët, sans alliances. Il est présenté par un masque qui le tient entre ses dents, tandis que deux autres masques l'encadrent.
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LA FACE OCCIDENTALE.
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AU PIED DE LA CROIX. MARIE-MADELEINE.
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Cette statue de Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix, et tenant son pot d'onguent rappelle immédiatement celles qu'on observe à Pencran (en deux versions), à Dinéault, à Sainte-Marie-du Ménez-Hom, ou à Lopérec, ou celles qui sont incluses dans les calvaires monumentaux de Pleyben et Plougonven. Elles sont parfois tournées vers la croix, mais celle-ci fait face à l'ouest, une main sur la poitrine. Elle porte un costume aux manches ballonnées et resserrées au coude, se continuant en plis cannelés et se terminant en plis tuyautés au niveau des poignets. Sa robe est serrée à la taille par une ceinture au motif imitant une succession de perles. Le décolleté carré laisse voir une chemise qui monte par une série de plis convergents jusqu'au cou, qu'elle entoure d'un épais bourrelet. Le pot d'aromates est décoré de godrons et fermé par un couvercle à boules.
Les cheveux aux longues nattes descendants devant les épaules sont réunis derrière la nuque par le bandeau occipital propre à l'époque et à la région (Basse-Bretagne, 2ème moitié XVIe), et qu'on observe, à l'intérieur de la chapelle, sur la Vierge à la Démone du transept nord.
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La sainte animée par un élan mystique lève la face et semble humer l'atmosphère. Son visage est particulièrement rond, puis on retrouve les éléments stylistiques déjà mentionnés, le menton court dont la pointe est accentuée, la bouche petite aux lèvres tendues vers l'avant, les yeux globuleux et le front épilé.
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Un homme agenouillé. Donateur ?
Placé en symétrie de la sainte, cet homme en robe longue lève les deux bras aux mains brisées dans un geste d'adoration. On a pu y voir le commanditaire, le seigneur de Kergoët . Sa coiffure mi-longue aux pointes bouclées est bien celle des seigneurs du XVIe siècle.
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Le croisillon inférieur : les deux cavaliers de la Passion, le Christ aux liens.
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1°) Le blason Kergoët/Kerpaen.
Il est présenté par un masque moustachu entre deux enfants nus.
Ces armoiries ont quatre quartiers : en 1, Kergoët, en 2 Kerguiliou, en 3 du Launay, en 4 Kerpaen .
-En 1 : Kergoët : d'argent, à cinq fusées de gueules, accolées et surmontées de quatre roses de même .
-En 2 : trois têtes animales de profil (loup ?lévriers ? aigles ? oiseaux?) , on peut attendre ici les armes des Kerguiliou
-En 3 : armes de Catherine du Launay d'or à trois rocs d'échiquier d'azur
-En 4 : armes de François de Kerpaen : d'argent au chêne arraché de sinople, au sanglier de sable, brochant sur le fût de l'arbre.
Ces armoiries sont celles de Jean de Kergoët (fils de Pierre de Kergoët et de Catherine de Launay) et de son épouse Perrine de Kerpaen (fille de François de Kerpaen et de Jeanne Kerguiliou), mariés en 1541, et parents d'Alain de Kergoët (qui épousera en 1567 Julienne de Trégain).
https://gw.geneanet.org/jcbo?lang=en&n=de+kerpaen&oc=0&p=perrine
http://www.laperenne-zine.com/articles.php?lng=fr&pg=609
Jeanne de Kerpaen devint veuve en 1550 et tutrice de son fils Alain.
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Au centre : le Christ aux liens (Ecce homo, Christ de dérision).
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Il est paré par dérision de substituts de la royauté, pour s'être déclaré Roi, et, pour Pilate et le peuple, "roi des Juifs" devant Pilate (Jean 18:33-38). Après avoir été couronné d'épines et flagellé, il est alors revêtu par les soldats d'un manteau de pourpre (Jn 19:3) et salué par les cris "Salut, roi des Juifs !". Il est alors présenté ainsi au peuple en dehors du prétoire par Pilate qui déclare "Voici l'homme" (Ecce Homo).
