Le vitrail patriotique et processionnel de la chapelle de Ty-Mamm-Doué à Kerfeunteun (Quimper).
VOIR
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L'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité de Kerfeuteun à Quimper.
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Les vitraux de François Dilasser à la chapelle de Ty-Mamm-Doué à Quimper. Octobre 2014
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La bannière de Annaïg Le Berre à la chapelle de Ty Mamm Doué, paroisse de Kerfeunteun à Quimper.
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Exposition de paramentique à Ty-Mamm-Doué : Laurent Bourlès, tailleur des chanoines de Quimper.
Sur la cathédrale de Quimper : nombreux articles, voir par exemple :
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Les vitraux du chœur de la cathédrale de Quimper. I. Le rond-point du chœur.
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Vitraux du chœur II : Les fonds damassés des vitraux du chœur de la cathédrale de Quimper (vers 1417). Baie 100 et 109.
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Iconographie de saint Christophe dans les vitraux de la cathédrale de Quimper. Une synthèse des cinq exemples étudiés. (Baies 113, 114, 116, 126 et 128)
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Orphano tu eris adiutor : des armoiries épiscopales dans la cathédrale de Quimper.
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Attention, les images de mon article ont été détournées sur un autre blog sans en indiquer la source.
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Pour un beau vitrail, c'est un beau vitrail, surtout lorsque le soleil embrase les verres orangés du déluge de feu qui s'abat sur les combattants. Car cette verrière représente, dans son registre supérieur, un assaut des troupes françaises en bleu horizon pendant la Première Guerre Mondiale. Dans le registre inférieur, une procession, dont on imagine qu'elle prie pour le retour des soldats, ou, plus tard, qu'elle rend grâce pour la paix retrouvée.
Quatre lancettes de cinq panneaux et un tympan de dix ajours.
I. SCÈNE DE COMBAT 14-18.
Commençons, tant que le soleil l'éclaire, par la partie haute. Un6e inscription indique SOUVENIR RECONNAISSANT DES COMBATTANTS DE LA GUERRE 1914-1918. Mais quels sont ces combattants ? La réponse se trouve case C4, si on nomme comme le verrier de Quimper Mr Le Bihan nous l'a appris les lancettes A, B, C et D de gauche à droite, et leurs panneaux 1, 2, 3, 4 et 5 de bas en haut. Que voit-on en C4 ? La partie la plus proche de la hampe du drapeau d'un régiment, un drapeau bleu-blanc-rouge frappé aux quatre coins du chiffre du régiment en question dans la couronne de deux rameaux de laurier. Son nom, à ce régiment ?
— Le 118e R.I
En clair, il s'agit du 118e Régiment d'Infanterie de ligne, dont la principale garnison fut à la caserne de la Tour d'Auvergne de Quimper. Sa devise ? PEG BARZ, autrement dit CROCHES DEDANS.
Le saviez-vous ? En 1907-1908, Philippe Pétain était lieutenant-colonel du 118e. Oui oui, à Quimper.
Source Images ici, avec d'autres encore
En 1914 le régiment intègre avec le 19e régiment d'infanterie de ligne la 44e brigade d'infanterie avec un recrutement essentiellement breton (118e à Quimper et 19e à Brest). Cette brigade se distinguera sur de nombreux champs de bataille : Belgique (22 août 1914 : premier engagement à Maissin où la division perd 500 hommes), Marne ( Bataille des Marais de Saint-Gond du 5 au 9 septembre 1914 ; Lenharrée les 7,8 septembre, Saint-Hilaire-le-Grand le 15 septembre, Thiepval les 6,7 octobre, la Boisselle, Orvillers les 17-24 décembre, Somme, Champagne (1915), Verdun (1916) du 28 mars au 25 avril) à Fort Saint-Michel, Belrupt, Fort de Vaux, Laffaux en 1917 . En 1918 le 118e est à Nesle, Champlieu, Roye, Rollot, Mortemer (23 mars-2 avril) et participe à la Seconde bataille de la Marne Chemin des Dames le 27 mai 1918 : puis enfin à l'offensive Meuse-Argonne le 26-29 septembre 1918 à Somme-Py (Navarin, Butte de Souain).
