L'église Saint-Salomon de La Martyre. IV. L'ossuaire (1619). Les inscriptions. Les crossettes.
Voir :
- L'église Saint-Salomon de La Martyre I. La Porte triomphale (vers 1520) et le porche sud. (1430)
- L'église Saint-Salomon de La Martyre. II. Le "bénitier" de 1681.
- L'église Saint-Salomon de La Martyre. III. Les bénitiers de 1619 et de 1601.
- L'église Saint-Salomon de La Martyre V. Les peintures murales (vers 1450)
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INTRODUCTION.
Les inscriptions lapidaires ou non de l'église de La Martyre offrent les noms de quelques fabriciens d'alors, mais aussi les chronogrammes suivants : 1601 (bénitier, déjà décrit), 1619 (ossuaire), 1693 (vantail du porche sud), 1697 et 1699 (sacristie), et 1749 (œil de bœuf du pignon nord). C'est un fil rouge comme un autre pour en aborder la visite, quitte à faire digression du thème épigraphique et à admirer le travail de sculpture et d'architecture. Derrière chaque nom de fabriciens, je tenterai de découvrir l'homme, sa situation, et sa famille.
Voici les dates principales des étapes de construction de l'édifice :
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I. L'ossuaire de 1619.
Accolé contre le porche sud, il est entièrement bâti en kersantite. La proximité d'une aile de la maison du guet a imposé la découpe d'un large pan coupé, et interdit une vision d'ensemble, ou du recul. Un dessin de Fons de Kort (droits réservés) en rendra mieux compte.
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La composition de la façade est savante, témoignant d'une connaissance approfondie des planches gravées des recueils d'architectures de Sébastiano Serlio (Livre III, 1540) et de Philibert Delorme (Le premier tome de l'architecture, 1567) et du vocabulaire fait de pilastres et de frontons, de colonnes, d'urnes et de lanternons.
La porte de plein cintre compose un trio plein d'humour avec les deux baies étroites, de même forme, mais surhaussées. Le chiffre trois rythme aussi les panneaux de l'architrave, les statues du fronton, ou la superposition de deux lanternons et d'un pot à feu.
L'ossuaire est l'œuvre de l'atelier du Maître de Plougastel, auteur du Calvaire de cette paroisse entre 1602 et 1604. Au sein de cet atelier, l'essentiel des sculptures est due à celui qu'Emmanuel Le Seac'h a nommé "Le Valet" du Maître, son bras droit, également repérable aux piédroits du porche de Guimiliau. Je reprendrai la description d'E. Le Seac'h, 2014.
De style Renaissance, le bas de la façade principale est d'ordre corinthien avec les colonnes cannelées et les chapiteaux à feuille d'acanthe, le fronton est d'ordre ionique avec les termes couronnés de chapiteaux ioniques.
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Le Maître de Plougastel y réalise la statue de saint Paul-Aurélien terrassant le dragon. Placé au dessus de l'inscription S : PAOL (Saint Paul) trace une bénédiction d'une main habillé du chirothèque tandis qu'il jugule le dragon par la pointe de son bâton pastorale, et non, comme le veut la tradition, en le tenant en laisse par son étole. Les yeux sont en épaisse amande, la paupière inférieure est soulignée par un double trait.Le nez est fin, la bouche pincée et hautaine, le menton rond.
Notez, en pleine façade, le masque en faible relief et ses cheveux en guirlande florale.
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Le terme gainé masculin à gauche de Pol-Aurélien est de la main du Valet du Maître de Plougastel.
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La figure féminine engainée a plus de charmes, malgré son regard bas ou obtus, son hiératisme, sa froideur. Ce charme provient de la rondeur du bas du visage, de la douceur du poli de la pierre, du tressage des cheveux en nattes serpentines, du collier à bague et à médaillon, ou des seins en V, presque androgynes. La pupille des yeux en mandorle est creusée, et nous fixe. Sous ses côtes en V et son ventre plat, une feuille d'acanthe lui fait office de pagne.
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L'architrave va-t-il, d'un coup de sa baguette, nous dérider un peu ?
L'élément central, dont le collier de l'ordre de Saint-Michel entoure des armoiries bûchées, nous laissera froid si nous n'observons pas le lit d'algues (fucus vesiculosus) sur lequel il nous est servi, ni la tête de Pierrot Gourmand qui remplace l'Archange officiel de l'Ordre. C'est un collier de fantaisie. Les armes étaient-elles celle de Henri II duc de Rohan ?
