Une inscription en breton au Folgoët, venant de l'ossuaire (1675 ?) de Gicqueleau.
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Sur Le Folgoët, voir :
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La Collégiale du Folgoët I. L'Autel des Anges (Kersanton, vers 1455)
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La Collégiale du Folgoët II. Les anges des façades (kersanton, vers 1423-1433).
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La Collégiale du Folgoët III . Le Porche des Apôtres (1423-1433).
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La Collégiale Notre-Dame du Folgoët VI : les crossettes du Doyenné (ou Presbytère).
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À droite de la grande porte gothique de l'abri du pèlerin du Folgoët, entre l'entrée des toilettes et celle du Musée de la Basilique, on a encastré une pierre provenant de l'ancien ossuaire de Gicqueleau. Elle échappe volontiers à l'attention d'un visiteur car elle est en partie dissimulée par un houx panaché, qui en défendit farouchement l'accès au candidat photographe.
On sait peut-être que Guicquelleau (ou Gicqueleau) est une ancienne trève de la paroisse du Folgoët, à 4 km au nord de la collégiale ; après la destruction par la foudre de l'église d'Elestrec vers 1530, le siège de cette trève fut transférée au manoir de Guicquelleau, et de sa chapelle privée. En 1675, une nouvelle église y fut construite, avec cimetière, ossuaire, mur d'enclos et presbytère. À une date que j'ignore, après la destruction de l'ossuaire, la pierre portant l'inscription affichant sa vocation a été déplacée et placée en réemploi, curieuse destinée, contre le mur des latrines.
C'est en réalité un ensemble de deux blocs de pierre, l'un principal, l'autre placé en complément (le tailleur ou sculpteur ayant sans doute sous estimé l'étendue du texte) pour prolonger la dernière ligne.
Nous y lisons :
AN ESQUERN
MA BRUZUNET O
DEVEZO CALS AIO
A CERTENNIA R / ESUCITO
Soit : AN ESQUERN MA BRUZUNET O DEVEZO CALS A IOA CERTEN NI A RESSSUCITO.
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Matériau : granite.
Datation : 1675 ? (par estimation de la construction de l'ossuaire et du cimetière de Gicqueleau).
Épigraphie : caractères latins en majuscules de taille inégale, de dessin maladroit, dont les N sont tous rétrogrades. Le Q est également rétrograde (comme un P inversé). Les U sont des V. Pas de ponctuation. Pas de séparation entre les mots. Lettres gravées (et non en réserve), sur quatre lignes, sans cartouche ni réglure ni justification.
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— L'inscription a été relevée par au moins quatre auteurs, et d'abord par Alfred Le Bars dans sa monographie Les ossuaires bretons (SHAB 1961). Celui-ci donne la leçon (partiellement fautive) suivante :
AN ESKERN MAN BRUZUNET O DEVEZO CALS A JOA CERTENAMENT NI A RESUCITO
avec la traduction « Ces ossements-ci fragmentés auront beaucoup de joie. Certainement nous ressusciterons. ». Il donne en référence (du relevé ou de la traduction?) le chanoine Guéguen, recteur du Folgoët.
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle26/Les_Ossuaires_Bretons_.pdf
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— En 1995, Alain Croix , dans Cultures et religion en Bretagne aux 16e et 17e siècles, donne le même texte An eskern man bruzunet o devezo cals ajoa certenament ni a resucito , en écrivant : "Thème développé par le Père Polanque et aussi, avec une ferveur émouvante, sur les ossuaires d'Elven et Guicquelleau : « Exultabunt Domino ossa humiliata » (1626), [dans lequel ] on reconnaît la formule du psaume 51 « qu'ils dansent, les os que tu broyas ».
Il faut considérer d'abord l'inscription latine de l'ossuaire d'Elven (Morbihan), effectivement datée de 1626 Exultabunt Domino ossa humiliata et effectivement extraite du psaume 51 (50), verset 10 :
Auditui meo dabis gaudium et laetitiam et exsultabunt ossa humiliata
Annonce-moi l’allégresse et la joie, et les os que tu as brisés se réjouiront.