Le roseau (arundo dans la Vulgate, kalamos dans le texte original) qui lui est donné en guise de sceptre est cité par Matthieu 27:27-31 "Les soldats du gouverneur conduisirent Jésus dans le prétoire, et ils assemblèrent autour de lui toute la cohorte. Ils lui ôtèrent ses vêtements, et le couvrirent d’un manteau écarlate. Ils tressèrent une couronne d’épines, qu’ils posèrent sur sa tête, et ils lui mirent un roseau dans la main droite ; puis, s’agenouillant devant lui, ils le raillaient, en disant : Salut, roi des Juifs ! Et ils crachaient contre lui, prenaient le roseau, et frappaient sur sa tête. Après s’être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier."
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Le Christ, vêtu d'un pagne et du manteau écarlate, est debout, genou flêchis, mains liées, tenant le roseau. Il est barbu, tête légèrement tournée vers la droite.
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COMPARAISON.
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De nombreux Christ aux liens peuvent être placés en comparaison.
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Les deux cavaliers. Longin et le Centenier converti.
Au XVIe siècle se développa dans les représentations de la Passion l'habitude de placer deux cavaliers aux gestes caractéristiques. L'un montre son œil du doigt, tandis que l'autre lève l'index vers le Christ. On retrouve ce couple dès le XIe siècle dans les enluminures et peintures, dans les Maîtresse-vitres finistériennes, et en sculpture.
Si, en peinture ou peinture sur verre, le nombre et la posture des cavaliers sont variés, ils sont bien plus fixés sur les calvaires bretons.
Le premier est souvent identifié à Longin, le soldat qui donna un coup de lance dans le flanc droit du Christ pour s'assurer de son décès. La scène représente Longin guéri de sa cécité . J'ai étudié ce motif à Landerneau :
Ce buste en pierre de kersanton est très vraisemblablement issu d'un calvaire, car il représente un personnage régulièrement représenté autour du Christ crucifié des grandes Passions finistériennes, et dont il est parfois difficile de comprendre la signification. Il regarde le Christ en croix tout en plaçant son index sous sa paupière gauche. C'est bien le cas ici, et, de plus, notre homme porte bonnet conique ceint d'un turban, et la coiffe à longues "oreillettes" se terminant en pointes par des franges rituelles, qui désigne les dignitaires hébreux dans l'iconographie du XVIe siècle.
Ce personnage illustre la scène de la Guérison de Longin. Longin est le nom qui fut donné dans l'Évangile de Nicodème chap. X au soldat romain, plus tard assimilé au centurion converti de Marc 15:39, qui perça le flanc droit du Christ de sa lance selon Jean 19:34 . Au IXe siècle, Adon archevêque de Vienne, dans son Martyrologe au 1er septembre, en fait un saint martyr. Les martyrologes suivants fixent la date du 15 mars pour son martyre. Au Xe siècle, Syméon Métaphraste dans son Ménologue en grec, (si la traduction en français est fidèle) en fait non plus un Romain, mais un homme "de la Synagogue des Juifs" mais établi capitaine de cent hommes d'armes (donc centenier) pour garder la Croix. Au XIIIe siècle, dans sa Légende Dorée, Jacques de Voragine, reprenant des récits antérieurs, écrit :
"Longin fut le centurion qui, debout avec les soldats près de la croix, par l’ordre de Pilate, perça le côté du Sauveur avec une lance. En voyant les miracles qui s'opéraient, le soleil obscurci et le tremblement de terre, il crut en surtout depuis l’instant où, selon le dire de certains auteurs, ayant la vue obscurcie par maladie ou par vieillesse, il se frotta les yeux avec du sang: de N.-S., coulant le long de sa lance, car il vit plus clair tout aussitôt. Renonçant donc à l’état militaire, et instruit par les apôtres, il passa vingt-huit. ans dans la vie monastique à Césarée de Cappadoce, et convertit beaucoup de monde à la foi par sa parole et ses exemples".