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Plus amusant est le panneau de gauche : une femme (ou saint Jean ?), la main sur la poitrine, se tourne sur le coté et désigne l'objet de sa foi d'un index gauche convainquant. Notez la trace de polychromie.
Que nous montre-elle ? L'entrée de l'ossuaire, bien entendu, pour nous dire que cela sera bientôt notre tour.
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Si nous n'avions pas compris, son compagnon nous présente des arguments convaincants : une tête de mort et un fémur (aux condyles inversés) comme prélevés dans l'ossuaire.
Mais cet homme soigneusement habillé à la mode Henri IV a un faciès léonin, tant par son nez en museau que par sa chevelure peignée comme une succession de petites madeleines, d'où un effet en rayons de soleil, et surtout par sa barbe dont les mèches forment une véritable crinière.
Or, sur toutes les toitures des église du Finistère, le lion est un animal au service, sinon du diable, du moins à coup sûr de la Mort, c'est la forme animale de l'Ankou, et nous le voyons se dresser, les pattes antérieures serrées sur la tête ou le corps d'un humain. Nous le verrons encore tout à l'heure.
Ce Marquis de Carabas ci est sans doute chez lui dans la boutique de la mort.
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L'entablement placé en encorbellement au dessus de la porte cintrée est soutenu par deux colonnes corinthienne et par une console à clef de l'arc ou agrafe en feuille d'acanthe (qui porte sur un drapé des armoiries martelées entourées d'une guirlande) . Placés dans le renfoncement de la table, à son ombre et comme participant eux aussi à la soutenir, deux anges joufflus présentent chacun une longue banderole. Les deux textes sont en breton.
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L'ange de gauche montre ceci :
AN MARO : HAN : BARN : HAN IFERN : IEN : PA : HO
SOING : DEN : E : TLE : CRENA FOL : EO : NA : PREDER.
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Son associé à droite tient le texte suivant :
E : ESPERET : GVELET: EZ : EO : RET : DECEDI : AN : 1619.
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Les deux inscriptions forment une seule citation, an maro han barn han ifern ien pa ho soing den e tle crena fol eo na preder e esperet guelet ez eo ret decedi suivie de la mention de datation AN 1619. Elle se traduit ainsi :
"La mort, et le jugement, et l'enfer froid, quand l'homme y médite, il doit trembler
" Il est fou, celui dont l'esprit ne réfléchit pas, vu qu'il faut mourir. "
Elle est extraite de Le Mirouer de la Mort de Jehan an archer coz (Jehan Larcher), poème en breton de 3602 vers rédigé en 1519 et publié en 1575 au couvent des Cordeliers de Cuburien près de Morlaix. Ce Mirouer aborde le thème des quatre fins dernières de l'homme, la mort, le jugement dernier, l’enfer ou le paradis, Son auteur vient de la paroisse de Plougonven, à une quarantaine de kilomètres à l'est de La Martyre. Le distique provient de la seconde des deux inscriptions qui suivent le poème proprement dit, (folio 72v) et qui encadrent la gravure d'une tête de mort stylisée, au milieu d'un miroir.
An Maru, han Barñ han Yfferñ yen
Pan ho soing den ez dle crenaff.
Foll eu na preder è Spéret,
Guelet ez ev ret decedaff
On notera la mention d'un Yfern yen, "enfer froid", témoignant de la croyance bretonne en un au-delà humide dans l'obscurité de l'eau noire et fétide, des marais, des rivières des étangs ou des abîmes plein de givre (abim yen), avec le concept de la mort froide (maru yen). On le trouve cet enfer dans les poésies galloises du XII et XIIIe siècle, mais aussi chez Dante, et dans une soixantaine de cantiques, de poésie ou de pièces théâtrales bretonnes (Mystère de Louis Eunius) du XVe au XVIIe siècle (Alain Croix). Pourtant l’Enfer est traditionnellement pour l’Église le royaume du feu « dans le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges » (Mt, XXV, 41), et quoiqu’attestée chez certains auteurs chrétiens, la notion d’un enfer glacé est rejeté habituellement par l’Église. Certains ont cru que le mot yen dans ifern yen « enfer froid » était à prendre au seul sens d’insensible, cruel. Mais il est impossible de restreindre yen au seul sens de « cruel ». La présence du froid, de la glace, du verglas, du frimas infirme cette explication. (G. Le Menn)
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La source latine de ce Miroer est le Quatuor novissimorum liber seu Memoria mortis, (Paris, Jean Petit 1512) de Gérard de Vliederhoven ou Denys le Chartreux. L'idée d'un miroir magique qui montre à celui qui s'y fixe l'aspect qu'il aura à sa mort est spectaculairement illustré par le tableau de Lucas Furtenagel Hans Burgkmaier et son épouse Anna, en 1529.