Ce verset mis en musique a pu être psalmodié lors de la liturgie dans l'office des défunts (pro defunctis) au XIIe siècle : antiphonaire du Vatican San Pietro B. 79. Mais on connait surtout ce psaume sous son titre de Miserere, chanté lors de l'Office des ténèbres au cours duquel on éteignait les 15 cierges un à un. C'est un des 7 psaumes pénitentiels. Le fameux Miserere d'Allegri date de 1630, et les Psalmi Davidis Pœnitencialis de Roland de Lassus de 1560 (publiés en 1584).
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— En 1977, Michel de Mauny dans Le Pays de Léon : Bro Leon, son histoire, ses monuments, donne un relevé fidèle de l'inscription AN ESQVERN MA BRVZVNET O DEVEZO CALS A IOA CERTEN NI A RESSVCITO, et la traduction « Ces ossements brisés auront beaucoup de joie et certainement ressusciteront» .
— En 2019, Élégoët et Provost en cite presque fidèlement le texte avec la traduction "Ces ossements-ci réduits en poussière auront beaucoup de joie [étant] - certains que nous ressusciterons".
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La première partie du texte breton se révèle alors clairement comme une traduction (*) du verset latin : An esquern ma bruzunet o devezo cals ajoa, "les os (an eskern) brisés (bruzunet) auront (devezo) beaucoup de joie ( cals a joa). Ils sont commentés ou expliqués par la suite, Certen ni a ressucito, "certainement ils ressusciteront".
(*) Dans une Bible en breton de 1897, on trouve cette traduction du verset 10 du psaume 50 : Laka ac'hanoun da glevet ar joa hag-al levenez ; Ra en em laouenao an eskern pere ec'h euz bruzunet !
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On remarquera qu'il s'agit d'un distique rimé, de 11 à 12 syllabes bien que je sois incapable de les compter en breton, sans rime interne, et à rime pauvre.
An esquern ma bruzunet o devezo (11 pieds ?)
Cals a joa, certen ni a ressucito. (12 pieds ?)
(pour mémoire, Le Mirouer de la Mort, ouvrage en vers bretons, a été composé par Jean Larcher en 1519 à Plougonven et imprimé près de Morlaix en 1575.)
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Inscription de l'ossuaire de Gicqueleau, Musée de la basilique et de la Piété populaire, Le Folgoët. Photographie lavieb-aile 18 mai 2019.
Inscription de l'ossuaire de Gicqueleau, Musée de la basilique et de la Piété populaire, Le Folgoët. Photographie lavieb-aile 18 mai 2019.
Inscription de l'ossuaire de Gicqueleau, Musée de la basilique et de la Piété populaire, Le Folgoët. Photographie lavieb-aile 18 mai 2019.
Inscription de l'ossuaire de Gicqueleau, Musée de la basilique et de la Piété populaire, Le Folgoët. Photographie lavieb-aile 18 mai 2019.
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CONCLUSION.
Par son intérêt pour l'épigraphie religieuse en Basse-Bretagne (dont le chanoine Abgrall a été le zélé précurseur en Finistère dans ses excursions en vélo à la fin du XIXe siècle) et dans l'épigraphie en breton particulièrement, mais aussi par sa valeur patrimoniale à l'égard de l'ossuaire détruit de Gicqueleau, cette inscription mérite d'être mieux mise en valeur. Dans l'idéal, un cartel pourrait indiquer au visiteur sa traduction et son origine.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (chanoine Jean-Marie), 1915, Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments recueillies par M. le chanoine Abgrall, Bulletin de la Société Archéologique du Finistère T. 42. page 189.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077163/f241.item
— ABGRALL (Jean-Marie) 1916, Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments recueillies par M. le chanoine Abgrall (suite), Bulletin de la Société Archéologique du Finistère page 95.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077197/f126.item
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077197/f155.item
— ÉLÉGOËT (Louis), PROVOST (GEORGES), 2019, Le Folgoët, sanctuaire d'exception, ed. Coop Breizh, page 186.
— ERNAULT (Émile), 1912, l'ancien vers breton, Honoré Champion.
— ERNAULT (Émile), Le mirouer de la mort, poème breton du XVe siècle.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6528263n
— La chapelle de Gicqueleau
— LE BARS (Alfred), 1961, Les ossuaires bretons, Mémoire de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne SHAB tome XLI page 146.
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle26/Les_Ossuaires_Bretons_.pdf
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