La fusion en un même personnage du soldat romain, du centenier converti, du nom de la lance (Longin = Lance), et de la guérison d'une cécité s'expliquerait par la rapprochement du centurion s'exclamant "Vere filius dei" ("Matth 27, 54), du lancier de Jn 19:34, de la guérison de saint Paul (des écailles lui tombent des yeux, et des mots latins "et qui vidit testimonium" qui suivent, en Jn 19:35, le verset Jn 19:34. (Quand ils s'approchèrent de lui, ils virent qu'il était déjà mort. Ils ne lui brisèrent pas les jambes, 34 mais un des soldats lui transperça le côté avec une lance et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. 35 Celui qui a vu ces choses en rend témoignage et son témoignage est vrai. )
http://www.lavieb-aile.com/2017/01/sur-la-piste-des-crossettes-de-landerneau.html
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Le cavalier à la droite de la croix (à notre gauche) : Longin.
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Il a bien les caractères décrits à Landerneau : il porte l'index vers sa paupière gauche, la tête levée. Il est vêtu d'une cape d'officier, mais il est coiffé d'un bonnet à glands, comme les Juifs de l'iconographie chrétienne du XVIe (cette couronne de glands ou pompons est mieux visible vue d'arrière). Sa main droite est posée sur la hampe de sa lance, dont le reste est brisé (ou n'a pas été représenté en pierre) et qui débute par une longue poignée ampulaire.
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L'harnachement des chevaux est figuré avec minutie, ce qui permet une comparaison avec les peintures contemporaines, avec les vitraux finistériens (où la concordance est franche), et entre les calvaires eux-mêmes.
Le frontal, qui descend sur le front par une pièce en T ou en O, la muserolle ou plutôt le filet (simple, ou fleuri d'une boucle), le portail avec son médaillon ou sa boucle, le sous-gorge, l'étrivière : tout est en place.
Le mors à balancier est bien visible : une ferrure en S sert d'intermédiaire entre le mors et les rênes.
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La vue postérieure permet d'observer les croupes des chevaux, et le balancement opposé des queues soigneusement tressées.
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. http://expositions.bnf.fr/flamands/grand/fla_096.htm
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Le cavalier à la gauche du Christ : le Bon Centenier.
Son casque ou bonnet à plumet est posé les cheveux longs qui tombent sur les épaules en rouleaux qui peuvent aussi correspondent à une étoffe. Il est barbu.
On y reconnaît souvent Stéphaton, ou le centurion Stéphane "de la Posca", qui, selon la tradition, tendit au Christ au bout d'une tige d'hysope (roseau) une éponge imbibée de posca, cette boisson rafraîchissante des soldats romains. En effet, les doigts de la main droite s'enroulaient peut-être jadis autour d'un manche (en bois). Mais l'homme lève la tête d'un air inspiré et son index est tendu (il serait fléchi avec les autres doigts s'il tenait l'hysope). Il s'agit plutôt du "bon centenier", qui s'exclama au pied de la croix Vere filius dei erat iste .
D'ailleurs, aucun calvaire n'a conservé la trace de l'éponge ou du roseau qui soutiendrait l'hypothèse de Stéphaton.
http://classes.bnf.fr/livre/grand/152.htm
http://www.lavieb-aile.com/search/vere%20filius/
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Le croisillon supérieur. Le Crucifié entre Marie et Jean.
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Le Christ incline la tête à droite, ses yeux sont clos, sa bouche entrouverte. Il est barbu, la couronne d'épines est fait de brins parallèles. La chevelure longue tombe devant l'épaule droite et derrière l'épaule gauche.
Les clous sont gros et pyramidaux.
La plaie du flanc est bien marquée ; le nombril est large.