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Pour être complet, il faut ajouter que ces vers figurent aussi en folio 1, sous le titre, et au dessus d'une gravure assez semblable, mais où, dans le miroir, le crâne tient un os entre les dents. On note aussi en pseudo-grec la formule MIRE TOYLA.FIK, "Mire toi là". Rien ne permet d'affirmer que ces vers sont de la main de Jehan Larcher, et qu'ils n'ont pas été empruntés ailleurs et placés ici par l'éditeur.
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Le bénitier actuellement placé sous le porche appartenait jadis à l'ossuaire et s'intégrait à ce programme iconographique centré sur la Mort.
http://www.lavieb-aile.com/2016/12/l-eglise-saint-salomon-de-la-martyre.iii.les-benitiers.html
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La cariatide.
Dans un pan cassé du mur extérieur, une surprenante cariatide aux bandelettes, de taille presqu'humaine semble faire le pied-de-grue. De sa consœur transformée en terme gainé, elle a les yeux en amande et les pupilles creusées, les paupières ourlées, les mains dans le dos, une poitrine fatiguée, des côtes en X sur un ventre plat au nombril creusé. Le corps est longiligne, les jambes soigneusement bandées. Les doigts de pieds à l'Égyptienne sont sculptés avec soin . Son collier de pierres rondes souligne le port élégant du cou.
C'est ma marotte, mon péché mignon de collectionner dans la statuaire féminine bretonne le type de coiffure qu'elle a adoptée : un bandeau passe derrière le cou et la masse des mèches. Ce bandeau est plissé comme un chouchou aux vertus élastiques, il sert à rassembler en une courbe concave la chevelure sans la dissimuler ou la contraindre sur le dessus de la tête, et sans s'opposer à sa dispersion en flots divergents sur les épaules. Mais, si vous le souhaitez, vous le ramenez d'un seul geste plus haut derrière ou par dessus la tête, en voile. Son étoffe est souvent blanche, finement rayée de bleu ou de couleur brique, mais comme cela ne se voit pas ici, c'est ma précieuse collection d'images, digne du coupeur de nattes de von Kraft-Ebing, qui me permet de le dire.
On dit qu'elle sort tout droit des dessins de Serlio, l'architecte que François Ier recruta pour Fontainebleau. Mais Serlio n'en n'userait que pour les cheminées
Voir aussi Termes et cariatides de Jacques Audrouet du Cerceau, 12 planches gravées sn, sd http://architectura.cesr.univ-tours.fr/Traite/Images/INHA-4R85BIndex.asp
Ou Quinque et viginti exempla arcuum Orléans, 1549, de Jacques Audrouet du Cerceau:
http://architectura.cesr.univ-tours.fr/traite/Images/INHA-4R1475Index.asp
Mais je n'ai pu trouver dans ces pages feuilletées avec l'espoir de la revoir, la belle cariatide de La Martyre.
Les termes et cariatides connurent une fortune certaine en France, comme en témoignent les ouvrages d’Hugues Sambin (Œuvre de la diversité des termes, Lyon, 1572) puis de Joseph Boillot
(Nouveaux portraits et figures de termes, Langres, 1592) et dans l’ensemble de l’Europe du Nord, Flandres, Allemagne et Angleterre.
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II. Le baldaquin du baptistère. 1635.
La cuve baptismale en granit a six pans et repose sur une colonne et une double base cylindriques.