Des indices nous aident à situer la scène : les hommes ont la tenue bleue qui est apparue en 1915 ; le képi garance a été remplacé par le casque Adrian au milieu de l'été 1915 (avec la grenade propre à l'infanterie) ; l'équipement en cuir est de couleur fauve, plus résistante que celui de couleur noire. On voit les molletières, mais ne me demandez pas si les brodequins sont ceux du modèle 1917.
A vous de chercher.
Regardez ce soldat en tenue kaki des cases B3-B4 : n'appartiendrait-il pas au Corps expéditionnaire américain (A.E.F) ? Débarquant au port de Brest, ils étaient plus de 200 000 en septembre 1918.
Ici, Georges Patton devant un char.
Dans ce cas, ce serait probable que la bataille représentée soit celle de Somme-Py.
— Le front d’attaque de l'offensive Meuse-Argonne est large de 70 kilomètres. Au sud, les sept corps d'Armée du Général Gouraud et les trois Corps d'Armées de la 1ere Armée américaine du général Pershing. Devant ce front sont établies, derrière des fortifications formidables, une partie de la 1e Armée Allemande de Von Mudra, la 3e Armée allemande de von Einem, appartenant au Groupe d'Armées du Kronprinz, et la Ve Armée Allemande, appartenant au Groupe d'Armées de von Gallwitz. Il y a là en première ligne 16 divisions allemandes, et en deuxième ligne 4 divisions.
— Ça fait peur !
— La Py est une rivière de Champagne, Somme-Py est à 50 km à l'est de Reims, et le front est, le 25 septembre, encore au sud de Somme-Py : après quatre jours de combat, le front va progresser de quatre kilomètres, puis de sept kilomètres, et les tranchées seront creusées au nord de la Py. Le 118e doit conquérir une ferme très solidement défendue, la ferme Navarin, et sous la direction du lieutenant-colonel Deschamps, il "est parti à l’attaque le 26 Septbre 1918 avec autant de calme que s’il allait à la manœuvre.s’est emparé de solides organisations ennemies au N. de l’Arnes. Au cours de ces deux périodes de lutte sans répit, a capturé deux-cent prisonniers, onze canons et de nombreuses mitrailleuses. » Citation à l’ordre de la IV Armée (Général Gouraud) .
— Et le char en A4 ?
— "Coulé" ! Non, sérieusement, c'est LE char de combat de la Première Guerre : un char léger Renault F.T-17 à tourelle pivotante à 360° (une première), moteur de 35 CV à l'arrière, emmenant un équipage de deux hommes, le chef de char-tireur, et le conducteur. A l'arrière, une partie amovible; le "ski", lui permet de prendre appui sans se retourner. Ses chenilles propulsives permettent d'évoluer (vitesse 8km/h) sur tous les terrains, de gravir des pentes fortes: c'est idéal pour précéder l'infanterie dans les tranchées ennemies et éliminer les nids de mitrailleuses résiduels.
Or, on me signale que " engagé dès la fin mai 1918, est une grande réussite technique et contribue au succès des offensives du maréchal Foch au second semestre 1918. Il est l’un des outils majeurs de la victoire." Voilà du renfort pour mon hypothèse.
Mais notre modèle est-il doté d'un canon court de 37 mm semi-automatique, ou d'une mitrailleuse Hotchkiss de 8 mm ? On ne souffle pas !
Il fut produit à plus de 3 000 exemplaires.
Il nous reste le plus facile : reconnaître les deux alliès de la France, l'archange saint Michel et Jeanne d'Arc. Le premier tient un étendard avec les mots --VIS -- DEUS (sans-doute pour le devise archangélique QUIS UT DEUS, "Qui est (semblable à ) Dieu ?" et la bergère de Domrémy porte son oriflamme fleurdelysée avec les mots JHESUs MARIA.
— Et la signature en D3 ?
C'est vrai !
Elle indique H.M MAGNE Ch Champigneulle Paris 1921.