Le Crucifié a un pagne noué par un gros nœud sur son coté gauche.
Le sang de ses plaies est recueilli dans des calices par trois anges "hématophores", deux aux pieds et un sous la main gauche (le support de l'ange de droite est visible). Ces anges se retrouvent à Ploéven bourg, Ploéven Sainte-Barbe, Saint-Thégonnec, Cleden-Poher, Lopérec, Locmélar, Pleyben, Guimiliau, etc.
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La Vierge a les bras croisés sur la poitrine. Sa tête est couverte du voile "coqué" (globalement carré et replié sur le dessus) propre aux Prigent .
L'élément le plus remarquable est la présence des trois larmes sous chaque œil, que nous allons retrouver aussi sur la statue de saint Jean. Selon E. Le Seac'h, ces trois larmes sont une des caractéristiques les plus nettes du style des frères Prigent, mais pourtant, elle ne les remarque pas dans sa description (page 290) et elle attribue ce calvaire au Maître de Saint-Thégonnec.
Ces trois larmes sont présentes sur les statues de la Vierge et de Jean (et souvent de Marie-Madeleine) , de Pencran, de Plougonven (Prigent, 1554), sur la Déploration de Saint-Nic et de Plourin-Ploudalmézeau , sur la Pietà de Lothey, (tous de Prigent), etc..
Dans la paroisse de Pleyben ( à laquelle appartenait Saint-Ségal), on les retrouve sur trois autres calvaires : celui de l'église de Pleyben (Prigent, 1555), celui de sa chapelle Saint Laurent et celui du bourg de Saint-Ségal.
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Saint Jean.
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Saint Jean a la main droite posée sur la poitrine, tandis que la main gauche tient un livre.
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Au total, le calvaire de Saint-Sébastien est parfaitement représentatif des calvaires érigés en Basse-Bretagne dans la seconde moitié du XVIe siècle, autour de l'Elorn et de l'Aulne et il en reprend les caractères principaux : croisillons doubles, prévalence du kersanton associé à la pierre de Logonna, statues géminées sur les croisillons, Déploration, Christ aux liens, anges hématophores.
Des marqueurs iconographiques suffisamment spécifiques permettent de les relier plus précisément avec d'autres calvaires soit de la même paroisse, soit du même atelier, soit du moins de la même région : Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix ; bandeau occipital ; trois larmes sous les yeux de Marie et/ou de Jean et/ou de Marie-Madeleine, couple des cavaliers Longin et Centenier converti.
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Enfin, la sagittation de saint Sébastien introduit ici l'élément local propre au culte du grand intercesseur contre les épidémies, en écho à la même scène représentée sur l'arc de triomphe, et à l'intérieur sur les sablières et sur le retable du chœur. Elle offre la truculence des expressions et la diversité des costumes qui ne se trouvent d'habitude que sur les calvaires monumentaux (Pleyben, Plougonven, Plougastel, Guimiliau, Saint-Thégonnec).
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SOURCES ET LIENS.
— Le beau site de la mairie :
http://www.mairie-saintsegal.fr/lieux-et-monuments.htm
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des Croix et Calvaires du Finistère, article.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/ed6c2bc160f40c8aa6e03dc9f0bdccb1.jpg
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des Croix et Calvaires du Finistère, SAF.
http://croix.du-finistere.org/
http://croix.du-finistere.org/commune/saint_segal.html
— CASTEL (Yves-Pascal), LECLERC, (Guy), s.d, La chapelle Saint-Sébastien , son calvaire, ses retables, ed. Commune de Saint-Ségal.
— CASTEL (Yves-Pascal), 1983, La floraison des croix et calvaires dans le Léon sous l'influence de Mgr Roland de Neufville (1562-1613), Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1983 90-2 pp. 311-319
https://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1983_num_90_2_3130
— CASTEL (Yves-Pascal), 2005, Guide des sept grands calvaires bretons, Minihy-Levenez
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