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Elle est abritée par un baldaquin en chêne, de forme hexagonale, posée sur six piliers corinthiens. la corniche de l'entablement est ornée de denticules, et sa frise couvert d'ornements et d'anges. Le dais est ajouré, sur chaque pans, de deux fenêtres cintrées encadrées de colonnettes d'ordre composite. Au dessus de sa corniche règne une balustrade entourant la base d'un dôme. Celui-ci se termine en deux lanternons superposés. Le monument est surmonté d'une croix portant un cœur entouré d'une couronne d'épines. (Fons de Kort)
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Au dessus du premier lanternon, on lit :
EN LAN 1635 YVO NICOLAS ET C MAVBIAN FABRIQ ONT FAIT FAIRE CE TABERNACLE PAR MRE IAN MOIGN .
La base généalogique www.breneol.fr indique la descendance d'un Yves Nicolas (~1623) , et celle de Jean Maubian, tous deux de La Martyre.
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III. 1693 : la porte du porche sud.
Les deux portes de bois du porche sud sont du XVIIe siècle. Celle de droite porte l'inscription :
GABRIEL : LE : SANCQVER : FRANCOIS : LE. ROVX / FABRIQVES : 1693 : MONT : FAIT : FAIRE.
"Gabriel Le Sanquer (et) François Le Roux fabriques en 1693 m'ont fait faire."
Les lettres sont des majuscules romaines fines, à léger empattement, avec des A à traverse brisée en chevron. Seule la lettre Q est en minuscule. Elles sont gravées en creux et peintes à l'or.
Gabriel Le SANCQUER est mentionné par un généalogiste comme né en 1686 (ce qui est ici aberrent) fils de Guillaume Le SANCQUER (1661, La Martyre) et de Jacquette KERBRAT, et ayant 6 frères et sœurs dont Guillaume et Marie.
Mieux, un fil de discussion du forum des Généalogiques du Finistère de 2016 précise que Gabriel Le Sancquer (Le Sanquer) était le frère de Ian Le SANQUER. Au décès de ce dernier, sa veuve Marie KERDELANT, curatrice de ses enfants mineurs, s'est remarié avec François Abgrall.
Or, François ABGRALL apparaît sur l'inscription suivante comme Fabricien en 1697.
L'arrêt du 13 octobre 1693 précise que Gabriel SANCQUER est alors "marchand, demeurant en la ville de Morlaix".
De même, une généalogie indique que François LE ROUX, fils de François LE ROUX et de Jeanne SALAUN, décédé le 8 novembre 1694 à Ploudiry (dont La Martyre est une trève) , a eu sept enfants de son épouse Anne MARC épousée en 1694. Sa fille Françoise (1704-1742) épousa Jean CLOAREC.
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IV. La sacristie de l'angle nord-est. 1697-1699.
A la fin du XVIIe siècle l'on construisit la sacristie au surprenant dessin quadrilobé ; il fut payé, en 1697, 13 livres 17 sols à Yves Laurans pour copie des plans et devis de Jean Bras, mais le bâtiment fut construit de 1697 à 1699 sous la direction de Christophe Kerandel, maître architecte, qui venait de terminer quelques années plus tôt la sacristie de Lampaul-Guimiliau (1678) puis de Bodilis (1677-1682). Le même modèle se voit à Pleyben.
C'est un bâtiment Renaissance, du type à deux étages et de plan rectangulaire , à dôme coiffé d'un lanternon et flanqué de quatre toits à pas coupés plus petits qui font pénétration dans ses murailles et qui sont séparés par des contreforts saillants surmontés de lanternons (Fons de Kort) . Il est raccordé à la deuxième nef par son angle nord-est. Christophe Kerandel, maître-architecte de Lanneufret, suit les modèles de chapelle de Philibert Delorme et de Serlio : chapelle du château d'Anet. Il donne ici une version plus monumentale qu'à Bodilis : "redents fortement marqués à toits en pavillon, jeu d'ombre des contreforts, dôme à tambour. Cette synthèse des formules de la Renaissance tardive et du style classique amené par les ingénieurs de Brest est une des plus monumentales réalisations du genre en Bretagne" (Rioult 2009).
D'imposantes attaches de fer montrent que la sacristie servait aussi de chambre de conservation du trésor (considérable) de la paroisse, avec son reliquaire d'argent. A Bodilis, il est attesté en 1775 qu'un sacristain y logeait, chargé de sonner la cloche en cas d'alerte.
Les archives disposent de documents mentionnant le nom des architectes. "Les Kerandel" renvoient à Christophe Kerandel, maître-architecte, maçon et picoteur de pierre, marié avant 1674 à Catherine Nédelec (1648-1718) et décédé en 1714, qui est le père de Joseph Kerandel, (Lanneufret 1673-1713 Plouguerneau) maître-architecte.