—Charles-François Champigneulle I (1820-1880) est un maître-verrier de Metz puis de Bar-le-Duc Il eut deux fils dont l'un, Emmanuel, lui succéda et s'installa à Nancy.
—Louis-Charles-Marie Champigneulle fils (ou II) (1853-1905) fonde de son côté en 1881 une importante succursale à Paris en reprenant le célèbre atelier de Nicolas Coffetier 96 rue Notre-Dame-des-Champs. Il fonde la Société de Peinture sur Verre dont il devient le président en 1899.
— Son fils, Charles-Marie Champigneulle III (1880-1908), fut architecte et maître verrier, mais décéda jeune d'una accident de voiture.
—Son fils Jacques Charles Champigneulle (1907-1955), fut également maître verrier, actif de 1928 à 1952.
Tout le monde se perd dans tous ces Champigneulle, sans-doute un peu volontairement pour maintenir un nom de marque "atelier Charles Champigneulle", atelier qui resta actif au 96 rue Notre-Dame (équivalent à 140 Bd Montparnasse) jusqu'en 1939.
Henri Marcel Magne (1877-1943) était le cartonnier attitré de l'atelier de vitrail. Il était le fils de l'architecte Lucien Magne, un nom incontournable dans la restauration d'édifices religieux du diocèse de Paris et à la Commission des Monuments historiques, ainsi que dans l'histoire des maîtres-verriers. Lucien Magne fut architecte de la basilique du Sacré-Cœur en 1905, et son fils H.M y a fait les cartons des vitraux et mosaïques.
II. PROCESSION A TY-MAMM-DOUÉ.
Voilà un tableau beaucoup plus paisible : quelle sérénité, quelle grave et auguste lenteur !
C'est que, pour faire le carton, Henri-Marcel Magne s'est aidé de photographies pour lesquelles des jeunes filles ont posé dans leur costume ; l'ambiance fébrile des Pardons de T--Mamm n'y était pas.
Mais nous connaissons, de ce fait, le nom de chacun des personnages. Ce sont quatre "mariées de l'année" 1920 : un célèbre photographe et éditeur de cartes postales de Quimper, Joseph Villard, était venu prendre des images d'une procession fictive : je les emprunte au Comité d'Animation, qui les affiche dans la Chapelle pour le visiteur (copyright Ty Mamm Doué et ayants-droits) :
Pour comparer : carte-postale du Pardon.
En tête, tenant la bannière de Ty-Mamm-Doué où on lit SAINTE MÈRE DE DIEU PRIEZ POUR NOUS, ce sont Marie-Anne Cornic, Corentine Cuzon au centre, et Marie Le Clech.
Puis viennent Josèphe Danion épouse Danion et Marie-Jeanne Briand épouse Lozachmeur. Monsieur le recteur leur a confié l'honneur de porter le brancard de la statue de Notre-Dame TY-Mamm-Doué.
Et les petites ? On dirait... Mais oui, c'est Germaine Bernard ! Et à coté ? Ah, c'est Joséphe Dorval !
C'est le tour de Marie-Louise Lozachmeur (Malou pour les intimes, Le Viol de son nom de dame), et Marianne Bourhis, la femme à Briand. (la photographie du studio Villard a été offerte au Comité d'Animation par la famille Bourhis)
Ceux qui portent la croix de procession, ce sont Jean-Marie Le Feunteun, Joseph Feuteun, et Jean Le Viol, pardi !
Le clergé bien-sûr : en noir, le recteur de Kerfeunteun Pierre-François Le Floc'h (son ministère dura de 1912 à 1930) et François Pérennès .
et Pierrick Le Brun !
Au centre, Monseigneur Duparc, évêque de Quimper de 1908 à 1948. Il est venu bénir le vitrail le 9 octobre 1921.
C'est très beau, mais qui a bien pu vous faire visiter la chapelle comme cela ?
Françoise Oudin, guide bénévole pour le Comité de sauvegarde de la chapelle dont la présidente est Françoise Vilmot. Pa-ssio-nante !