"Ordonnance du seigneur Evêque de Léon, sur requête à lui présentée par M. le Prieur recteur de Ploudiry, fabriques et habitants de la trève de La Martyre, par laquelle ils auraient demandé une nouvelle sacristie et chambre pour la conservation du trésor et des ornements, laquelle ordonnance aurait adjoint un devis, ensuite de laquelle est l' état estimatif du bâtiment le 9 dudit mois, lequel porte à la somme de 4973 livres 10 sols, y joint une quittance donnée aux marguillers par les Kerandel, maîtres-architectes pour la construction de la dite sacristie du 2 janvier 1699." (cité par Fons de Kort)
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Elle porte une première inscription datant du début des travaux. C'est une plaque rectangulaire de kersanton, aux lettres majuscules romaines aux larges empattements, taillées en faible relief , encadré d'un fin liseré. La ponctuation séparant les mots est basée sur le deux-points, fait de deux losanges pleins. On y lit :
FRANCOIS : A / BGRALL : E : LAN / : POVLMARCH : LORS : F : 1697
"François Abgrall et Jean Poulmarch étant alors Fabriciens : 1697."
Ce François Abgrall est sans-doute le même qui est signalé en 1734 propriétaire du manoir de Poulbroc'h en La Martyre. Ce serait l'époux (10 août 1693) de Marie Kerdelant, veuve de Ian Le Sanquer , décédée le 14 novembre 1705 en La Martyre. Il s'agirait d'un producteur de toiles et notamment de toiles de lin, principale source de richesse de la région.
Jean Poulmarch épousa Marguerite Nédelec et ils eurent trois fils, Guillaume, Hervé, et Jean, né à La Martyre le 28 juillet 1698.
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Sur le coté sud de la sacristie, sous la corniche, une inscription suit les huit pans de murs successifs qui constituent la jonction avec la nef, le contrefort à lanternon et le premier pignon à fenêtres grillées. On y lit, en suivant les recoins :
IEAN : BRAS : F : YVES : CLOAREC : F : LAN. 1699
Jean LE BRAS est peut-être apparenté à son riche homonyme, recteur de Plabennec né en 1718 à Saint-Divy, et qui possédait une dizaine de fermes et plus de 80 pièces de terres, notamment à La Martyre. Une généalogie mentionne Jean Le BRAS, né à La Martyre le 10 mars 1669, décédé à La Martyre en 1724, et qui épousa le 24 juillet 1692 à La Martyre Marguerite PERON (1675-1733). C'est un candidat acceptable pour le fabricien qui traça les plans de cette sacristie.
Les généalogistes décrivent deux Yves CLOAREC à La Martyre, le père, et le fils (1700-1774). Yves CLOAREC père (notre fabricien vraisemblable) épousa le 21 février 1689 Jeanne SANQUER , fille d'Alain SANQUER et de Jeanne LE BRAS : ils eurent sept enfants.
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Vue de la sacristie montrant l'escalier à vis(à droite).
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La porte intérieure de la sacristie. 1697.
Cette porte en anse de panier est divisée en six panneaux octogonaux surmontés d'un tympan en demi-lune. Les boiseries sont peintes d'harmonieuses couleurs vert d'eau et jaune-orangé.
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Dans la demi-lune est gravée l'inscription :
F: ABGRALL : I : POVLMARCH : G . / 1697.
C'est à peu de chose près la même inscription que sur la plaque de kersanton extérieure, et ce sont les mêmes fabriciens (qui se qualifient ici de gouverneurs) qui laissent leur nom à la postérité.
Leur porte n'est pas de la basse besogne, elle est destinée à protéger le trésor constitué du reliquaire en argent de Saint-Salomon, daté de la seconde moitié du XVIe siècle, et donc, à l'époque, assez récent. Il renferme aussi une statue en argent de l'Enfant-Jésus, de 0,38 m de haut, portant l'inscription
1667 FAICT DU TEMPS DE H BEON ET DE H. SANQVER FABRIQVES.
Nous retrouvons le patronyme SANQUER déjà cité (Gabriel Sancquer fabricien en 1693). Les prénoms de ces fabriciens (ou marguilliers) nous sont connus par un conflit opposant La Martyre à la duchesse de Rohan qui voulait transférer la foire à Landerneau: "Le 10 Avril 1669, le Parlement de Dijon, confirmant l’arrêt du Parlement de Rennes, donna gain de cause à La Martyre, représenté par Hervé Le Sanquer et Hervé Le Béon, marguilliers, contre la duchesse de Rohan, veuve de messire Henri Chabot duc de Rohan. La duchesse ayant interjeté appel, le même Parlement confirma sa première sentence, le 26 Février 1678, en la condamnant elle, avec le duc son fils, à payer à la fabrique de La Martyre une amende de 12 livres." (La foire de La Martyre).
La généalogie www.breneol.net donne toute la descendance de Hervé Béon (vers 1658-1741), de La Martyre marié à Jeanne Poulmarch. Mais ce dernier est trop jeune en 1667 pour être fabricien.
... Le trésor devait contenir bien d'autres richesses, soit en orfèvrerie (calice en vermeil, ostensoir de 1648,croix et chandeliers de 1675, notamment en paramentique. Les bannières étaient renfermées dans l'armoire aux bannières datant de 1633.
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Si j'insiste sur le trésor que renfermait cette sacristie, c'est qu'elle est dotée de deux serrures assez extraordinaires. Ce sont elles qui correspondent sans-doute au travail réalisé en 1700 par François Riou, de Landerneau, réputé être le serrurier le plus habile du pays. L'une des clefs est engagée dans la serrure la plus haute et n'est plus fonctionnelle, mais la porte se ferme et s'ouvre aujourd'hui encore avec une grande et forte clef qui commande la serrure basse.
Ah oui, mais un dispositif discret doit être commandé, pour introduire la clef, ou, au contraire, pour l'ôter. Chut !
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Serrures de la porte intérieure de la sacristie, église Saint-Salomon de La Martyre. Photographie lavieb-aile.
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V. L'œil de bœuf de 1749.
Je le place ici pour être complet. J'en profite pour signaler que j'ai écrit un bel hommage à la pulsion scopique chez Flaubert, qui n'a jamais reçu la moindre considération. Adhuc tua messis in herba est. Per aspera ad astra.
http://www.lavieb-aile.com/article-l-oeil-de-boeuf-chez-flaubert-le-dais-de-saint-sacrement-de-ste-suzanne-a-serent-2-107035911.html
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LES CROSSETTES.
1. Angle nord de la maison du Guet. Un personnage.
Il ou elle tient une pomme dans la main droite et semble emporter une petite créature devant son ventre. Une queue contourne la cuisse gauche et s'enroule vers le bras.
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2. Angle de la maison du Guet, à gauche de l'arc triomphal. Lion emportant une âme.
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3. Homme tenant un phylactère.
Maison contiguë à la porte triomphale. Notez la position cambrée de l'homme, qui pourrait être un acrobate (cf C. Prigent), et observez sa chaussure, à bout pointu et en crochet "à la poulaine" (c'est à dire "à la polonaise".
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4. Un buste d'homme.
Situé à l'angle sud-est de l'église, il porte une moustache, ses yeux sont fermés, il a la tête ceinte d'un bandeau, et il tient entre ses mains un rouleau de tissu ou de papier.
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3. Un lion tenant un petit être.
Il tient entre ses pattes antérieures un petit personnage que j'identifie mal. La queue fait retour sur la croupe et se divise en une fourche correspondant au plumeau terminal des lions. Cet exemple atteste encore que le lion est, en Basse-Bretagne du XVI et XVIIe siècle, la forme animale de l'Ankou, celui qui emporte les vivants, le percepteur de la Mort.
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LES GARGOUILLES.
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Lion tenant entre ses pattes un [être humain ??]
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Autre lion.
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Personnage simiesque se lissant la barbe.
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Homme sauvage bouche ouverte se lissant la barbe.
Si on se rapporte aux autres exemples de lisseurs de barbe bifide dans la sculpture des modillons romans, (support en saillie du faîte des murs en soutien de la corniche, dont les thèmes animaliers ou impudiques ont précédé ceux des crossettes et gargouilles de l'art gothique et Renaissance), il ne semble pas exagéré de voir un sexe en érection dans le cylindre sculpté entre les jambes du personnage.
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AUTRES SCULPTURES.
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Deux femmes.
Les statues en ronde-bosse sont érodées, mais les cheveux longs ramassés en deux volumineuses masses latérales permettent de dire qu'il s'agit de femmes. Elles semblent nues, et ont chacune, en miroir, une main posée sur le haut de la cuisse. La première tient un objet long dans la main gauche.
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Chevet : buste d'homme.
Ce buste montre un homme barbu vêtu d'une veste plissée, qui lève la tête et les yeux vers le ciel tout en tenant son chapeau rond sur son ventre, et en posant la main gauche sur sa poitrine. Est-ce un paroissien dévot qui bat sa coulpe et rend grâce à Dieu, ou tout autre chose ?
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Porte nord.
Le fronton de la porte nord porte un personnage en buste : c'est un homme barbu coiffé d'un bonnet à plumet. Il porte la main droite à son chapeau et sa main gauche est posé sur sa poitrine. Alors que son panache retombe comiquement en crochet sur le coté gauche, sa longue barbe tressée semble métamorphosée et emportée par mimétisme vers le même coté, tout cela survenant peut-être sous l'effet d'un coup de vent. De nordé.
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SOURCES ET LIENS.
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred) , 1988, La Martyre, Diocèse de Quimper et de Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, Association diocésaine, 1988, 551 p.
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/MARTYRE.pdf
— DAVY (Christian), 2013 « La prospection des peintures murales des Pays de la Loire », In Situ [En ligne], 22 | 2013, mis en ligne le 15 novembre 2013, consulté le 07 décembre 2016. URL : http://insitu.revues.org/10792 ; DOI : 10.4000/insitu.10792
— DELORME (Philibert), 1567 Le premier tome de l'architecture de Philibert de L'Orme conseillier et )aumosnier ordinaire du Roy, & abbé de S. Serge lez Angiers , Paris, Federic Morel http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85636g/f1.double
— FONS DE KORT, s.d, [1975], La Martyre, l'église, par Fons de Kort.
— KEROUANTON (abbé) / PÉRÉNES (Henri), 1931, Notice sur La Martyre, BDHA page 173 ; page 225 ; page 281.
https://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/bdha/bdha1931.pdf
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIIe siècle, Presses Universitaires de Rennes, p. 298-299.
— LÉCUREUX (Lucien), 1919, "La Martyre", Congrès archéologique de France : séances générales tenues ... par la Société française pour la conservation des monuments historiques, Société française d'archéologie. Derache (Paris) A. Hardel (Caen) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35688p/f166.image
— LE MENN (Gwennolé), 1978, « La Mort dans la littérature bretonne du XVe au XVIIe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 56, 1979, p. 5-40.
— LE MENN (Gwennolé), 2003, Les croyances populaires dans quelques textes bretons (xve-xviie siècles) in Religion et mentalités au Moyen-Âge, Sophie Cassagnes-Brouquet, Amaury Chauou, Daniel Pichot, et al. p. 427-435 http://books.openedition.org/pur/19847?lang=fr
— PEYRON (Paul), 1891, "La Martyre et sa foire", in Bulletin de la Société archéologique du Finistère T. XVIII pages 129-139.
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— PRIGENT (Christiane), 2011, Sculptures de danseurs et de jongleurs dans les édifices religieux, à l'époque romane et à l'époque gothique.
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— REILLE-TAILLEFERT (Geneviève), 2010, Conservation-restauration des peintures murales: De l'Antiquité à nos jours, Eyrolles, 382 pages.
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— RIOULT (Jean-Jacques), 2009, La Martyre, église Saint-Salomon Paris : Société française d'archéologie, 2009 , 7 p. : ill. en noir et blanc, couv. ill en coul. ; 27 cm. (Congrès archéologiques de France, ISSN 0069-8881) In : Congrès archéologique de France, 165e session, 2007 : Finistère / Société française d'archéologie, p. 143-149.
— SPREV :
http://www.sprev.org/centre-sprev/la-martyre-eglise-saint-salomon/
— WITKOWSKI (G.J.A.), 1908, L'Art profane à l'église:ses licences symboliques, satiriques et fantaisistes, contribution à l'étude archéologique et artistique des édifices religieux, Jean Schemit, Paris.
https://archive.org/stream/lartprofanelglis01witk#page/n5/mode/2up
— Iconographie des modillons romans.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Iconographie_des_modillons_romans